Le député geek Eric Bothorel défend son point de vue

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Titre : Le député geek Éric Bothorel défend son point de vue : projet de loi Sren, AI Act, très haut débit...

Intervenant·e·s : Éric Bothorel - Delphine Sabattier

Lieu : Podcast Politiques Numériques (POL/N)

Date : 22 décembre 2023

Durée : 44 min 22

Podcast

Présentation du podcast

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : À prévoir

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Delphine Sabattier : Vous écoutez Politique numériques, alias POL/N, une série inédite de débats et d'interviews politiques sur les enjeux de l'ère technologique.
Je suis Delphine Sabattier, je reçois ici des décideurs publics et des experts de ce nouveau terrain de jeu réglementaire, législatif et politique, bien évidemment, que constitue ce monde des plateformes.
Pour ce premier épisode mon invité est le député Éric Bothorel.
Bonjour à tous. Bonjour Monsieur le député.

Éric Bothorel : Bonjour.

Delphine Sabattier : Un député breton, responsable de la circonscription Paimpol-Lannion, dans les Côtes d'Armor, et on pourrait dire aussi de l'aile gauche, finalement, de Renaissance, d'abord engagé au Parti socialiste avant d'embrasser le mouvement En Marche ! pour l'élection de 2017. Est-ce que je peux dire également un député geek ?

Éric Bothorel : Oui. C’est le qualificatif qui m'est parfois accolé. Pourquoi pas !

Delphine Sabattier : À quel point ?

Éric Bothorel : Curieux, c'est plutôt ça qui me qualifie. À quel point ?, je ne sais pas, ça me poursuit depuis tout petit.

Delphine Sabattier : Vous codez, par exemple ?

Éric Bothorel : Il m'est arrivé de coder. Ma dernière acquisition c'est un Flipper Zero, pour vous donner une petite idée.

Delphine Sabattier : J’ai vu ça sur X. Alors, c'est un beau jouet ?

Éric Bothorel : Oui, ça a l’air assez rigolo.

Delphine Sabattier : Nous sommes ensemble pour commenter toutes ces décisions nouvelles qui arrivent autour du numérique, toutes ces politiques qui se jouent à l'Assemblée nationale, mais pas seulement, aussi au niveau européen. Je voulais qu'on commence quand même par ici, en France, et cette loi SREN pour réguler et sécuriser l'espace numérique et qui semble complètement bloquée. Qu'est-ce qui se passe ?

Éric Bothorel : Elle n’est pas bloquée. Nous l'avons examinée cet automne et il se trouve qu’il y a ensuite des délais d'observation ou de commentaires que peut formuler l’Europe sur ce texte. En sagesse, on attend que ce délai soit expurgé. Par ailleurs, on avait un petit encombrement à l'Assemblée nationale sur des textes qui méritaient aussi d'être examiné avant les fêtes, donc c'était compliqué d'avoir le retour de la CMP. Maintenant, tout cela suit son cours. J'espère qu'on aura cette CMP, cette Commission mixte paritaire – il me semble que tout le monde la connaît, désormais – au mois de février, ce qui permettra de faire atterrir ce texte au premier trimestre.

Delphine Sabattier : On dit justement qu’à la Commission on est très contrarié par le texte qui voudrait peut-être aller un petit peu trop loin.

Éric Bothorel : Je n’ai pas tout à fait la même lecture des échanges. Chacun s'est saisi, des courriers qui ont pu être échangés entre le ministre Barrot et le commissaire Breton. Mais, en vérité, la Commission européenne, le commissaire en l'espèce, rappelle à quel point l’Europe est le lieu pertinent et prédominant pour prendre des dispositions de régulation. Il est très soucieux, finalement, de la construction d'un cadre harmonieux au niveau européen, ce qui doit freiner un peu les initiatives qui, de temps en temps, sont prises au niveau de certains États, qui pourraient conduire à prendre des dispositions qui finiraient par fragmenter le droit au niveau européen sur la régulation numérique. Pour autant, il y a encore des espaces dans lesquels un secrétaire d'État au Numérique ou un ministre délégué au Numérique est, bien évidemment, porteur de réformes à la fois législatives et réglementaires et que la France a des choses à dire sur le sujet. Je ne vois pas d'obstacles à l'adoption du texte.
Autour de SREN, on se souvient tous, bien évidemment, que c'est le contrôle de l'âge, le bannissement, etc., mais, au départ, le texte n'a qu'une seule vocation, c'est celle d'adapter notre droit justement aux dispositions européennes, que ce soit sur la partie cloud ou sur la partie DSA, DMA, par exemple.

Delphine Sabattier : Il y a quand même eu ces débats et ces polémiques avec une partie de l'Assemblée nationale qui voulait, sans doute, en profiter pour resserrer la vis sur nos libertés dans l'espace numérique. On a vu un amendement au sujet de l'anonymat qui a finalement été retiré.
Est-ce que vous diriez, Éric Bothorel, que, j'allais dire, tous vos compagnons sur les bancs de l'Assemblée n'ont pas forcément les connaissances techniques nécessaires pour prendre les bonnes décisions aujourd'hui ? Il faut davantage les éclairer ? Ou alors que, désormais, c'est vraiment un terrain de jeu politique où on sent ces clivages gauche-droite qui s'imposent ?

Éric Bothorel : Je ne suis pas sûr que ce soit un clivage gauche-droite qui nourrisse ce débat-là. D’abord, je pense que c'est un climat général, dans notre société, qui fait qu’une forme de dictature de l'émotion convoque chacun dans son rôle de victime potentielle de tel ou tel effet néfaste que ce soit de la technologie, ou pas, d’ailleurs. Mais là, en l'espèce, avec la promesse initiale des réseaux sociaux, des hippies de Berkeley ont pu penser que ce seraient des outils qui relieraient le monde, qui nous permettraient de mieux nous connaître, de nous apprécier, etc.

Delphine Sabattier : C'est vrai aussi.

Éric Bothorel : Bien sûr, mais j'observe que le numérique devient le coupable de toutes les dérives, et il y en a, c'est une évidence.
Certains de mes collègues sont dans une quête dont je prédis, d'ailleurs, qu'elle ne se finira jamais parce que, pour le coup, je pense que la nature humaine est ainsi faite qu’on ne corrigera pas tous les excès dont certains peuvent être les coupables ; dans une quête qui consiste à aseptiser tout ça et à protéger tout le monde.

Delphine Sabattier : Peut-être à surprotéger, à vouloir tout contrôler. C'est ça, aujourd'hui, vos points de vigilance ?

Éric Bothorel : Je n'ai jamais caché mon désaccord sur l'histoire de l'anonymat, on pourra probablement y revenir, mais plus encore, à la limite, sur le contrôle de l'âge.

Delphine Sabattier : Sur le contrôle de l'âge. Là, on parle de sites pour adultes auxquels ont accès tous les enfants, s’ils en ont envie, aujourd'hui. Il s'agit de trouver les bonnes dispositions technologiques pour permettre de vérifier l'âge des utilisateurs sans pour autant être trop intrusif. C'est donc un jeu acrobatique pas simple techniquement. Pour autant, quelle est votre position sur ce sujet ? On sait qu’on a quand même les moyens ; on a des outils numériques, aujourd’hui, qui permettent cette vérification de l'âge, pourquoi est-ce que ça traîne autant ? Pourquoi est-ce que c'est un sujet si compliqué ?

Éric Bothorel : Ma position est assez simple. Il y a des outils, vous le mentionnez, il y a notamment le contrôle parental qui est présent sur les box, présent sur l'ensemble des devices, des périphériques, que ce soit les téléphones portables, les ordinateurs,etc.

Delphine Sabattier : Installé par défaut désormais.

Éric Bothorel : Installé par défaut. Je fais partie de ceux qui pensent qu’on peut régler une bonne partie du problème en sensibilisant celles et ceux qui sont aujourd'hui en méconnaissance de la présence de cet outil ou qui ne sont pas allés sur son déploiement. Il y a peut-être des outils de pédagogie à développer pour faire en sorte que…

Delphine Sabattier : Et ça suffirait ?

Éric Bothorel : En tout cas, ça améliorerait les choses. Je crois savoir que seuls 40 % des abonnements qui sont souscrits pour des mineurs auprès d'opérateurs téléphoniques, souvent accompagnés des parents, font l'objet de l'activation du code parental. Je veux bien qu'on prenne une disposition plus générique qui, j’allais dire, emmerde tout le monde, parce que, en gros, finalement, le contrôle de l'âge va s'appliquer à quiconque ira sur une plateforme, qu’on soit un mineur ou qu’on ne le soit pas. J'avais fait une démonstration dans le cadre de l'examen de ce texte. On visait essentiellement les pure players du porno, on va dire les choses, les tubes, mais comme on ne l’a pas qualifié ainsi dans le droit, finalement, ça touche toutes les plateformes ; d'ailleurs, le porno n’est pas défini notre droit. Pour le coup, ça ouvre des portes qui sont de véritables risques. J'avais fait la démonstration qu’il y a, par exemple, des vendeurs tiers sur un certain nombre de plateformes, qu’elles soient américaines, qu’elles soient françaises, européennes, et quand vous vendez un DVD érotique ou porno, etc., on peut considérer, en tout cas il y aura bien des gens pour penser que c’est du contenu porno et ça voudrait donc dire qu'on serait obligé de faire la démonstration qu'on a plus de 18 ans si on veut se mettre sur Leboncoin, la FNAC ou Amazon. Dit autrement, si on veut acheter une tondeuse ou un tracteur, parce qu’il y aura quelque part un vendeur tiers qui vendrait des contenus dont on pourrait réputer qu’ils sont pornos, on se verra appliquer, dans son parcours client, l'obligation, à chaque fois qu’on se connecte, de faire la démonstration qu'on y a plus de 18 ans, , c'est ce qu'on appliquera aux tubes.

Delphine Sabattier : Votre démonstration a fait mouche, Éric ?

Éric Bothorel : Non, manifestement non, puisqu’il y en a qui ont considéré que c'était…

Delphine Sabattier : Un dommage collatéral, c’est ça ?

Éric Bothorel : Je vais vous dire, Delphine, en vrai c’est arrivé après le reportage sur les dérives du porno en ligne, cette émission qui avait été faite sur une chaîne publique française et, là aussi, je comprends qu'on avait convoqué une forme d'émotion qui faisait que, de toute façon, on ne pouvait pas simplement faire de l'activation de code parental.
Mais, en gros, on va emmerder tous ceux qui aujourd'hui mettent déjà en place ce type de disposition pour protéger leurs enfants au motif qu'une partie de la population, par négligence ou par je ne sais quels moteurs qui font, qu'à un moment donné, on ne s'intéresse pas à ça, ne le mettent pas en œuvre. Je pense qu'on aurait pu commencer par le contrôle parental.

Delphine Sabattier : Là, on est toujours dans cette idée de principe de précaution, finalement on veut protéger, peut-être parfois surprotéger, les citoyens dans ce monde numérique impitoyable, pour autant on n'a pas le même sentiment quant à la position de la France sur l’AI Act. On a l'impression que là l'intérêt général est passé après l'intérêt de l'écosystème. On va peut-être resituer. Finalement, à Bruxelles, on a réussi à trouver un accord politique autour de ce règlement qui s'intéresse au déploiement de l'intelligence artificielle et on a vu la France essayer de pousser une position beaucoup moins rigide, beaucoup moins protectrice. Et, même après cet accord, on a entendu le président Emmanuel Macron nous dire que ce n'était pas une bonne idée de vouloir s'attaquer à la réglementation de ces grands modèles de langage qui, aujourd'hui, sont en pleine expansion du côté des États-Unis et qui essayent d'émerger justement en France et en Europe aussi.
Comment avez-vous entendu cette réaction présidentielle ?

Éric Bothorel : Plutôt bien. Tout à l’heure, vous m’avez posé la question : est-ce que je code ? Ça me rappelle les années 80/90, quand j'étais chez Xerox et qu’on faisait du Lisp, j’allais dire que ce sont les dinosaures de l'intelligence artificielle, à l'époque on appelait ça les systèmes experts, ça rappellera des souvenirs à ceux qui nous écoutent. Je pense que dans l'histoire du numérique et des différentes briques technologiques qui émergent, on attendait la puissance de calcul, on attendait les grandes capacités de stockage, on attendait un certain nombre d'éléments de disponibilité technique qui permettraient de faire émerger une forme de maturité de l'intelligence artificielle, à tel point qu'aujourd'hui elle est devenue, effectivement, grand public et que beaucoup tapent des prompts sans le savoir, qu’on a beaucoup d’IA qu'on utilise d'ailleurs au quotidien sans trop se poser de questions, je pense notamment aux outils de traduction qu'on a sur nos téléphones et qui sont parfois pratiques quand on est à l'étranger.
Pour une fois, nous avons à légiférer sur quelque chose qui est en train d'émerger, pas dans une situation où il faut corriger les excès de position dominante d'un certain nombre d'acteurs, même si on voit se dessiner, bien évidemment, un certain nombre de leaders ; en numérique, comme en tout, il est toujours trop tôt de parler les leaders. Là aussi, c'est peut-être l'avantage ou le bénéfice d’être un geek un peu boomer : on a tous en tête des noms de gens qui étaient promis à un super destin et qui ont disparu, je pense à Altavista, je pense à Netscape, etc. Ce podcast n’est pas fait que pour les gens de plus de 50 ans !

Delphine Sabattier : Ça permet de faire un peu de culture générale aussi.

Éric Bothorel : Il y a eu une vie avant Snapchat, avant Midjourney et ChatGPT!
Nous sommes dans un moment où les choses sont en train d'émerger. On a des champions français, on a un savoir-faire français. Si on régule trop, on est sûr qu'on est en capacité de répliquer ce qu'on a déjà connu par le passé Dans d'autres pays, d'autres blocs continentaux, le bloc américain n’agit pas du tout de manière, il a plutôt tendance à stimuler son innovation, à laisser faire, le côté un petit peu Far West.

Delphine Sabattier : Est-ce que c'est vraiment la réglementation, les lois, qui ont empêché la France, l’Europe, d'avoir leurs géants du numérique ?

Éric Bothorel : Je ne pense pas, mais, en partie. On a certainement passé du temps, à un moment de notre histoire, à réguler pendant que d'autres étaient en train de croître. C'est la première chose.
La deuxième chose c'est que l'IA, dans le texte, ce n'est quand même pas grand-chose, ce sont les cas d'usage qui vont naître de tout ça. Moi je suis incapable de vous dire quelles seront les applications qui vont être massivement adoptées dans l'entreprise, par les particuliers, et qui vont faire des success stories. J’ai égrainé quelques noms d’outils qui sont rentrés aujourd’hui dans le quotidien, ou presque, mais ça n'est que le début, il y en aura d'autres qui mobiliseront d'autres choses.

Delphine Sabattier : La position française c'est vraiment dire : il faut réguler les usages qui vont émerger de ces grands modèles de langage.

Éric Bothorel : La preuve par ??? [14 min 10] est la bonne. J'ai toujours pensé qu’on pouvait avoir des régulations de très haut niveau, macros, qui rappellent l'attachement à un certain nombre de fondamentaux, de valeurs, etc., on peut parler d'éthique de l'IA, on peut parler de choses qu'on veut ou qu'on ne veut pas, ensuite rentrer dans les détails et puis commencer à discriminer tel ou tel type d'usage, c'est d’abord méconnaître que certains vont naître au milieu du moment où on commencera à produire du texte.

Delphine Sabattier : Donc c'est trop tôt aujourd'hui, ça vous semble surtout trop tôt ?

Éric Bothorel : Bien sûr, et je trouve que là, pour le coup, la position qui est celle qui débouche sur l'accord qui a été trouvé avant cette fin d'année, qui permettra encore au dialogue de se poursuivre, correspond bien à l'esprit dont a envie l’Europe, à l'esprit dans lequel se situe l’Europe aujourd'hui qui est plutôt de stimuler l'innovation que de tenter de la réfréner.

15’ 00

Delphine Sabattier : Pour autant