Au tout début était Internet (1/2) - Stéphane Bortzmeyer
Titre : Au tout début était Internet (1/2)
Intervenant : Stéphane Bortzmeyer
Lieu : Quimper - Centre des Abeilles - Entrée Libre #3
Date : 18 mai 2023
Durée : 1 h 4 min 26
Licence de la transcription : Verbatim
Illustration : À prévoir
NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.
Transcription
Bonjour tout le monde. Merci Brigitte.
Je m'appelle Stéphane Bortzmeyer et c'est moi qui commence cette troisième édition d'Entrée Libre, alors la dernière, je ne sais pas, je fais peut-être comme les tournées d'adieu des groupes de rock qui font dix tournées d'adieu de suite et après disent « finalement on reprend ». Donc on ne sait pas encore, rien n'est certain dans le monde où nous vivons à part Internet, c’est la réalité.
L'idée c'est de présenter effectivement Internet.
Il y a deux catégories de public ici : il y a les habituels des conf de logiciels libres et des trucs comme ça, qui connaissent déjà tout ça par cœur et qui n’ont pas besoin de moi, donc, Chris, tu peux sortir, tu connais déjà tout, il n’y a pas de problème. Mais il y a aussi un public plus large, qui vient au Centre des Abeilles comme d'habitude, qui peut, à la fois, connaître et ne pas connaître. Connaître parce qu'aujourd'hui tout le monde utilise Internet, c'est quand même assez difficile de trouver quelqu'un, aujourd'hui, qui n'a jamais mis les mains sur Internet, peut-être des fois sans le savoir. Mais savoir l'utiliser est une chose, comprendre ce qu'il y a derrière en est une autre. On me fait toujours l'objection classique du genre « madame Michu n'a pas besoin de connaître puisqu’on peut prendre une voiture sans être ingénieur ». D'abord monsieur Michu n'est pas plus compétent que madame Michu , il faut toujours se le rappeler, et, ensuite, on connaît beaucoup de choses sur les voitures, en fait. On ne s'en rend pas compte parce que c'est tellement diffus comme savoir, on le reçoit tellement tôt dans sa vie et on baigne tellement là-dedans, qu'on ne se rend pas compte qu'en fait si : madame Michu et monsieur Michu connaissent pas mal de choses sur la voiture, par exemple qu'il faut mettre de l'essence dedans. Ça fait rire quand je dis ça, mais en matière de numérique, la plupart du temps, il n'y a même pas ce savoir de base et on voit les gens faire des bêtises énormes qui n'ont pas d'équivalents dans le monde automobile. Dans le monde automobile, les gens font beaucoup de bêtises aussi, mais pas par ignorance, juste parce qu’ils ont envie de foncer et d'écraser les autres. Pour le numérique il y a effectivement beaucoup d'ignorance, y compris pour des trucs de base. Par exemple l'équivalent de mettre de l'essence dans sa voiture, c'est faire des sauvegardes, c’est-à-dire faire des copies de ses données chez soi, dans un endroit qu'on contrôle. Énormément de gens ne le font pas et, si vous ne le faites pas, ne déprimez pas parce que beaucoup de professionnels ne le font pas non plus. Ils ont tort, ils le découvrent quand il y a un problème, mais ça existe.
Ce matin, on va causer d'Internet, revenir à un certain nombre de fondamentaux sont un peu oubliés et parler un petit peu d'histoire, pas seulement à cause de mon âge, mais aussi parce que je pense que l'histoire peut effectivement être un moyen de voir les autres voies qu'on aurait pu emprunter. Il y a souvent une tendance à croire que la situation actuelle était inévitable, forcément ça devait être comme ça. Ça s'est traduit dans des proverbes à la con comme on n'arrête pas le progrès ou des choses comme ça qui ne veulent rien dire. En fait, l'histoire nous montre qu'à chaque fois il y avait des bifurcations, on aurait pu prendre une autre voie. Ça veut dire que aussi que, dans le futur, on pourrait prendre d'autres voies.
Un peu de publicité…
Un peu de pub. J'ai fait un livre qui explique tout ça, qui s'appelle Cyberstructure publié chez C & F Éditions, d'ailleurs, tous les bouquins qui sont C & F Éditions sont très bien, c'est vraiment l'éditeur de la culture numérique, donc tout à fait recommandé. Je recommande aussi mon livre, vous vous en doutez. Fin de la pub.
Internet n’a pas toujours été comme ça et ne le sera pas toujours
Le point important c'est qu’Internet n'a pas toujours été comme il est aujourd'hui et ne le sera pas toujours. Le but n'est pas uniquement de regarder le passé avec nostalgie en se disant « ah là, là, avant c'était mieux, avant il y avait ça, c’était bien ». Le but c'est aussi de montrer que, puisque ça n'a pas toujours été comme, ça ne le restera pas forcément, autrement dit il y a d'autres possibilités et ça dépend, en partie en tout cas, de nous. Très souvent, le numérique est regardé avec un côté défaitiste, il n’y a pas d'autre mot, du genre « c'est forcément comme ça ». Quand on propose autre chose, en général les messieurs sérieux ricanent et vous disent « vous ne voudriez quand même pas que madame Michu fasse ci, ou fasse ça » ou « de toute façon, votre truc c’est irréaliste » ou « de toute façon, jeune homme, vous êtes un Bisounours, vous ne connaissez pas le monde réel. » On avait pile le même genre de remarque quand Internet était encore un truc expérimental qui se déployait. J'ai eu des tas de fois des discussions avec des messieurs sérieux, parfois aussi avec des dames sérieuses, quand je leur disais « l’Internet c'est super, un jour tout le monde sera connecté à l’Internet », il y avait des rigolades en face du genre « jeune homme, vous n'y pensez pas, ce n'est pas possible ! ». Eh bien si, c'est possible et c'est arrivé.
Pour le futur, il ne faut pas se laisser arrêter par ce qui existe aujourd'hui, il faut se dire que ça pourrait être différent. En d'autres termes, rien n'est naturel, c'est encore plus vrai. Autant on peut dire que le corps humain est comme ça depuis qu'on est devenu Homo Sapiens en Afrique il y a trois cent mille ans et qu’il n'a pas beaucoup changé, autant des objets sociotechniques comme l'Internet sont construits, ça n'a rien de naturel. Ça dépend, bien sûr, de contraintes physiques : par exemple, la vitesse de la lumière est indépassable ; si vous arrivez à prouver qu'on peut aller plus vite que la lumière vous avez le prix Nobel de physique tout de suite et je vous laisse le micro pour expliquer. En dehors de contraintes strictement physiques comme ça, qui portent, par exemple, sur la consommation énergétique – je crois que Maïwann en parlera juste après –, on peut faire l'Internet comme on veut et on peut faire évoluer. Il ne faut pas se résigner à ce qui existe, il ne faut pas se dire « Internet, c'est forcément Elon Musk, donc je vais l'inviter à l’Élysée, c'est lui qui va me dire ce qu'il faut faire parce que c'est forcément des gens comme ça qui dirigent le monde ». Il faut se dire que les choses non seulement peuvent changer mais qu'elles changent. Les choses n'ont pas toujours été comme elles sont.
C'est pour cela que, quand on propose des changements à Internet, les gens disent « ce n'est pas possible, ce n'est pas réaliste, etc. », je m'en fiche un petit peu, parce que les mêmes personnes expliquaient, il y a 30 ans, que l'Internet ne marcherait jamais.
En construction
Un mot d’histoire intéressant. Aujourd'hui l’Internet est suffisamment vieux pour qu'il y ait des historiens et des historiennes qui travaillent sur l'histoire de l'Internet. C'est le cas, par exemple, de Valérie Schafer qui a fait un bouquin qui s'appelle En construction. Les plus âgés parmi vous se souviennent de l'époque où tous les sites web avait une icône, comme ça, d'un travailleur de BTP, que le site web était en construction. Il y a une eu époque où il fallait absolument avoir un site web, mais on ne savait pas trop quoi mettre dedans, donc tout ce qu'on mettait c'était l'image, puis on disait « ce site est en construction », des fois il le restait longtemps. C’est pour cela que Valérie Schafer a choisi ce titre pour son livre qui est l'histoire du déploiement de l'Internet en France. Ce n'est pas l'histoire de l'Internet, l'Internet est bien plus ancien que ça, c'est l'histoire de son déploiement en France concomitamment au déploiement du Web en France dans les années 90.
C'est donc déjà un sujet d'histoire. Soit on l'a vécu soi-même soit on y apprend que, justement, tout n'a pas toujours été comme ça, il y avait des tas de questions qui se posaient, des tas de choses auraient pu être faites différemment.
Bon, mais c'est quoi l'Internet ?
Le problème, c'est que chacun a sa vision qui est légitime. Si je demande à tous les gens ici « c'est quoi l'Internet pour vous ? », d'abord ça va prendre du temps parce qu'il y a beaucoup de monde, donc on sera en retard pour le déjeuner, mais surtout ça va nous donner tout un tas de réponses différentes, qui toutes sont légitimes au sens où chacun a le droit de définir l'Internet comme il veut, il n'y a pas de police qui va vous tomber dessus en disant « non, ça ce n’est pas le vrai Internet, fermez-la, dégagez ! ». Vous avez donc le droit d'avoir votre propre définition de l'Internet, à condition que vous donniez aussi ce droit aux autres, c’est-à-dire que vous compreniez que les autres peuvent avoir une autre vision de ce qu'est l'Internet.
J'avais été frappé par les résultats d'un sondage fait au Nigeria auprès d'utilisateurs de smartphones : on leur demandait combien avaient un accès à Internet et combien avaient un accès à Facebook et il y en avait beaucoup plus qui aveint un accès à Facebook, qui disaient qu’ils avaient un accès à Facebook et qui disaient qu'ils n'avaient pas d'accès à l'Internet. Ça montre qu'ils avaient un modèle dans leur tête. Personnellement, en tant qu'ingénieur, je trouvais ça bizarre « s'ils ont accès à Facebook c'est forcément qu'il y a Internet en dessous », mais, pour eux, ce n'était pas la même chose. Donc une autre vision d'Internet.
En tout cas, personnellement, je pense qu’Internet n'est pas limité à YouTube et à TikTok, contrairement à ce qui est, par exemple, fréquemment présenté dans les médias ou dans les discours des ministres : quand ils parlent de l'Internet, c'est souvent uniquement un petit nombre de services que eux connaissent. J’ai mis TikTok pour faire jeune, mais on m'a dit que les jeunes, maintenant, commencent à ne plus utiliser TikTok, donc, apparemment, les choses changent ; avant je mettais YouTube et Facebook, il paraît que Facebook c'est vraiment très vieux aujourd'hui, que les jeunes n'utilisent plus du tout ça. Vous pouvez mettre Snapchat, Instagram, ce que vous voulez, tous ces trucs-là. Ce qui est sûr, c'est que la façon dont internet est présent dans les discours, dans les médias, dans les discours officiels, ceux des ministres, c'est très souvent réduit à un petit nombre de services, toujours les mêmes, presque tous situés aux États-Unis, à part TikTok, et presque tous appuyés sur une entreprise capitaliste ayant pour but le profit avec ce que ça implique. Ce discours est tellement répété, c'est tellement toujours celui-là qui est présent, que pas mal de gens finissent par croire que l'Internet c’est effectivement ça, que l'Internet c'est uniquement un petit nombre de services – petit genre les doigts des deux mains suffisent pour les compter – et que ça ne peut être que ça l’Internet, c’est-à-dire que nous citoyens, citoyennes, utilisateurs, utilisatrices, etc., ne pouvons pas participer à Internet autrement qu'en passant par un des services en question.
En fait, tout le but de mon exposé ici c'est de rappeler que non, ce n'est pas ça Internet, ça n'a pas toujours été ça, et même aujourd'hui ça n'est pas que ça.
En plus, ce qui est rigolo dans la présentation dans les médias, c'est que souvent l'Internet est présenté comme s'il avait sa propre personnalité, comme si c'était une force autonome qui fait des trucs. L’autre jour, dans une bibliographie, je vois le titre d'un bouquin Ce que l'Internet vous cache, comme si l'Internet était quelque chose ayant son propre agenda et décidant de vous cacher telle chose ou telle autre. Ou alors des grandes phrases très générales, très assommantes, « l'Internet nous enferme dans une bulle », « à cause de l'Internet, les jeunes ne lisent plus » ou des choses comme ça.
Ces phrases ont toutes le même défaut : elles voient l'Internet comme si c'était un organisme ou une organisation unifiée et cohérente. Alors qu’en réalité, on va le voir, il y a un peu tout sur l'Internet : du bien, du moins bien, et le contraire et, surtout, il n’y a pas une vision cohérente, il n’y a pas une démarche, il n’y a pas quelque chose dont on pourrait dire que c’est vrai de tout ce qu'il y a sur Internet. Ce n'est pas du tout comme ça que les choses se passent, mais ça permet de faire des discours simplificateurs et puis ça rentre dans un certain cadre mental. Les gens qui travaillent dans les médias ou les hommes politiques veulent très souvent des choses simples avec un petit nombre de chefs qu'ils aiment bien : l'idéal c'est quand il y a un chef, qui donne des ordres et que ça s'applique ; ça c'est simple, on comprend. On peut ne pas être d'accord avec le chef, mais au moins on comprend.
La réalité de l'Internet c’est que, justement, il n'y a pas de centre particulier, il n’y a pas de chef particulier, il n'y a pas d'unité, c'est déstabilisant. On dit : ah zut, comment va-t-on en parler ? Qu'est-ce qu’on va raconter ? On ne pourra pas faire de belles phrases, simples, comme le titre de ce livre, Ce que l'Internet vous cache, que j'avais particulièrement aimé, c'est vraiment le condensé du cliché. « L'internet nous enferme dans une bulle » n’est pas mal non plus.
Les services
Pour parler de ce qu’est l’Internet, quand c'est un cours sur les réseaux informatiques dans une université, une école, souvent on part du matériel, c’est-à-dire ce que vous pouvez toucher – les câbles qui connectent tout ça, les machines – et puis on vous explique les logiciels qui permettent à tout ça de fonctionner ensemble et puis on termine par les applications que voient les utilisateurs, ce qui est directement perceptible, ce que vous voyez sur l'écran.
Moi j'ai choisi un plan un peu différent, je pars plutôt des services que voient les utilisateurs et puis je descends petit à petit ; descendre, c'est déjà un jugement de valeur, mais je vais ensuite vers des choses de plus en plus techniques jusqu'à terminer par les câbles, les machines, des choses comme ça. Ça me paraît plus adapté, mais chacun choisit le plan qu'il veut quand il cause.
J’ai dit que les ministres et les journalistes ne connaissent que des services, c’est-à-dire qu’ils n’ont aucune idée de ce qui est en dessous, mais ce n'est pas spécifique à Internet, c'est vrai pour à peu près toutes les infrastructures complexes de notre société. De la même façon qu’on voit l'électricité quand elle sort du mur, mais qu’on ne pense pas à tout ce qu'il y a derrière pour que ça marche, notamment, derrière, il y a des travailleurs, ce n'est pas moderne, ce n'est pas disruptif, ce n'est pas start-up, donc souvent on le gomme et on ne voit que le service qui est rendu. On branche sa machine, on a du courant qui sort ; on tourne le robinet, il y a de l'eau qui coule et on oublie facilement tout ce qu'il y a derrière et qui fait que ça fonctionne, sauf quand c'est en panne ou en grève. On ne connaît le service de ramassage des poubelles que quand il est en grève, le reste du temps c'est naturel, ça se fait tout seul.
Donc, on connaît un petit nombre de services, toujours les mêmes, j'en ai cité d'autres que ceux de tout à l'heure [Instagram, Facebook, Google Maps], mais le nombre total est assez faible.
En réalité, il y a eu une époque, sur Internet, où il n'y avait aucun de ceux qu'on appelle les GAFA, comme ce qu'a dit Brigitte, ou les géants du Web, quel que soit le nom qu'on leur donne, cette poignée de grosses entreprises, presque tout étasuniennes qui contrôlent les services qu'on utilise. À une époque, l'Internet n'était pas comme ça. Je rappelle que quand je dis ça, ce n'est pas pour faire de la nostalgie, c'était mieux avant, depuis tous les jeunes sont cons, non ! Ce n'est pas comme ça que les choses se passent. C'est pour rappeler qu’il y a d'autres utilisations d'Internet et d'autres façons de le faire fonctionner.
Il y a donc eu une époque où, effectivement, il n'y avait aucun de ces services et on avait pourtant déjà Internet, on l'utilisait, on faisait déjà des trucs idiots sur Internet et on échangeait déjà des photos de chats ou d'autres trucs essentiels. C'est pour cela que ce n'est pas uniquement un truc de nostalgie – avant il n'y avait pas ça, c'était très bien, on se débrouillait mieux comme ça et puis les gens faisaient pousser leurs légumes dans leur potager, c'était vachement mieux – non, ce n'est pas uniquement cela parce que, même aujourd'hui, tout le monde peut encore créer ses services. On essaye de faire oublier ça, il y a tout un discours politico-médiatique qui invisibilise complètement cette possibilité qui est là, on ne parle même pas de cette possibilité, on ne la critique même pas, c'est simplement qu'elle n'existe. On ne la mentionne jamais, les gens sont toujours très surpris quand on leur dit : « Vous pouvez avoir votre propre site web, votre propre service de distribution de photos sur des machines que vous contrôlez, qui sont à vous, avec le logiciel que vous choisissez ». Souvent les gens sont très surpris, ils disent : « Mais non, ce n'est pas possible ! », et quand il se pose des questions de choix, c'est souvent de choix entre les différents services : sur Instagram il y a tel ou tel problème, qu'est-ce qu'il y aurait comme meilleur service pour que je puisse montrer mes photos à tout le monde, toujours en termes de « je vais juste remplacer un GAFA, un géant du Web, par un autre ». Alors qu'en fait, la possibilité qu'on a de créer ce service existe toujours et c'est une grosse différence entre l'Internet et pas mal d'autres dispositifs sociotechniques qu'on avait avant.
Si vous prenez l'exemple de la télévision, c'est l'exemple le plus caricatural, il n'a jamais été possible que vous ayez votre propre chaîne de télévision, que vous diffusiez, et que les gens que ça intéresse regardent ; vous étiez toujours obligé de passer par des chaînes officielles. Idem pour les médias : vous pouviez éventuellement écrire un article et le faire publier dans la rubrique « Tribune » ou « Le point de vue des lecteurs » du journal, mais avoir son propre journal c‘était à peu près hors de portée, en tout cas très difficile.
Par contre, Internet a toujours été bâti autour de l'idée que n'importe qui, dans son garage, peut faire ses propres services. Alors ça marche ou ça ne marche pas après, les idées sont bonnes ou sont mauvaises, mais cette possibilité existe et c'est d'ailleurs comme ça que sont nés les services spectaculaires qu'on a aujourd'hui. Le Web, par exemple, n'a pas été conçu d'en haut par une entreprise ou un État qui dit « on va faire comme ça, on va faire de cette façon-là et tout le monde va s'y mettre. » Ça a été deux types dans un bureau, Tim Berners-Lee et Robert Caillot, qui ont dit « tiens, on va inventer ce truc, ça a l'air cool, puis on va le montrer aux copains, puis les copains le montrent à leurs copains et ainsi de suite. »
Un service comme Wikipédia, qui est, aujourd’hui, parmi les grands sites web populaires à peu près le seul qui ne soit pas appuyé sur une entreprise à but lucratif, est né comme ça aussi. Au début, c'étaient deux copains et puis des gens s'y mettent, d'autres s'y mettent et, à la fin, tout le monde est content et utilise le service.
C'est comme cela que se sont bâtis une bonne partie des services sur Internet.
Il y a donc souvent une idée qui bloque les gens face aux évolutions possibles de l'Internet qui est « moi je suis ordinaire, je suis tout petit, je ne suis rien du tout, je n'ai pas de possibilité de créer quelque chose de nouveau, de disruptif, qui va changer les choses. » Eh bien si, vous pouvez. L'exemple classique c'est Wikipédia, ça a démarré comme ça : les gens qui ont fait Wikipédia ne sont pas allés essayer de convaincre une grosse entreprise ou un État de déployer ça, ils l'ont fait et ça a marché. Il y en a d'autres pour lesquels ça n’a pas marché, mais c'est la vie, tout ne fonctionne pas. Par contre, on peut le faire et c'est finalement un avantage d'un objet sociotechnique comme l'Internet par rapport à pas mal d’autres infrastructures de notre société. Si vous prenez l'aviation, par exemple, même si vous êtes passionné, vous ne pouvez pas construire, dans votre garage, un avion qui sera intercontinental ou un train, d'ailleurs c'est plus écologique de prendre l'exemple du train ; vous ne pouvez pas, dans votre garage, construire des locomotives et encore moins poser des rails partout. L’infrastructure ferroviaire c'est forcément quelque chose de centralisé, d'organisé, avec des grosses compagnies ; on le voit bien avec toutes les catastrophes qu'entraîne l'ouverture à la concurrence. Le rail, structurellement, ne peut pas fonctionner avec plein de petits acteurs éparpillés partout. L'Internet c'est différent, l'Internet peut fonctionner de manière décentralisée avec chacun qui crée ses propres services.
Vous allez me dire « oui mais madame Michu – la fameuse madame Michu qu’on cite tout le temps, oubliant que monsieur Michu n'est pas plus compétent qu'elle –, ne va pas arriver à faire ça ». Eh bien si, quand même.
Exemples 20’ 48
Vous allez me dire