Technopuissance : qui dominera le monde au 21e siècle - CyberPouvoirs

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Titre : Technopuissance : qui dominera le monde au 21e siècle ?

Intervenant·e·s : Thomas Gomart - Asma Mhalla

Lieu : CyberPouvoirs - France Inter

Date : 27 août 2023

Durée : 42 min 29

Podcast

Page de présentation du podcast

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : À prévoir

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Description

Asma Mhalla fait un point sur la rivalité de puissance entre États-Unis et Chine par le prisme technologique dans ce dernier épisode de Cyberpouvoirs. La question ultime sera posée à Thomas Gomart, l’un des meilleurs géopolitologues français : qui dominera le monde au 21e siècle ?

Transcription

Asma Mhalla : Aujourd’hui dans CyberPouvoirs, la rivalité entre les deux hyper-puissances technologiques États-Unis et Chine avec mon invité du jour Thomas Gomart, spécialiste des relations internationales et directeur de l’Ifri [Institut français des relations internationales].

Thomas Gomart, voix off : Le capitalisme global se love dans les rapports de puissance, ce n’est pas l’inverse. Ces rapports de puissance sont en train de se modifier avec l’équilibre à trouver entre la Chine et les États-Unis et, au fond, dont les effets sont directs sur les pays européens.

Asma Mhalla : Bonjour. Je suis Asma Mhalla et mon job c’est de décrypter les nouvelles formes de pouvoir et de puissance qui sont en train de se recomposer autour de la tech. Chaque semaine, nous nous plongeons dans une grande affaire technologique pour ensuite tirer ensemble, méticuleusement, le fil de l’histoire, lever le voile sur ce qui se joue en coulisses, déchiffrer ensemble les enjeux politiques, géopolitiques, qui s’affrontent et qui nouent le cœur des jeux de pouvoir et de puissance de ce début de 21e siècle.
Pour la der des der de CyberPouvoirs , j’aimerais vous parler d’un des sujets qui m’a probablement le plus occupé ces derniers mois, la rivalité stratégique entre les deux techno-puissances États-Unis et Chine, une rivalité féroce qui remet en jeu l’ordre mondial.
CyberPouvoirs sur Inter, c’est parti.

Voix off : ??? en phase d’arrimage. Nous rappelons aux invités que sur la plateforme une les armes, la téléportation et la religion sont interdites. La mort de la Terre est prévue pour 15 h 39 et sera suivie d’un cocktail dans le salon de Manchester.

Voix off : France Inter. CyberPouvoirs. Asma Mhalla.

Asma Mhalla : En 1989, quelques mois avant la chute du mur de Berlin, le chercheur et politologue américain Francis Fukuyama, l’antiprophète, provoquait le monde entier avec une thèse très forte : et si nous étions arrivés à la fin de l’histoire ? Chute du mur, fin de la guerre froide, victoire du modèle des démocraties libérales sur le communisme moribond, clap de fin, l’affaire semble pliée. Mais en fait non ! Comme à chaque fois on aurait dû se méfier, l’histoire est rusée. Et 34 ans plus tard, un nouveau couple s’affronte et l’histoire se remet en mouvement. Dans mon champ de travail et de recherche, disons, pardon pour le barbarisme, la techno-géopolitique, cette rivalité se cristallise autour de ce que d’aucuns appellent la guerre technologique que se livrent la Chine et les États-Unis.
En fait, cette rivalité ne date pas du tout d’aujourd’hui. Si je devais choisir un marqueur, je choisirais l’année 2008. 2008 parce que c’est l’année qui verra advenir la première victoire de Barak Obama qui, alors, était en rupture avec les années Bush. C’est aussi une année et un moment charnière aux États-Unis où le contexte national de la guerre contre le terrorisme et l’axe du mal, rappelez-vous, ne fait plus tellement le poids dans l’opinion publique. C’est aussi un moment où la croissance et l’ambition de plus en plus fortes de la Chine commencent à s’affirmer. À partir de là, les États-Unis vont commencer à construire leur narratif de leadership technologique et idéologique contre la Chine.

Côté Chine, on va lancer dès 2015 le plan Made in China 2025, qui va d’ailleurs être mis à jour en 2021. Le plan va donner la priorité aux nouvelles technologies avec, comme ambition, la domination militaire. L’objectif est d’arriver à une armée de rang mondial, je cite « pour les 100 ans du régime, c’est-à-dire en 2049 ». Le cyber, l’intelligence, le quantique, les semi-conducteurs sont des priorités absolues et nationales. Bref ! La Chine va compter sur son autosuffisance et son leadership. C’est la fin d’une certaine conception de la mondialisation et le renouveau de l’Histoire avec un grand « H ».
À partir de 2021, les États-Unis, sous Joe Biden cette fois-ci, vont poursuivre la politique de containment, c’est-à-dire d’endiguement de la Chine, en durcissant les mesures de coercition économique et en renforçant une politique de protectionnisme techno-industriel parfaitement assumée. Deux priorités à l’agenda : les semi-conducteurs et les batteries.
Les semi-conducteurs, ce sont ces micro-puces qui alimentent aujourd’hui à peu près tout, les micro-ondes, vos smartphones et même les armes militaires. Elles sont nécessaires au développement de tout un tas d’usages de pointe. Les semi-conducteurs représentent donc un enjeu de sécurité nationale qui va pousser les États-unis à développer une double approche, d’abord défensive : le Congrès américain va très vite voter un texte, le CHIPS and Science Act, qui va subventionner massivement le secteur. Et, sur le volet offensif, des restrictions américaines vont empêcher les principaux concepteurs américains de puces, comme Nvidia ou AMD, et en particulier les puces de dernière génération, d’exporter leurs composants les plus avancés vers la Chine. Pour en fait quoi ? La bloquer.

Voix off : Technopuissance : qui dominera le monde au 21e siècle ?

Asma Mhalla : Côté chinois, la réaction a d’abord été relativement discrète jusqu’en mai 2023 quand le régulateur chinois du cyberespace va finir lui aussi par blacklister certains produits de Micron, une entreprise américaine de semi-conducteurs justement et à peu près pour les mêmes raisons que les Américains, une histoire une défaillance de sécurité, donc de sécurité nationale. Même topo dans le secteur des batteries au lithium qui sont absolument nécessaires pour le développement des véhicules électriques, mais, le rapport de forces est cette fois-ci en faveur de la Chine.

Voix off : S’il est un secteur, en revanche, où la Chine domine son rival, c’est bien celui des batteries, indispensables pour produire les voitures électriques. Deux tiers des batteries en lithium y sont déjà produites, ce qui préoccupe aussi bien le Pentagone que le constructeur de véhicules électriques, Elon Musk, patron de Tesla, lequel a d’ailleurs investi en Chine en construisant en 2019 sa première gigafactory en dehors des États-Unis.
La clef de cette domination chinoise c’est aussi l’accès de Pékin aux terres rares. En 2020, les mines chinoises ont ainsi produit près de 60 % des terres rares mondiales, alors que les mines américaines n’en ont produit que 16 %.

Asma Mhalla : Les tensions vont aussi se répercuter dans ce qu’on va appeler la climate tech, c’est-à-dire l’écosystème de startups technologiques qui est en train de se développer autour de solutions technologiques pour lutter contre le changement climatique.
En miroir aux mesures prises par les États-unis sur les micropuces, Pékin va réviser sa politique en matière d’exportation d’équipements, par exemple pour les panneaux solaires, un secteur qui est dominé par la Chine.
Aux dernières nouvelles, dans l’industrie spatiale les deux hyper-puissances sont au coude à coude. Bref ! La guerre technologique fait rage. L’enjeu c’est toujours un peu le même, le leadership mondial. Pour essayer de prendre une longueur d’avance, les États-unis vont développer tout un tas de buzzwords et de concepts. Par exemple, ils vont assez vite parler de découplage, c’est-à-dire découper les secteurs stratégiques et les industries les plus critiques pour eux pour les relocaliser aux États-Unis et les découpler de la Chine, zone devenue, disons, à risques. Mais ce n’est pas simple de déclarer des hostilités quand votre économie est enchevêtrée à celle de votre rival ! Alors ils vont décélérer et, en avril 2023, ils vont tenter d’assouplir un tout petit peu la posture en remplaçant le concept de découplage par celui par dérisquage, c’est-à-dire une notion un peu plus souple et moins hostile vis-à-vis de la Chine. On écoute Pierre Haski en parler.

Pierre Haski, voix off : La grande différence avec la première guerre froide, c’est qu’il y avait peu d’échanges commerciaux entre les États-Unis et l’URSS. Mais avec la Chine, ils ont atteint l’an dernier 690 milliards de dollars, un record. D’où la nuance désormais entre découplage et réduction des risques. Découplage ça voudrait dire tout stopper, c’est tout simplement impossible à cette échelle. Réduction des risques, de-risking en anglais, signifie couper uniquement les liens dans les secteurs sensibles, ne plus dépendre excessivement de la Chine.

Asma Mhalla : Mais peu importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse, oserais-je dire ! Et l’Europe dans tout ça ? Eh bien oui, l’Europe est toujours absente, il faut le dire. Elle essaie de mettre en place une politique industrielle cohérente à la hauteur de ces enjeux absolument colossaux, mais elle part tard, elle part de loin et parfois un peu maladroitement, mais elle s’éveille tout doucement.
Ces nouvelles et en même temps éternelles tempêtes géopolitiques, nous allons tenter, dans un instant sur France Inter, de les dompter avec mon invité du jour, Thomas Gomart, spécialiste des relations internationales et directeur de l’Ifri.

Pause musicale : Hello you, Arctic Monkeys.

Asma Mhalla : C’était le groupe Arctic Monkeys, sur France Inter, avec Hello you.
Quant à nous, on continue d’explorer la technopuissance en ce début de 21ᵉ siècle avec Thomas Gomart.

Voix off : CyberPouvoirs sur France Inter.

14’ 18

Asma Mhalla : Pour désépaissir