Un ingénieur low-tech est-il possible

De April MediaWiki
Révision datée du 22 août 2023 à 07:21 par Morandim (discussion | contributions) (Page créée avec « Catégorie:Transcriptions '''Titre :''' Un ingénieur low-tech est-il possible ? '''Intervenants :''' Hugues Choplin - Stéphane Crozat '''Lieu :''' Lille - R... »)
(diff) ← Version précédente | Voir la version actuelle (diff) | Version suivante → (diff)
Aller à la navigationAller à la recherche


Titre : Un ingénieur low-tech est-il possible ?

Intervenants : Hugues Choplin - Stéphane Crozat

Lieu : Lille - Rencontres Scenari 2022

Date : 23 juin 2022

Durée : 1 h 26 min 24

Vidéo

Page de présentation de la rencontre

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : À prévoir

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Description

Le mouvement des low-tech (basses technologies) permettrait-il de répondre à la gravité de notre situation écologique ?
Cette présentation s’attachera, d’une part, à reconnaître la singularité des gestes – à la fois techniques et politiques – propres à l’ingénierie low-tech et, d’autre part, à pointer les tensions et les risques attachés au déploiement de la « pensée low-tech ».

Transcription

Stéphane Crozat : Bonjour à toutes et à tous. Je m’appelle Stéphane Crozat, je suis professeur à l’Université de technologie Compiègne qui est une école d’ingénieur des Hauts-de-France, comme la qualité de nos réponses au quiz, hier, a pu le montrer !
Pendant les Rencontres Scenari, on essaie de s’offrir à chaque fois un pas de côté, de parler un petit peu d’autre chose que de Scenari, peut-être que notre intervenant du jour ne prononcera même pas le mot Scenari, on verra.
J’ai le plaisir et l’honneur d’accueillir Hugues Choplin qui est professeur de philosophie, enseignant-chercheur en philosophie à l’UTC. Hugues est également intervenant, membre du Collège international de philosophie. Je ne vais pas m’aventurer trop loin sur les thématiques sur lesquelles tu travailles, mais, d’une façon générale, sur la question de l’ingénieur, la question du mouvement. Ton dernier livre s’appelait, je crois que c’est le dernier, Le collectif et ses énigmes.
Hugues est animateur, coanimateur d’un groupe qui s’est créé à l’UTC qui s’appelle « Le collectif ingénierie soutenable », qui est un collectif vraiment intéressant qui regroupe à la fois des enseignants, des enseignantes, des personnels et des étudiants/des étudiantes, pour réfléchir et, en quelque sorte, travailler cette question de l’articulation entre le métier d’ingénieur, ce que fait un ingénieur dans la vie, c’est-à-dire construire des trucs, et la question des low-tech.
On travaille avec Hugues et quelques collègues dans un groupe qu’on a constitué, qu’on a appelé Lownum pour low-technicisation et numérique, dans lequel on réfléchit pour savoir comment ça se traduit dans le domaine de l’informatique et de ses usages. Cet après-midi, au retour de déjeuner, donc ne mangez pas trop lourd, on essaiera de faire le lien entre ce qu’on aura entendu ce matin, les travaux qu’on a pu mener dans ce collectif, il y a notamment Sylvain Spinelli et Thibaut ??? qui contribuent et puis Scenari. Pour info il y a aussi Guillaume ??? qui était notre intervenant de Nantes pour ceux qui s’en souviennent.
Dernier point. Vous avez un exercice « le chef a dit » à faire. Ça peut être éventuellement une bonne occasion de repérer une phrase particulièrement intéressante à partager avec nous.
Je crois en avoir terminé. Hugues, si c’est bon pour toi, je te passe la main.

Hugues Choplin : Merci beaucoup Stéphane. Bonjour à toutes et à tous. Merci de l’invitation aujourd’hui. Merci aussi à Loïc. Merci de la présentation. Je rajouterais juste un petit point, en présentation tu as dit plein de trucs. Il y a déjà un petit moment j’avais une activité, je travaillais dans une autre école d’ingénieur, à Télécom Paris, presque concurrente de l’UTC sur ces questions, l’Université de technologie de Compiègne, sur l’ingénierie de formation, notre activité de recherche et de développement où nous évoquions des solutions Scenari, comme vous dites, et nous avions un petit regard critique sur certains principes constitutifs de Scenari. Je dois dire qu’aujourd’hui je suis assez scotché de voir la richesse et la qualité de la communauté Scenari, presque 20 ans après, donc je suis bien content d’être avec vous aujourd’hui.

Un ingénieur low-tech est-il possible ?, c’est le titre de l’intervention. Derrière cette question, je vous propose de travailler sur un trucmuche, une posture particulière qui est la posture low-tech. Une posture c’est une manière de penser et d’agir. Et, à travers cette intervention, à travers cette question, souligner d’abord la singularité de cette posture, la spécificité de la posture low-tech, on verra ça en particulier à travers les gestes de low-technicisation, mais aussi l’importance de cette posture, à notre avis, l’importance vu la gravité de la situation écologique qui est la nôtre aujourd’hui. Et puis également, peut-être, les risques qu’encourent ceux qui, d’une certaine manière, déploient cette posture low-tech aujourd’hui. On peut peut-être distinguer deux types de risques.
D’abord c’est une posture, comme c’est indiqué en haut à droite, qui fait dissensus, c’est-à-dire que dans un certain nombre d’écoles d’ingénieur et en particulier à l’UTC, cette posture low-tech, cette posture basse technologie sur laquelle je vais revenir, est loin de faire consensus. Pour tout dire, aujourd’hui il y a même un dissensus, une divergence importante, j’aurais presque envie de dire assez fondamentale sur deux visions du monde toutes les deux légitimes, deux visions de la technologie aujourd’hui à l’UTC, qui se traduisent avec un certain nombre d’acteurs à l’UTC, un certain nombre d’enseignants-chercheurs, y compris à la direction de l’UTC, qui estiment que développer cette posture ça menace l’identité même de l’UTC, ça menace le « t » de l’Université de technologie de l’UTC. Et puis il y en a d’autres, avec Stéphane en particulier, Guillaume ??? que tu as cité, également les étudiants avec lesquels on a beaucoup travaillé, qui estiment, au contraire, que travailler sur cette posture low-tech c’est une manière de renouveler aujourd’hui, de façon nécessaire, le sens de la technologie.
C’est une posture qui fait dissensus, c’est une partie du risque donc, à un moment, il faut se battre un petit peu pour développer des formations dans notre collectif, pour les pousser sur ces thématiques-là, dans le groupe Lownum dont parlait Stéphane.
Ce sont aussi des risques, plus sur le plan de la pensée ou de la philo. Cette posture low-tech est mal bâtie, elle est construite, d’une certaine manière, sur des bases conceptuelles assez fragiles, c’est donc très intéressant de travailler sur ce quoi elle repose ou ne repose pas aujourd’hui. Il y a donc aussi un risque d’essayer de déterminer ce qu’il y a au fond de cette posture d’une certaine manière. On va voir cela ensemble.
Donc une posture singulière, spécifique, nécessaire et puis risquée d’une certaine manière.

Dans le titre il y a ingénieur. Ingénieur low-tech, il s’agit de cibler en particulier et d’abord, dans nos travaux, les ingénieurs qui sont formés dans les écoles d’ingénieur françaises, en particulier l’UTC, mais aussi de cibler pourquoi pas, les ingénieurs de formation, les ingénieurs pédagogiques qui sont assez présents dans cette assemblée, je crois. Je ne vais pas traiter la question directement de savoir si on peut faire une ingénierie de formation low-tech, mais c’est bien la question qui, dans le cadre de ces rencontres, est à l’horizon de cette présentation et en ingénierie de formation.

On va parcourir cet objectif, on va travailler cette posture en trois temps.
On va d’abord travailler l’ancrage politique et philosophique de la posture low-tech, on va essayer de la positionner politiquement, sociétalement comme on dit, et philosophiquement.
Il s’agit de prendre un peu en sandwich, dans la présentation, les trois gestes de la low-technicisation en essayant de les ancrer et essayer de voir, finalement, ça sera le troisième temps, ce qu’on sait d’un ingénieur en général, jusqu’à quel point ça renouvelle, ou pas, la posture d’un ingénieur. Voilà les trois temps de la présentation.

Le premier temps, c’est un temps d’ancrage et ça va être d’abord un ancrage disons de type politique de la posture low-tech, cette posture basse technologie.
En 2021 l’Ademe, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, une agence publique, a défini quatre scénarios pour atteindre la neutralité carbone en 2050. La neutralité carbone serait qu’en France on soit capable de capter autant de gaz à effet de serre qu’on en émet, ce serait ça une neutralité. Donc quatre scénarios, quatre chemins différents sociaux, socio-techniques, plus ou moins divergents, qui permettraient d’arriver à cette neutralité carbone. Je ne vais pas rentrer dans les détails de ces quatre chemins, de ces quatre scénarios
Quand on écoute l’Ademe présenter ces quatre chemins, il y a une grande alternative qui est proposée, qui est définie pour atteindre la neutralité carbone : s’agit-il de miser sur une sobriété, une sobriété notamment de nos usages, de nos pratiques, changer de mode de vie ? Ou s’agit-il plutôt de ne pas changer nos modes de vie et de miser sur les technologies ? Ce sont les quatre scénarios, la manière dont ils se distinguent d’une certaine manière.

Les low-tech se positionnent dans un chemin qui mise sur la sobriété. Les low-tech sont présentées comme une composante forte du scénario qui s’appelle « génération frugale », on peut parler de frugalité ou de sobriété. Génération frugale, c’est un scénario qui se définit : on ne va pas miser sur des technologies vertes ou des technologies réparatrices, je vais y venir, qui sont rayées, que j’ai rayées, qui sont associées à d’autres scénarios qui ont aussi leur cohérence, mais, si je puis dire, ce n’est pas le scénario, ce n’est pas le positionnement en termes d’histoire ou en termes de chemin dans lequel s’insèrent les low-tech. Ce scénario est décrit : ça implique des transformations importantes dans les façons de se déplacer, de se chauffer, de s’alimenter, d’acheter et d’utiliser des équipements. C’est ça la sobriété, c’est ça la frugalité, et c’est dans ce scénario-là que s’intègrent les low-tech.

Encore une fois, je ne vais aussi détailler les quatre précisément, mais il y a deux autres scénarios par distinction desquels s’établissent, si je puis dire, les low-tech. Il ne s’agit pas de faire valoir des technologies, c’est le scénario 3, typiquement ce sont des voitures électriques, miser sur des voitures électriques, miser sur des éoliennes, miser aussi sur des technologies de captation du CO2 à la sortie des cheminées.

Il y a un autre scénario qui s’appelle « pari réparateur », c’est de la géo-ingénierie, je ne sais pas si vous connaissez, j’en reparlerai dans un instant. Ce sont des technologies dans lesquelles on ne change pas du tout nos pratiques actuelles, voire on les accentue, mais il n’y a pas de souci puisque, de toute façon, on va miser sur des technologies qui vont capter le CO2 dans l’atmosphère ou dans l’air, voire qui vont établir, c’est ça aussi qui est intéressant dans la géo-ingénierie, des boucliers pour que l’énergie solaire ne rentre pas sur terre. On mise sur ces technologies. Aujourd’hui ce sont des technologies très incertaines, c’est pour cela qu’il s’agit de miser, mais passer à la sobriété, d’une certaine manière, c’est aussi très incertain. La géo-ingénierie s’appuie aussi beaucoup sur le numérique.

Pour comprendre les low-tech, il faut s’opposer à ces prétentions solutionnistes high-tech. Les high-tech ce sont les technologies vertes et les technologies réparatrices et solutionnistes, on dit des techno-solutionnistes, c’est-à-dire qu’on mise sur des solutions techniques pour régler les problèmes environnementaux, les problèmes écologiques et c’est sur ce solutionnisme que reposent ces scénarios auxquels s’oppose le scénario de la frugalité, donc les low-tech.

Pour bien comprendre ce positionnement social ou politique – politique au sens large du terme, à l’organisation de cité – il ne s’agit pas non plus de dire qu’on va partir dans une vision écologique où on va fusionner avec la nature sans technologie, ce n’est pas un scénario des no-tech, il n’y a pas de no-tech, il y a encore des tech, il y a encore des technologies simplement elles ne sont pas high-tech, on n’est pas dans du solutionnisme technique, que ce solutionnisme s’incarne dans des technologies vertes ou dans des technologies réparatrices.

Je vais dire des mots, des fois les philosophes sont un peu chiants, ils font des remarques un peu de haut, de toute façon c'est ma discipline : pas de naïveté écolo qui dirait qu’on va fusionner avec la nature, on dit souvent des solutions fondées sur la nature, il y a toujours un rapport technique à la nature, en tout cas c’est ce qu’un nombre de penseurs associés à l’UTC pensent, mais ni high-tech ni no tech d’une certaine manière. Ça rentre dans ce scénario de 2050. Sachant que la neutralité carbone est quand même un indicateur important de la situation écologique, mais parmi d’autres, on pourrait aussi raisonner en termes de biodiversité ou d’exploitation des ressources. C’est un indicateur, une manière quand même importante de considérer la situation écologique. Ça c’était l’ancrage politique.

L’ancrage philosophique, à mes yeux, de cette posture. J’ai sept diapos, donc une petite heure. Parfois je suis un petit peu bavard sur certaines diapos et il y en a deux sur lesquelles je suis particulièrement long dont celle-là.

Deuxième manière d’introduire cette posture low-tech, aller du côté de la philo, de la philosophie de la technique.

13’ 28

En lisant des textes