L’intelligence artificielle n’existe pas - Luc Julia

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Titre : L’intelligence artificielle n’existe pas

Intervenants : Luc Julia - ???

Lieu : Dock B · Paris Pantin - Conférence IA & éducation

Date : 8 juin 2023

Durée : 56 min 21

Vidéo

Présentation du podcast

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : À prévoir

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

C’est moi le gars à la chemise hawaïenne, je vois que j’ai fait quelques émules aujourd’hui, ce n’est pas mal, vous y viendrez, je vous assure.

On va parler d’intelligence artificielle ce matin et, en fait, j’ai une mauvaise nouvelle parce que je vais vous raconter que l’intelligence artificielle n’existe pas. C’est dommage ! J’en fais depuis plus de 30 ans, c’est un peu embêtant ! Celle qui n’existe pas c’est celle dont on nous rebat les oreilles depuis une petite dizaine d’années, mais surtout depuis six mois avec CharGPT, cette intelligence artificielle qu’on présente dans les médias comme quelque chose de magique ou qui fait peur, ou qui fait rêver, ça dépend, j’appelle ça l’intelligence artificielle de Hollywood. Celle qui est dans les films comme Terminator, là ça fait plutôt peur, ou celle des films comme Her, il y en a à qui ça fait envie, pas à moi ! C’est cette intelligence artificielle-là qui n’existe pas, celle qu’on nous présente. D’ailleurs, ce n’est pas une intelligence, il ne faudrait pas parler d’une intelligence artificielle, je pense que je vais vous expliquer ça ce matin, il faut parler d’intelligences artificielles au pluriel, parce qu’elles sont multiples et variées, il y en a plein.

Si j’ai vraiment à donner une définition d’UNE intelligence artificielle, je vais dire qu’UNE intelligence artificielle c’est une boîte à outils dans laquelle vous avez plein d’outils divers et variés et ce sont ça les intelligences artificielles, ce sont ces outils, le marteau, la scie, le tournevis, etc. Chacune de ces intelligences artificielles est très spécialisée, elle est très forte dans le domaine particulier pour lequel elle a été fabriquée et, par définition même de l’outil, elle est utile, c’est-à-dire que ça marche très bien, ça marche mieux que nous. Un marteau, ça marche mieux que nous pour planter un clou.
Ces intelligences artificielles sont effectivement puissantes et, on va y revenir, utiles et/ou dangereuses, on y reviendra.

Je vais commencer par 1956, quand on a inventé le mot, on va dire l’expression « intelligence artificielle », donc ça ne date pas d’hier, ça ne date pas d’il y a dix ans, ça ne date pas s’il y a six mois. 1956 c’est quand une tripotée de scientifiques américains se sont réunis à l’université de Dartmouth pour donner un nom au domaine sur lequel ils étaient en train de travailler. Ils avaient défini mathématiquement un neurone, c’est-à-dire qu’ils avaient défini une fonction, ils avaient dit « ça, ça a la capacité d’un neurone » donc on est capable, en mathématiques, de modéliser un neurone. Si on a un neurone, on peut modéliser un réseau de neurones ; si on a un réseau de neurones, on peut modéliser le cerveau ; si on a le cerveau, on peut modéliser l’intelligence. Le raisonnement que je viens de faire ici est évidemment complètement stupide et ça n’a pas marché, je vais y revenir. Mais c’est là que ça a démarré.
Mais, si on réfléchit bien, on fait ça depuis la nuit des temps. On essaye de trouver des outils, de faire des machines ou de faire des systèmes qui vont faire des choses qui ressemblent à ce que nous faisons ; on essaye d’automatiser depuis la nuit des temps. On peut certainement aller aux Grecs, aux Égyptiens, même peut-être avant.
Comme je suis franchouillard de base, je vais faire démarrer l’intelligence artificielle, ou ce qu’on peut appeler comme ça, en 1642. Qu’est-ce qui s’est passé en 1642 ? En 1642, le mathématicien et philosophe français, Pascal, a inventé la pascaline. La pascaline c’est quoi ? C’est la première machine à calculer, c’est une machine à calculer qui faisait des additions et des soustractions. Vous allez me dire que ce n’est pas très intelligent de faire des additions et des soustractions, mais si je vous demande combien fait 649 + 1884… [Attente, NdT] D’accord ! Il y a deux solutions : ou vous êtes complètement idiots, c’est possible, on peut le dire comme ça, ou alors ce n’est pas intelligent de faire ça. En tout cas la machine, la pascaline, aurait eu ce résultat en moins de quatre secondes, parce qu’il suffit de tourner les mollettes. En plus de ça, la machine aurait eu juste, là la personne n’a donné de réponse, mais si vous aviez donné une réponse, il y avait à peu près 60~% de chances qu’elle soit fausse.
Ceci dit, c’est pour cela que ça fait très longtemps qu’on essaie de créer des machines qui ont l’air intelligentes, qui font des trucs qui ont l’air intellectuel.

Je reviens à mes amis de 1956. Je disais tout à l’heure que le raisonnement est stupide et c’est embêtant parce que non seulement ils ont donné le mauvais nom, « intelligence artificielle », à ce domaine, mais, en plus de ça, ils se sont attaqués au problème qui est certainement le problème le plus compliqué auquel on puisse s’attaquer puisqu’ils ont essayé de résoudre le langage naturel. Langage naturel c’est quoi ? C’est ce qu’on fait ensemble, on va dire, il y a un gars qui parle, il y a des mots, vous entendez les mots et vous essayez de comprendre le sens ; les mots c’est relativement facile, le sens c’est compliqué. En 1956, avec les méthodes qu’on utilisait à l’époque, qui étaient ces méthodes statistiques, évidemment ils ont complètement échoué, ça n’a pas marché et on est entré dans ce qui s’appelle le premier hiver de l’IA. C’est quoi l’hiver de l’IA ? C’est un moment où on arrête de l’IA parce qu’on ne donne plus de sous, parce qu’on nous a menti. On nous a menti, on nous a promis plein de choses, on ne les a pas faites, etc. Il y a eu plein d’hivers de l’IA après et il y a en un autre qui nous pend au nez si on continue à faire notre Laurent Alexandre et à raconter n’importe quoi, eh bien on peut très bien arrêter l’IA. On a peur, c’est ce qui se passe en ce moment avec ChatGPT, on a peur, vous avez peur ! D’accord ! On nous dit n’importe quoi, Laurent Alexandre, ou alors on nous fait rêver et ça n’arrive pas.
Là nous sommes dans une période où il est très possible, à cause d’une de ces trois/ quatre ou cinq raisons, qu’on arrête de travailler sur l’intelligence artificielle. Ce serait dommage, parce que dans LES intelligences artificielles dont je parlais tout à l’heure, il y en a plein qui sont excessivement utiles, qui sont très utiles et il faut surtout continuer, il ne faut pas s’arrêter, mais il faut comprendre, il faut s’éduquer, donc il faut venir ici.

Dans les années 60, il n’y a donc plus d’intelligence artificielle, début des années 60, du moins il n’y a plus d’intelligence artificielle que je vais appeler statistique, celle qui essaie de modéliser les neurones, mais un autre type apparaît, c’est ce qu’on va appeler, ce que je vais appeler les intelligences artificielles logiques. Vous en avez entendu parler, c’est ce qu’on appelle les systèmes experts. Les systèmes experts c’est très à la mode dans les années 60/70/80/90 et ça arrive à son apothéose en 1997, quand le champion du monde d’échecs, Garry Kasparov, est battu par la machine Deep Blue, une machine d’IBM, qui bat effectivement Kasparov aux échecs et c’est super impressionnant parce que quand on joue aux échecs on est intelligent. Non ! En fait non. Les échecs c’est rigolo, c’est un jeu, il y a des règles. Ça tombe bien parce quand on parle des systèmes experts ce sont des bases de règles, donc on rentre les règles du jeu dans la base, c’est relativement simple et, en plus de ça, il se trouve qu’aux échecs on sait exactement combien il y a de coups, 1049 coups, on est capable de rentrer pas mal de coups dans la machine. En 1997 il y a pas mal de mémoire, on est donc capable de calculer relativement facilement, parce qu’on a assez de puissance de calcul, n’importe quelle position à n’importe quelle position gagnante, très facilement. Kasparov, lui, n’est pas capable, Kasparov a 20 coups d’avance, il est fort, il a 20 coups d’avance moi je n’ai que deux coups d’avance. Ce qui se passe est relativement simple, je ne sais pas si c’est de l’intelligence, en tout cas c’est impressionnant, c’est sûr.

Là on est dans les années 90 et dans les années 90 il se passe quelque chose d’autre qui fait que les intelligences artificielles statistiques, qu’on avait abandonnées 30 ans plus tôt, reviennent à la charge. Pourquoi reviennent-elles à la charge ? Parce que ce sont des statistiques, et pourquoi ce sont des statistiques, je vais vous dire cela juste après. On change quand même de nom, on appelle maintenant ça du machine learning, c’est la machine qui va apprendre des trucs, ça va être sympa. Pourquoi ce machine learning arrive-t-il en force ? Il arrive en force parce qu’en 1990, vous vous souvenez peut-être, au milieu des années 90 un truc arrive qui s’appelle Internet. Et Internet arrive avec beaucoup de données et, pour faire des statistiques, il faut beaucoup de données.

Là on est dans les années 2000, on fait maintenant même du deep learning, on ne se contente pas du machine learning, on fait du deep learning. Deep learning, ça veut dire quoi ? C’est exactement pareil sauf qu’il y a encore plus de données, de plus en plus de données. Vous allez voir, on va parler de ChatGPT tout à l’heure, il y a beaucoup de données.

Au début des années Internet, parmi les gros montants de données qu’il y a, il y a beaucoup d’images de chats sur Internet. Vous allez vous dire « il a pété une durite le gars ! ». Non, il y a vraiment beaucoup d’images de chats, et puis les images de chats sont intéressantes pour les gens qui veulent faire des statistiques parce qu’elles sont annotées, c’est-à-dire que les gens mettent des images de chats sur Internet et disent « c’est mon minou, c’est mon kiki, c’est mon chaton », donc on a une base de données d’images de chats relativement intéressante et on dit « on va utiliser cette base de données de chats pour faire le premier reconnaisseur de chats », un truc super intelligent !
On se rend compte qu’avec seulement 100 000 images de chats, on peut faire un reconnaisseur de chats qui reconnaît les chats à 98~%. Waouh ! Là, on arrive quand même au top de l’intelligence artificielle. On se rend compte qu’on est vraiment capable de faire des machines intelligentes si on est capable de faire des machines qui reconnaissent les chats.
Là on se demande si ce machin est un truc vraiment intelligent parce qu’il lui faut quand même 100 000 images de chats, 100 000 images de chats c’est beaucoup. Surtout quand on se pose des questions et la question que j’ai posée à des gens, à des psychologues en l’occurrence, je leur ai demandé : « Combien d’images de chats faut-il à ma fille de deux ans pour reconnaître les chats ? » La réponse des psychologues c’est « deux » ! D’accord. Donc ma fille de deux ans, qui n’est pas forcément très intelligente, d’après moi elle est complètement con, il lui faut deux images de chats pour reconnaître les chats à 100~% quand même ! Et la machine qu’on est en train de fabriquer, l’intelligence artificielle, il lui faut 100 000 images de chats.
On est en donc train de fabriquer des trucs qui n’ont strictement rien à voir avec notre cerveau. C’est pour cela qu’il va falloir se calmer un tout petit peu quand on va dire, à un moment donné, « attention ça va nous remplacer, tout ça », ça n’a strictement rien à voir.

En plus, je l’ai dit, cette machine qu’on a créée reconnaît les chats à 98~%. Vous savez pourquoi ce n’est qu’à 98~% ? Ma fille, elle, reconnaît à 100~% parce qu’elle reconnaît même les chats dans la pénombre, mais les chats dans la pénombre, il n’y a pas dans la database, parce que personne m’a posté d’images de chats dans la pénombre, on ne les voit pas, donc ça ne sert à rien. Si on ne les voit pas ils n’existent pas, s’ils n’existent pas on ne les reconnaît pas.
Ces systèmes ont donc aussi des limites, des data, des données qui sont disponibles pour pouvoir reconnaître ce qu’ils sont censés faire.

13’ 03

OK ! ça c’est réglé.