Transformer le numérique - Louis Derrac
Titre : #3 Transformer le numérique
Intervenant : Louis Derrac
Lieu : En ligne - Cycle de conférences
Date : ???
Durée : 1 h 03 min 14
Page de présentation de la conférence
Diaporama support de la présentation
Licence de la transcription : Verbatim
Illustration : À prévoir
NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.
Description
Peut-on encore transformer le numérique, et si oui, avec quelles alternatives numériques ? Comment construire un écosystème numérique en puisant dans le libre et l’open source, dans les communs numériques ? Que signifie un numérique éthique, responsable, inclusif, convivial, durable, sobre, attentif à la vie privée et à la sécurité de ses utilisateurs ?
Dans cette troisième conférence, je vous propose de vous partager ma vision d’un alternumérisme radical. Cette conférence conclusive ouvrira ensuite le cycle de débats qui nous permettra de discuter, de critiquer cette vision et d’en construire une collectivement.
Transcription
Je vous propose qu’on commence parce que, de toute façon c’est le jeu, c’est enregistré, les gens le savent. Comme c’est dense, une fois de plus, même si cette conférence va être un peu particulière, je vous propose qu’on commence.
Bonjour à toutes et à tous.
N’hésitez pas à utiliser le chat pour réagir, c’est toujours possible.
Peut-être juste un mot pour rappeler que ce cycle est un cycle de trois conférences, qui est parti d’une envie personnelle de discuter un peu plus du numérique en tant qu’objet politique, donc de reprendre un peu un triptyque qui est comprendre le numérique pour pouvoir le critiquer et le transformer. Pour moi ce sont les trois étapes qui permettent d’avoir un débat sérieux, que ce soit entre nous, entre amis, entre membres d’une association, entre salariés d’une entreprise et en tant que citoyens et citoyennes bien sûr.
La phrase qui symbolise un peu l’état dans lequel on est, c’est ce moment où effectivement, pour beaucoup trop de gens, le numérique est devenu cette chose magique, qu’il n’y a plus besoin vraiment de comprendre, qu’il n’y a plus besoin vraiment de critiquer, qui est là, qu’on n’a pas vraiment désiré, qu’on n’a pas vraiment choisi. On est un petit peu dans ce moment où, à la fois, la techno-critique est à un état de maturité et, en même temps, on a encore beaucoup de travail pour démonter un certain nombre de mythes autour de cette technologie. Je ne vais pas refaire les deux premières conférences. Dans la première c’était un peu un rattrapage pour comprendre ce qu’est le numérique et, dans la deuxième, un moment de critiques. Là on est sur la troisième. Je rappelle que, sur mon site, une page est dédiée à cette conférence, qu’elle sera alimentée de ressources et des supports de présentation, l’idée c’est que ça vive après, évidemment.
Qui je suis ?
Je suis un acteur indépendant et militant de l’éducation au numérique, donc l’éducation des citoyens et des citoyennes pour comprendre la chose numérique, un peu comme on le fait ici. Je m’intéresse de plus en plus à la question de ce que j’appelle la transformation alternumérique des organisations et plus largement de la société. Ça va être un peu le sens d’aujourd’hui : transformer le numérique c’est aller vers quoi finalement ? C’est aller vers ce que j’appelle un numérique alternatif.
Avertissements
Quelques avertissements comme d’habitude. Cette conférence est un exercice de vulgarisation et non pas d’expertise. D‘ailleurs, je ne me prétends pas expert, vous allez voir qu’on va notamment aborder pas mal de sujets, pas mal d’enjeux, il serait difficile, de toute façon, de prétendre à une expertise de tous ces domaines. En revanche, c’est un exercice d’analyse, on peut donc en discuter, on peut en débattre, c’est d’ailleurs l’objectif. Enfin c’est un propos engagé, je l’ai dit, je suis militant, là encore mes vues sont évidemment biaisées, comme pour chacun d’entre nous, on peut donc aussi débattre de ça.
Je ne sais pas si j’ai dit que c’est un cycle en trois conférences. Ce cycle se termine aujourd’hui, mais il va être poursuivi par des débats, le premier sera dans deux semaines pour débattre justement de ce qu’est un numérique acceptable, je vais en reparler aujourd’hui. N’hésitez pas à vous inscrire à ce débat, on sera sur un autre modèle puisque tout le monde pourra participer. On pourra être quatre participants sur scène en même temps, l’idée sera de reprendre le principe des débats ??? [3 min 45], d’être au maximum quatre sur scène, dès que la quatrième personne arrive, la première qui était arrivée s’en va pour qu’on fasse tourne un petit peu la discussion.
Ces trois conférences sont tout public. L’idée, comme je disais, c’est de faire un travail de vulgarisation. On va évidemment voir beaucoup de choses, peut-être que certaines d’entre elles vous seront déjà familières ou peut-être, au contraire, qu’on verra des choses trop techniques, plus poussées que ce que vous auriez voulu voir et qu’on n’aura pas le temps de voir. Il y aura forcément de la frustration, je vous préviens.
Les trois rencontres sont partagées sous licence libre Creative Commons Attribution et Partage à l’identique, c’est rappelé sur mon site. Donc n’hésitez pas à réutiliser ces matériaux, que ce soit le support de présentation, les ressources, ou la vidéo elle-même en rediffusion.
Enfin, elles sont proposées à prix libre, j’y reviendrai, c’est quelque chose que je teste : permettre aux personnes qui ont suivi ces conférences de me soutenir par un don parce que, évidemment, c’est un travail qui a été très important mais absolument bénévole, très important, je le redis maintenant que j’arrive au bout et je n’ai pas encore fini de documenter, je confirme que ça aura été un énorme travail.
Lançons-nous maintenant sur cette troisième conférence : transformer le numérique.
5‘ 02
Conclusion précédente
Je vais rappeler rapidement, notamment pour celles et ceux qui n’étaient pas là, ce qu’avait été la conclusion de la conférence précédente sur la critique du numérique.
On est sur un ensemble de technologies qui sont protéiformes, c’est un des éléments essentiels : il faut toujours rappeler que quand on parle de numérique on parle d’énormément de choses très différentes, c’est donc difficile, d’ailleurs, de critiquer, de débattre de choisir quel numérique sans ensuite détailler de ce dont on parle : est-ce qu’on parle de terminal, d’équipement, de logiciel, d’un service, etc. ? On est donc sur un ensemble de technologies protéiformes, par forcément méga-complexes, en tout cas individuellement, mais dont l’ensemble présente un parcours atypique, donc un certain nombre d’effets sur la société et les humains qui, eux, sont complexes.
La conclusion c’était qu’aujourd’hui cet ensemble de technologies est largement confisqué par ceux qu’on appelle les GAFAM – Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft – ou BATIX, les géants chinois et asiatiques, et plus généralement les Big Tech qui composent ce que j’appelle un numérique dominant et largement toxique.
Elles sont aussi confisquées de plus en plus par des gouvernements technocratiques dans le sens où une « dématérialisation », entre guillemets, est en œuvre. Une modernisation, une simplification, une numérisation – il y a plusieurs termes – de la société sont mises en place par des personnes, des experts, des technocrates, des technologues, etc., mais qui se fait sans suffisamment, en tout cas à mon sens, de débats et de discussions citoyennes.
La conclusion c’est que le problème ce n’est pas le numérique – le numérique ça ne veut pas dire grand-chose –, en revanche le problème c’est une absence criante de démocratie technique, on y reviendra. On est face à un numérique, à un ensemble de choses, de plateformes numériques largement dominantes et toxiques et c’est largement inacceptable, une sorte d’absence de limites actuellement, même si on commence à parler de numérique responsable, et j’y reviens, et on est toujours face à un très gros solutionnisme technologique dans le sens où on se dit que les problèmes que peuvent poser certaines technologies numériques, même, de manière générale, les problèmes auxquels on fait face en tant qu’êtres humains, vont être résolus par des solutions numériques et technologiques. Ce mythe, cette croyance est tenace.
Il y a deux niveaux de critique et de débat, je l’avais dit il y a deux semaines : un premier niveau où on pourrait débattre de transformer le numérique en étant un peu déconnecté et philosophe, en ignorant les limites économiques, environnementales et sociales qui s’imposent à nous. Il y a un second niveau, et c’est celui sur lequel je vais être aujourd’hui, plus réaliste et politique puisqu’il s’avère que nous sommes dans un état d’urgence environnemental et social, je lisais encore à l’instant un article du Monde sur le fait qu’on commence à se planifier pour des hausses de température de plus 4 degrés en France et que ça impose un grand débat démocratique, on est en plein dedans. C’est pareil pour le numérique qui joue là-dedans et qui va devoir suivre, en fait, et bénéficier du même genre de débat, il me semble.
Enfin, il y avait un peu la critique d’un terme que je vais reprendre ici, le terme « numérique responsable » qui, je pense, a fait son temps, a été très utile pour commencer à sensibiliser aux impacts du numérique, mais qui, aujourd’hui, malheureusement sémantiquement est pris au piège du fait que, d’une part, c’est un oxymore : le numérique ne peut pas être responsable au sens où il n’aurait pas d’impact environnemental, il serait respectueux. Quand on comprend la chaîne de vie de nos objets numérique c’est juste pas possible, en fait ça n’a aucun sens d’y faire croire.
Pareil cet oxymore rentre dans un imaginaire plus global : la croissance verte, le développement durable, l’énergie propre, le capitalisme vert et on voit bien, en tout cas d’un point de vue politique, que ces choix se questionnent : aujourd’hui on parle plutôt de post-croissance, voire de décroissance. C’est donc plutôt dans ces angles-là que, pour ma part, je me positionne. Je pense que le terme numérique responsable reste trop flou, reste sur une question de jugement moral – être responsable –, masque le caractère radical. Par ailleurs, quand on parle du numérique et de l’environnement, je trouve souvent qu’on rentre un peu dans l’idée qu’en ayant un numérique responsable, le numérique sera, au contraire, une solution aux problèmes environnementaux et là on revient au problème du solutionnisme technologique que je viens d’évoquer qui, à mon sens, est très dangereux et peut occasionner pas mal d’effets rebonds. Je viens de finir un article sur cette critique du numérique responsable, que je partagerai un peu plus tard dans la semaine, qui revient un peu sur mes arguments là-dessus, encore une fois, l’idée c’est d’ouvrir le débat. C’est pour cela que je propose le numérique acceptable. Je vais y revenir sur l’heure. Je vais aller assez vite.
Le numérique acceptable c’est déjà l’idée que, finalement le numérique a beaucoup d’impacts, mais , s’il a un certain nombre de bénéfices, on peut estimer qu’on peut l’accepter, on peut accepter ses impacts environnementaux, humains, cette pollution, etc.
Comment l’accepter ? C’est un début de proposition d’une grille de lecture.
Il faut, a minima, que ce numérique soit émancipateur et non aliénant ; il faut qu’il soit choisi et non subi et il faut qu’il soit soutenable humainement et environnementalement. Soutenable est aussi un terme qui peut dire ce qu’on veut : ça veut dire qu’on accepte qu’on va détruire notre environnement pour avoir des objets numériques, mais la question c’est qu’est-ce qui est soutenable ? Par exemple, est-ce que c’est soutenable d’avoir des smartphones pour tous les humains ou pas ? Est-ce qu’il est soutenable, en revanche, d’avoir des ordinateurs qu’on peut louer ou mutualiser et ce à l’échelle de la planète ? Est-ce que c’est soutenable ? Il y a aura beaucoup de travail, des calculs d’ingénieur, que je ne suis pas, pour savoir, compte-tenu des terres rares qui nous restent, des minerais, de l’énergie, qu’est-ce qui est soutenable.
Transformer le numérique à l’échelle individuelle
Donc transformer le numérique, il y a certain nombre de tensions sur lesquelles je vais essayer de revenir. Il y a l’éternelle tension entre le geste individuel et le geste collectif, les écogestes et les gestes plus politiques. Je trouve que là-dessus il y a pas mal d’analogies avec la situation environnementale, entre écogestes individuels, et gestes plus collectifs, plus politiques, qui auraient plus d’effet levier.
Il y a la question de l’incitation versus la régulation, le fait d’inciter les gens versus passer par la régulation, par la loi.
Il y a évidemment les tensions entre le local et le global, sachant que le numérique est évidemment quelque chose d’intrinsèquement global.
Il y a les tensions entre l’économie et le politique, l’économie étant aussi beaucoup de lobbies et, en matière de numérique, on sait qu’ils sont très puissants.
Si on commence, commençons à l’échelle individuelle. Là on va entrer dans la galaxie des petits gestes. Pour transformer le numérique ça en fait partie d’autant que l’impact environnemental du numérique se fait beaucoup sur nos terminaux et sur nos pratiques plus que sur les infrastructures réseau puisqu’il y a énormément de terminaux numériques en circulation. Donc, de fait, nos actions individuelles ont quand même beaucoup d’impact.
Émancipateur et non aliénant
Je vais reprendre le triptyque. Si on veut un numérique émancipateur et non aliénant, je pense qu’il faut commencer par développer ce qu’on appelle son hygiène numérique. Je n’étais pas très fan de ce terme au début, je le reconnais, là encore on peut peut-être débattre de ce terme. En fait, en y réfléchissant et en lisant quelques auteurs, je me suis rendu compte qu’en matière de santé publique – là, pareil, s’il y a des experts ou expertes de la santé publique, j’espère que je ne dis pas de bêtises –, ils constatent que ce qui a produit des effets incroyables sur la santé des gens ce n’est pas tant la médecine, mais c’est l’hygiène, c’est le fait d’avoir popularisé des règles d’hygiène de base, de se laver les mains, de mieux manger, de mieux s’alimenter, en fait une hygiène de vie. Du coup, je trouve que le fait de reprendre ça dans l’hygiène numérique, pourquoi pas !
Développer son « hygiène numérique »
Qu’est-ce que c’est une hygiène numérique du coup ? C’est pareil, c’est un peu reprendre le contrôle sur nos outils. L’hygiène de manière générale, c’est un peu reprendre le contrôle de son corps pour éviter de ne faire confiance qu’à un corps de professionnels que seraient les médecins. L’hygiène numérique c’est pareil, c’est essayer de reprendre un peu de pouvoir sur les experts du numérique que seraient les développeurs, les techniciens, les informaticiens. Comme on dit, le numérique est devenu trop important pour le laisser aux seules mains des informaticiens. Il faut donc reprendre le contrôle.
Après, la question : comprendre la machine, mais jusqu’où on doit aller ? C‘est vrai qu’utiliser un outil dont on ne comprend même pas les bases, je pense que ça doit nous interroger. Je pense qu’utiliser aujourd’hui ChatGPT sans comprendre les bases de ce que c’est, ce que c’est que ce language learning model, de ce que c’est une « intelligence artificielle », entre guillemets, je pense que ça se questionne, car, si on ne comprend la base de ce qu’est une machine, on n’en est plus du tout le maître, on en est plutôt l’esclave.
Dans l’hygiène numérique il y a souvent, aussi, la question de maîtriser ses données, faire attention à où vont ses données. C’est pareil, reprendre une sorte de maîtrise un peu intellectuelle, mais aussi concrètement au quotidien : où vont mes données, quelles sont un peu les règles des plateformes sur lesquelles je les héberge et où que je les partage ? Est-ce que je les connais ou pas du tout ?
Il y a question de chiffrer et sécuriser, notamment quand on a des risques liés à ses activités. Ça peut être le cas quand on est journaliste, militant, quand on travaille dans une entreprise : sécuriser ses informations en fonction de son niveau de risque.
Enfin il y a la question de la sauvegarde. C’est très intéressant de réfléchir à la sauvegarde de ses données numériques. On a un peu cette chose bizarre avec le numérique : d’un côté on a l’impression que c’est un peu dans les nuages, un peu éthéré, et, en même temps, c’est très physique et c’est très éphémère parce que si vous avez toutes vos données dans un ordinateur sans sauvegarde, vous pouvez tout perdre si vous perdez l’ordinateur. Il y a une question de rapport à la sauvegarde des données que je trouve être passionnante. Il y a même des gens qui vont jusqu’à faire trois sauvegardes, une sur un nuage, une sur un disque dur externe, bref !, ça peut aller assez loin, en se disant sauvegarder ce qui doit l’être et sauvegarder pour qui ? Pour transmettre quoi ? Il y a aussi une question de transmission. On va commencer à arriver à des générations qui vont se transmettre des choses numériques là où les générations de nos grands-parents ne nous transmettaient que des affaires physiques. Comment on transmet les mots de passe. Je trouve qu’il va y avoir un certain nombre de choses très intéressantes.
Enfin, il y a la question de penser ses besoins et sa résilience. Qu’est-ce que je fais si demain je ne peux plus accéder à des services américains parce que tensions commerciales avec les États-Unis, donc quelle est ma résilience par rapport à cela ? Qu’est-ce qui se passe si demain je suis tagué par un GAFAM qui n’a pas aimé ce que j’ai fait et hop !, je perds mon compte, c’est arrivé à des gens. Je trouve que c’est intéressant et ça fait partie de cette hygiène numérique.
16’ 33
(Re)découvrir le logiciel libre
Il y a la question, évidemment, du logiciel libre : liberté, égalité, fraternité, comme le dit Richard Stallman. Je pense que c’est intéressant, pour les individus, de redécouvrir le logiciel libre. Je ne vais pas pouvoir entrer dans le détail parce qu’il y a trop de choses à voir. Globalement, ce sont quatre libertés pour un principe qui est encore révolutionnaire, le copyleft, l’inverse du copyright. En fait, dire qu’un logiciel ou une œuvre est laissée à la disposition de ses utilisateurs avec, en revanche, des limites, en tout cas par défaut elle est partageable, réutilisable, modifiable, avec un choix de restrictions, a minima, par exemple dans le cas du copyleft, le fait de partager à l’identique ce qui a été fait, le programme initial. C’est, du coup, ce qu’on appelle une licence virale qui invite à plus de partage.
Autour du logiciel libre il y a ces quatre libertés : exécuter le logiciel, ça paraît logique, mais surtout les trois autres, l’étudier, donc faire preuve de transparence, le redistribuer, l’améliorer, pour pouvoir être le maître, là encore, du logiciel qui alimente ces machines.
Je suis obligé d’aller assez vite là-dessus, mais comme je le dirai souvent sur cette conférence, comme d’habitude soyez curieux, allez plus loin.
Le logiciel libre c’est une philosophie et un projet politique passionnant, mais ce sont aussi des limites et je trouve important de les dire ici.
Je me suis un peu amusé à reprendre ce genre d’image. Aurélien Barrau disait qu’en fait, aujourd’hui, on a beaucoup un accent sur le climat, sur l’urgence climatique, donc sur le problème des énergies fossiles. Il dit, à juste titre je pense, que le problème ce n’est pas l’énergie c’est ce qu’on fait de cette énergie. Le pire serait de trouver une énergie parfaitement propre et de continuer le business as usal. J’ai pris cette image que je trouve caractéristique d’une déforestation en cours et on pourrait imaginer que dans 20/30 ans ce tracteur ou cette machine tourne effectivement à l’énergie propre, donc que d’un coup ce serait mieux. J’ai gardé la logique en disant « je tourne à l’énergie propre et au logiciel libre » et là, vous voyez bien qu’on a une limite parce que le logiciel libre ne peut être qu’un moyen pour transformer le numérique mais pas une fin puisqu’on voit bien qu’un logiciel libre peut être utilisé pour nous espionner, un logiciel libre peut être imposé massivement à la population sans qu’elle l’ait choisi. On voit clairement que c’est une partie de la solution, mais ce n’est pas la solution à elle toute seule.
Là j’ai une slide pas très visible, c’est s’intéresser aussi aux formats ouverts. Je vais la passer assez vite, vous pourrez y revenir à tête reposée. Il y a la question, un peu en lien avec le logiciel libre, d’avoir la maîtrise de ses formats. Je ne sais pas s’il vous est déjà arrivé d’aller sur des vieux documents que vous aviez mis du temps à écrire, à dessiner, à créer en fait, et de ne plus pouvoir les ouvrir parce que le format n’était plus compatible avec une nouvelle mise à jour de votre éditeur de texte, etc. Ou de les partager avec quelqu’un qui n’a pas exactement le même que vous. Là on parle de formats fermés. Il va y avoir un enjeu de transformation du numérique sur le fait de penser des formats ouverts et les plus interopérables possibles. C’est aussi une plus grande facilité pour pouvoir changer de services.
De la consommation à la contribution
Je pense qu’il y a très enjeu de transformation du numérique à l‘échelle individuelle, c’est d’essayer de pousser de plus en plus à passer d’un numérique où on consomme à un numérique où on contribue et, de cette manière, revenir finalement à l’utopie des débuts. Aujourd’hui, quand on regarde les usages d’Internet et des objets numériques tels qu’ils se sont massifiés, en fait c’est en très grande partie de la consommation et très peu de contributions ou alors des contributions qui arrivent sur des niveaux qu’on peut estimer être très bas : je donne un like très rapidement, je retweete en deux secondes sans avoir lu l’article que j’ai retweeté. On voit bien qu’il se passe quelque chose quand même sur le niveau de contribution, ça se voit quand on étudie des sites contributifs comme Wikipédia. L’immense majorité des Wikipédiens sont des lecteurs et les gros contributeurs ou contributeurs réguliers sont une très petite partie des lecteurs de Wikipédia et, par ailleurs, ce sont des personnes qui ne sont pas du tout représentatives de la population : ce sont massivement des hommes, majoritairement plutôt jeunes, diplômés. On voit qu’on a un numérique auquel ne contribue qu’une partie de la population, donc qui contribue aussi à façonner ce numérique.
Ça va être un des enjeux de transformation de revenir à un numérique beaucoup plus contributif. Donc allez éditer du Wikipédia, allez sur des plateformes collaboratives si vous aimez raconter des histoires, créez des blogs ou créez des sites pour partager des choses petites ou grandes, rigolotes ou intellectuelles, partagez des photos, bref ! Il y a vraiment de quoi partager sur tous les plans, sans doute en sortant de l’immense facilité que représentent aujourd’hui les réseaux sociaux. Quand on se dit que ce n’est pas possible, les gens ne le font pas, etc., il faut quand même qu’on se souvienne que ça a existé. Il y a eu une effervescence de blogs avec Skyblog, ça a été un moment de créativité immense et très loin de ce qui se passe aujourd’hui avec les réseaux sociaux. Il y a eu ce moment, il n’était évidemment pas parfait, en tout cas il a existé.
Je pense que ce côté de passer de la consommation à la contribution c’est notamment un enjeu éducatif.
Transformer le numérique c’est aussi se demander si on a toujours besoin de plus d’algorithmes très efficaces, comme Spotify qui a des playlists de plus en plus biberonnées à l’IA pour nous proposer des choses qu’on est supposé aimer. Une recherche plus consciente qui, à chaque fois, ramène à une question sur notre temps, vous verrez que c’est un fil conducteur et j’y reviendrai à la fin. Il faut peut-être prendre le temps de chercher de la musique sur d’autres médias que juste une playlist qui nous est toute faite, d’un coup, avec des exemples comme Mailtape où, toutes les semaines, il y aune curation de musiques faite par des humains avec une intention, une éditorialisa ton, etc.
Sans doute la question d’apprendre ou de réapprendre à héberger ses propres services web. Quand on a envie d’avoir une présence web, peut-être que c’est intéressant de reprendre le pouvoir avec la capacité de s’auto-héberger ou alors de passer par des hébergeurs éthiques, plus locaux, décentralisés. Là on pense évidemment au CHATONS. Vous pourrez, évidemment, aller parcourir le site du Collectif d’hébergeurs alternatifs qui vous permet d’avoir un cloud, un système de messagerie familial, etc., près de chez vous, à de tarifs raisonnables et surtout avec un rapport éthique et respectueux des utilisateurs et utilisatrices.
Il y a aussi la question, toujours à l’échelle individuelle, de réinventer l’exploration du Web. Aujourd’hui, 91 % des personnes en Europe et globalement dans le monde passe par Google et 60 % cliquent sur les trois premiers liens. Il faut peut-être qu’on interroge notre rapport à l’exploration. À ses débuts, le Web était un espace de grandes recherches, de foisonnement, d’ailleurs, quand on repense au champ lexical, on parle d’un site internet, un site comme si on allait débarquer sur une île ; il y avait le fait de surfer, un imaginaire maritime ; le fait de naviguer, un navigateur internet, naviguer sur le Web. On voit qu’on est sur un champ lexical qui rappelle l’exploration, le maritime, le spatial.
Peut-être qu’il faut revenir à plus de sérendipité, ce mot sur lequel je resterai bref, qui veut dire à la fois la découverte par hasard, mais surtout l’art de découvrir en prêtant attention à l’inattendu et en l’interprétant. Le fait de sauter de clic en clic, de se laisser un peu bercer par des liens qu’on aurait, de blog en blog, de site en site, qui nous sortirait peut-être des trois premiers résultats du moteur de recherche.
Peut-être revenir à une autre manière de s’informer autrement que par des réseaux sociaux qui nous donnent un fil d’actualité sous pression algorithmique et sous modèle économique publicitaire, donc revenir aux flux RSS qui permettent de choisir les sites et blogs auxquels on veut s’abonner, être sûr de recevoir leurs informations ; c’est pareil pour les newsletters. Donc réinventer l’exploration du Web, retrouver le plaisir de l’exploration et reprendre le contrôle de son information.
Il existe aussi plein de moteurs de recherche alternatifs, des généralistes privés au sens de la vie privée, je pense à DuckDuckGo, Qwant, SearX ; un moteur de recherche scientifique, WolframAlpha ; un moteur qui cherche exclusivement dans des forums, BoardReader ; un moteur qui cherche des ressources libres, Creative Commons Search. Là encore, il y a beaucoup de choix.
À l’échelle individuelle, je pense qu’il y a aussi une action claire qui est de refuser la pub, on y reviendra, c’est quelque chose que vous pouvez faire très facilement sur votre PC et sur votre smartphone, surtout si vous êtes sur Android : il suffit d’installer Firefox et uBlock Origin et, sur votre PC, uBlock Origin et Privacy Badger et ce sera mieux pour vous, mieux pour votre cerveau, mieux pour la planète parce que ça vous évitera peut-être un peu de consommation. Un geste simple, mais je reviendrai sur la publicité plus tard.
Après il y a un océan d’alternatives numériques. Pour tous les logiciels et services que vous utilisez il existe des alternatives numériques. Qu’est-ce qu’une alternative numérique ? C’est éthique, soutenable environnementalement et humainement, convivial au sens d’Illich, donc qui ne crée pas de maître et d’esclave, qui laisse de la liberté d’action, qui étend le périmètre de l’action individuelle, etc.
Un modèle économique juste, donc qui rémunère aussi la structure, qui propose une alternative numérique juste et, là-dessus, on voit qu’on est encore dans une recherche. Il y a beaucoup d’alternatives numériques qui ont du mal à avoir des modèles économiques stables, elles ont donc aussi besoin de notre soutien, d’une certaine manière, donc nous nous intéressons à transformer le numérique.
Elles doivent certainement être en partie au moins libres. Pour moi ce n’est pas un prérequis, mais je pense que ça fait clairement partie du sujet, a minima transparentes et avec des formats ouverts et protectrice de la vie privée.
Pour trouver des alternatives, il y a plein de sites. Je vais en lister, vous pourrez revenir sur cette conférence et surtout sur les ressources de cette page :
- le site Dégooglisons Internet de l’association Framasoft, qui liste des services que eux maintiennent ou pour lesquels ils proposent des hébergeurs alternatifs ;
- le site Privacy Tools, en anglais, qui, pour le coup, fait un focus vie privée : une alternative qui respecte et qui protège votre vie privée ;
- Framalivres, toujours par Framasoft, qui est un catalogue d’alternatives libres ;
- Alternatives numériques, un média que j’ai contribué à lancer, qui n’a pas pour but d’être un catalogue mais plus un média, qui est complémentaire, qui va essayer de présenter de manière un peu éditorialisée des alternatives numériques, ce qui n’empêche pas de passer sur des catalogues si vous avez une recherche un peu plus précise ;
- il y a la question du fedivers, fediverse en anglais, avec, pareil, une galaxie d’alternatives numériques qui ont la particularité de fonctionner en réseau, décentralisées, c’est donc hyper-intéressant d’un point de vue technique et hyper-émancipateur. Je vous invite à creuser.
Soutenable – Les 5 R
Il y a ensuite la dimension soutenable. À l’échelle individuelle, on est un peu, malheureusement, au niveau des écogestes, mais il y a les fameux 5 R : refuser, c’est le plus important, surtout en matière numérique où sait que le gros des impacts c’est la fabrication. Donc refuser, je suis désolé de revenir sur ces banalités, refuser des gadgets, refuser des outils dont on n’a pas besoin. La réalité là-dessus c’est que, malheureusement, on ne peut vraiment pas se le permettre et la question c’est quel sera le bon niveau, non pas de radicalité mais de sérieux d’objets numériques qu’on pourra maintenir, ne serait-ce que d’un point de vue des ressources. Je ne parle pas ici de pollution ou d’impact environnemental, je parle vraiment simplement d’un point de vue des ressources disponibles et accessibles – minerais, énergie – pour construire du numérique.
Après il y a réduire, réparer, recycler et rendre à la terre. Celui-là est moins pertinent pour le numérique, mais vous voyez l’idée des 5 R.
Il existe déjà des alternatives. Là encore j’en prends vraiment quelques-unes : Framework Laptop, un ordinateur modulaire, modulable, qui permet très facilement de réparer et surtout d’upgrader sa machine, donc à suivre. Il y en a d’autres Why!, PC Vert qui font des ordinateurs avec une attention à la réparabilité, à la durabilité. Fairphone évidemment, qui est, pour le moment, assez seul sur le créneau des smartphones à faire l’office du petit David contre Goliath, qui veut faire changer l’industrie en montrant que c’est possible et, la preuve, ils le font. Pareil, smartphone modulaire, modulable, pas parfait en tout cas impressionnant vu ses moyens.
Il y a maintenant des forfaits qui permettent aussi de revenir à des limites en termes d’usage : quitter les forfaits qui ont 100 gigas, 150 gigas de données et se dire qu’en fait ces données ne sont pas immatérielles mais ont aussi des incidences, ça permet donc aussi d’y revenir.
Changer d’OS pour faire durer
Enfin, quelque chose de très important au-delà du matériel : le logiciel permet aussi de faire durer le matériel, notamment le système d’exploitation. L’obsolescence logicielle est quelque chose de très puissant, un des meilleurs moyens de faire durer son matériel c’est souvent de passer sur des logiciels libres. Je pense à Linux sur PC, notamment au monde GNU/Linux, passer sur des distributions qui sont légères, si vous cherchez sur Internet vous les trouverez, vous aurez certainement des amis pour vous aider là-dessus. Sur Android je pense notamment à /e/OS qui est, pour le moment, le plus facile à installer pour des néophytes, même s’il y en a d’autres.
Choisi et non subi – Choisir son numérique
Numérique choisi, non subi. C’est celui qui m’a posé le plus de questions à l’échelle individuelle. Le fait est qu’aujourd’hui, à l’échelle individuelle, choisir son numérique ce n’est pas évident comme vous voyez sur cette image où quelqu’un reçoit des codes d’accès à l’ENT par courrier, sachant qu’il n’est peut-être pas équipé d’outil numérique. On voit bien qu’on a une injonction à l’équipement numérique.
Il y a la question de la simplification administrative : est-elle subie ? Est-elle choisie ? Probablement pas par tout le monde, d’ailleurs on le voit avec ce qu’on appelle aujourd’hui l’exclusion numérique.
J’avais noté et j’ai changé d’avis au dernier moment, je vais donc faire un peu un entre-deux de ce que j’ai écrit. Je pense qu’il est encore possible de choisir son numérique à l’échelle individuelle avec beaucoup d’efforts, c’est-à-dire que vous pouvez vraiment, en quelques jours, vous « dégoogleliser », entre guillemets, passer à des alternatives éthiques, j’en ai cité quelques-unes, aller dans les catalogues et petit à petit transformer, passer sur des alternatives numériques. Pour certaines c’est assez dur. Je pense que quitter Facebook, quitter WhatsApp pour Signal, on voit qu’on a les fameux effets réseau qui sont très puissants, mais c’est possible.
Par contre c’est de plus en plus difficile, voire impossible, de refuser le numérique parce qu’il y a une pression sociale, cette pression sociale s’applique pour choisir son numérique. Quand on n’est pas sur WhatsApp aujourd’hui ce n’est clairement pas facile socialement, dans plein de situations et pareil pour d’autres outils, mais c’est encore plus difficile quand on refuse le numérique avec la pression sociale, pour des obligations liées à son travail, liées à sa banque, liées à plein de choses et parce qu’on a une numérisation subie de la société. C’est là que je botte en touche sur l’échelle individuelle parce que la réalité c’est que ce choix individuel est souvent une affaire collective et politique. Ce qui m’amène à avancer vers la suite, donc les limites de l’action individuelle. Vous connaissez le mythe du colibri.
Les limites de l’action individuelle
Les gestes individuels ne suffiront pas. Je pense que pour le numérique comme pour l’environnement, l’essentiel de la question est politique, évidemment, en termes à la fois d’impacts, mais aussi en termes de capacité. En revanche, il y a plein d’intérêts à l’action individuelle avant de passer à l’action collective, déjà parce qu’on peut aller plus vite, parce que ça nous permet d’augmenter notre résilience et de moins subir quand la décision politique et collective finira par tomber, qu’il y aura des restrictions, qu’il y aura une sorte de sobriété forcée, parce que, comme je le disais, à un moment il y a un certain nombre d’impacts environnementaux et humains que j’ai cités, qui sont un peu non négociables. La question d’accès aux terres rares, aux minerais qui fondent notre infrastructure et nos équipements numériques, c’est non négociable.
Il y a pas mal d’intérêts. Je pense aussi qu’il y a toujours une question de cohérence et on se sent bien avec soi-même quand a commencé à mettre en cohérence sa vision politique de la société et ses outils.
Par ailleurs, comme je le disais, contrairement à l’environnement, le gros de l’impact du numérique se fait au niveau des équipements. Quand on prend notamment l’impact environnemental et humain, ça se fait vraiment à la fabrication des équipements. On a donc une assez grosse marge d’action nous-mêmes, en réduisant fortement et en passant à des alternatives.
35’ 45
Transformer le numérique à l’échelle collective
Maintenant passons à l’échelle collective.