Émission Libre à vous ! du 4 juillet 2023

De April MediaWiki
Aller à la navigationAller à la recherche


Titre : Émission Libre à vous ! du 4 juillet 2023

Intervenant·e·s : Lorette Costy - Laurent Costy - Agnès Crepet - Chre - Frédéric Couchet - à la régie

Lieu : Radio Cause Commune

Date : 4 juillet 2023

Durée : 1 h 30 min

Podcast PROVISOIRE

Page des références de l'émission

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : Déjà prévue

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Frédéric Couchet: Bonjour à toutes, bonjour à tous dans Libre à vous !. C’est le moment que vous avez choisi pour vous offrir 1 h 30 d’informations et d’échanges sur les libertés informatiques et également de la musique libre.
Parcours libriste avec Agnès Crepet, on parlera notamment de technologie, de politique, de colonialisme, de sexisme, de logiciels libres et ce sera le sujet principal de l’émission du jour. Avec également au programme une interview avec l’association Nos Oignons qui nous parlera du réseau Tor et aussi la chronique de Laurent et lorette Costy qui nous parleront de mots de passe.

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April.

Le site web de l’émission c’est libreavous.org. Vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour, avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours ou à nous poser toute question.

Nous sommes mardi 4 juillet 2023, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

À la réalisation de l’émission, Mélaine Desnos qui est en formation avec mon collègue Étienne. Bonjour.

Mélaine Desnos : Bonjour.

Frédéric Couchet: Nous vous souhaitons une excellente écoute.

[Jingle]

Interview sur Tor et Nos Oignons avec Chre

Frédéric Couchet : Nous allons commencer par une courte interview avec l’association Nos Oignons qui va nous parler du réseau Tor. Nos invités : Chre et jvoisin qui sont membres du conseil d’administration de Nos Oignons. On va vérifier que Chre est ligne. Bonjour Chre.

Chre : Bonjour.

Frédéric Couchet : Est-ce que jvoisin est avec nous ?

Chre : Je suis toujours tout seul.

Frédéric Couchet : OK. On va commencer, pas de souci.
On va parler de Nos Oignons et du réseau et du réseau Tor. Mais avant d’expliquer ce que sont le réseau Tor et Nos Oignons, on va commencer par une que question : quel est le problème ou les problèmes que Tor cherche à résoudre ? Chre.

Chre : On aime bien mettre en avant une idée : lorsqu’on lit un journal on ne s’attend pas à ce que le journal nous lise, nous scrute en retour. C’est pourtant ce qui se passe quand on consulte un site web : aujourd’hui on est pisté, tracé, suivi, et Tor permet de limiter, voire d’empêcher cela. Ça masque aussi l’origine de la connexion, c’est-à-dire le point depuis lequel on consulte Internet.

Frédéric Couchet : Ça permet notamment de contourner la surveillance via les pisteurs de GAFAM, Google, Facebook, Twitter et compagnie.

Chre : Il y a des outils intégrés nativement qui permettent d’empêcher ça. Ça permet de contourner les censures qui peuvent être mises en place dans certains pays. Par exemple de base, en France, il n’est pas possible d’accéder au site SciHub, eh bien avec Tor c’est possible.

Frédéric Couchet : D’accord. Si j’ai bien compris Tor est à la fois un réseau, mais c’est d’abord, pour la personne utilisatrice, un navigateur. Que fait le navigateur Tor et déjà comment l’installer en fait ?

Chre : Le navigateur Tor est un navigateur dérivé de Firefox, donc quelqu’un qui connaît Firefox n’est pas du tout dépaysé. On le télécharge directement depuis le site du projet Tor, torproject.org. Il suffit de le télécharger et de le lancer, il n’y a pas d’installation, et la particularité de ce navigateur c’est qu’il est configuré par défaut pour que toutes les connexions réseau transitent par le réseau Tor.
Tor ce sont effectivement trois choses : c’est un protocole de communication, c’est un réseau de communication et la partie la plus visible, le navigateur, en tant que tel.

Frédéric Couchet : Donc Tor est une surcouche, quelque part, sur le réseau Internet. Comment cela fonctionne-t-il ?

Chre : C’est un protocole de communication sur Internet comme il y a un protocole de communication SMTP pour le mail ou HTTPS pour le Web.

Frédéric Couchet : Comment fonctionne-t-il ? Tu disais tout à l’heure qu’il y a un certain nombre d’éléments qui sont enlevés ? En essayant évidemment de rester assez simple dans les explications, quel est le fonctionnement technique par rapport à une connexion habituelle classique ? Si on utilise à un navigateur Firefox classique, on se connecte à un site, qu’est-ce qui va changer par rapport à cette communication si on utilise le navigateur Tor ?

Chre : En fait, le navigateur Tor se connecte au réseau Tor. Le réseau Tor c’est une communication informatique qui transite par trois ordinateurs : le relais d’entrée, le relais intermédiaire et le relais de sortie. C’est cette architecture qui ralentit l’anonymat de l’origine de la connexion. Les communications entre chacun des trois serveurs sont chiffrées, donc un tiers ne peut pas en prendre connaissance et chaque nœud ne voit que son point d’entrée ce qui fait que le site web que l’on va consulter ne pourra pas déterminer l’origine de notre connexion.
Le navigateur Tor embarque aussi nativement des extensions du type NoScript ou uBlock Origin qui vont également bloquer de base les pisteurs et les traceurs qu’il pourrait y avoir sur le site web qu’on consulte.

Frédéric Couchet : Si je comprends bien, la seule information dont dispose le site qu’on consulte c’est l’adresse IP du dernier nœud de sortie qui peut être situé n’importe où.

Chre : C’est ça, il ne voit que le nœud de sortie qui peut être situé n’importe où dans le monde. Il y a aujourd’hui plus de 7000 nœuds de relais dans le monde, dont 2000 nœuds de sortie.

Frédéric Couchet : Je suppose qu’il y a un algorithme, quelque part, qui permet de dire par combien de nœuds va circuler telle ou telle requête ou est-ce que c’est toujours trois, parce que tu as parlé de trois tout à l’heure ?

Chre : Dans le protocole de Tor c’est toujours trois relais, le protocole a été conçu comme ça et l’algorithme détermine le chemin c’est-à-dire le choix de relais et ce choix a une dimension aléatoire : si j’ouvre un nouvel onglet dans mon navigateur Tor, ce deuxième onglet ne va pas utiliser le même chemin que le premier onglet par exemple.

Frédéric Couchet : D’accord. Est-ce qu’il y a des limitations à utiliser le navigateur Tor par exemple par rapport aux sites qu’on veut consulter?

Chre : Dans les limitations, le point principal c’est le fait qu’on passe par trois ordinateurs intermédiaires ce qui va ralentir la connexion aux sites web. C’est une connexion qui est plus lente qu’une connexion classique.
Le fait est que désormais, avec l’évolution des infrastructures du réseau et l’augmentation sensible des débits, cette limitation est quand même moins gênante, moins difficile que par le passé, mais elle est réelle ; c’est essentiellement cet élément-là.

Frédéric Couchet : Si j’ai bien suivi, il y a aussi une autre limitation : il y a, par exemple, des sites qui bloquent les connexions qui viennent du réseau Tor, notamment Wikipédia. Par exemple, je ne savais pas du tout qu’il est impossible de contribuer à Wikipédia quand on se connecte avec le navigateur Tor.

Chre : C’est effectivement l’autre point qu’on avait noté : aujourd’hui certains sites font le choix de bloquer systématiquement toutes les connexions qui viennent du réseau Tor. Le motif mis en avant c’est que les connexions qui viennent de Tor seraient plus dangereuses, plus suspectes, plus louches qu’une connexion internet classique. Du point de vue de l’administration, de la gestion des sites web, c’est facile de bloquer directement le trafic venant de Tor sans se poser de questions. C’est pénalisant pour les utilisateurs de Tor.<br/< Wikipédia l’a bloqué pour la contribution ; l’équipe du projet Tor a eu des discussions assez intenses avec eux, mais aujourd’hui l’équipe de Wikipédia n’a pas souhaité évoluer sur cette question-là pour éviter notamment le vandalisme d’articles.

Frédéric Couchet : Tu as raison de préciser que c’est pour contribuer. On peut accéder à Wikipédia pour la lecture.

Chre : On peut consulter. Oui, tout à fait.

Frédéric Couchet : On a bien compris le réseau Tor, le navigateur Tor. Et l’association Nos Oignons ? Pourquoi ce nom et que fait l’association Nos Oignons ?

Chre : Nos Oignons est une association française loi 1901. L’idée de départ qui a germé, on va dire sur la fin de l’année 2012, c’était de dire qu’il faut contribuer activement au développement du réseau Tor, notamment augmenter le nombre de relais en France. La fiabilité, la pérennité du réseau Tor est liée au nombre de relais disponibles, notamment les relais de sortie.
L’association est officiellement parue au JO, au Journal officiel, le 25 mai 2013, ça fait vraiment dix ans.
Nos Oignons c’est un jeu de mots parce qu’avec le protocole Tor on parle de communication en oignon, en couche d’oignon, c’est le système de chiffrement mis en place. Donc le jeu de mots « nos oignons », c’est comme ça qu’est né le nom de l’association.

Frédéric Couchet : On va expliquer que Tor c’est The onion router, littéralement, en français, « le routeur oignon ».

Chre : C’est ça.

Frédéric Couchet : Dernière question : comment est née Nos Oignons. L’idée initiale de cette interview c’est que vous avez publié une vidéo et un appel à financement ? Pour quelle raison cet appel à financement ?

Chre : Le principe c’est qu’on collecte des fonds pour faire fonctionner ces relais de sortie en France. Là on est dans une étape où on a besoin de renouveler notre trésorerie et nos stocks pour pouvoir maintenir la dizaine de relais que nous avons actuellement en fonctionnement. On souhaiterait continuer à développer c’est-à-dire, si nos moyens financiers le permettent, ajouter de nouveaux relais en France. On a profité des dix ans de l’association pour créer une petite vidéo explicative du fonctionnement de Tor accessible à toutes et tous et qui se veut vraiment très pédagogique et pas technique.

Frédéric Couchet : Tout à fait. Je renvoie les personnes qui nous écoutent sur le site de Nos Oignons, nos-oignons.net. Il y a effectivement l’appel à financement et cette vidéo qui dure, de mémoire, trois ou quatre minutes qui met vraiment l’accès sur les problèmes de départ et sur les solutions. Elle est vraiment super bien faite.
Je précise aussi qu’on a fait cette courte interview par rapport à l’actualité que vous avez, mais que dans la prochaine saison, la saison 7 de l’émission, on fera un sujet un sujet plus long, un sujet principal sur ce sujet pour rentrer plus en détail dans les explications, le fonctionnement, les enjeux, l’usage du réseau Tor notamment pour les activistes, les militants, etc., les journalistes. Là c’était une interview courte en actualité avec votre appel à financement et votre vidéo.
Est-ce que tu veux ajouter une dernière phrase ?

Chre : Pas de souci. À ceux qui veulent on propose aussi des affiches et des cartes postales en contrepartie des dons. Vous pouvez voir tout cela sur notre site.

Frédéric Couchet : Je renvoie tout le monde sur nosoignons.net et je remercie Chre qui est membre du conseil d’administration de Nos Oignons. La prochaine saison nous consacrerons un sujet principal à ce thème, Tor, Nos Oignons.
Chre, je te remercie. Je te souhaite une belle fin de journée.

Chre : Merci. Bonne émission. Au revoir.

Frédéric Couchet : Merci. Au revoir.
Nous allons faire une pause musicale

[Virgule musicale]

Frédéric Couchet : Après la pause musicale, nous accueillerons Agnès Crepet pour un Parcours libriste. En attendant, nous allons écouter Dancing Queen par Saelig Oya. On se retrouve dans trois minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la radio des possibles.

Pause musicale : Dancing Queen par Saelig Oya.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Dancing Queen par Saelig Oya, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dan les mêmes conditions, CC BY SA

[Jingle]

Frédéric Couchet : Nous allons passer sujet suivant.

[Virgule musicale]

Parcours libriste avec Agnès Crepet, responsable de l’équipe informatique et de la longévité logicielle de Fairphone, cofondatrice de Ninja Squad et de la conférence MiXiT, membre de l’équipe de Duchess France

Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre par notre sujet principal intitulé « Parcours libriste ». L’idée est d’inviter une seule personne pour parler de son parcours personnel et professionnel, un parcours individuel, certes, mais qui va bien sûr être l’occasion de partager messages, suggestions et autres.
Notre invitée du jour : Agnès Crepet, responsable de l’équipe informatique et de la longévité logicielle de Fairphone, cofondatrice de Ninja Squad et de la conférence MiXiT, membre de l’équipe de Duchess France. On vous reparlera évidemment de tout cela dans le cours de l’émission.
N’hésitez pas à participer à notre conversation sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat ».
Bonjour Agnès.

Agnès Crepet : Bonjour. Bonjour.

Frédéric Couchet : C’est un grand plaisir de t’avoir une nouvelle fois dans cette émission, mais là pour un sujet un petit peu différent, vu qu’on va parler de ton parcours.
En général, la première question traditionnelle qu’on pose dans les sujets principaux, c’est une question de présentation, mais ici l’émission va être un peu consacrée à ce sujet, ceci dit, j’ai envie de te demander comment tu te présentes quand tu es, par exemple, invitée, quand tu arrives dans une soirée, quand tu rencontres des personnes et que ces gens te demandent ce que tu fais dans la vie ? Comment leur expliques-tu ?

Agnès Crepet : Ça peut dépend un peu de l’audience. Je dis que je travaille dans la tech. Après je présente les boîtes pour lesquelles je bosse en ce moment, donc principalement Fairphone quand même, même si je fais partie de Ninja Squad, comme tu l’as bien présenté. J’essaye vite d’introduire un peu la spécificité de ces boîtes, le fait qu’on essaye de travailler à une tech un peu différente, une tech plus inclusive, qui fait plus d’open source et qui n’est pas solutionniste, pour faire court.

Frédéric Couchet : Pour faire court, de toute façon on va revenir là-dessus. On ne va pas évoquer tout ton parcours. On ne va rien cacher, tu es née fin des années 70, donc jeunesse, adolescence dans les années 80. Quand tu étais jeune, est-ce que tu as rapidement voulu faire de l’informatique ou est-ce que tu étais intéressée par d’autres choses ? Par exemple, quels étaient les métiers que tu voulais faire à l’époque, quand tu étais jeune ?

Agnès Crepet : Je voulais faire médecin légiste. C’est bizarre !

Frédéric Couchet : C’est bizarre !

Agnès Crepet : Je pense que quand j’étais petite je lisais des romans autour des sorcières, des choses un peu glauques comme ça, donc je voulais faire médecin légiste. C’est vrai que médecin c’est loin de ce que j’ai fait au final, mais je n’étais pas du tout baignée dans un contexte où ma mère ou mon père m’avaient plongée dans des ordinateurs, dans des Atari, bref ! J’étais loin de la technique au final.

Frédéric Couchet : Donc médecin légiste. Est-ce qu’on m’entend bien ?

Agnès Crepet : On t’entend très bien.

Frédéric Couchet : Je précise que les deux personnes qui sont en régie sont en train de jouer avec les boutons, une est en formation. On prend des risques pour la dernière émission de la saison, mais j’ai toute confiance.
Je disais que tu as tout de même fait un bac scientifique, spécialité maths. Qu’est-ce qui t’as amenée finalement là-dessus ? Est-ce que c’est un hasard ou étais-tu simplement intéressée par les sciences ?

Agnès Crepet : J’aimais bien ça. J’ai toujours aimé les maths. C’est un truc que je trouvais assez cool. Mais je m’étais pas une ado avec une grosse passion pour une discipline qu’on apprend à l’école. Tu vois la chanson de Diam's, « ce n’est pas l’école qui m’a dicté mes codes » ou un truc comme ça, La Boulette, tu ne pourras pas la passer parce que je ne pense pas qu’elle soit en Creative Commons. Tu vois cette chanson, « ce n’est pas l’école qui m’a dicté mes codes » ?, j’étais vraiment là-dedans en fait. Pour moi, l’école c’était ma bande de potes, aller voir les concerts. Je parle de l’adolescence, le lycée. C’était vraiment, on va dire, le côté social, le fait que ça m’amenait à rencontrer des gens différents.
Je suis née dans une working class city, Saint-Étienne, beaucoup de diversité, quartier ultra-populaire. Donc c’est ça mon adolescence, ce n’est pas tant ce que j’ai appris à l’école, je n’avais pas vraiment de passion pour les études que je faisais, j’étais bonne en maths, tant mieux à la rigueur, parce que ça roulait à peu près. Quand je pense à mon adolescence, on va dire 14/16/17 ans, c’est vraiment la découverte du monde culturel alternatif, politique, anarchiste. C’est plus ça que de m’éclater sur un truc d’école. Oui, à l’époque, toute petite, plus sur des âges 8/10/12 ans j’avais ce truc de médecin légiste, puisque tu m’as posé la question de ce que je voulais faire quand j’étais petite. Mais après, je ne sais même pas si je me voyais bosser, honnêtement.

Frédéric Couchet : Tu parles de cet aspect social, politique culturel. Est-ce que c’est cet environnement-là qui t’as amenée ensuite à faire ce choix, après le bac, de l’informatique.? Parce qu’après tu as fait de l’informatique et même à haut niveau.

Agnès Crepet : Je pense que c’est affectivement lié.
J’ai commencé à organiser des concerts punk, des concerts de rock, on a dire, avec une asso de la ville où j’habitais, Saint-Étienne, cette fameuse working class city. Il y avait une asso qui s’appelait ??’ qui devenue Avataria plus tard, qui organisait des concerts très undergound dans des sites industriels. Saint-Étienne est une ville minière, on organisait des concerts dans des espèces d’anciens sites miniers, côté un peu dark et tout, j’aimais bien ça. Les gens que j’ai rencontrés étaient un peu plus âgés que moi, ceux et celles avec qui j’ai monté cette asso pour organiser ces concerts, ce sont des gens qui étaient assez sensibles à l’informatique libre. Parmi elles et eux, il y avait cette ambition d’être une hybridation, on va dire, entre la musique un peu extrême et le fait de promouvoir l’informatique libre. D’ailleurs, je trouvais l’hybridation assez intéressante. On faisait aussi quelques conférences. Samizdat nous avait rejoints pour des événements qu’on organisait. Tu vois ce que c’est Frédéric.

Frédéric Couchet : Je vois ce que c’est mais explique ce qu’est Samizdat.

Agnès Crepet : Samizdat avait été lancé par un mec qui s’appelait Aris Papatheorodou , si je ne me trompe pas.

Frédéric Couchet : Tout à fait. Ils étaient plusieurs. Il y avait Aris Papatheorodou, Pedro [Jean-Pierre Masse]. Ils étaient plusieurs effectivement.

Agnès Crepet : Eux n’étaient pas anti-tech. On va dire qu’ils essayaient de montrer un côté de la tech ou de l’Internet qui pouvait faire rêver les anarchistes, on va dire en gros, donc les gens comme nous quelque part à l’époque. Donc un environnement où on pensait qu’il y avait des zones libres dans le cyberespace qui pouvaient être intéressantes à occuper en tant qu’anarchistes. Je caricature, en tout cas c’était ma lecture de la chose et puis c’étaient des gens qui faisaient beaucoup de conférences, organisaient beaucoup d’évènements autour de ces thématiques-là, etc. On s’est vite rapprochés d’eux. On ne bossait pas tout le temps avec eux, mais on s’est vite rapprochés d’eux parce qu’à cette époque-là, fin des années 90, on n’était pas très nombreuses et nombreux à faire des choses comme ça. Samizdat a contribué, ce ne sont pas les seuls, à essayer d’impulser ce principe de média alternatif.
C’est rigolo, parce que je crois qu’Aris Papatheorodou a fini au Monde

Frédéric Couchet : De mémoire il est graphiste.

Agnès Crepet : C’est ça. C’est un mec pour qui j’avais quand même assez de respect à l’époque. Ce sont les premiers médias alternatifs avant Indymedia. Indymedia. est un média alternatif qui est né à la fin des années 90 à Seattle suite à des violences policières qui sont assez fortes, parce que des manifestants/manifestantes sont présents au sommet de l’OMC à Seattle

Frédéric Couchet : L’OMC, Organisation mondiale du commerce et le FMI, Fonds monétaire international.

Agnès Crepet : Tu avais ces violences policières qui étaient, on va dire, en direction de toutes ces organisations. Les manifestants étaient présents pour dénoncer ces organisations comme l’OMC, le Fonds monétaire international, pour montrer que ce n’étaient pas les organes appropriés pour avoir un monde meilleur, je caricature, et ces manifestations se font réprimer dans le sang, vraiment ; premières grosses violences policières qui ne sont absolument pas divulguées dans les mass média, ou très peu. Du coup, tu as cette ambition de citoyens, citoyennes qui se disent on va faire quelque chose et on va essayer de monter des médias alternatifs pour essayer de montrer l’autre face, à savoir communiquer sur le fait qu’il y a eu ces violences policières.
Pour moi Samizdat rentre un peu dans ces choses-là sur les années 90, dans ces projets-là. Indymedia a résulté dans plein de petits et grosses villes dans le monde entier qui montent des relais locaux, ces sites web principalement basés, d’ailleurs, sur des logiciels libres comme Spip, en Europe, et qui contribuent à donner la parole à des citoyens/citoyennes pour essayer de relayer non pas la parole on va dire dominante, qui est relayée par les médias de masse, mais qui essayent de relayer la parole des citoyennes et des citoyens.
Je rentre un peu là-dedans en fait à travers cette asso qui organisait des concerts. Je commence à rencontrer un peu ce monde-là des médias alternatifs, Samizdat, Indymedia. On monte notre réseau alternatif à Saint-Étienne. qui s’appelle le NumérO zérO, qui existe toujours, qui fait partie des réseaux Mutu, qui regroupent tout un tas de réseaux alternatifs encore aujourd’hui en France. Tu as plein de villes, aujourd’hui en France, qui proposent un site web où d’autres informations sont divulguées, ce que tu ne vas pas retrouver dans Le Progrès ou dans le journal local. Dans le réseau Mutu tu as aujourd’hui Angers, Brest, Dijon, Lyon, Grenoble, Paris, Saint-Étienne. Bref ! Tu as plein de villes !
Pour revenir à il y a 20 ans, même un peu plus maintenant, quelque part c’est mon entrée dans le monde de la tech. Je me rends compte que la tech peut finalement être un outil intéressant pour lutter et c’est ça qui me donne envie de faire des études.
Je n’étais pas une grosse passionnée de physique, de maths, ça me plaisait, mais on ne peut pas dire que c’est ma passion au lycée, mais je me dis qu’il y a peut-être un truc à faire en informatique. Ça peut être un truc qui m’éclate bien, comme outil politique en fait.

Frédéric Couchet : C’est très intéressant. Finalement tu n’es pas venue dès le départ à la technique par le goût de la technique mais plutôt par les aspects politiques.
Tout à l’heure tu as parlé de Spip, juste une petite incise, Spip est un logiciel libre qui permet de créer des sites web, qui est développé depuis une vingtaine d’années, qui a été créé par des militants et des militantes. Le site de Llibre de vous !, de l’émission, est géré sur Spip.
Pour revenir à ces débuts, finalement tu es arrivée par le côté politiqué création de sites web à travers Indymedia, Samizdat, le NumérO zérO. Quelque part, tu t’es dit « savoir faire des sites web, savoir faire de l’informatique va me permettre de mettre en place à l’usage de mon militantisme et de mes intérêts politiques ». C’est ça ?

Agnès Crepet : Disons que la présence sur le Web, et tous ces réseaux que tu viens citer, était identifiée à l’époque par mes potes et moi en un premier temps comme une solution intéressante pour arriver à s’organiser en tant que mouvement d’extrême gauche, de média alternatif. Je pense aujourd’hui que c’est vraiment ça qui m’a guidée dans ce choix-là ; rétrospectivement c’est toujours compliqué de savoir ce qui s’est passé. Il n’avait pas que ce goût pour la technique. Je te parle des sites web, mais on a aussi fait beaucoup de Linux-parties. On avait des projets avec cette asso ; on construisait : on prenait des vieilles bornes d’arcade, on les vidait, on mettait dedans un ordi sous Linux, on installait ça dans des bars. À l’époque c’était compliqué d’avoir accès à Internet, du coup on mettait ça sous Linux et on proposait des accès à Internet gratuits dans des lieux culturels comme des bars, des lieux de sociabilité. On faisait beaucoup de Linux-parties pour inciter les centres sociaux, etc., à installer Linux dans leur parc informatique.
Là, j’ai quand même commencé à tremper un peu plus les doigts dans tout ce qui est tech, je devais avoir 17/18 ans, et là je commence à vraiment bien aimer. Mais ce n’est pas le premier driver, le premier driver c’est vraiment le côté politique.

Frédéric Couchet : Je précise aussi que nous nous sommes rencontrés à cette époque-là, notamment dans le cadre de l’association. Peut-être que ça nous vieillit un petit peu, nous nous sommes rencontrés dans ce cadre-là, notamment dans le cadre de l’association.

Agnès Crepet : Je t’avais invité.

Frédéric Couchet : Effectivement tu avais invité dans le cadre du festival de l’association Avataria. Ce qui m’avait vraiment impressionné à l’époque c’était ce militantisme et toutes les solutions que vous mettiez en œuvre.
Je précise qu’on mettra tous les liens en ligne sur le site de l’émission, Indymedia, Spip, NumérO zérO, Samizdat, je ne sais pas si ça existe encore, Avataria dont tu as été la présidente à un moment.
On a compris pourquoi tu es venue finalement à la technique, à l’informatique. Donc tu fais des études. On va passer rapidement, mais tu finis quand même par un DES en sciences cognitives, tu as un master spécialisé en informatique option génie logiciel réseaux, à l’École nationale supérieure des mines de Saint-Étienne dans les années 2000. Après tu dois, comme beaucoup de gens, éventuellement chercher un travail. Quand tu as cherché ta première activité professionnelle, est-ce que tu t’es dit je vais chercher n’importe laquelle ou plutôt quelque chose qui va m’intéresser techniquement ? Est-ce que dès le départ tu t’es dit je voudrais essayer de mixer, en tout cas de mettre en adéquation mon militantisme et mon activité professionnelle ? Comment se sont passés tes premiers pas dans le domaine professionnel ?

Agnès Crepet : Déjà j’ai beaucoup itéré. Effectivement j’avais un DEA puis un diplôme des mines. Je me suis posé la question : est-ce qu’un ??? [33 min 45] serait bien ou pas ? Est-ce que ce serait intéressant ou pas de faire une thèse ? Et puis je ne me voyais pas en fait ! J’avais fait mon mémoire de DEA, je travaillais dans l’informatique, plutôt l’IA, l’intelligence artificielle, j’étais dans un labo lyonnais. À côté de nous il y avait robotique et nous nous étions un labo d’IA pure. Autant le sujet était intéressant, mais le contexte ! Je reviens encore au côté sociabilité, comment tu parles à des gens, ce n’était pas l’éclate en fait ! À cette époque-là je pense que j’étais drivée par ça : est-ce que c’est fun ou pas ? C’est une peu bizarre de dire ça !

Frédéric Couchet : Non, non !

Agnès Crepet : Ce n’est pas bizarre, mais il n’y a rien de très intellectualisé. En gros, je ne m’éclatais pas, je vais me casser. C’était ça le DEA, je développais en C, heureusement j’avais une mœuf et on reviendra sur cette mœuf, qui s’appelle Emmanuelle, qui m’a beaucoup aidée, elle était en doctorat, j’étais en DEA, elle me drivait beaucoup, elle m’a beaucoup inspirée. C’était une bonne codeuse en C, elle m’a vraiment appris des trucs que je ne connaissais pas. Elle m’avait montré qu’il y avait des mœufs dans ce métier-là, c’était cool. Mais le contexte au-delà de cette mœuf ! Je ne me suis pas fait de potes et je trouvais le labo un peu austère. Peut-être que je suis mal tombée, je ne dis pas que c’est partout pareil, pas du tout ! En tout cas le mien n’était pas très drôle. J’ai eu une bourse de thèse parce qu’à l’époque, en fonction de tes résultats de DEA, de qui t’encadre dans ton DEA, ça jouait, bref !, Je n’en ai pas voulu, je l’ai refusée. Je me suis dit « je vais plutôt aller sur un diplôme professionnalisant et je vais aller bosser tout de suite ». J’ai eu effectivement ce diplôme de l’école de mines où là je me dis « j’ai fait du réseau et du code pendant longtemps, c’est bon, je suis prête à aller bosser ».
Le truc un peu schizophrénique qui m’est arrivé à ce moment-là ! Autant je viens de te décrire le côté très militant où j’étais, et je suis toujours, assez inscrite dans des mouvements différents, autant je me dis « je vais prendre un boulot de 9 heures à 5 heures, assez classique où je vais programmer et puis c’est cool et puis peu importe le contexte, de toute façon on sait très bien le boulot c’est de la merde ». Je caricature ! Je ne m’attendais pas à pouvoir trouver un boulot qui puisse à la fois correspondre à quelque chose que j’aime au niveau de mes valeurs et techniquement intéressant. Je pensais vraiment que le boulot c’était la mort au niveau politique et environnemental, de ce qui t’entoure.
J’ai donc pris un job, un peu le premier que j’ai trouvé, chez un éditeur bancaire, quand même ! Là je me suis vraiment éclatée techniquement parlant, mais éditeur bancaire ! Donc aucun intérêt. Je codais des algos, j’ai fait un peu de crypto, un peu de sécu, c’était rigolo, mais aucun intérêt sur le monde. Tu as même impact négatif, en fait, sur le monde.
C’était un peu schizophrénique parce que je pense que quelque part j’ai accepté parce que je ne voyais pas d’autre issue. Dans l’école d’ingé dans laquelle j’ai fini mes études, on était biberonnés à « de toute façon c’est ça qu’il faut faire, tu quittes tes études, tu vas prendre un CDI et c’est ça la vie ! ». Je pense que ça m’allait un temps parce que j’avais mes activités militantes à côté, mais j’en ai rapidement vu la limite, donc j’ai voulu un peu changer d’environnement, mais ça a pris quand même du temps.

Frédéric Couchet : Ça pris combien de temps ?

Agnès Crepet : Après l’éditeur bancaire, je suis rentrée dans une ESN, ce qu’on appelait avant les SS2I, là c’était un peu plus libre, j’ai bossé pour des domaines différents, pas que pour des banques, heureusement, mais je me suis tapaé des missions de merde. Je me souviens avoir démissionné à la fin d’une mission chez Total, le jour où ma boite a signé pour une mission chez Monsanto. J’ai dit non, c’est trop !, je me casse ! Là je ne peux pas, même si ce n’est pas moi qui vais en mission chez Monsanto ! Je venais quand même de me taper deux mois de mission chez Total à faire des choses techniquement super, je ne me suis jamais ennuyée dans ce genre de job, au contraire, je me suis toujours éclatée. Ce n’est pas parce que tu bosses pour Total que tu fais des trucs inintéressants techniquement. Par contrer à 26/27 ans j’ai vite vu les limites éthiques. Je me sentais quand même le cul entre deux chaises. En gros je vais militer le soir et le week-end sur des trucs très engagés, sur comment construire un monde meilleur, comment lutter contre le néolibéralisme et tout ça et la journée je me retrouve à faire une mission pour Total.

Frédéric Couchet: Donc, quelque part, tu as voulu mettre de la cohérence. À part cette réflexion, est-ce qu’il y a eu un événement ou des évènements qui t’ont fait basculer pour décider de mettre un terme à cette schizophrénie, comme tu as dit ?

Agnès Crepet : Avec le copain que j’avais on s’est dit « on va arrêter de bosser — à ce moment-là ça faisait déjà huit ans/neuf ans qu’on bossait tous les deux —, on va essayer de voyager un peu ». Pendant un an on a voyagé pour aller rencontrer des développeuses et des développeurs, partout dans le monde, pas dans es pays occidentaux si possible, on en fait quelques-uns aussi, mais on n’a pas fait que ça. On a fait l’Afrique, on fait l’Asie, un peu l’Océanie, les États-Unis aussi. On n’était pas encore totalement en rupture avec le rêve de la Silicon Valley, à cette époque-là ça nous faisait encore rêver. On avait un pote qui bossait à Mountain View chez Google, on avait visité. Aujourd’hui ça me fait rire ! Je me dis que c’est quand même dingue. Je pense qu’on n’était pas encore pas en rupture totale avec ces modèles-là, par contre on voulait aller s’inspirer avec d’autres trucs, c’est pour cela qu’on a passé du temps en Afrique et en Asie et je pense que là on s’est pris une bonne grosse claque. Une grosse claque à deux niveaux par les gens qu’on a rencontrés en Afrique et en Asie.
En Afrique, on faisait une mission, en gros on donnait des cours de Java à des gens quoi étaient plutôt sysadmins, en échange on avait le gîte et le couvert. On a passé du temps avec ces gens-là, c’était vachement intéressant. On a rencontré un mec qui guidait un meetup, Horatio ??? [ 40 min] qui est aujourd’hui qui est dans MiXiT, on en reparlera plus tard, l’association que j’ai cofondée avec des amis, qui est une conférence sur la tech et l’éthique qui se passe à Lyon.
On rencontre Horatio au Togo, on voit ce gars-là au taquet qui organise des meetups autour de Java principalement. On voit cette motivation des gens qu’il arrive à driver. Il nous avait invité à faire une conf pour un de ses meetups au Togo, à Lomé, la capitale. C’était un samedi matin à 10 heures, à 30 kilomètres de Lomé et on se retrouve avec plein de gens à cette conférence pas parce qu’on était là, juste parce que ces gens-là avaient l’habitude de se retrouver régulièrement pour des meetups autour du langage, autour de la tech, des trucs qui les éclataient.
À l’époque, avec mon copain, nous étions déjà impliqués dans les meetups locaux, nous étions au Java User Group de Lyon, des choses comme ça. Je parle de Lyon. Tu prends l’équivalent d’une ville à 30 kilomètres de Lyon, disons Givors pour ceux et celles qui connaissent, vraiment la ville perdue, tu mets un meetup à 10 heures du matin à Givors, je te promets que tu n’as personne à ton meetup, tu as quatre personnes. À Lomé il y avait plein de gens, ce qui nous a fait halluciner.
On trouve déjà ce truc-là fort en fait, l’esprit communautaire assez fort et une motivation des gens qu’on rencontre là-bas assez incroyable. Ça nous inspire beaucoup et quelque part on se rend compte que c’était presque plus inspirant que les tech bros auxquels on était un peu biberonnés.???[41 min 35]

Frédéric Couchet : Explique l’expression tech bro.

Agnès Crepet : Tech bro., la figure classique du hipster qui bosse dans la tech, qui vient de la Silicon Valley, qui dit que la tech c’est cool et qu’elle va sauver le monde ! Aujourd’hui, bien sûr, je déteste ce modèle-là. Comme je l’ai di, à l’époque j’étais peut-être un peu moins radicale et je pouvais encore être inspirée par des gens comme ça, pas totalement, mais potentiellement c’était peut-être encore des gens que je lisais. Je pense que quand je fais ce voyage en Afrique, où je passe quelques mois, pareil pour l’ Asie, je me rends qu’il y a une source d’inspiration pour changer. Les personnes que je te cite me donnaient envie de partager du temps avec elles, de partager des discussions, de partager des sources, ce genre de choses.

Frédéric Couchet : C’est la découverte d’une informatique différente quelque part.

Agnès Crepet : D’une informatique différente. Horatio, le pote dont je te parle, voulait aussi monter sa startup dans le monde de l’éducation pour résoudre des soucis propres à son contexte, il était sur Lomé, des solutions informatiques pour le monde de l’éducation, sans être complètement techno-solutionniste d’ailleurs. Du coup je vois une approche de l’informatique différente, on n’est plus dans le truc de la French Tech de merde où tu vas pitcher ton idée en disant que tu vas sauver le monde et tu te retrouves avec un ticket quand même à 50 k qui ne sert à rien ; un ticket à 50 k j’entends par là le fait que souvent, dans cet écosystème un peu pourri de la French Tech, tu as des gens qui vivent, ça entretient des trucs où des gens vivent de petits tickets comme ça, où on va faire un petit soft qui ne sert à rien et qui ne sauvera jamais le monde, donc le milieu entrepreneurial classique français, on va dire. Eh bien quelque part, tout ce que je viens de te décrire sur Lomé et les gens qu’on rencontre, c’est à l’antithèse de cela. Ce sont des gens qui sont informaticiens/informaticiennes, qui vont prendre leur savoir pour résoudre des soucis concrets qu’ils ont chez eux et chez elles. Ils ne vont pas essayer d’aller dans l’autre sens « tiens, on va essayer de trouver un truc qu’on peut potentiellement sauver grâce à la tech ! ». Ce n’est pas cela ! Ils ont des soucis, ils et elles ont des problèmes et essayent de les résoudre avec les connaissances qu’ils ont. Un gros changement d’approche.
Même chose en Asie, on passe quelque temps en Indonésie, à côté de Jakarta à l’époque, vraiment le truc qui ne fait pas rêver, ville ultra-polluée et tout ça. On y passe du temps, pareil on donne quelques cours. Là on rencontre deux mœufs Mila et Netty qui ont à l’époque 20/22 ans, qui finissent leurs études, qui montent des boîtes à côté, elles sont entrepreneures toutes les deux et le week-end quand elles ont le temps, elles prennent leur scooter et elles vont faire des cours de coding dans l’île de Java, dans la forêt. Elles prennent leur scooter, elles vont dans les montagnes donner des cours de coding aux mômes et elles ont une semaine de vacances par an.
Tu rencontres ces mœufs-là qui nous donnent aussi une bonne claque sur le côté motivationnel, des personnes qui te semblent quand même assez motivées par ce qu’elles font et avec une posture différente vis-à-vis de la tech, j’y reviendrai un peu plus tard dans l’interview, mais qui nous inspire beaucoup. Pour revenir sur nos sources d’inspiration, pourquoi c’est bien de défocusser un peu du modèle de la Silicon Valley, eh bien là on avait deux bonnes raisons, il y en a eu d’autres, deux bonnes sources d’inspiration qui étaient beaucoup plus intéressantes que ce à quoi nous avions été exposés.
On finit le voyage, on finit notre année de voyage par un trip entre Los Angeles et New-York, on loue une bagnole, donc on traverse les États-Unis et on passe pas mal de temps sur les deux côtes, un peu au milieu aussi. Là le rêve, ce truc de se dire que les États-Unis c’est trop bien, est cassé en deux mois. Au milieu des États-Unis, à ??? [ 45 min 45], au Texas, tout ça, on rencontre des gens qui vivent dans une pauvreté extrême, vraiment ! On se dit que n’est pas possible qu’un pays comme ça puisse accepter qu’il y ait des gens qui vivent dans cet état-là. On découvre aussi l’envers du décor de la Silicon Valley. On rencontre des gens, les fameux bus de Google qui se font attaquer, à San Francisco on n’en voit pas forcément à l’époque, c’était il y a un peu plus longtemps que ça quand on y était, 2010/2011. On rencontre des gens qui sont veners parce que ces fameux tech bros dont je parlais, tous ces gens, tous ces ingénieurs qui bossent pour les startups de la Silicon Valley, les plus grosses boîtes, achètent des appartements à San Francisco pour passer le week-end et, le reste de la semaine, ils ont un autre appartement à côté de leur siège à Mountain View ou à San Diego, bref !, une autre ville, là où est le siège de leur boîte. Ces gens-là participent à la gentrification de San Francisco, ils participent au fait que des gens se cassent de San Francisco parce que ça devient trop cher.
Du coup, on rencontre aussi ces gens-là, ces gens qui sont veners contre tous ces ingénieurs, hipsters, qui débarquent et qui, en gros, contribuent à virer les pauvres. Rencontrer ça a été plutôt bien pour nous. Ça a cassé ce qui nous restait un peu de rêve américain autour de la Silicon Valley.

Frédéric Couchet : C’est une pause d’un an avec ce voyage. Vous rentrez. Est-ce que c’est à ce moment-là et comment se passe l’alignement entre tes valeurs et ton métier ? Vous aviez déjà démissionné.

Agnès Crepet : On avait déjà démissionné. Du coup on monte notre boîte Ninja Squad. On avait un pote avec qui on faisait le Java User Group, Cédric, et un autre pote, JB, qu’on connaissait bien sûr d’avant le voyage et on leur propose de monter notre boîte. Eux bossaient encore dans des modèles d’ESN, dans des modèles où on bossait pour des SS2I, des boîtes de services numériques. On s’est dit avant de créer un produit incroyable pour lequel on n’avait pas forcément d’idée fabuleuse, on s’est dit on va juste se vendre nous-mêmes, c’est-à-dire que ce que je fais pour ma boîte actuelle, ou ce que je faisais pour ma boîte avant de partir, me vendre en tant que développeuse ou ce que faisait Cédric en tant que développeur en bossant pour sa boîte, on pouvait très bien le faire nous-mêmes. On a donc monté notre boîte qui s’appelle Ninja Squad, qui est une boîte de développeurs développeuses, il n’y a pas de manager, on n’a pas de local, on bosse tous en remote, on a tous le même salaire même s’il y a 12 ans d’écart entre le plus jeune et le plus vieux. On est basé sur des principes à la Scop, comme une société coopérative, même si on n’est pas une scop, on est une SAS à statut un peu scopien parce que je pense qu’à l’époque on n’avait pas le recul qu’on a peut-être aujourd’hui sur ces structures-là. Bref ! On essaie de trouver un truc qui nous correspond et on monte boîte dans laquelle les statuts sont les plus horizontaux entre nous, où on choisit nos clients et on bosse un peu comme on a envie en fait.
J’identifie évidemment le voyage, le break d’un an, comme étant la raison principale qui m’a poussée à faire ça, le voyage joue beaucoup, les gens qu’on rencontre, les gens qu’on a rencontrés en Indonésie, pour revenir à ces filles dont je parlais, qui finissaient leurs études, montaient leur boîte et donnaient des cours dans la jungle à des mômes. Ces filles-là expérimentent tout le temps la notion de risque. Le fait de monter notre boitte et de se dire « est-ce que c’est vraiment risqué ou pas ? », c’est une question qui fait un peu rire quelque part. Monter sa boîte en France quand on est trois techniciens/techniciennes qui bossons déjà depuis quelques années, le risque est mineur, quand bien même on se plante, on arrête, on va bosser, on va faire faire de l’alimentaire ailleurs !
Je pense que ça nous a boostés un peu de rencontrer ces gens-là et de prendre conscience de notre statut d’hyper-privilégiés, de gens qui bossent dans la tech – nous étions tous développeurs/développeuses – évidemment que c’est facile de trouver un job, quand bien même tu ne bosses pas dans des boîtes éthiques, quand bien même tu ne focalises pas sur trouver des « clients éthiques », entre guillemets, c’est facile de trouver des clients, de te vendre toi-même et, du coup, de choisir ce que tu fais de ton argent, par exemple bosser moins, ne plus facturer cinq jours par semaine, ce genre de chose.

Frédéric Couchet : Tu viens de parler de boite éthique, souvent tu parles de tech éthique, de technologie éthique. Comment définirais-tu la technologie éthique ?

Agnès Crepet : C’est intéressant d’en parler parce que un buzzword depuis quelque temps, depuis quelques années, on parle de ??? [50 min 50] responsable, de green IT, bref !
La définition que je pourrais en donner, la tech éthique c’est déjà se rendre compte des implications de la tech. Quand tu es technicien/technicienne, développeur/développeuse, c’est bien de se poser la question des implications de la tech sur la société et d’avoir cette distance par rapport au côté trop enjoué qu’on pourrait avoir en tant que développeur ou développeuse sur ces métiers-là. Donc avoir un peu de distance, être un peu modeste, humble sur le fait qu’on ne va pas sauver le monde ! Avoir un peu ce techno-discernement, je pense que c’est le premier aspect de qu’on pourrait appeler une tech éthique.
Évidemment, après, avoir conscience des externalités négatives de la tech aujourd’hui sur le monde et au niveau environnemental et au niveau social et sociétal.
Je bosse chez FairPhone, on en reparlera, on a tous et toutes beaucoup, en tout cas beaucoup trop de smartphones dans nos poches et ce smartphone est un outil qui contribue bien souvent à mettre des gens face à des risques loin de chez nous, des gens qui vont bosser à récolter le cobalt dans des mines artisanales, des gens qui assemblent les téléphones en Chine et qui bossent 80 heures par semaine parce qu’ils ou elles sont mal payés.
Donc avoir conscience de ces effets négatifs sur le monde c’est aussi un autre angle de ce que je peux appeler la tech éthique.
Je suis souvent invitée. En tant que FairPhone, tu imagines bien qu’on reçoit une invitation par semaine pour une table ronde sur Tech for Good et tout cela, bref !, tu vois ce que je veux dire. Je suis assez vigilante là-dessus, je choisis où j’interviens, parfois j’interviens dans des milieux très ennemis où je me dis que ça vaut le coup de mettre un petit coup de pied là-dedans. Quand je vais dans ces milieux qui pourraient être accusés de faire une peu de green washing c’est exactement le discours que je tiens : pousser les gens à essayer de prendre du recul par rapport à la tech, par rapport à ça.
Il y a un an, je crois, l’ex-président de Framasoft, Alexis Kauffmann, m’avait invitée à faire une conférence, ce n’était pas non plus dans un milieu hostile, on était dans l’Éducation nationale face à des gens qui bossent, aux responsables du numérique à l’Éducation nationale.

Frédéric Couchet : La Direction du numérique pour l'éducation.

Agnès Crepet : Il y avait plein de gens qui bossent dans le numérique localement, ils se retrouvent tous à Lyon. On fait une conférence devant tous ces gens qui font des choses autour du numérique au niveau de l’Éducation nationale, je la fais courte, mais c’est comme ça. Alexis super, merci pour l’invitation, ça m’a bien servi. J’ai une pote avec laquelle je fais quelque conférence sur les low tech et tout ça. On fait cette conférence et dans la conférence on dit que ça serait intéressant que dasn vos positions vous vous posiez la question de l’intérêt réel du numérique dans les écoles : avoir des tablettes par milliers qui s’entassent dans les classes, pour lesquelles les gens, les professeurs ne sont pas formés du coup les tablettes ne servent pas à grand-chose et on se retrouve avec des profs qui sont toujours sous-payés, pas assez nombreux et nombreuses, avec des établissements qui ne sont pas chauffés. Bref ! Est-ce que ça ne voudrait pas le coup de mettre du chauffage dans les écoles, de mieux payer les profs et qu’il y en ait plus ? Je ne sais pas si on a eu beaucoup d’applaudissements quand on a dit ça, mais le nombre de personnes qui sont venues nous voir après la conf ! On sent qu’il y a des gens, même dans des positions clefs, qui se posent la question de leur propre impact sur le monde et c’est cela que j’aimerais mettre en avant et j’aimerais enclencher ça chez les gens quand je leur parle, que j’interviens dans des tables rondes, que je fais des talks, je n’en fais pas tant que ça non plus, mais quand je fais ça, je voudrais que les gens se posent vraiment cette question-là.

Frédéric Couchet : La question c’est : est-ce qu’on a vraiment besoin de la tech tout le temps pour résoudre les problèmes et de quelle tech ?

Agnès Crepet : Est-ce qu’on a besoin de la tech ? Qu’on soit tous et toutes conscients de l’impact qu’on a. Une fois qu’on a conscience de ça, est-ce que ça ne serait pas intéressant de prendre un peu de recul. Ce techno-discernement dont je parlais tout à l’heure était mon premier angle quand tu m’as demandé de définir ce qu’est la tech éthique. C’est comme cela que je la définirais. Après on peut évidemment aller plus loin. Pour moi, une tech éthique est une tech plus inclusive, il faut que les tech bros se cassent un peu aussi. Il faut qu’on arrive à intégrer les tech bros.

Frédéric Couchet : En l’occurrence, on va dire qu’on parle du traditionnel homme blanc, cisgenre, entre 30 et 60 ans.

Agnès Crepet : Il n’y a que des gens comme ça. Il y a un podcast de codeurs, principalement autour de Java, qui s’appelle les Cast Codeurs. Le mec qui l’anime s’appelle Emmanuel Bernard, que j’aime beaucoup. Il y a 10 ans [2014], il m’invite sur un podcast autour de la diversité chez les codeurs et les codeuses. J’interviens avec un mec qui est gay, moi je suis une femme, je caricature un peu. Lui comme moi disons, moi je n’ai quasiment jamais bossé avec des mœufs, lui jamais avec des gays, j’ai bossé avec un Salim dans toute ma carrière alors que j’ai grandi à l’école avec une moitié de gens qui sont d’origine du Maghreb. La France a un problème là-dessus qu’on peut même élargir aux western countries en général, aux pays occidentaux. On a un problème de diversité dans la tech. On a vraiment ce problème-là.
L’autre claque que j’ai prise en Asie c‘est que j’avais 60 % de filles dans mes cours. L’Indonésie c’est le premier pays musulman du monde, les mœufs sont présentes dans le milieu de la tech. On pourrait avoir avec nos stéréotypes à la con genre « les pays musulmans, les femmes sont voilées, elles sont sous domination masculine », pas du tout, en tout cas de ce point de vue-là, elles sont beaucoup plus nombreuses que nous dans nos pays occidentaux.
Je finis, c’est un peu long, la définition de la tech éthique c’est aussi une tech plus inclusive, qu’on essaye d’étendre à ce milieu-là, à des gens qui vont nous faire du bien, des gens qui ne ressemblent pas aux 95 % qui l’occupent aujourd’hui.

Frédéric Couchet : Le temps passe très vite. Pas de souci, c’est ton émission Avant de parler de Fairphone, j’aimerais bien qu’on parle aussi un peu de Duchess et de MiXiT, j’ai quand même une question à te poser : toi, en tant que femme dans la tech, as-tu eu des soucis ? Que ce soit des soucis de sexisme, des soucis professionnels ou autres ? Est-ce que tu as un vécu par rapport à ça ? Je pense que oui, mais lequel ?

Agnès Crepet : Oui. C’est toujours problématique. Je pense ne pas avoir eu des soucis qui m’ont bien traumatisée, je vais en citer quelques-uns. Par contre je ne veux vraiment pas dire que ça n’arrive pas parce que j’ai tellement eu de gamines chez 42 qui se font emmerder par des gars. J’ai peut-être eu beaucoup de chance, mais je sais qu’il y a plein de soucis qui arrivent aux quelques mœufs qui sont dans la tech, en tout cas en France.
Il m’est arrivé des trucs, on va dire des blagues qui ne m’ont jamais fait rire. Le premier PDG de la fameuse boîte, éditeur bancaire, le mec qui me recrute, le PDG, m’avait une blague, je faisais du Java à l’époque, il m’appelait la femme objet ! Belle blague ! Et lui n’était même pas informaticien, donc je pense qu’il était bien inspiré par les tech bros, donc des blagues comme ça. Il l’a fait une fois, il l’a fait deux fois.
Après j’ai eu un autre gars qui était mon chef quand je bossais dans une DSI, j’ai bossé quelques années dans une DSI, une direction informatique, un service informatique, pas forcément pour une ESN, le mec ultra-sexiste tout le temps en train de faire des blagues. Il n’y avait que des gars dans mon équipe, tous ne réagissaient pas, c’est sûr, mais quelques-uns réagissaient, du coup ça créait une ambiance un peu délétère, genre c’est nase quand tu fais des blagues sexistes tout le temps, à une réunion sur deux, l’ambiance n’est pas géniale.

Frédéric Couchet : Elle est pourrie !

Agnès Crepet : Parce que des ambiances comme ça c’est aussi dérangeant pour des gars bien.
J’ai donc connu ça. Ça n’a pas été la majorité de ma carrière. Quand je parle de Ninja Squad évidemment que là c’est trop bien, chez FairPhone c’est incroyable. Aujourd’hui je suis dans ces environnements !
Typiquement Fairphone. Juste avant de faire le podcast, j’ai passé une heure et demie avec le headhunter, lerecruteur qui va recruter notre prochain ou notre prochaine CEO, parce que la présidente, la PDG, a annoncé qu’elle se casse. Elle s’appelle Eva, l’actuelle PDG de Fairphone part, en étant d’ailleurs très inspirante parce qu’elle part en disant « j’ai besoin de temps pour moi, donc je pars ». Je trouve ça super en termes d’honnêteté. Il y a donc une heure j’étais avec le recruteur qui me demande quels sont mes critères pour la nouvelle personne qui va la remplacer. Je lui dis un nonmale, quelqu’un qui n’est pas un homme cis, ce serait quand même bien, eh bien le mec note, dit « c’est vrai, tu as raison », le collègue qui était à côté de moi dit « bien sûr, évidemment ». Ce n’est presque plus un sujet en fait. À l’époque où j’avais ce gars-là, ce mec sexiste, ce technique, ça aurait été un sujet, ce mec n’aurait jamais compris pourquoi c’était intéressant d’avoir comme CEO quelqu’un qui ne soit pas un mâle blanc cis hétéro.
Dans l’environnement de travail dans lequel je suis aujourd’hui, je mentionne le critère et ce n’est pas un sujet de discussion où la personne ne comprend pas. Il y a de la discrimination positive. On peut aussi en parler, il y a des organisations techniques, des boîtes qui sont contre la discrimination positive ; moi je pense que ça peut aider à un moment donné, ce n’est pas la solution ultime, mais si ça peut aider une organisation à attirer plus de personnes différentes dans cette boîte, ça peut être intéressant.

Frédéric Couchet : Tout à fait, c’est clair.

Agnès Crepet : Et une boîte tech comme Fairphone, je trouve vachement intéressant de mettre une personne qui n’est pas un mâle blanc, hétéro, cis.

Frédéric Couchet : On vient de parler un petit peu de diversité. Il y a aussi un point que tu voulais absolument aborder et je tiens à ce qu’on l’aborde, le temps file, tu as parlé plusieurs fois parlé de Fairphone. Explique déjà ce qu’est FairPhone, ce que tu fais à FairPhone. Quand on a échangé, tu as dit que la tech est néocoloniale. Est-ce que tu peux expliquer en quoi elle est néocoloniale et comment Fairphone essaie de traiter ce problème ?

Agnès Crepet : Pourquoi la tech est néocoloniale. Tout à l’heure je parlais du cobalt, des gens qui minent le cobalt dans des conditions pas satisfaisantes au Congo, etc. Je te renverrai, je te donnerai le lien pour la description du podcast : à MiXiT, la conférence dont le m’occupe, on a fait intervenir quelqu’un qui a très bien parlé de ça, je te renverrai à sa conférence, cette personne s’appelle David Maenda Kithoko, il a fait une keynote dont le titre est « Pour une écologie décoloniale du numérique ». En fait son propos, je le reprends, je le cite parce qu’il parle mieux que moi de ce sujet, c’est le fait de dire qu’au final nous sommes toutes et tous avec des téléphones dans les poches, ce que je disais tout à l’heure, et on se pose rarement les questions d’où vient ce téléphone et l’effet que ça a sur le monde entier, sur ces gens-là qui minent le cobalt au Congo. Quand on se pose la question, si jamais on fait l’effort de se poser cette question-là, on se rend compte qu’il y a des relations entre les pays occidentaux et ces pays-là d’Afrique que j’ai cités comme le Congo, comme l’Angola, qui sont assez similaires à ce qu’on a pu entretenir nous, la France, quand on était un pays colonial. C’est pour cela qu’on parle de néo-colonialisme, de liens qui ressemblent fortement à l’époque où officiellement la France avait des colonies. Pour lui et pour moi, du coup, le numérique aujourd’hui est la cause de plein de problématiques qui se passent très loin de chez nous, au Ghana, en Angola ou au Congo, et qui sont mis en place par un néocolonialisme notoire.
Ce gars-là, David Maenda Kithoko, est originaire de RCD, République démocratique du Congo, est réfugié politique en France et il raconte dans sa keynote toute son histoire, ses combats justement pour la prise de conscience entre numérique, le colonialisme, les minerais de sang, les conflits dans son pays à travers son association qui s’appelle Génération Lumière. Il explique, on va dire, que la première étape c’est la prise de conscience, que déjà on prenne toutes et tous conscience de cela pour éventuellement agir de manière différente.
Ce que fait Fairphone c’est ça : déjà mettre la lumière sur ça, mettre la lumière sur d’où viennent ces minerais-là, et d’essayer de sourcer ces minerais de manière différente. Dans un téléphone on a à peu près 50 minerais, on ne travaille aujourd’hui que sur 14, donc ce n’est pas encore 100 % des minerais, c’est sûr, parce que c’est très long de cleaner une filière. Le premier truc qu’on a fait sur le FairPhone 1 en 2013 c’était d’incorporer du tungstène et l’étain conflict free, donc qui ne génère pas des conflits armés dans les pays que je viens de citer. Après on a fait d’autres choses, je pourrais en parler plus longuement, mais je pense que là je n’aurais pas le temps.
L’objectif c’est d’insuffler cette théorie du changement : prise de conscience, montrer que c’est possible de faire différemment et pousser l’industrie à agir de manière plus responsable. Quand je dis l’industrie, ce sont aussi des gens qui font des produits électroniques. Donc Fairphone c’est cela.

Frédéric Couchet : Je renvoie les personnes qui nous écoutent à l’émission 118, libreavous/118 dans laquelle tu étais intervenue avec Gaël Duval pour parler de Fairphone et de Murena, deux projets différents. Les gens qui veulent en savoir plus sur Fairphone peuvent t’écouter dans l’émission 118 sur libreavous.org.
Il nous reste cinq/six minutes à peu près. Je préviens les gens en régie qu’on ne va pas faire de pause musicale.
Avant la question finale, je voulais quand même que tu parles un petit peu, tu en as parlé rapidement, de tes engagements, ce que tu fais à Duchess France et aussi cette fameuse conférence à laquelle j’ai eu le plaisir d’assister pour la première fois cette année MiXiT.

Agnès Crepet : Duchess France est une association qui travaille pour la visibilité des femmes tech. Et, à MiXiT, on œuvre aussi depuis une dizaine d’années pour qu’il y ait plus de diversité dans la tech.
Duchess France fait un travail plus de fond toute l’année là-dessus, à travers l’organisation d’événements, du marrainage, le fait que des personnes qui rejoignent le milieu de la tech puissent avoir des personnes, des marraines qui les aident un peu à répondre aux questions qu’elles peuvent avoir, si jamais elles ont envie de faire des talks à des conférences, elles sont coachées par des marraines et tout ça ; ça c’est Duchess France.
À MiXiT on travaille à la fois sur la diversité dans la tech, mais aussi sur plus d’éthique dans la tech, dans toutes les thématiques.
David, le mec dont je te parlais tout l’heure, de  Génération Lumière, qui vient de RDC, avait une keynote à MiXiT cette année. Donc depuis le début MiXiT a toujours œuvré pour essayer de mettre en avant les impacts négatifs du numérique, en tout cas se poser ces questions-là, notre rôle sur le monde, on va dire, et les externalités négatives du numérique, surtout à des gens qui sont vraiment dans ces métiers-là. On va dire que la plupart des gens qui viennent à MiXiT sont quand même des développeurs/développeuses, des analystes, des gens qui ont ce profil-là. C’est pour te décrire rapidement ce qu’est MiXiT et Duchess France.

Frédéric Couchet : Je vais préciser que ce j’ai adoré à MiXiT, outre l’organisation parfaite, c’est ce mélange à la fois de présentations techniques on pourrait dire assez classiques et ce que vous appelez les Aliens c’est-à-die des présentations qui nous ouvrent un peu le cœur et des yeux. Par exemple une présentation sur comment travailler avec une personne autiste dans une entreprise, la keynote dont tu viens de parler, on a eu aussi quelqu’un qui fait de la magie en keynote finale. C’est ce mélange qui est vraiment très intéressant et que j’ai beaucoup apprécié. Ce n’est pas qu’une conférence technique, c’est une conférence technique et sociétale en fait.

Agnès Crepet : Il y avait la Fresque numérique, la fresque du ??? [ 1 h 8 min 55]

Frédéric Couchet : Oui, il y avait plein de choses.

Agnès Crepet : Tu pouvais ne pas faire de tech à MiXiT.

Frédéric Couchet : Exactement !
On approche de la fin de l’interview, juste après on a sujet court qui est déjà enregistré dont je connais la durée. On va finir par les deux dernières questions. L’avant-dernière question est un peu traditionnelle, même si c’est peut-être un peu compliqué : est-ce que, en moins de deux minutes, tu peux résumer les principaux messages que tu voulais faire passer ?

Agnès Crepet : je vais aussi en profiter pour énoncer ce que je fais exactement chez Fairphone parce je me suis rendu compte que je ne t’ai pas bien répondu. Ça va être dans la réponse que je vais faire maintenant.
Tu m’as demandé tout à l’heure de définir ce qu’est pour moi la tech éthique, ça passe pour moi par le techno-discernement. C’est une des idées principales que j’aimerais faire passer. Si les personnes qui écoutent aujourd’hui sont dans une position où elles œuvrent dans la tech, qu’on ait cette distance-là par rapport à la tech.
L’autre idée c’est d’arriver à insuffler une tech qui peut être différente, par exemple plus durable. Ça peut être vachement intéressant qu’il y ait aujourd’hui des gens qui se disent que ça peut être chouette de faire de la maintenance de produits logiciels, c’est ce que je fais chez FairPhone. Je travaille sur les produits logiciels long terme qui tournent sur les téléphones, Android, on fait principalement de l’Android. On essaye aussi de pousser des solutions OS open source sur les Fairphone qu’on fait, parce qu’on pense que l’open source est un levier ultra-intéressant pour la longévité de produits. Tout cela demande de la recherche, demande des expertises, etc. S’il y a des gens qui pensent avoir des compétences là-dedans, eh bien il y a boulevard pour créer des produits qui durent.
Quand j’étais dans ces fameuses ESN, ce qui éclatait tout le temps les gens c’est d’avoir des ??? 1 h 10 min 55] sur des technos nouvelles, de travailler sur de l’innovation. Eh bien pourquoi ça n’éclaterait pas de bosser sur la maintenance de produits. Il faut qu’on entre dans l’ère de la maintenance. J’y crois fortement. C’est vraiment l’idée que j’aimerais faire passer aujourd’hui.

Frédéric Couchet : D’accord. Dernière question qu’on pose rarement, mais qui me parait intéressante vu la conversation : quelles lectures, séries, podcasts ou autres aimerais-tu conseiller aux personnes qui nous écoutent, pas forcément en lien avec tes activités. ? Ton ou tes coups de cœur actuels, en gros ?

Agnès Crepet : Plein ! J’aime bien les bouquins de Philippe Bihouix qui a écrit il y a une dizaine d’années L'Âge des low tech ; un bouquin moins connu, La machine est ton seigneur et ton maître de Jenny Chan, Yang, Xu Lizhi, je te donnerai les liens, c’est sur les conditions de travail chez Foxconn, ça revient justement aux impacts négatifs du numérique.

Frédéric Couchet : Une entreprise en Chine

Agnès Crepet : Technoféodalisme – Critique de l'économie numérique de Cédric Durand, un livre qui explique très bien comment la tech est un nouveau mode de féodalisme ; Écologies du smartphone un bouquin qui a été écrit collectivement sous la direction de Laurence Allard, Alexandre Monnin, Nicolas Nova, pareil, plein d’angles différents sur les impacts du smartphone ; Technologie partout, démocratie nulle part, c’est aussi un bouquin que j’aime bien, qui est écrit par des gens qui sont plus ou moins derrière Le Mouton Numérique, donc un petit peu techno-critiques, qui a écrit un plaidoyer pour que les choix technologiques deviennent l’affaire de tous.
Dans les podcasts, il y en a deux que j’aime bien : Techologie et Tech Won’t Save Us. Techologie c’est français, c’est un podcast qui parle de la part du numérique dans le désordre climatique, qui parle aussi des impacts négatifs sociaux du numérique. J’aime bien ce podcast très généraliste, mais bien ! Tech Won’t Save Us ce n’est pas un podcast en français mais pour celles et ceux que ça ne fait pas trop chier d’écouter des trucs en anglais, c’est un podcast assez techno-critique notamment sur les Big Tech, c’est Paris Marx qui fait ça, que j’aime beaucoup aussi.
Voilà ce que je citerais.

Frédéric Couchet : Merci Agnès. Tu nous enverras les références qu’on rajoutera sur le site libreavos.org.

Agnès Crepet : Je t’envoie tout ça. Pas de souci.

Frédéric Couchet : C’était un grand plaisir. Agnès était notre troisième invitée de « Parcours libriste ». Je rappelle qu’Agnès est responsable de l’équipe informatique et de la longévité logicielle de Fairphone, cofondatrice de Ninja Squad, de la conférence MiXiT, membre de l’équipe de Duchess France.
Agnès, je te souhaite une elle fin de journée et un bel été. À bientôt.

Agnès Crepet : Super. Merci Frédéric de l’invitation.

Frédéric Couchet : Avec plaisir. À bientôt.
On va passer directement au sujet suivant.

[Virgule musicale]

Chronique « À cœur vaillant, la voie est libre » de Laurent et Lorette Costy sur le thème « Sésame ouvre-toi et prends-en de la graine »

Frédéric Couchet : Comprendre Internet et ses techniques pour mieux l’utiliser, en particulier avec des logiciels libres et services respectueux des utilisatrices et utilisateurs pour son propre bien-être en particulier et celui de la société en général, c’est la chronique « À cœur vaillant, la voie est libre » de Laurent Costy est administrateur de l’April et fait cette chronique avec sa fille Lorette. Le titre de la chronique du jour : « Sésame ouvre-toi et prends-en de la graine »

[Virgule sonore]

Lorette Costy : Hello Papa Lindrome, des nouvelles de Swiden’ Scremeuldich’ et de la plante qu’il a baptisée Phophone ? Il ne faut pas chercher de palindrome dans la partie précédente de la phrase, mais je sais que tu es élu, par cette crapule de Swiden’, membre honoraire des promoteurs d’un numérique éthique et émancipateur.

Laurent Costy : Ayant la main verte de Hulk mais son indélicatesse, il a préféré confier Phophone à son collègue Romain qui lui, parle aux plantes comme Robert murmurait à l’oreille d’écheveaux. C’est franchement pas coton ! Mais est-ce seulement pour prendre des nouvelles de la plante que tu m’appelles ou est-ce moins chlorophyllien comme prétexte ?

Lorette Costy : Effectivement, c’est une raison artistico-sécuritaire. Je dois trouver un nouveau mot de passe sérieux et je manque d’inspiration pour un compte. Franchement, 123456 m’ennuie profondément et, par ailleurs, sa renommée dans le dictionnaire des mots de passe les plus utilisés n’augure rien bon s’il devait résister et ne pas craquer !

Laurent Costy : C’est sage que de ne pas céder à la facilité, surtout quand il s’agit de sécurité informatique. Je vais tenter de te prodiguer quelques conseils qui sont ceux d’une personne pour laquelle le niveau de menace n’est pas élevé : je ne suis ni journaliste sur un terrain de guerre, ni militant écologiste courageux.

Lorette Costy : Venons-en aux faits : engage le jeu que je le gagne !

Laurent Costy : Décidément, c’est ta période palindromatique. C’est l’été qui veut ça ? Tu as noté ?, « été » est un palindrome ! Je l’ai trouvé tout seul. En plus, ça va avec la contrepèterie de dernière année de maternelle : « l’été est beau est chaud ».

Lorette Costy : C’est super papa ! C’est bon on a passé la barre des 250 mots obligatoires pour l’introduction. On peut peut-être attaquer le sujet ? Pour celles et ceux, qui auraient envie de trouver les deux palindromes de l’introduction, les transcriptions vont être précieuses : merci le groupe Transcriptions de l’April ! Des gros bisous !

Laurent Costy : Et il n’y a pas que les émissions Libre à vous! qui sont transcrites, il y a plein d’autres sujets très intéressants sur librealire.org.

Lorette Costy : J’ai donc vérifié : 123456 est le mot de passe qui arrive toujours en tête dans les concours Eurovision de mots de passe. Tiens d’ailleurs, ça pourrait être une idée si la France était représentée par un ou une artiste qui s’appellerait 123456, on aurait peut-être une chance !

Laurent Costy : De devoir « investir » 15 à 30 millions d’euros pour accueillir l’édition suivante ! Mais tu t’égares Hagar - du nord. Posons-nous plutôt la question : qu’est-ce qu’un bon mot de passe ?

Lorette Costy : Il y a le bon mot de passe et il y a le mauvais mot de passe. Le bon mot de passe, il résiste, il persiste ; le mauvais mot de passe, juste il existe. Si je teste 123456 dans l’outil de vérification de robustesse sur le site nothing2hide.org, il me dit qu’il faut moins d’une seconde, à raison de 10 essais par seconde, pour craquer ce mot de passe !

Laurent Costy : Et on en revient à l’émission 112 de Libre à vous ! que l’on vous invite, comme toutes les autres, à réécouter pendant l’été : en une seconde, X-Or, a déjà eu le temps d’enfiler 200 fois son scaphandre de combat. Eh oui, c’était 20 fois pour 100 ms dans la chronique 4 : j’ai donc demandé à 10 facteurs qui passaient par là. Pour un mot de passe, résister une seconde c’est vraiment trop léger. En l’occurrence, un mot de passe long vaut mieux qu’un mot de passe avec des caractères tarabiscotés : n’hésite pas à faire des essais.

Lorette Costy : C’est mieux que pas de mot de passe du tout, non ? Entre deux vélos identiques garés côte-à-côte et dont l’un seulement est attaché avec un antivol de basse qualité, une personne va naturellement aller au plus vite et enfourcher le vélo sans anti-vol, non ?

Laurent Costy : Oui, je comprends que tu puisses raisonner de cette manière. Et on en revient à la question des niveaux de menace et de l’équilibre confort/sécurité que l’on est prêt à concéder. D’autant que focaliser uniquement sur la question des mots de passe en informatique, ce serait comme ne s’inquiéter que des trous dans la coque d’un bateau, sans penser qu’un incendie peut aussi se produire et amener une catastrophe. La sauvegarde ou le chiffrement, par exemple, sont autant de questions qu’il faut interroger quand on souhaite préserver ses données.

Lorette Costy : Et puis, malgré les mots de passe, nos pratiques peuvent les rendre inutiles ? J’en connais des qui laissent la session de leur système d’exploitation ouverte. J’en connais d’autres qui, parce que leur mot de passe est justement trop compliqué, l’écrivent sur un papier qui, telle une feuille morte, gît à proximité de l’appareil alors fragilisé.

Laurent Costy : Le contexte dans lequel tu évolues et l’appareil que tu utilises pourraient potentiellement justifier des règles plus ou moins strictes. Mais il est sans doute plus facile de prendre des automatismes et de t’instaurer une discipline plutôt que d’avoir à réfléchir à chaque fois à ce qui semble adapté au contexte.

Lorette Costy : C’est vrai que c’est pénible de devoir redonner son mot de passe de session après s’être éloigné quelques minutes de son clavier, surtout quand je suis à la maison : la probabilité que ton fils et mon frère vienne subrepticement s’approprier mes NFT de petits poneys en tenue de camouflage est très faible. D’autant que je n’ai jamais acquis de tels gadgets inutilement énergivores, définitivement spéculatifs et particulièrement laids.

Laurent Costy : Effectivement. En plus, je sais que ton frère déteste les poneys et le kaki. Mais transpose ce contexte dans un lieu public avec beaucoup de gens autour : bien sûr, tu vas surveiller ton appareil mais un verrouillage automatique ajoute une sécurité. Un ordinateur fixe à la maison ou un ordinateur portable pourraient ne pas justifier les mêmes règles, mais ça va soulager ton cerveau que de les appliquer.

Lorette Costy : Et dans cette logique, tu vas être fière de moi : j’ai mis un mot de passe général sur mon navigateur Mozilla Firefox. Outre la nécessité de le renseigner la première fois qu’on ouvre le navigateur, ça oblige aussi à le renseigner quand on souhaite afficher un mot de passe enregistré.

Laurent Costy : Certaines personnes préfèrent utiliser leur navigateur en effaçant toutes les traces après fermeture. C’est une pratique qui peut se défendre. Mais si on choisit de conserver des identifiants et des mots de passe dans Firefox, pour des sites sur lesquels on va souvent, ça peut nous simplifier la vie et le minimum est effectivement de sécuriser par un mot de passe maître, surtout si la session n’a pas de mot de passe. Je te félicite. Tiens, tu vas faire un test pour moi. Voici le protocole. Je te laisse le suivre à la lettre. Je lance le chronomètre.

Lorette Costy : J’ouvre Firefox sans mot de passe maître sur une session ouverte sur l’ordinateur qui traînait sur la table, Roger. Je vais dans le menu « hamburger », autrement dit les trois traits – deux tranches de pain avec, au milieu, un steak de soja – et je choisis le menu « salade, tomates, oignons mais surtout mots de passe ». Roger.

Laurent Costy : Tu dois te dépêcher, car ta copine va vite s’apercevoir que le rab de frites annoncé dans les haut-parleurs de la bibliothèque universitaire n’était qu’un subtil subterfuge étudiantofuge pour l’éloigner de son appareil !

Lorette Costy : Je clique sur les trois petits points en haut à droite puis sur « exporter les identifiants ». Roger. J’enregistre. Roger. J’ouvre la boîte mail. Roger. Je m’adresse un mail avec, en pièce jointe, le fichier précédemment généré et j’envoie. Roger. Je supprime le mail envoyé de la boîte d’envoi pour ne pas laisser de traces. Roger. Finalement je vide la corbeille contenant les mails supprimés. Roger.

Voix off  : Eh bien me voilà ! Qu’est-ce-que je vous sers ?

Laurent Costy : Oh non, Roger le Tarvernier. C’est sûr, à force de dire Roger, même sans anneau d’invocation et malgré l’accent, ça devait être difficile pour lui de résister à l’appel !

Laurent Costy : On va éviter de dire « Chtulu » alors. Merci Roger, à bientôt, tu feras des bisous à Moumoune. Et toi, Lorette, tu as mis un peu plus d’une minute pour récupérer tous les identifiants et les mots de passe de ta copine. En ouvrant le fichier csv, tu as tous les éléments pour accéder aux sites auxquels elle s’est connectée et qu’elle a enregistrés.

Lorette Costy : Oh la coquine de Camille. Elle est abonnée à un site qui diffuse des images de gros lapins tout doux. Ce n’est pas commun, d’habitude c’est plutôt des chatons. C’est presque dégoûtant ! Je ne connaissais pas le côté si sombre de sa personnalité. Je vais la regarder autrement maintenant !

Laurent Costy : C’est aussi pour cela que c’est important de préserver sa vie privée. Les lapins, ce n’est pas encore une perversion trop grave, mais on imagine bien que d’autres sujets pourraient bien abîmer des personnes.

Lorette Costy : Bref, protéger ses pots de masse – et bim !, une contrepèterie pour moi en plus, let’s go – est important. Je sais aussi qu’il ne faut jamais mettre le même mot de passe partout, c’est une mauvaise pratique. Comme tu l’as dit tout à l’heure, il faut que ce soit long et enfin, il faut le changer régulièrement, car on constate souvent que des fuites de données ont lieu et que les mots de passe peuvent être compromis.

Laurent Costy : Il y a des sites qui indiquent si des fuites ont eu lieu comme Have I been pawned. Le gestionnaire de mot de passe de Firefox donne aussi des indications.

Lorette Costy : Mais comment je fais pour retenir des mots de passe de 14 caractères sur plusieurs dizaines de sites ? Même si je suis terriblement intelligente, ce n’est pas si simple !

Laurent Costy : Plein de petits trucs ; à toi de choisir ce qui te convient le mieux. D’abord sur les choix des mots de passe eux-mêmes : tu peux prendre une racine commune et la décliner en fonction des sites. Une longue phrase d’un poème sera toujours plus efficace qu’un tout petit mot de passe de six caractères tarabiscotés comme je le disais tout à l’heure. Je te renvoie à la page dédiée de la CNIL pour plus de conseils.

Lorette Costy : Et pour le stockage ? Un carnet est une solution si on a peur de voir circuler les identifiants et les mots de passe numériquement, mais la copie n’est pas simple et il faut aussi toujours l’avoir avec soi. Un tableur Libre Office Calc enregistré avec mot de passe pourrait convenir ?

Laurent Costy : C’est un minimum, effectivement. La voie recommandée est l’utilisation d’un gestionnaire de mots de passe comme KeepassXC ou Vaultwarden. Là encore, un mot de passe maître solide et qu’il te faudra retenir pour de vrai, sera nécessaire. Mais tout sera conservé de manière chiffrée et la base de données pourra être dupliquée pour sauvegarde.

Lorette Costy : Bon, je commence à y voir plus clair sur comment je vais améliorer ma pratique de gestion de mots de passe, mais j’ai bien compris que ce n’était que le début de la démarche d’amélioration de la protection de ma vie privée et de mes données !

Laurent Costy : On verra, dans le prochain épisode, d’autres aspects de tout ça. On jouera à se faire peur avec des situations factices mais réellement terrifiantes comme : « tu constates, que le métro t’a volé ton smartphone » ou tu as malencontreusement laissé tomber ton ordinateur portable du 2ᵉ étage de la Tour Eiffel ». Comment ta vie s’écroule ? Combien d’années mets-tu pour t’en remettre ?

Lorette Costy : Brrr !, ça fait froid dans le dos mais ça rafraîchit comme une bonne glace. Bon, je vais méditer là-dessus et faire des sauvegardes tout l’été. La bise mon mot de Papasse !

Laurent Costy : La bise ma puce, et n’oublie pas cette maxime « un coffre-fort en bois, c’est mieux que rien mais c’est moins bien qu’un coffre-fort en mithril ».

[Virgule sonore]

Frédéric Couchet : Nous d’écouter la chronique « Sésame ouvre-toi et prends-en de la graine » de Laurent et Lorette Costy et nous aurons le grand plaisir, je sais que vous les attendez, d’avoir de retour à la rentrée, en septembre, pour une nouvelle saison de leur chronique « À cœur vaillant, la voie est libre ».

Nous approchons de la fin de l’émission, nous allons terminer par quelques annonces.

[Virgule musicale]

Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l'April et le monde du Libre

Frédéric Couchet: