Émission Libre à vous ! du 20 juin 2023
Titre : Émission Libre à vous ! du 20 juin 2023
Intervenant·e·s : Gee - Stanislas Dolcini - Marie-Odile Morandi - Laure-Élise Déniel - Laurent Costy - Étienne Gonnu - Thierry Holleville à la régie
Lieu : Radio Cause Commune
Date : 20 juin 2023
Durée : 1 h 30 min
Page des références de l'émission
Licence de la transcription : Verbatim
Illustration : Déjà prévue
NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.
Transcription
Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
0 A.D. Empires Ascendant : l’histoire et vie d’un jeu vidéo libre
Étienne Gonnu : Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui porte sur le jeu vidéo 0 A.D. Empires Ascendant, un sujet animé par nul autre que Laurent Costy qui reçoit, pour l’occasion, Stanislas Dolcini, chef de projet pour le jeu.
Comme d’habitude, n’hésitez pas à participer à notre conversation soit au 09 72 51 55 46 ou sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat ».
Laurent, je te passe la parole.
Laurent Costy : Merci Étienne. Bonjour à tous et à toutes.
Un des arguments souvent avancé pour s’empêcher de passer sous GNU/Linux serait la pauvreté des jeux disponibles. Il est vrai que si on cherche tous les jeux dernier cri qui collectent aussi beaucoup de données et de métadonnées sur nos usages, il y a encore quelques limitations. Néanmoins, de plus de plus de possibilités s’ouvrent et c’est bientôt les vacances ! Nous avions parlé de Play.itdans l’émission 155, un outil libre qui permet de jouer à des jeux pas libres sous Linux. Aujourd’hui nous allons parler d’un jeu libre qui a acquis une grande renommée et qui existe depuis de nombreuses années. Il s’agit de 0 A.D., je ne sais pas si on dit 0 A.D. ou 0 A.D., tu vas nous confirmer ça. Nous accueillons Stanislas, chef de projet bénévole pour nous en parler. Bonjour Stanislas.
Stanislas Dolcini : Bonjour à tous et à toutes.
Laurent Costy : Du coup, comment prononce-t-on ?
Stanislas Dolcini : À la française c’est 0 A.D., si on en croit Wikipédia c’est 0 A.D.. En soi, le mot en lui-même est un mot qui désigne l’an 0, une période historique qui n’existe pas. En gros on a – 1 avant Jésus-Christ et 1 après Jésus-Christ ; le « A.D. » c’est after death, d’ailleurs Anno Domini, c’est année de Dieu, avant on avait l’Antiquité, etc. En fait, ce nom-là a été choisi par des gens qui m’ont précédé pour ce côté qui permet justement une licence artistique un peu différente en disant qu’on fait un jeu qui a une grande connotation historique, mais on peut quand même se permettre de faire quelques écarts parce que ça reste un jeu, ça leur a permis d’avoir cela.
Laurent Costy : D’accord. Merci pour cette explication que je n’avais pas complètement cernée. C’est vrai qu’on a quand même une forme d’universalité dans le Libre, on essaie de trouver des noms quand même relativement imprononçables, heureusement qu’il y a « Empires Ascendant » derrière.
Stanislas Dolcini : C’est un peu compliqué. Quelqu’un est venu nous voir récemment en disant : « Vous avez choisi un nom pourri, ça ne va pas du tout, etc. ». C’est vrai que le nom n’a pas beaucoup d’avantages façon prononciation, on vient souvent nous voir en nous demandant si 0 A.D. c’est bien parce que, en plus, sur le logo ressemble plus à un « O » qu’à un zéro. On a un avantage non négligeable : dans toutes les distributions Linux, nous sommes le premier paquet puisqu’on commence par un « 0 » et on est tout en haut de la liste, ce qui n’est quand même pas mal pour la visibilité. Mais, du coup, c’est toujours un peu compliqué. Ils ont choisi un nom il y a 20 ans et maintenant on fait avec.
Laurent Costy : C’est difficile de changer.
Stanislas Dolcini : À noter que 0 A.D. c’est l’équivalent de Age of Empires. En gros, si on avait Microsoft, Age of Empires et ??? [16 min 40], Microsoft la boîte, nous ça serait Wildfire Games, 0 A.D. et Empires Ascendant. L’idée c’était de faire plusieurs jeux. Au bout de 20 ans, on en est toujours au premier, on espère qu’on va le finir un jour qu’on pourra faire d’autres choses. L’idée l’idée d’avoir Empires Ascendant, Empires ??? [16 min 50] et peut-être, un jour, une autre suite qui suivra le jeu.
Laurent Costy : D’accord. Il y aura donc d’autres versions du jeu plus tard, au gré des volontés des développeurs.
Avant de rentrer plus dans le détail du jeu, est-ce que tu peux nous raconter, nous expliquer comment on devient responsable du jeu pour 0 A.D. ?
Stanislas Dolcini : Il faut commencer par contacter Microsoft ! Non ! En vrai, pour moi ça s’est fait un peu naturellement. J’ai commencé il y a 12 ans maintenant, je suis arrivé sur les forums de 0 A.D. avec mon petit logiciel de 3 D propriétaire et je voulais juste faire des modèles 3 D. Pendant six ans c’est ce que j’ai fait. J’ai travaillé principalement sur les modes. Les modes c'est une modification de 0 A.D., ça permet d’avoir du contenu additionnel au gré des volontés de chacun sur le jeu. L’avantage des modes, en l’occurrence, c’est que la barre d’entrée est plus basse, ça permet justement de pouvoir s’entraîner, de tester des choses, etc.
Laurent Costy : Mettre un pied dans la contribution du jeu sans que ce soit trop rude.
Stanislas Dolcini : C’est ça. À noter que le jeu principal n’est qu’un mode du moteur de jeu derrière 0 A.D. qui est pyrogenesis.
J’ai commencé tranquillement à faire ça. J’ai fait quelques civilisations, les civilisations des Chinois, par exemple, qui a été ajoutée dans la dernière Alfa après 10 ans de négociations.
Laurent Costy : Version Alpha, pour les gens qui ne connaîtraient pas, c’est quoi ?
Stanislas Dolcini : Le mot clef « alpha » a beaucoup de significations différentes. Quand les personnes qui ont lancé 0 A.D. ont dit qu’on était une version alpha ça avait un sens différent de celui de maintenant. Le mot consacré actuellement je pense que ce serait early access, en français accès rapide.
Laurent Costy : Accès avant la version définitive, opérationnelle, accès anticipé.
Stanislas Dolcini : Accès anticipé. Merci beaucoup.
Le stade de développement aurait trois phases : la phase alpha, la phase bêta et la phase gamma, la phase gamma étant la version finale livrée par les sociétés qui font des jeux.
Alpha c’est on explore un peu, on essaie de rajouter de nouvelles fonctionnalités, il risque d’y avoir des bugs, etc.
Bêta, les fonctionnalités sont fixées, du coup on ne fait que corriger des bugs, on polit le jeu pour passer en gamma et ensuite vendre le jeu, en tout cas le mettre à disposition du plus grand nombre.
Dans les années qui ont suivi, le mot clef alpha a un peu perdu son sens, on est plus passé sur bêta. Maintenant bêta et accès anticipé sont plus les mots qu’on utilise. Alpha c’est vraiment un jeu avec des cubes, c’est vraiment avoir juste le game play à peu près tracé, mais l n’y a plus beaucoup de jeux qui s’appellent alpha.
Laurent Costy : Merci beaucoup. Je t’ai un petit peu coupé sur le jeu. Peut-être peux-tu nous expliquer en quoi consiste le jeu pour eux et celles qui ne le connaîtraient pas ?
Stanislas Dolcini : Le jeu est un jeu de stratégie en temps réel. Ça veut dire que vous contrôlez une civilisation que vous avez choisie parmi 14 disponibles et plus si vous utilisez des modes. Vous commencez avec un bâtiment, un certain nombre de personnages. Il va falloir aller récolter des ressources autour de vous pour pouvoir étendre votre civilisation, construire plus de maisons, construire plus de bâtiments, afin d’amasser encore plus de ressources. C’est un peu un jeu de déforestation par moment.
Ensuite, vous avez plusieurs modes de jeu différents. Le mode assez classique, qui est commun à d’autres jeux, comme Age of Empires, StarCraft, etc., c’est le mode conquête : un adversaire est sur la même carte que vous, a exactement la même ambition que la vôtre ; vous devez vous développer plus vite que lui pour pouvoir avoir la suprématie sur lui.
On a d’autres modes de jeu. On a un mode de jeu « Merveille », par exemple. En fait, il faut construire une merveille le plus vite possible, il va falloir amasser des ressources rapidement. Le premier qui a construit sa merveille doit la faire tenir dix minutes et il gagne la partie.
On a des modes où il faut capturer des reliques qui sont éparpillées sur la carte.
Vous pouvez aussi combiner tous ces modes pour avoir un mode de game play un peu sympa. Il y a, par exemple, des gens qui ne sont pas très bataille, qui vont plutôt construire une ville, mettre des grands murs, essayer de se cacher derrière, et qui peuvent quand même gagner le jeu à travers un moyen alternatif.
Laurent Costy : Merci. Tout à l’heure je t’ai coupé, tu avais mis le pied dans le développement du jeu par les modes. Du coup quelle a été la suite ?
Stanislas Dolcini : J’ai continué à m’améliorer d’un point de vue 3 D pendant quelques années. J’ai finalement switché sur Blender, un logiciel de modélisation 3 D libre. En plus, ça permettait un échange un peu plus facile sur justement les assets, etc., puisque les solutions propriétaires coûtent beaucoup d’argent : on est sur 3 000 euros la licence à l’année de 3ds Max. Quand on est étudiant, ça va, quand on n’est plus étudiant c’est compliqué.
Laurent Costy : Quand on est étudiant ça va parce que c’est payé par la fac.
Stanislas Dolcini : Non. En fait, 3ds Max fournit des licences étudiantes avec des limitations. On ne peut pas faire ce qu’on veut avec les assets produits sur 3ds Max, il y a pas mal de législation un peu compliquée là-dessus.
Blender est arrivé, je suis passé dessus. J’ai continué à m’améliorer. Au bout d’un moment, en fait, j’avais le mème niveau que certains membres que l’équipe du jeu à cette époque-là. Ils m’ont dit « si tu veux, tu peux renter en tant qu’artiste ». La décision de me faire entrer dans l’équipe a toujours été un peu complexe parce que je ne faisais pas que des trucs artistiques, je faisais aussi duc ode, je faisais pas mal de choses différentes. Me donner accès au code source, à la modification, pouvoir vraiment affecter le jeu directement présentait, entre guillemets, « des risques » sur le fait que si je n’étais pas totalement clean je pouvais commencer à taper dans certaines zones. Ils ont mis longtemps à décider que je méritais la confiance et que je pouvais renter dans le jeu.
Laurent Costy : Pour bien comprendre, ça veut dire qu’on sépare bien les compétences quand on invite des gens à contribuer au jeu. Il y a des gens qui ne font que du code et des gens qui ne font que des choses artistiques. C’est ça ?
Stanislas Dolcini : La plupart du temps, les compétences des gens sont assez fermées, ce sont souvent des gens très experts dans leur domaine de compétences et qui, du coup, ne font que ça. Il faut quand même rappeler qu’à la base 0 A.D. est un hobby, ça a été fait par des hobbyistes. C’étaient des fans d’Age of Empires, des joueurs du jeu qui se sont mis ensemble en disant « on a beaucoup modifié Age of Empires on est un peu limités. On voudrait faire notre propre jeu ». Ils se sont mis ensemble, ils ont braistormé pendant trois ans sur la façon dont ils allaient faire le game play. Ils ont commencé à travailler dessus en 2000, ils ont fini en 2009, ils ont dit « ça fait neuf ans, nos vies ont changé, on n’a pas forcément les moyens de continuer. On va rendre le jeu open source, on va libérer le code source en espérant que ça lui donne un souffle ». Ça marché, le pari est fait, 14 ans plus trad on y est toujours.
Laurent Costy : Ces gens-là étaient situés où ?
Stanislas Dolcini : C’était principalement des personnes américaines. Il y en avait un qui avait une grande passion pour les civilisations ibériques. Malheureusement il nous a quitté en 2006, une des versions porte son nom l’Alpha 23 "Ken Wood", en hommage à cette personne qui est morte du cancer, malheureusement.
Tout ce projet-là s’est lancé. Souvent les personnes sont relativement précises dans ce qu’elles veulent faire. Il y a des gens que ça intéresse de travailler sur le moteur graphique, ce qui affiche les petits triangles, des polygones et des unités sur le truc pour que ça soit joli, etc. C’est la seule chose qui les intéresse, le game play ne les concerne pas, etc. ; c’est vraiment ça. Ce sont généralement des ??? [25 min], des compétences qui sont assez spécifiques et assez précises, qui ne sont relativement pas communes même dans le métier de programmeur, etc., ce sont vraiment des domaines un peu de niche. En fait, on a des gens comme ça, qui ne bossent vraiment que ça.
J’avais « l’avantage », entre guillemets de pouvoir faire de l’artistique, de pouvoir faire du code, de pouvoir parler aux gens ; la compétence de pouvoir parler à des gens n0’est pas quelque chose de….
Laurent Costy : Ça faisait partie de ma question suivante, tu vas pouvoir y répondre. Comment fait-on pour faire travailler ensemble des gens ont des compétences très spécifiques ? À un moment donné, j’imagine que ça doit interagir pour que le jeu puisse fonctionner.
Stanislas Dolcini : La réponse simple c’est « c’est compliqué ». Il y a des gens qui travaillent mieux avec certaines personnes qu’avec d’autres. On a tous des comportements et des caractères différents qui font qu’il y a un travail de lissage à faire pour que tout le monde s’entende bien et arrive à travailler en harmonie.
0 A.D. a souvent travaillé par vagues dans le sens où on a eu, pendant un moment, énormément d’artistes, donc on a fait vachement avancer la partie artistique. L’Alpha 24 c’était vraiment ça, on avait une motivation, on avait plein de nouveaux arbres, plein de nouveaux animaux, on a vraiment bossé là-dessus.
Après, les artistes disparaissent, ils ont d’autres priorités dans la vie, du coup on passe sur le code. Ça va être le moteur, des trucs de barbus un peu ??? [26 min 23]. Ça dépend vraiment.
En gros, c’est faire travailler tous ces gens-là en harmonie. Par exemple, les programmeurs vont souvent râler parce que les artistes sont, entre guillemets, « un peu moins rigoureux » sur la façon dont ils gèrent leurs assets, ce qui cause des bugs.
Laurent Costy : Les assets ? Excuse-moi.
Stanislas Dolcini : Les éléments du jeu : un élément du jeu, un personnage c’est un asset, un fichier qui contient les statistiques des unités c’est un asset, etc.
Laurent Costy : Du coup, ça veut dire, par exemple, que le personnage va être trop volumineux dans ses proportions, ça va poser problème après à la programmation.
Stanislas Dolcini : Soit il va être trop volumineux, soit il va coûter trop en performances parce qu’il a trop de détails pour sa taille On va dire que chaque personnage est composé d’un certain nombre de triangles. Plus il y a de triangles, moins il y a des performances. Plus il y a de gruyère, moins il y a de gruyère ! Du coup, si vous dépassez par exemple 20 000 triangles par personnage et que vous avez 20 000 personnages sur l’écran, forcément l’ordinateur va avoir du mal.
À noter que 0 A.D. tourne quand même sur des configurations qui sont relativement modestes, des ordinateurs qui ont parfois dix ans, etc. Tout le monde ne peut pas faire tourner le dernier jeu triple A qui vient de sortir.
Laurent Costy : C’est clair !
Stanislas Dolcini : C’est toujours un équilibre comme ça. On a l’artiste qui veut absolument faire le truc le plus beau possible, le programmeur qui veut faire le truc le plus performant possible. Il faut trouver un juste milieu entre les deux en disant « on ne va pas brider complètement les gens, mais, d’un autre côté, on ne va pas non plus laisser un champ des possibles incroyable qui, entre guillemets, nous « embêtera » dans le futur. «
Laurent Costy : Comment cela se stucture-t-il ? Tu es chef de projet pour la partie francophone ? Comment cela se travaille avec les communautés qui ne seraient pas en France ? Est-ce qu’il y a une communauté globale ? Est-ce que ton rôle c’est de mettre en lien les personnes qui développent du code et les artistes ?
Stanislas Dolcini : Il faut déjà resituer la quantité de personnes qui travaillent sur 0 A.D.. Nous ne sommes pas si nombreux que ça. Nous sommes plutôt, en équivalent temps plein, à 0, 5 ou 0, 25, quelque chose comme ça, ce n’est pas un truc sur lequel tous les gens travaillent tous les jours. On a des gens qui sont en période de creux d’activité et ils commencent à vraiment travailler.
Laurent Costy : Il n’y a aucun salarié, ça c’est sûr.
Stanislas Dolcini : Non, nous sommes tous bénévoles. Je crois que sur les 23 ans d’existence de 0 A.D. il y a eu un mois de travail payé, mais je ne suis même pas sûr en vrai, je ne sais si ça s’est fait au final ou si ça a été tacite ??? [28 min 50]. Ce sont vraiment 23 ans de travail acharné par des gens sur leur temps libre. Du coup, c’est toujours un peu la question qu’on a quand on arrive sur le salon en mode « comment êtes-vous payés ? Ça vous rapporte à un moment donné ? Vous vendez de la pub, vous vendez des NFT ? ». Non.
Laurent Costy : C’est impressionnant. Tu dis c’est 0,5, j’imaginais que c’était un petit plus, cumulé dans tous les pays j’imagine. Tu es donc en lien avec des gens aux États-Unis très quotidiennement ?
Stanislas Dolcini : Aux US on en a beaucoup moins. Je pense que l’une des raisons principales de cela c’est que nous sommes principalement Européens maintenant. Ça a commencé full US, maintenant nous sommes principalement Européens, ça fait qu’il y a des problèmes de time zone, forcément, de fuseau horaire. Ce n’est pas forcément facile de contribuer avec des gens comme ça. À noter que les chats textuels ont tendance à augmenter la capacité des gens à se friter. C’est très difficile, de base, quand on parle la même langue de faire passer des idées en chats textuels.
Laurent Costy : On a tous fait des boulettes par mails, des choses, comme ça, des interprétations de mails qui n’étaient pas dans le bon ton.
Stanislas Dolcini : Du coup, avec la barrière de la langue ça rajoute une subtilité qui peut être un peu particulière. Par exemple, on a des personnes russes qui ont une façon de parler qui est relativement froide, même si elles ne sont pas froides de base. Ce sont des gens qu’on gagne à rencontrer en vrai, ça permet de relativiser sur la personne ; sans la rencontrer, on a l’impression que la personne n’est pas vraiment à fond avec nous. Ce sont toutes ces subtilités de chaque personne qu’il faut prendre en compte et essayer de dire « toi tu as envie de faire ça. OK, c’est bien. Lui a envie de faire ça. Est-ce qu’il y a moyen que vous vous parliez, que vous fassiez un truc tous les deux et que ça marche. Quand lui aura fini cela il pourra t’aider sur ton truc. » C’est aussi un peu un système de faveurs. On travaille avec des gens qui sont là sur leur temps libre, on ne peut pas les forcer à faire des choses. Trop forcer quelqu’un à bosser sur son temps libre, il va juste partie et, du coup, vous n’avez personne même pour faire le taf qu’il voulait faire à l’origine, ce n’est pas optimal. Après ça demande aussi beaucoup d’énergie pour concilier tout le monde. C’est une chose qu’on peut faire par phases. Sur le long terme, ça finit par user les personnes qui le font et, des fois, ça devient même plus contre-productif puisqu’on n’est plus en état de gérer les gens. Il y a pas mal de choses comme ça à mettre en place et en perspective.
Laurent Costy : Tu parlais des Russes, il y a des occasions de les rencontrer ? Au FOSDEM ? Des choses comme ça ?
Stanislas Dolcini : C’est ça. C’est un peu plus difficile avec les configurations géopolitiques actuelles. On a pu les rencontrer plusieurs fois au FOSDEM.
Laurent Costy : Le FOSDEM est une rencontre de libristes qui se passe à Bruxelles en général.
Stanislas Dolcini : C’est ça. Le FOSDEM est la plus grande rencontre internationale, ce n’est pas quelque chose comme ça ?
Laurent Costy : On se regarde, on croise nos regards, on n’est pas sûrs, on va vérifier. C’est bon à savoir.
Stanislas Dolcini : OK. On vérifiera. C’est une grande rencontre dans une université à Bruxelles, l’occasion de voir pas mal de gens. Ce sont beaucoup de projets, il n’y a pas beaucoup de jeux, c’est rare qu’on voir d’autres gens qui font des jeux, mais on y travaille, on essaye d’organiser des choses. Avec Godot, le moteur de jeux libres, qui a bénéficié d’une carrière flamboyante ces derniers temps avec toutes les subventions qu’ils ont reçues, ils nous ont un peu snobés au FOSDEM cette année. On espère quand même qu’on pourra retravailler avec eux.
Laurent Costy : On leur lance un appel : retravaillez un peu avec les gens de 0 A.D.
Stanislas Dolcini : Avec tous les gens qui font du jeu vidéo dans le monde de l’open source. Comme je disais tout à l’heure, je pense que c’est une série de compétences de niche et on gagnerait tous à travailler plus ensemble, parce que ça permettrait justement d’avoir plus de ressources pour chaque projet.
Laurent Costy : Très bien. J’ai entendu tout à l’heure que tu parlais de la libération du moteur vers 2009, je ne me trompe pas ? Du coup, le jeu est libéré depuis 2009, c’est un jeu libre. Avant 2009, il avait quand même tourné quelques années aussi ?
Stanislas Dolcini : C’était un freeware. Le code n’était pas libéré, il était la possession des développeurs de l’époque, du coup le jeu était gratuit et c’était vraiment une volonté qu’ils avaient de le rendre accessible. Je pense que c’est juste que l’open source n’était pas aussi développé à cette époque-là qu’il l’est maintenant. On a failli, à un moment donné, se faire racheter par une boîte qui a proposé, je crois, un million d’euros pour racheter le jeu avant qu’il devienne open source. C’est toujours un peu intéressant d’avoir l’évolution.
On parle un peu d’argent. Il y a eu un crowdfunding en 2013 sur une plateforme qui s’appelle Indiegogo. une récolte d’argent de masse par des personnes. Cette campagne de fonds n’a pas marché comme les développeurs l’attendaient. Ils voulaient à peu près 160 000 euros et je pense que ce n’était même pas assez en vrai. Ça leur permettait d’embaucher un développeur à plein temps, pendant un an, pour essayer de finir le jeu. La dernière fois que j’ai regardé les forums, je suis tombé sur un post de 2010 qui disait « quand est-ce qu’on finit le jeu ?, on n’en est pas trop loin, etc ». On est encore là 13 ans après, je pense qu’on va toujours se poser la question.
On a récupéré 40 000 euros sur les 160 000. Contrairement à d’autres plateformes, Indiegogo permet aux récipiendaires de garder l’argent, ça peut continuer à servir de fonds, etc. Ça nous permet de survivre actuellement. On a à peu près 500 et quelques euros de frais de serveurs par an, plus 100 euros d’Apple Develope, plus deux/trois autres trucs qu’on paye tous les ans.
Laurent Costy : Apple Developer, c’est-à-dire ?
Stanislas Dolcini : En gros, pour pouvoir déployer des applications sur Apple, il faut payer 100 euros par an. Jusqu’à 2019 ce n’était pas encore trop gênant de ne pas l’avoir. Maintenant, si vous ne faites pas tout le processus de validation par Apple, vous ne pouvez pas lancer d’applications sans obliger les gens à ouvrir des terminaux et à taper des commandes un peu obscures. Si vous téléchargez une application qui vient d’une source non signée, elle est marquée comme corrompue et il vous dit de la mettre à la corbeille.
Laurent Costy : Super ! Merci Apple. Vous reversez une petite partie de l’argent que vous collectez à Apple.
Stanislas Dolcini : C’est ça ! On supporte les GAFAM ! On est vraiment à fond !
En gros, c’est notre fonds de roulement, il nous reste 27 ans, on a 27 ans pour finir le jeu et chaque année on a des donations, tout le monde est en mesure de faire une donation via PayPal, je crois, et, dans certains cas, vous pouvez les faire par virement bancaire, c’est un peu plus compliqué parce qu’il faut contacter. En gros, 0 A.D. est sous le joug d’une association à but non lucratif américaine qui s’appelle SPI, Software in the Public Interest, logiciel d’intérêt public, qui gère les fonds de plusieurs projets, notamment Arch Linux, The Battle for Wesnoth, qui est un autre jeu libre, et d’autres projets, je crois qu’il y a peut-être Adélie Linux. Il y a en quelques-uns, je ne suis pas sûr que Debian n’y soit pas aussi.
Laurent Costy : D’accord. Je ne saurais pas répondre.
Stanislas Dolcini : Ils ont un certain nombre de projets dont ils gèrent les fonds. L’avantage c’est que c’est une association à but non lucratif américaine, ils ne payent pas d’impôts sur l’argent.
Laurent Costy : Sur les dons qui sont reçus.
Stanislas Dolcini : L’inconvénient, c’est que l’utilisation de l’argent est restreinte par cela. Dans les questions d’entrée, par exemple on ne peut pas vendre des choses de manière légale puisqu’ils n’ont pas de but lucratif. Pour justifier la réception d’échanges, entre guillemets, il faut que ce soit un échange du type je vous donne le tee-shirt, vous me donnez ce que vous voulez. En fait, je vous donne le tee-shirt et vous me donnez une somme d’argent. C’est toujours un peu compliqué. Dès qu’on a des dépenses à faire, il faut qu’on s’arrange pour voir comment on peut faire des choses, comment on peut rendre ça légal, donc faire des devis, etc., parce que, du coup, il y a toute la partie administrative à gérer derrière qui devient un peu plus compliquée.
Laurent Costy : Je n’avais pas du tout appréhendé cela. Ça veut bien dire que la structure qui supporte 0 A.D., qui aurait pu être une association française s’il y avait une qui avait été créée, au départ c’est une structure qui a « hérité », entre guillemets, du jeu à la libération du jeu en 2009, qui en est devenue gestionnaire, je ne sais pas comment on dit pour une structure comme ça. Ça vous renvoie effectivement aux États-unis par rapport aux dépenses, ce n’est peut-être pas forcément simple.
Stanislas Dolcini : La raison pour laquelle il n’y a pas d’association française pour 0 A.D. c’est que, pour l’instant, nous ne sommes pas assez nombreux pour justifier, entre guillemets, le « travail juridique », de management d’uns association à faire. S’il y avait 25 personnes en France peut-être qu’on envisagerait d’avoir un trésorier, etc., mais là !
Laurent Costy : Il faut écrire des statuts, déposer les statuts, faire une assemblée générale de création, faire une AG tous les ans, etc., après, ça dépend des statuts. En tout cas, ça demande une gestion qui, s’il n’y a pas beaucoup de monde, n’est pas forcément pertinente.
Stanislas Dolcini : C’est du temps qui est mieux investi à gérer ou à travailler sur le projet.
Laurent Costy : C’est vrai. Tu as parlé de The Battle for Wesnoth qui est aussi un jeu qui est quand même très connu dans les communautés du Libre. Quels sont, à ton avis, les éléments qui ont fait le succès du jeu ? On peut considérer quand même que c’est un grand succès du Libre. Quand on parle aux libristes de 0 A.D., en général ils savent de ce dont il s’agit. Comment expliques-tu le succès du jeu ?
Stanislas Dolcini : Je pense que le nom a beaucoup aidé. Le nom, le fait que ça soit gratuit aide quand même pas mal, du coup ça propose non seulement une alternative open source à des jeux comme Age of Empires, StarCraft, etc., mais aussi une alternative gratuite. On a tous été enfant, étudiant, avec pas beaucoup d’argent et c’est toujours sympa d’avoir un jeu qui est jouable et qui permet justement de quand même passer du temps. On a eu un petit moment sympa : à Noël, j’ai reçu un petit message d’une famille qui faisait une partie de Age of Empires tous les ans, c’était une tradition de faire ça à Noël. En fait, cette année ils n’avaient plus assez de licences pour jouer tous ensemble. Ils sont tombés sur 0 A.D. et, du coup, ils ont fait une partie de 0 A.D. à la place. C’est le genre de petit moment sympa qui fait plaisir, le message qu’on aime bien recevoir.<br/ On parlait graphisme tout à l’heure. La qualité graphique, la beauté du jeu a fait que c’est un de ses succès. C’est aussi une des raisons pour lesquelles les performances peuvent parfois souffrir un peu, mais c’est vraiment ça qui le fait briller dans le Libre. On a souvent pas mal de gens qui sont plus des programmeurs que des artistes à la base, même s’ils ont tous un petit côté artiste sur le jeu vidéo. On a vraiment eu cette chance d’avoir eu des artistes qui ont pu contribuer et travailler sur 0 A.D. Un programmeur a souvent plus de temps à dédier du Libre, parce que le métier de programmeur paye suffisamment pour qu’on puisse se permettre de donner du code gratuitement. En général, un artiste aura souvent le choix entre manger à la fin du mois et contribuer à un projet libre, mais c’est rare de pouvoir faire les deux. On a eu vraiment eu la chance d’avoir des artistes qui pouvaient faire les deux et qui ont pu contribuer à 0 A.D. sur leur temps.
Laurent Costy : J’avais une question sur le genre des artistes. On m’a fait remarquer, dans la préparation de l’émission, que les femmes avaient une poitrine assez forte. La question un peu liée : est-ce que la majeure partie des artistes serait masculine ? Est-ce que ça pourrait avoir un lien ?
Stanislas Dolcini : La majeure partie des artistes est masculine. En vrai, il y a eu quelques filles sur 0 A.D. au fil des années, mais la majeure partie des artistes est masculine. Lors de la refonte de toutes les unités, c’est une personne masculine qui a fait les designs. J’imagine qu’il avait des goûts très personnels sur le corps des unités : les garçons sont assez balaises physiquement, ont une démarche assez masculine. Les personnages féminins ont un peu hérité de cet œil, disons intéressant, sur ça.
On arrive parfois avec des contributions comme ça. En l’occurrence, là c’était un des artistes officiels de l’équipe, il a fait ses modèles. Le but c’était de passer 0 A.D. cinq ans en avant parce qu’on avait dû prendre du retard et les modèles commençaient vraiment à être vieux. On a des contributions comme ça. Après, libre à chacun de venir et nous proposer un modèle féminin très anthropomorphique.
Laurent Costy : Très bonne Réponse. Merci à toi.
Je pense qu’on va s’autoriser une pause musicale, Étienne.
Étienne Gonnu: Ça me paraît effectivement le bon moment dans le timing de l’émission. Je vous propose d’écouter ce qui est le thème principal du jeu Honor Bound par Omri Lahav. On se retrouve juste après, toujours à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Honor Bound par Omri Lahav
Étienne Gonnu: Nous venons d’écouter Honor Bound par Omri Lahav, disponible sous licence Creative Commons Partage dans les mêmes conditions.
[Jingle]
Deuxième partie
Étienne Gonnu: Je suis Étienne Gonnu