Sobriété numérique : Quels scénarios - Trench Tech

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Titre : Sobriété numérique : Quels scénarios ?

Intervenants : Éric Vidalenc - Raphaël Guastavi - Gérald Holubowicz - Emmanuel Goffi - Cyrille Chaudoit - Mick Levy - Thibaut le Masne

Lieu : Trench Tech

Date : 7 mars 2023

Durée : 1 h 13 min 38

Podcast

Page de présentation du podcast

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : À prévoir

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Mick Levy : L’autre jour, je réécoutais l’épisode avec Gilles Babinet, il a quand même sacrément balancé sur l’organisme de référence qu’est l’Ademe. Je rappelle quand même qu’il a dit, le gars, que l’ADEME est une source désinformation massive en ce qui concernait l’impact du numérique sur l’écologie.

Cyrille Chaudoit : Sortir ça dès la première saison. J’ai failli tomber de ma chaise. Je ne sais pas pour vous !

Thibaut le Masne : En plein automne, on va vécu l’hiver, c’était au mois d’octobre je crois. D’ailleurs je ne vous l’ai pas dit, il m’a envoyé un petit texto depuis, il est plutôt d’accord avec nous, qu’on rende la pareille à l’Ademe et qu’on les invite. Il propose qu’on les appelle.

Diverses voix off : Quels sont les risques que ça arrive ?

— Il y a 100 % de risques d’impact.

— S’il vous plaît, ne dites pas 100 %.

— Disons que c'est un évènement hypothétiquement significatif.

— On vient de vous dire que ça n’avait rien d’hypothétique.

— On est sur du 99,78 %, pour être exact.

— Génial ! OK ! Donc ce n’est pas 100 %.

— Disons 70 %. Avançons et n’en parlons plus !

Voix off : Trench Tech. Esprits Critiques pour Tech Éthique.

Thibaut le Masne : Bonjour et bienvenue dans Trench Tech et bienvenue dans ce nouvel épisode. Bonjour Cyrille.

Cyrille Chaudoit : Bonjour Thibaut.

Thibaut le Masne : Bonjour Nick.

Mick Levy : Salut.

Thibaut le Masne : Vous voulez exercer votre esprit pour une tech éthique ? Vous êtes au bon endroit. Trench Tech c'est le talk-show qui décortique les impacts de la tech sur notre société.
Lorsque j’ai commencé à travailler, la tech était porteuse d’une grande promesse, nous aider à résoudre nos problèmes complexes : détecter les cancers au plus tôt ou mieux soigner les gens ; donner les tâches rébarbatives à des robots ou encore épargner du temps. Un lendemain meilleur, disions-nous sans complexe. Je ne saurais trop dire quand tout ceci s’est emballé, mais aujourd’hui on le sait, cette belle promesse s’est éloignée. Alors oui, on s’extasie devant ces machines qui nous battent aux échecs ou au jeu de go, on aime voir la tech remporter le premier prix pour avoir fait un dessin tout beau et surtout oui, il nous faut ce dernier gadget à la mode, même si on sait bien qu’il finira au fond d’une commode. Tout ce que l’on mesure progresse dit-on, encore faut-il savoir où regarder, si on ne peut pas se tromper de direction. Il y a urgence, certes, mais à force de véhiculer des chiffres un peu gros on finit par nous dire qu’il faut éviter d’envoyer des e-mails rigolos.
L’extrait de notre film nous montre bien l’absurdité. Oui, 99 ce n’est pas 70, mais si on veut progresser, il est important que nos chiffres soient vérifiés avant d’être publiés. C'est pourquoi, aujourd’hui, nous recevons Éric Vidalenc et Raphaël Guastavi de l’ADEME. On rappelle que l’ADEME est l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie. Elle a été créée en 1991 et elle est placée sous la tutelle des ministères de la Recherche et de l'Innovation et de la Transition écologique et solidaire et de l'Enseignement supérieur. Durant notre grand entretien, nous nous poserons avec eux trois questions : comment mesurer l’impact du numérique ; quels sont les scenarii possibles pour le futur ; le numérique peut-il être une solution au défi climatique ? Bien entendu, nous reprendrons notre souffle avec deux chroniques inspirantes : la première de Gérald Holubowicz qui nous dira ce que dit de nous cette fascination pour les grands patrons des Big Tech ; pour la deuxième chronique, nous retrouverons notre éthicien en chef Emmanuel Goffi qui nous donnera des éléments, des pistes concrètes pour avoir une tech encore plus éthique. Enfin, restez avec nous jusqu’au bout car, comme toujours, nous consacrerons les cinq dernières minutes de cet épisode au debrief juste entre vous et nous, pour résumer les idées de notre épisode.
On met dit dans l’oreillette que Éric et Raphaël sont enfin arrivés. Accueillons-les dans le studio.
Bonjour Éric. Bonjour Raphaël.

Éric Vidalenc : Bonjour.

Raphaël Guastavi : Bonjour.

Thibaut le Masne : Faisons les présentations pour nos auditeurs. Éric, tu deviens, en 2021, directeur régional adjoint de l’ADEME Hauts-de-France. Tu es aussi auteur d’articles spécialisés et grand public sur les questions énergiques. Tu collabores notamment avec Alternatives économiques. Tu as également publié, en 2019, Pour une écologie numérique aux éditions Les Petits Matins et en coédition avec l’Institut Veblen. On rappelle également que tu as été chef de projet Neutralité carbone 2050 pendant deux ans.
Raphaël, tu es aujourd’hui directeur adjoint Économie circulaire à l’ADEME. Il faut dire que tu es arrivé il y a quelque temps à l’ADEME en tant qu’ingénieur sur la thématique déchets en Alsace, avant de travailler sur l’accompagnement de l’éco-responsabilité des organisations publiques et sur la diffusion d’un programme d’accompagnement des collectivités locales pour l’élaboration de leur plan climat.
Tout est juste ?

Raphaël Guastavi : Bien sûr.

Thibaut le Masne : Super.
Juste pour s’assurer, Éric et Raphaël on se tutoie ?

Éric Vidalenc : Très bien.

Raphaël Guastavi : Ce sera mieux.

Thibaut le Masne : Super.
Commençons notre grand entretien avec la première question clef : comment mesurer ou, dirons-nous, bien mesurer, l’impact du numérique sur l’environnement ?

Voix off : Trench Tech. Esprits Critiques pour Tech Éthique.

Cyrille Chaudoit : Réglons un point tout de suite : oui le numérique a une empreinte carbone importante et elle est en plus en croissance ces dernières années, ce qui a de quoi inquiéter. Cependant, en matière de numérique, c’est toujours très difficile d’obtenir des chiffres fiables. Par exemple vous, à l’ADEME, vous avez très longtemps communiqué sur des chiffres de 4 grammes de CO2 pour un e-mail, un e-mail avec pièce jointe autour de 35 grammes de CO2, etc., chiffres qui se sont amplifiés au fur et à mesure des communications dans les médias, repris même, parfois, par certains ministres et on se rend compte, aujourd’hui, qu’ils avaient été très fortement sur-évalués en lisant vos dernières études.
Finalement qu’en est-il ? Et pourquoi est-ce si difficile d’avoir des chiffres ? Et pourquoi, pendant longtemps, a-t-on eu des chiffres dont on se rend compte aujourd’hui qu’ils sont surévalués ?

Raphaël Guastavi : Effectivement, ces chiffres ont pu être publiés à une époque, ce sont des chiffres qui datent quand même d’études du début de 2010, 2011, sur des données de 2007, donc c'est un peu ancien. On est dans un domaine qui bouge quand même très rapidement aussi bien en termes d’intensité que d’efficacité, c’est donc normal que les chiffres d’il y a plus de 10 ans soient différents de ceux d’aujourd’hui.
D’autre part, on avait fait une étude sur, finalement, un point très précis : les mails. C’est vrai aussi que c’était à l’époque où on avait un peu le début de l’explosion des mails. Aujourd’hui la problématique est différente et on a besoin d’avoir d’autres types de chiffres, ce qu’on a fait notamment au travers des études récentes avec l’Arcep, par exemple, pour donner justement quelle est vraiment l’empreinte carbone du numérique en France et avoir une approche un peu plus macro et, en même temps, se poser des questions en termes de méthode de mesure. C’est ta question : comment, finalement, peut-on avoir aujourd’hui une mesure fiable de ce que peut être l’impact environnemental du numérique ?

Cyrille Chaudoit : Pourquoi est-ce si difficile ?

Raphaël Guastavi : Pourquoi c’est compliqué ? Parce que, par nature, le numérique ça ne veut pas dire grand-chose. En réalité, c'est un ensemble de briques interconnectées qui sont obligées de travailler ensemble. Ces briques sont énormes. On les a décomposées en trois grands sujets : les datacenters, les infrastructures réseaux et les terminaux et tout cela ce n’est pas qu’à une échelle France. La problématique c’est que, finalement, tout est interconnecté et on a vraiment un système, un écosystème très complexe et interdépendant.

Thibaut le Masne : Notamment, on peut peut-être le préciser à ce stade-là, dans la production des terminaux entre autres, mais pas, mais les terminaux ce sont quand même les trucs auxquels on pense directement. D’ailleurs quels sont les ratios en quelque sorte ?

Raphaël Guastavi : Si on prend l’impact changement climatique, mais il n’y a pas que celui-là, je pense qu’on va y venir, 80 % de l’impact changement climatique lié aux services numériques en France, ce sont les terminaux et, à l’intérieur, des terminaux il y a la partie fabrication qui est prépondérante dans l’impact.
La décomposition c'est ça : 80 % d’impact carbone liés aux terminaux, 15 % liés aux centres de données, aux datacenters, et 5 % à la partie réseaux/infrastructures.

Cyrille Chaudoit : C’est impressionnant ; l’impact des terminaux est gigantesque. C’est un thème qu’on avait déjà vu avec Gilles Babinet qui nous donnait d’ailleurs ces chiffres-là, mais quand même il se cache autre chose que le simple fait de ne pas renouveler trop souvent ses smartphones, ne pas multiplier les objets connectés, ne pas avoir des télés de plus en plus grandes, il y a autre chose qui se cache derrière : à chaque fois qu’on fait appel à de plus en plus de services de streaming, ces services dans les datacenters doivent eux-mêmes s’équiper de plus de terminaux. Comment appelle-t-on cela ?

Raphaël Guastavi : On peut appeller ça la course à l’échalote. On multiplie effectivement de par les usages le nombre d’équipements. On ne voit pas un grand nombre de ces équipements en tant que consommateur, tout ce qui va être lié aux serveurs effectivement dans les datacenters.

Cyrille Chaudoit : C’est compté où ? On compte les serveurs de datacenters dans les équipements, dans les 80 %  ?

Raphaël Guastavi : Dans la partie datacenters.

Cyrille Chaudoit : C’est rassurant. Il faut donc vraiment se concentrer sur le renouvellement des smartphones, des télés et compagnie.

Raphaël Guastavi : Pas seulement, on le verra dans la suite du podcast : si on a une augmentation des usages, on a aussi une augmentation des besoins de superficie en datacenters, donc en serveurs dans ces datacenters. À un moment donné, cette proportion 95/5 pourrait changer pour aller vers quelque chose où les datacenters prendraient plus de place.

Thibaut le Masne : On vient d’évoquer le streaming. On a dit des anciennes études qu’elles se basaient sur l’état de l’art du numérique, je dirais, à cette époque, forcément, donc c’était plutôt principalement les mails, j’imagine un petit peu les réseaux sociaux qui étaient émergents, etc. Et puis la vidéo est arrivée en masse. On voit bien à quel point les choses accélèrent très vite. Sur la base du streaming, je voudrais juste vous lire un truc que j’ai lu en préparant cette émission. Tout le monde connaît Usbek & Rica ? C'est un magazine assez connu, plutôt respectable, en tout cas je respecte assez.

Cyrille Chaudoit : Un média très intéressant dont on est assez fan chez Trench Tech.

Thibaut le Masne : Exactement. Je tombe sur cet article-là et je suis surpris, ça commence par une mise à jour, mise à jour de l’article du 9 septembre 2022, je cite : « Faute d’avoir retrouvé une source jugée suffisamment fiable, la philosophe Fanny Verax et la rédaction d’Usbek & Rica ont décidé de supprimer la phrase suivante, initialement publiée dans la première réponse de son interview et qui avait interpellé plusieurs lecteurs : « On estime qu’un aller-retour en avion Paris/New-York c’est une empreinte à peu près équivalente à une heure de streaming vidéo par jour pendant un an. »

Cyrille Chaudoit : Ce chiffre a beaucoup circulé.

Thibaut le Masne : Comme beaucoup d’autres, y compris les mails avec les Lolcat et compagnie.
Ce qui est à souligner, en tout cas que j’ai envie de souligner là : Usbek & Rica font leur job, en bons journalistes ils reviennent sur le truc, tout le monde ne fait le pas, c’est compliqué. On voit surtout la difficulté et la contribution à rendre ce sujet de plus en plus flou, donc, in fine, à prêter le flan au meilleur des cas à la critique, au pire au scepticisme. Comment rectifier ? Comment convaincre, parce que c'est quand même la base pour faire agir le grand public et c’est ce qu’on cherche tous à faire, vous les premiers ?

Raphaël Guastavi : Tout à fait. Là on se butte plutôt sur un problème de méthode et de périmètre dans les méthodes finalement. Quand on publie un chiffre il faut, quelque part, être très transparent sur la façon dont ce chiffre a été construit. Si on a des chiffres qui sont commandés, il faut être vigilant sur qui commande l’étude. Souvent, on peut lire un peu les résultats avant même que l’étude soit faite ! Donc important d’avoir une transparence dans les méthodes et d’avoir pour tout le monde, tous ceux qui vont publier des études, avoir la même base méthodologique sinon ça ne sera pas comparable, justement.

Thibaut le Masne : Est-ce que c’est possible ça ? Là, la source n’est pas citée, en l’occurrence. En creux, et sans en mentionner les noms, j’imagine qu’il y a plein de cabinets d’études marketing qui sont sollicités sur des ??? [12 min 10] représentatifs par un média ou par je ne sais quelle entreprise parce que, derrière, on a déjà en tête la réponse qu’on veut faire dire à l’étude. On est d’accord ? Comment, à ce moment-là harmoniser le périmètre de l’étude et surtout la méthodologie.

Raphaël Guastavi : Déjà, d’une part, il existe des méthodes qui sont normalisées avec des normes ISO notamment sur les ACV, les analyses de cycle de vie, qui permettent de décortiquer l’ensemble du cycle de vie et l’ensemble des paramètres à prendre en compte.

Cyrille Chaudoit : Pardon Raphaël de te couper, les analyses des ACV ça tient compte aussi de toute la fin de vie, de tout recyclage du matériel ? On est vraiment sur tout le cycle de Vie ?

Raphaël Guastavi : Tout à fait. On est vraiment sur toutes les étapes de la conception jusqu’à la fin de vie, avec la part usage, vraiment sur tout le périmètre, tout le système qui est étudié.
C’est ce qu’on a fait dans l’étude avec l’Arcep avec d’abord, dans un premier temps, une première publication pour dire toutes les méthodes qui existaient pour faire l’évaluation environnementale du sujet du numérique. À partir de cette bibliographie, on a fait le choix de prendre une de ces méthodes basée sur l’analyse du cycle de vie, de pouvoir décortiquer chacune de ces briques technologiques sur un ensemble d’impacts environnementaux, pas seulement le carbone, également d’autres problématiques notamment de consommation de ressources.
C’est pour ça qu’il est vraiment très important de pouvoir être transparent sur les méthodes utilisées. Notre rôle va être de continuer à alimenter cette connaissance autour des méthodes pour pouvoir orienter l’utilisation de ce qui nous semblera être la méthode la plus robuste et la plus objective.

Cyrille Chaudoit : J’ai quand même une question qui se soulève par rapport à ces différents chiffres que l’on arrive à avoir, c’est la finalité de ce qu’on cherche à faire. En fait, c’est souvent là où j’ai une petite confusion, j’ai le sentiment que les chiffres qu’on est en train de sortir sont de deux axes : premier axe, c’est potentiellement faire du buzz autour d’un chiffre soit pour taper sur le digital, soit pour faire prendre conscience que le digital est un problème, c’est un point ; soit pour dédouaner d’autres sujets qui sont un peu plus touchy. L’exemple de tout à l’heure sur l’aviation est un exemple en disant, entre guillemets, « je m’en lave les mains parce que moi je suis moins pollueur que le numérique, donc regardez d’abord le numérique ». Au final, on ne sert pas l’idée d’expliquer, comme ce que tu expliques, Raphaël, sur le fait qu’on est là juste pour déterminer le coût de fabrication, du moins d’usage, le cycle de vie complet, derrière sans tirer de conclusions. Le « sans tirer de conclusions » me perturbe parce que aujourd’hui je n’ai pas le sentiment qu’il n’y a pas « sans tirer de conclusions », il y a toujours une finalité recherchée.

Raphaël Guastavi : Pour les pouvoirs publics, la finalité c’est évidemment de voir ce secteur, comme d’autres secteurs, s’améliorer. C’est notre objectif. Je comprends après qu’en fonction des intentions de certains ce sera prendre un bout du chiffre, sans expliquer le contexte et l’intégralité, pour, quelque part, montrer que, finalement, ce n’est pas si grave et qu’il n’y a pas de problème. C’est bien sûr dangereux de faire ce genre d’action, parce que toute activité humaine représente un impact environnemental. Il ne s’agit pas de dire « on arrête de faire du numérique », il s’agit bien de dire « on en fait mieux et on fait en sorte que ce numérique ne devienne pas le problème demain ».

Cyrille Chaudoit : D’accord. Éric.

Éric Vidalenc : Au-delà des aspects méthodos qu’on a bien développés et des difficultés intrinsèques, donner un exemple concret me semble utile aussi pour dire qu’il y a des spécificités et des difficultés propres à évaluer le numérique, l’impact environnemental du numérique.
Concrètement, on est dans des dynamiques de développement qui sont très fortes, ce que Raphaël évoquait, donc, quand on regarde quelque chose, on a toujours un temps de retard. Une autre spécificité importante c’est qu’on est dans des chaînes de production et de consommation très globalisées, avec des métaux qui sont extraits à un endroit, des terminaux qui ont des dizaines de composants techniques différents, qui sont fabriqués à l’autre bout du monde et qui sont utilisés encore dans une autre partie du monde. En gros, les métaux, une partie des matériaux viennent d’Afrique, c’est fabriqué en Asie, c’est utilisé en Europe et c’est conçu en Amérique du Nord, pour le faire de manière un peu caricaturale et triviale.
On voit donc que quand on évalue l’impact environnemental d’un objet ou d’un service numérique, il faut appréhender toute cette complexité et, derrière toutes les zones géographiques que j’évoquais là, à chaque fois vous avez, par exemple, des mix électriques très différents, qui vont avoir un impact d’un ordre de grandeur différent. Par exemple, en France, vous avez un mix électrique qui émet à peu près 60 g de CO2 par kilowatt-heure ; en Asie, on va être plutôt à 600 ou 700. Vous voyez qu’on a déjà un facteur 10. C’est juste pour insister sur le fait que outre l’instrumentalisation qu’il peut y avoir, que tu évoquais, on a aussi des paramètres techniques qui expliquent une pratique importante des écarts qu’on peut avoir dans les évaluations et qui peuvent être de bonne foi, qui sont liés, en fait, à des caractéristiques propres au numérique.

Thibaut le Masne : Tout à fait, tu as raison Éric. Peut-être juste en un mot simplement, sans trop développer, on comprend bien cette logique systémique, est-ce que c’est propre au numérique ? Si on prend le cas de la bagnole, il faut bien produire les voitures, à plus forte raison les voitures électriques avec les batteries dont on sait qu’elles aussi utilisent beaucoup de terres rares. Est-ce que, finalement, on sait mieux mesurer ça pour la voiture qu’il faut produire, ensuite il y a des usages très différents, ensuite il faut la désosser et compagnie, c’est la même chose sur l’analyse du cycle de vie ? Est-ce que c'est plus facile de le faire sur la bagnole ?

Cyrille Chaudoit : Ou sur la mode ?

Éric Vidalenc : Pour la voiture, par exemple, on a l’historicité. Ça fait plusieurs décennies, ça fait un siècle qu’on fabrique des voitures à des échelles industrielles. Quand on fait l’analyse du cycle de vie, le rapport est totalement inverse de celui que Raphaël évoquait tout à l’heure, c’est-à-dire que 80 % de l’impact c'est l’usage, ce n’est pas la fabrication.

Thibaut le Masne : Parce que l’usage du pétrole ?

Éric Vidalenc : C’est le fait de brûler du pétrole pour se déplacer.

Cyrille Chaudoit : Si je peux me permettre, Éric, de te couper sur ce point-là, si c’est plutôt l’usage que la fabrication, pourtant, depuis un siècle, la voiture s’est de plus en plus digitalisée, avec une masse de composants électroniques aussi importante que le téléphone.

Raphaël Guastavi : Ce que dit Éric est valable sur l’ACV des voitures thermiques.

Cyrille Chaudoit : Même les voitures thermiques sont extrêmement connectées.

Raphaël Guastavi : Elles le sont de plus en plus, c’est clair, mais je pense que les voitures de demain, celles électriques qu’évoque Cyrille, ça va être plus des énormes smartphones sur roues. Peut-être, du coup, qu’il va falloir justement préciser la partie ACV de ces chaînes de valeur-là et l’usage ne sera peut-être plus la partie justement la plus impactante sur ces nouveaux véhicules vis-à-vis des véhicules thermiques et la fabrication va reprendre le pas.

Thibaut le Masne : C’est donc plus facile sur la voiture pour les raisons qu’on évoque mais principalement sur le thermique et, sur l’électrique, probablement qu’on ne sait pas encore tout à fait. En tout cas, ça va rejoindre la problématique systémique des smartphones.

Raphaël Guastavi : Notamment sur les questions d’usage, enfin de disponibilité de certaines matières et de métaux qu’on retrouve en quantités bien plus faibles dans nos appareils numériques, mais qui sont à peu près les mêmes.

Cyrille Chaudoit : Éric, tu voulais ajouter quelque chose peut-être ?

Éric Vidalenc : Juste compléter pour la voiture. Outre le fait que l’usage c’est la composante principale de l’impact de la voiture, parce que, en fait, qu’on consomme le pétrole en Amérique du Nord, en Afrique, en Europe ou en Asie, il a le même impact CO2, le contenu carbone du pétrole est le même à plus ou moins 10 %. Pour e contenu carbone de l’électricité, ce que je disais tout à l’heure, on change d’ordre de grandeur. Voilà donc un tas de paramètres techniques, très précis, qui permettent, en fait, d’expliquer des différences importantes qu’on peut observer dans les évaluations environnementales du numérique.

Raphaël Guastavi : Juste pour finir là-dessus et pour illustrer ce que dit Éric, si on lavait faite aux États-Unis l’étude qu’on a faite avec l’Arcep, les pourcentages seraient différents, justement à cause de ce mix électrique sur la partie usage qui serait différent.

Cyrille Chaudoit : Merci Messieurs pour ces premiers éléments.
On refait la tech avec Gérald Holubowicz.

20’ 40

On refait la tech de Gérald Holubowicz

Cyrille Chaudoit : Elon Musk