Pour une écologie décoloniale du numérique - David Maenda Kithoko

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Titre : Pour une écologie décoloniale du numérique

Intervenants : David Maenda Kithoko

Lieu : Lyon - MiXiT

Date : 13 avril 2023

Durée : 23 min 09

Vidéo

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : Déjà prévue

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Bonjour. Merci beaucoup Agnès [Crepet] et merci au MiXiT pour l’invitation. Vous êtes très nombreux et c’est très bien, comme ça le message va directement.
Je vais vous parler de mon pays. Vous m’excuserez si, parfois, je mélange ma propre histoire à des connaissances scientifiques, c’est comme ça que je parle.

La RDC un « scandale géologique »

La RDC est le grand pays qui se trouve au centre de l’Afrique, qui fait quatre fois la France. En 1892 un géologue belge, qui s’appelle Jules Cornet, déclare, pour définir ce pays : « un scandale géologique ».
1892, c’est sept ans après 1885, c’est-à-dire le moment où les empires coloniaux ont décidé de se partager l’Afrique. La première chose que les Belges, qui ont colonisé la RDC et, j’ai envie de dire, les Occidentaux de manière globale ont vidé ce territoire, grand comme quatre fois la France, d’abord de ce qui se trouvait dans son sous-sol et non pas la culture et non pas autre chose. C’est comme si j’étais, je ne sais pas, à New-York et qu’on me dise « la France c’est le lithium qui se trouve en Auvergne », c’est à peu près le même regard et ce regard va tracer la ligne de tout ce que je vais vous expliquer parce que c’est un regard qui va continuer, malheureusement, jusqu’à aujourd’hui.

Il n’y a pas que le sous-sol, on a également d’autres choses, il n’y a pas que les habitants, il y a aussi des non-vivants qui sont là-bas et qui constituent un bien commun pour toute l’humanité, mais qui est mis en danger aujourd’hui par un certain nombre de choses notamment qui est l’extractivisme des minerais au Congo.
La forêt, notamment la forêt tropicale congolaise, qu’on appelle le deuxième poumon de la planète, c’est la deuxième plus grande forêt boisée au monde après l’Amazonie, qui subit actuellement la même chose que l’Amazonie.

Très rapidement dans l’histoire congolaise, pour qu’on essaie de comprendre un peu, ça va être complexe, mais je vais essayer d’aller rapidement parce que je n’ai que 30 minutes.

Je m’excuse déjà auprès de ceux qui connaissent la RDC, qui disent que ces territoires-là existent depuis avant 1885, certes, mais je vais commencer par cette année-là puisque c’est ce qui va nous intéresser aujourd’hui.

1885 on décide de donner ce vaste territoire que je viens de vous décrire à une seule personne, le roi Léopold II, le roi des Belges. On le lui donne et c’est un peu son jardin personnel. À l’époque il y a du caoutchouc qui va servir dans la technologie automobile. On va couper la main des gens, des faibles, des malades, des gens qui n’arrivent pas à récolter le caoutchouc parce que c’était la seule façon de payer les taxes.

Je vais rapidement, en 1960 on obtient l’indépendance. Entre 1885 et avant que Léopold II décide que ce n’est pas rentable et lègue ce pays, qui devient, du coup, une colonie officielle des Belges, 50 % de la population a été tuée. Nous étions 20 millions d’habitants et c’est tombé à 10 millions d’habitants à cause de cette pratique.
1960, on obtient l’indépendance. Le symbole de cette indépendance s’appelle Lumumba qui va être tué même pas un an après qu’il ait été élu de manière démocratique et transparente, la seule fois qu’on va avoir de telles élections. Il va être tué parce qu’il vient déranger les intérêts des multinationales, à l’époque occidentales. Il va être tué même pas un an après qu’il dirige. Désolé encore une fois, je vais décrire sa mort parce que ça va expliquer tout ce que je vais décrire après : il va être découpé en morceaux, jeté dans de l’acide, et la seule chose que l’on garde de lui aujourd’hui c’est une seule dent, que la Belgique a bien voulu rendre pour faire le deuil, il n’y a même pas deux ans.
Il a été tué pour mettre en place un dictateur au pouvoir, qui va régner pendant 32 ans qui s’appelle Mobutu, qui va garantir les intérêts des multinationales, encore une fois occidentales.

Entre-temps il se passe quelque chose, qu’on devrait connaître en France, c’est le génocide rwandais. La France va créer un couloir, un corridor pour, apparemment, des raisons humanitaires, mais qui va laisser passer des génocidaires, qui va mélanger les civils et les génocidaires dont le seul but est de retourner dans leur pays pour encore continuer les massacres qu’ils avaient commencés.
À cette époque-là, au Rwanda, les gens qui ont combattu le génocide vont prendre le pouvoir, vont constater que c’est une menace et vont vouloir s’allier. Sauf qu’envahir un pays comme la RDC, envahir un pays tout court, c’est illégal, alors ils sont s’allier avec des rebelles qui combattaient le dictateur au pouvoir. En s’alliant avec les rebelles, ils vont y arriver. C’est ce qu’on va appeler la première guerre congolaise, en 96/97.

Vous remarquez également que 1997 c’est l’année du boom de l’électronique. À l’époque, dans les marchés mondiaux, les prix du coltan explosent. Donc, les anciens amis vont se rendre compte que non seulement la guerre est payante, mais surtout qu’ils sont assis sur une manne extraordinaire de richesses. Ce qui va faire qu’ils ne vont plus s’entendre et va commencer la deuxième guerre congolaise à partir de 1997 jusqu’à aujourd’hui.

Première guerre de la RDC : guerre pour le pouvoir

Rapidement, pour faire une petite synthèse de cette partie. Première chose qui a déclenché la première guerre congolaise, c’est le génocide rwandais, 32 ans de dictature et l’envie d’un réel changement au Congo. On va dire que première guerre congolaise est une guerre de pouvoir.

La deuxième guerre du Congo : le rôle de l’économie électronique

La deuxième guerre, qui s’enchaîne juste après, c’est ce que j’appelle la guerre économique. Il y a un lien de causalité entre la recherche, l’accès aux richesses minières de ce pays et cette guerre-là. Cette guerre va faire plus de cinq millions de morts entre 1997 et 2003. Et ça se concentre uniquement à la partie est, la partie où se concentrent les minerais. Là on va voir des entreprises, des multinationales qui vont venir signer des accords avec des bandes armées non régulées.

Les conséquences

Les conséquences de cette guerre : six millions de morts. C’est la guerre la plus meurtrière après la deuxième mondiale. En Afrique, on appelle les guerres que je vous ai citées les guerres mondiales africaines ; après tout, les Africains ont droit aussi à leurs guerres. !

Quatre millions d’exilés dont je suis la preuve vivante, le témoignage vivant, si je peux dire, et 48 femmes violées par heure. Je me permets d’insister là-dessus. On peut tous imaginer ce qu’est un viol, comment ça se passe. Oubliez ça ! En RDC, les viols c’est on va brûler du plastique qu’on va injecter dans les parties génitales des femmes et ce n’est pas uniquement de l’appétit sexuel, ce sont des femmes de trois mois à 90 ans qui sont violées, ce sont des verres cassés qu’on introduit pour marquer la peur afin que les populations quittent leur territoire, l’abandonnent aux bandes armées pour qu’elles accèdent aux minerais. Je vous recommande le bouquin sur le docteur Mukwege, prix Nobel de la paix 2018, qui s’appelle L'homme qui répare les femmes qui décrit cela de manière encore plus détaillée. Donc plus de 10 000 femmes violées par jour.

L’autre conséquence. J’aime bien mettre aussi la conséquence environnementale. J’ai entendu récemment sur RMC, par rapport à la crise ukrainienne, que la raison pour laquelle, en Occident, on serait beaucoup plus intéressés par rapport à ce qui se passe Ukraine, c’est parce qu’il y aurait une certaine de loi de proximité : les Ukrainiens auraient les mêmes voitures que les Occidentaux, auraient les mêmes voitures que vous, alors vous seriez beaucoup plus proches.
Si les viols, les six millions de morts, les quatre millions d’exilés ne vous touchent pas, il y a quelque chose que l’on partage en commun, c’est ce que je vous ai décrit au début, c’est cette forêt qui nous protège tous. Cette forêt ce sont dix ans de carbone séquestré. L’extractivisme met en danger cette forêt, ça veut dire que chaque année on perd plus de 500 000 hectares de cette forêt. Ce qui veut dire que si vous ne vous sentez pas suffisamment proches humainement de ce qui se passe, il y a, malheureusement une conséquence qui risque d’être mondiale et, pour le coup, il n’y aura plus de barrière ou de loi de proximité puisque ça nous touchera tous.

J’aime bien, également, mettre cette scène où je suis réfugié en France, c’est une scène que je connais depuis mon enfance : ce sont les gens qui fuient la guerre, qui essaient de se réfugier. Sauf que cette scène n’évoque pas uniquement les gens qui fuient, elle évoque également des gens qui arrivent en masse sur un territoire-là sur lequel il y a avait d’autres personnes. Les conséquences de la guerre c’est qu’elle engendre parfois d’autres conflits. C’est, dans un endroit précis, dans lequel se trouvent d’autres ressources qui, par le fait qu’il y ait beaucoup de gens, va raréfier ces ressources et peut être, malheureusement, une poche d’autres conflits, donc on rentre dans une espèce d’engrenage.

La plupart du temps les gens nous demandent pourquoi est-ce que la RDC n’arrive pas à s’imposer. Ça c’est le cas du le cobalt. Ailleurs, partout dans le monde où ça se trouve, ce sont souvent des pays qui sont stables et qui peuvent imposer des normes. L’autre problématique de ces minerais c’est qu’ils sont inégalement répartis : on a la grosse partie, 63 %, et ailleurs, répartis dans le monde, des pourcentages pour le coup anecdotiques.

11’ 50

Conditions de l’extraction