Keynote de Tariq Krim - Cloture du FIC2023

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Titre : Keynote de Tariq Krim - Clôture du FIC 2023 - Cloud : l'Europe veut-elle faire sa révolution ?

Intervenant·e·s : Tariq Krim - Julia Sieger

Lieu : Lille - Grand Palais - FIC Europe 2023

Date : 7 avril 2023

Durée : 21 min 30

Vidéo

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : À prévoir

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Julia Sieger : Nous allons à présent demander à Tariq Krim de nous rejoindre. Vous le connaissez, c’est un entrepreneur, un serial entrepreneur, je pense qu’on le peut dire, un pionnier du Web français, le PDG de Jolicloud, mais aussi un spécialiste de la géopolitique du numérique. Il va nous parler de l’avènement du Splinternet, du fait que la prochaine grande disruption ne sera pas enclenchée par la technologie elle-même mais peut-être par la géopolitique.
Merci d’accueillir Tariq Krim.

Tariq Krim : Bonjour.
Merci beaucoup. Je suis ravi d’être à nouveau ici au FIC pour vous parler d’un sujet qui me taraude depuis quelques années. Comme vous le savez le monde a changé, le monde a changé au point où il n’est plus possible de comprendre, d’anticiper ce qui va se passer.
Il y a une bonne nouvelle, à mon avis, pas beaucoup de bonnes nouvelles, mais il y en a une qui est assez claire. Je pense qu’on peut comprendre aujourd’hui pourquoi on se bat, on construit.
Quand je vous dirai que, selon Freedom House, 71 % des internautes vivent dans un Internet où il est possible d’être arrêté pour ce que l’on poste en ligne. Ça veut dire que l’Internet ouvert – entre parenthèses, l’Internet ouvert c’est la raison pour laquelle on est tous ici, s’il n’y avait pas d’Internet ouvert, s’il n’y avait que des réseaux fermés, je ne suis pas certain qu’on voyagerait pour parler de la même technologie et du même service –, l’Internet ouvert comme la démocratie, ce sont des choses qu’il faut préserver. Aujourd’hui tout ce qu’on va devoir faire, au-delà du business, au-delà de la politique, au-delà de la culture, c’est préserver ces deux joyaux : la démocratie, évidemment, et l’Internet ouvert.

Je vais démarrer par une petite anecdote, je ne savais pas vraiment ce qu’était le Splinternet, jusqu’à ce que j’aille à Pékin un jour. J’étais avec un ami, on se balade puis on se perd. J’avais un BlackBerry, ça vous donne à peu près l’époque, et je dis « ne t’inquiète pas, je vais regarder. » Je prends mon BlackBerry, j’ouvre Google Maps et voici ce qu’on avait : Is the breackup of the Internet inevitable. C’est la première fois, en fait, que j’ai senti que l’expérience de simplicité du réseau n’étant pas forcément la même partout. Ce qui m’amène à me poser une question essentielle qui est : est-ce que demain on aura un, deux, voire trois internets ? Est-ce que cette idée d’avoir un Internet commun est une idée qui peut, on va dire, survivre ?

Je viens d’un monde qui était une période d’utopie, qui était le Web 2.0, cette époque où on pensait qu’on pouvait tout faire, le Web devient une application, YouTube.
À l’époque j’avais fait deux projets. Le premier c’était Netvibes avec cette idée assez simple : redonner à l’utilisateur le contrôle de son intention. Et puis, plus tard, Jolicloud qui a été redonner à l’utilisateur le contrôle de ses données sur le cloud. Comme vous le savez nous étions un peu en avance sur ce sujet, mais aujourd’hui, évidemment, tout le monde en comprend l’intérêt.

Ce qui m’a gêné en tant qu’entrepreneur au fur et à mesure que j’allais aux États-Unis, que je voyageais un peu partout dans le monde, c’est qu’on était passé d’un Internet où on était actif à ce que j’appelle le passenger seat innovation : les plateformes sont construites, on va bâtir dessus, on ne les remet pas en question.
Mais on sait l’histoire de l’Europe et que la contribution de l’Europe à ce qu’est devenu l’Internet a été essentielle : Linux, le Web, le MP3, le Mpeg, la voix sur IP, IRC, MySQL, Python, la liste est évidemment extrêmement longue. Et une question me taraude à chaque fois : pourquoi, dans un continent qui a été extrêmement productif, avec des ingénieurs d’une qualité absolument essentielle, on est tous d’accord, on voudrait se cantonner à cette innovation du siège passager ?

Un évènement a fondamentalement changé, hélas, ma perception des choses, ce sont évidemment les attentats du 13 novembre ; étant en retard à rendez-vous, c’est la seule raison pour laquelle je suis encore ici avec vous. Ce qui m’a vraiment choqué c’est que les réseaux sociaux, l’Internet – finalement la chose que j’aimais le plus au monde – étaient devenus le catalyseur de la haine, de la folie, ce que j’appelle parfois la radicalisation algorithmique.
Je me suis intéressé à cette idée pour comprendre, avec notamment l’idée d’un slow web, comment on pouvait construire un web qui, au lieu d’exciter, de rendre fou, puisse apaiser.

Aujourd’hui on a beaucoup parlé de Web 3 et là, ce que je vais faire, c’est plutôt vous parler des trois web, parce que, effectivement, l’Internet est en train de changer.

Le Splinternet est un terme qui a été utilisé par un think tank américain qui s’appelle The Cato Institute, ça date de 2001. Vous allez vite comprendre comment les choses se sont finalement faites. On va faire une brève histoire de l’Internet vu par cet angle.

1994, la Chine, enfin, se connecte à l’Internet. Il aura fallu trois ans pour qu’ils mettent en place ce qu’on appelle The Great Firewall China. On avait dit que l’Internet est un système ouvert qui allait apporter les valeurs de la démocratie, ce sont souvent plutôt les valeurs du libertarianisme américain, Information wants to be free, Stewart Brand, qui a été pendant longtemps un peu la doxa de l’Internet, évidemment ce n’est pas très compatible avec la vision locale. Très rapidement la Chine, avec une politique qu’on a appelée le ??? [24 min 30], qui est un peu différente de la souveraineté numérique, a commencé à comprendre que non seulement il fallait bloquer Internet mais qu’il fallait également bloquer les applications qui venaient dessus. Finalement on a dit aussi « il y a des applications, notamment l’iPhone, qu’on ne peut pas vraiment bloquer, Android également, par contre on va créer des règles nouvelles », évidemment des règles qu’Apple, c’est un de ses plus gros marchés, mais également Google et tous les acteurs, les peu d’acteurs qui sont sur place, ont acceptées.

Ce qui est intéressant c’est qu’Internet a commencé à fragmenter le monde mais a aussi commencé à fragmenter les pays de l’intérieur. C’est ce que j’appelle, c’est un terme inventé, le Splinternet. D’une certaine manière, nous sommes désormais dans un monde où la stack technologique de base s’est radicalisée. Je vais donner un exemple très simple : le Parti républicain, aux États-Unis, attaque Google parce que les e-mails qui sont envoyés par les politiques sont mis dans une section spéciale. En fait, ce sont souvent des e-mails non désirés et on les met dans une catégorie spéciale qui ne les rend pas immédiatement visibles. Donc, de facto, un outil qui semblait neutre comme l’e-mail devient maintenant un enjeu puisque, sur ces bases, les lois sur la privacy et les lois sur la modération aux États.-Unis sont en train d’être discutées dans les deux chambres.

Pour moi le point le plus essentiel, le point qui permet de comprendre pourquoi on en est arrivé là, je vais prendre quelques minutes pour l’expliquer. La formalisation du Web moderne arrive avec l’iMac et la fameuse présentation de Steve Jobs, l’ordinateur est le centre. Vous aviez votre baladeur MP3, votre musique, votre vie numérique qui existait avant avec des CD, avec des livres, avec des choses comme ça, maintenant ça devient des MP3, des Mpeg, des photos numériques, des e-books, des PDF, vous connaissez tout ça par cœur. J’appelle souvent ça l’Internet analogique, parce que c’est un Internet qui a finalement répliqué la façon dont on utilisait les technologies avant, elles ont juste été numérisées. Donc, d’une certaine manière l’Internet a toujours été séparé en trois zones assez claires : l’espace public, l’espace commercial et ce que j’appelle l’espace personnel et, à l’intérieur de cet espace personnel, notre intimité. Qu’est-ce qu’a fait le cloud ? Dès qu’on a eu des téléphones on a envoyé toutes nos photos, toute notre intimité est devenue computationnelle, est entrée dans un système extérieur. Qui l’organise ?, souvent sans qu’on en comprenne vraiment les enjeux.

27’28

Qu’est-ce qui s’est passé avec les réseaux sociaux ?