Émission Libre à vous ! du 21 mars 2023

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Titre : Émission Libre à vous ! du 21 mars 2023

Intervenant·e·s : Gee - Chiara Pignatelli - Olivier Petitjean - Jean-Christophe becquet - Étienne Gonnu - Isabella Vanni à la régie

Lieu : Radio Cause Commune

Date : 21 mars 2023

Durée : 1 h 30 min

Podcast PROVISOIRE

Page des références de l'émission

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : Déjà prévue

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.


Transcription

Voix off : Libre à vous ! l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Étienne Gonnu : Bonjour à toutes, bonjour à tous.
Saviez-vous qu’entre 2017 et 2021, les GAFAM avaient multiplié par trois leurs dépenses dédiées aux activités de lobbying en France, pour atteindre plus de quatre millions d’euros ? Eh bien jusqu’à décembre dernier et la publication de l’excellent et éclairant rapport GAFAM Nation de l’Observatoire des multinationales, moi non plus ! J’aurai le plaisir de recevoir les journalistes qui l’ont rédigé pour discuter de la toile d’influence des géants du Web en France. Également au programme, une nouvelle humeur de Gee qui se pose une question existentielle : GNU/Linux, c’est trop compliqué ? Et, en fin d’émission, une nouvelle « Pépite libre » de Jean-Christophe Becquet, « Voilà le printemps, libérons nos outils de plaidoyer ».

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques proposées par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Je suis Étienne Gonnu, chargé de mission affaires publiques pour l’April.

Le site web de l’émission est libreavous.org. Vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour, avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours ou à nous poser toute question.

Nous sommes mardi 21 mars 2023. Nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

À la réalisation de l’émission du jour, ma collègue Isabella. Salut Isa !

Isabella Vanni : Salut, bonne émission.

Étienne Gonnu : Nous vous souhaitons une excellente écoute.

[Jingle]

Chronique « Les humeurs de Gee » intitulée « GNU/Linux, c’est trop compliqué ? »

Étienne Gonnu : Gee, auteur du blog-BD Grise Bouille, vous expose son humeur du jour, des frasques des GAFAM aux modes numériques, en passant par les dernières lubies anti-Internet de notre classe politique, il partage ce qui l’énerve, l’interroge, le surprend ou l’enthousiasme, toujours avec humour. L’occasion peut-être, derrière les boutades, de faire un peu d’éducation populaire au numérique. Salut Gee. Si j’ai bien compris, tu te poses des questions assez existentielles, aujourd’hui, notamment de savoir si GNU/Linux serait trop compliqué.

Gee : Effectivement. Salut Étienne et salut à toi, public de Libre à vous ! Aujourd’hui, effectivement, j’ai décidé de m’attaquer à un cliché qui a la peau dure : GNU/Linux, c’est compliqué, et le logiciel libre, en général, c’est réservé aux experts et aux gens qui maîtrisent l’informatique. Alors, dans un souci de précision, je ne vais pas dire Linux tout court, car Linux n’est pas le nom du système d’exploitation, mais seulement du noyau du système. Mais comme GNU/Linux, le vrai nom, c’est un peu trop long, je vais, pour cette chronique, l’appeler Gninux. Je trouve que c’est plus court et c’est aussi plus mignon, ce qui ne gâche rien. Gninux donc, serait trop compliqué pour le commun des mortels, en tout cas plus compliqué que ses concurrents, les mastodontes Windows de Microsoft et MacOS d’Apple. Pareil, par extension pour l’ensemble des logiciels libres, de Firefox à VLC, en passant par Gimp ou Libre Office.

Bon, reconnaissons tout d’abord qu’il y a une part de vérité dans tout cela qui est de moins en moins importante : même installer un Gninux sur un ordinateur, de nos jours, ça se fait quand même relativement les doigts dans le pif. Alors, je sais, ça resterait complètement hors de portée pour Monsieur et Madame Tout le monde, mais en même temps, je doute qu’installer un Windows leur soit plus plus accessible. Ce qui est simple avec Windows, c’est que c’est directement installé sur les PC vendus. La vente liée - ce qu’on appelle le racketiciel par chez nous - c’est dégueulasse, mais faut reconnaître que c’est pratique. Bon, c’est aussi très pratique pour les profits de Microsoft, Apple ou même Google. Mais passons.

En ce qui concerne la prétendue plus grande difficulté des logiciels libres, elle est souvent due à une qualité de design et d’interface utilisateur moindre. Oui, les logiciels libres sont souvent visuellement moins jolis que leurs équivalents propriétaires, et leurs interfaces graphiques ne sont pas toujours évidentes à prendre en main. Même si, encore une fois, ça va plutôt de mieux en mieux et ça reste une grosse généralité. Des logiciels libres comme ??? [5:18] pour la musique assistée par ordinateur, ou Inkscape pour le dessin vectoriel, ont des interfaces à la fois jolies et pratiques. Mais c’est vrai, reconnaissons que ces faiblesses dans les interfaces et le design existent. Elles s’expliquent entre autres par le fait que pas mal de logiciels libres sont gérés par des bénévoles et qu’il est toujours plus simple de dégager du temps bénévolat quand tu es ingénieur avec un gros salaire que quand tu es graphiste freelance en galère. De fait, les logiciels libres sont souvent fait exclusivement par des gens qui développent et écrivent du code et qui assurent donc les parties de design et d’interface utilisateur sans avoir de qualification sur ces sujets. Oui, de fait, on fait ce qu’on peut.

Ceci étant dit, je trouve qu’on a tendance à surestimer la simplicité des logiciels propriétaires. Je dirais même que, dans pas mal de cas, les logiciels libres sont beaucoup plus simples et beaucoup mieux foutus. Un exemple: personnellement, je suis passée à Gninux en 2007, en remplaçant mon Windows XP de l’époque par un Ubuntu 7.4. Une des choses qui m’ont frappé à l’époque, c’était la façon dont était géré le menu pour lancer des logiciels, l’équivalent du menu Démarrer des Windows de l’époque. Vous voyez sur Windows XP quand vous installez un logiciel et que vous voulez ensuite le lancer, il fallait cliquer sur « Démarrer », puis « Application », OK, puis trouver le dossier avec le nom de l’éditeur du logiciel, par exemple Adobe pour Photoshop, puis enfin le nom du logiciel. Alors que sur Ubuntu, quand j’ai installé Gimp, l’équivalent libre de Adobe Photoshop, pour le trouver dans le menu, je devais cliquer sur « Logiciel », « Graphisme » et « Gimp », bien sûr. C’est dingue ! Et attendez : quand j’installe un logiciel de bureautique, pareil : je le trouve dans « Logiciel » « Bureautique ». Ceci est une révolution. Oui, mais c’est un exemple typique de comment une différence de philosophie fondamentale peut changer quelque chose qui a l’air trivial et qui pourtant rend un système plus ou moins complexe. Sur Windows, l’important, c’est que l’éditeur du logiciel puisse afficher sa marque. Sur Gninux, l’important, c’est que vous retrouviez facilement votre logiciel.

La réalité, c’est que les Windows et compagnie ont des parts immenses de complexité que les gens ont tout simplement intégrées et que les GAFAM font passer pour normales et acceptables.

Autre exemple : les grosses plateformes en ligne comme YouTube ou FaceBook sont blindées de pubs. C’est chiant, ça perturbe la lecture, mais tout le monde trouve ça normal parce que, bah, faut bien financer les plateformes. Alors, même si ça complexifie l’expérience utilisateur, ben ça va. Alors que sur PeerTube ou Mastodon, d’accord, y a pas de pubs, mais oh la la, il y a plusieurs domaines différents, il n’y a pas qu’un seul site, c’est compliqué.

Tiens une petite anecdote. Il y a quelques années, je m’étais mis en tête de faire du dessin en direct, en streaming. À l’époque, il n’y avait pas d’alternative libre, alors j’avais jeté un œil à Twitch. Mais quelle horreur ! L’interface côté vidéaste, c’est un arbre de Noël, ya des boutons, partout ça clignote. T’as des trucs pour la monétisation, pour gérer la communauté, pour les abonnements, pour les... Mais je veux juste lancer une vidéo en direct. C’est quoi ce boxon ? il est où, le bon bouton ? Bon, en vrai, ça m’a tellement gonflé que j’ai laissé tomber. Et quelques mois plus tard est sorti une mise à jour de PeerTube, le logiciel d’hébergement de vidéos libres et décentralisées, grâce à laquelle la diffusion en direct était devenud possible. Chouette ! Alors là, je tente : c’est le jour et la nuit. Il y a UN bouton « Lancer une vidéo en direct » : PeerTube me file une adresse et une clé à copier dans le logiciel de streaming. Tu copies, tu lances, ça marche. Le bonheur.

Et après, on va me dire que le logiciel libre est plus compliqué que le logiciel propriétaire ? Alors peut-être que les logiciels libres sont parfois moins jolis et un peu moins intuitifs, mais au moins ils ne te font pas chier. Ils ne se mettent pas constamment en travers de ton chemin. Quand tu veux faire un truc simple, t’as une interface simple. Le truc, c’est que la complexité imposée par les logiciels propriétaires pour des raisons de rentabilité ou de contrôle est devenue tellement naturelle qu’elle en devient invisible. Ça n’est que quand on en est sorti, en passant par exemple sur un système Gninux, qu’on se rend compte des trucs insupportables qu’on a accepté sans broncher avant. Et qu’on se rend compte aussi de tous les domaines où le propriétaire fait moins bien ou est complètement à la bourre par rapport aux logiciels libres.

Par exemple, moi ça m’avait fait doucement marrer quand Spotify avait annoncé avec une fierté non dissimulée qu’il était désormais possible d’afficher les paroles pendant qu’une chanson passait. Ouaouh ! Encore une fois, quelle révolution ! Moi ça m’avait bien fait marrer, parce que sur les lecteurs audio libres, sur Gninux, ça devait faire à peu près 10 ans qu’on avait des plugins pour afficher les paroles. Mais bon, ce n’est pas une fonctionnalité qui impliquait des accords bien juteux avec les Majors ou qui permettait de faire de la pub pour vendre des abonnements. Donc pfuut, c’était pas une innovation. Voilà : l’innovation, c’est quand il y a du pognon, sinon c’est juste des lubies de gauchistes.

Et moi quand même, je trouve qu’on n’est pas mal sur nos outils libres, un peu moches parfois, un peu rugueux, mais dans lesquels on se sent bien. Un peu comme dans un café associatif : les tables, c’est de la récup, les boissons sont servies dans des ecocups un peu moches, le local ressemble plus à un hangar qu’à un salon de thé. Mais les gens sont cools, on discute, on rigole, puis c’est des produits locaux, c’est pas cher, voire à prix libre. Alors que dans le bar lounge branché d’after work de Microsoft et Apple, d’accord, c’est joli et raffiné, mais alors vas-y comment on te prend de haut : tenue correcte exigée, oh hé, lui, il a pas de chemise, et vas-y comment tu payes ton cocktail 15 balles pour te faire encaisser directement par un serveur sous-payé et hautain, et qui ne te fait pas suffisamment confiance pour te garder une ardoise plus de vingt secondes.

Je ne peux donc que vous conseiller de passer outre d’éventuelles mauvaises premières impressions sur les logiciels libres. Ayez de l’indulgence encore une fois, des fois, on fait ce qu’on peut. Persévérez un peu et vous verrez que Gninux et les logiciels libres, en vrai, ça vous complique vachement moins la vie que les logiciels propriétaires. Allez, salut.

Étienne Gonnu : Merci, Gee, beau plaidoyer pour le Libre. Et puis, à t’écouter, on dirait vraiment que les logiciels privateurs ne sont pas d’abord fait pour être au service des utilisateurs-utilisatrices, mais pour répondre à d’autres intérêts.

Gee : C’est dingue, hein ?

Étienne Gonnu : C’est dingue. Merci beaucoup en tout cas, Gee, puis je te dis au mois prochain pour une nouvelle humeur.

Gee : Ouais, merci, au mois prochain.

Étienne Gonnu : Super. Nous allons faire une pause musicale.

[Virgule musicale]

Étienne Gonnu : Voilà. Donc, après la pause musicale, nous parlerons des pratiques de lobbying des GAFAM en France. Avant ça, nous allons écouter ??? par ??? [11:30]. on se retrouve dans trois minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Nous venons d’écouter ??? par ???, disponible sous licence libre Creative Commons Prtage dans les mêmes conditions, CC BY SA.

[Jingle]

Échange avec l’auteur et l’autrice de l’excellent rapport GAFAM Nation qui nous éclaire sur les pratiques de lobbying des GAFAM en France

Étienne Gonnu : GAFAM Nation. La toile d’influence des géants du web en France.
Mardi 13 décembre 2022, l’Observatoire des multinationales a publié un rapport très complet sur les pratiques de lobbying en France des GAFAM – Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft –, un document éclairant et particulièrement utile tant il y a peu de données disponibles sur ces pratiques au niveau français. L’April avait d’ailleurs publié un communiqué que vous pourrez retrouver sur la page des références de l’émission.
J’ai le grand plaisir de recevoir aujourd’hui, en studio, les deux journalistes qui ont rédigé ce rapport, Chiara Pignatelli et Olivier Petitjean, pour nous parler de cet important travail. J’ai d’autant plus de plaisir à les recevoir, que nous avons dû reporter plusieurs fois la réalisation de cette émission, notamment du fait de l’important mouvement social en cours.
Comme d’habitude, n’hésitez pas à participer à notre conversation au 09 72 51 55 46 ou sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat ».
Chiara, Olivier, Bonjour

Olivier Petitjean : Bonjour.

Chiara Pignatelli : Bonjour.

Étienne Gonnu : Merci d’être avec nous en studio. Je vous propose de commencer de manière très traditionnelle : est-ce que vous pourriez vous présenter s’il vous plaît ? Olivier.

Olivier Petitjean : Bonjour. Je m’appelle Olivier Petitjean. J’ai eu l’honneur, avec un collègue journaliste qui s’appelle Ivan du Roy, de créer l’Observatoire des multinationales il y a bientôt dix ans. On reviendra un peu sur le projet. Avec Chiara, nous avons travaillé, à l’automne dernier [2022], sur ce rapport qui visait à mettre en lumière, comprendre comment fonctionne l’influence des Big Tech et des GAFAM, il y a une petite nuance, une petite subtilité de terminologie sur laquelle on revient dans le rapport. On montre en quoi le terme GAFAM, en fait, est pertinent pour cibler ces grandes entreprises en particulier.

Étienne Gonnu : On va y revenir dans notre échange, je pense que la question est intéressante. Chiara.

Chiara Pignatelli : Je m’appelle Chiara Pignatelli, je suis membre de l’Observatoire des multinationales et corédactrice du rapport sur les GAFAM.

Étienne Gonnu : Super. Il serait intéressant de savoir aussi ce qui se cache - rien ne se cache ! - mais ce qu’est l’Observatoire des multinationales. C’est un média ? Un consortium ?

Olivier Petitjean : À la base c’est un projet journalistique. J’ai dit que ça a été incubé et créé dans le cadre d’un média engagé qui s’appelle Basta !, basta.media que vous connaissez peut-être, qui existe encore aujourd’hui, qui s’est créé pour suivre l’actualité sociale et écologique. Très tôt, il y a presque dix ans comme je disais, comme sur ces sujets sociaux-écologiques on avait beaucoup affaire à des grandes entreprises, à leur influence, et qu’une des spécificités de Basta ! c’est aussi de travailler sur les questions internationales, les impacts des grands groupes français à l’étranger aussi, etc., on s’est dit qu’il y avait besoin de monter en compétences sur ces questions, les multinationales, comprendre comment elles fonctionnement et avoir une vraie expertise qui n’existait pas vraiment, notamment dans le milieu journalistique. À la base du projet c’était ça.
Ça a ensuite évolué, on a été amenés, petit à petit, à s‘autonomiser de Basta !, à créer une structure qui a aujourd’hui une double facette : il y a toujours une facette journaliste, on est un média d’investigation sur les grandes entreprises notamment françaises, mais pas seulement, aussi les grandes entreprises étrangères en France, en l’occurrence les GAFAM. D’autre part, on n’est pas vraiment une organisation militante, mais, disons, l’équivalent d’un think tank au sens où on essaie de travailler avec des acteurs engagés de la société pour réfléchir à des propositions, pour montrer qu’il y a des alternatives et, là encore, on est vraiment dans le cœur du sujet avec les GAFAM ; pour montrer que les trajectoires des politiques telles qu’elles sont composées, disons dans une alliance étroite entre le gouvernement et les grandes entreprises, ça peut être, dans certains cas, l’État et Renault, l’État et Total, etc. On montre dans ce rapport, on va y revenir, que c’est un peu la même chose, malgré tout ce qu’on entend sur la souveraineté numérique, les startups : en fait ce sont des politiques qui sont conçues dans le cadre de cette alliance non dite mais très forte, entre le gouvernement français - et pas seulement français - et ce milieu des grandes entreprises.

Étienne Gonnu : Je vais en profiter pour saluer Basta !, je ne savais pas qu’il y avait ce rapport avec Basta !. Je trouve que c’est vraiment un excellent média ; je vous recommande notamment le site portail.basta.media, qui est, pour moi, un très bon outil de veille, qui recense différents médias sur différents sujets, économiques, environnementaux. Je partagerai le lien que je recommande.
Merci pour cette présentation très claire. Chiara m’avait interviewé dans le cadre de ce rapport, d’ailleurs on va revenir sur la façon dont vous avez travaillé. Là où j’ai eu un grand plaisir en tant que salarié de l’April, c’est que vous m’avez proposé, pour mener cette interview, d’utiliser un BigBlueButton, qui est un logiciel libre de vidéoconférence, ce qui n’est pas forcément le cas. La plupart du temps, c’est plutôt sur des outils privateurs. J’ai été très heureux de voir ce choix. Du coup, ça m’amène la question : quel est votre rapport, déjà individuellement, à ces questions ? Est-ce que vous utilisez du logiciel libre ? Et dans le cas plus spécifique de l’Observatoire des multinationales, est-ce qu’il y a tout de suite eu cette volonté de recourir à des logiciels libres ? Est-ce que c’était par opportunité ? Par conviction ?

Chiara Pignatelli : À titre personnel, au fur et à mesure que je m’intéressais aux GAFAM, je me suis intéressée plus globalement aux libertés informatiques, au monde du logiciel libre, etc., que je ne connaissais pas du tout. Je me suis aperçue qu’il y avait des enjeux super intéressants autour de la neutralité du Net, du partage des connaissances, etc. J’essaye donc d’utiliser de plus en plus de logiciels libres comme WeKan, par exemple.

Étienne Gonnu : Je ne sais pas ce qu’est Wekan comme logiciel.

Chiara Pignatelli : C’est un logiciel de gestion de projet, un peu comme Trello, mais c’est la version libre.

Étienne Gonnu : D’accord.

Olivier Petitjean : Plus globalement au niveau Observatoire, c’est clair que de par notre sujet de travail, les multinationales, on ne peut qu’être sensibilisés à cette question. Par cohérence, même si on est loin d’être parfaits sur ce point, on essaie d’utiliser des outils libres.
Plusieurs enjeux sont clairs : un enjeu auquel on est sensibles, qui est évidemment la question de la surveillance, du contrôle des données, etc. Mais surtout, et c’est sur ça que je voudrais insister, j’en ai déjà un peu parlé : quand on travaille sur les multinationales, on se rend compte qu’un des ressorts de leur pouvoir et de leur influence, et on est ??? dessus [21 min 30], c’est de nous rendre dépendants et de rendre les politiques dépendants, de nous mettre dans des situations où on n’a plus le contrôle, disons de nous enfermer dans certaines trajectoires. Au-delà des questions de surveillance, qui sont un peu secondaires malgré tout, il y a cette question essentielle qui est de garder le contrôle sur ce qu’on fait, donc sur nos outils.
Il y a aussi cette sensibilité et, pareil, ça s’applique au secteur numérique, aux GAFAM, de toujours maintenir les alternatives vivantes, la diversité, y compris avec des formes non lucratives, c’est important, et c’est une des manières de résister à l’emprise des multinationales, toujours maintenir des alternatives. Aujourd’hui oui, il est possible de faire avec les multinationales, mais c’est aussi possible de faire autrement via le secteur public, via le secteur non lucratif, via les petites entreprises. C’est vrai en matière de tout, de service public de l’eau, oui, il y a des multinationales c’est bien, mais c’est sans doute mieux qu’il y ait des services publics ; c’est vrai en matière d’alimentation, oui il y a Carrefour, il y a Danone, mais on peut aussi avoir des circuits plus courts. Pour nous, c’est exactement la même chose pour le numérique : oui, OK, il y a des outils super impressionnants et super utiles de Google et autres, mais c’est important, par principe, même si des fois ça implique des chemins un peu plus difficiles, comme ça a été dit dans la chronique précédente – on se rend souvent compte que les outils des GAFAM ont plein de fonctionnalités dont on n’a pas l’usage et qui ne servent qu’à monétiser un peu ça – d’essayer autant que possible d’utiliser des logiciels et des outils libres.

Chiara Pignatelli : Même si c’est parfois difficile de les éviter tant ils se montrent comme indispensables, comme on l’explique dans ce rapport.

Étienne Gonnu : Tout à fait. Je pense que ça sera une question sur laquelle il faudra qu’on revienne un peu, cette colonisation de nos imaginaires. Et c’est parfois difficile, déjà culturellement, de s’en extraire et après, effectivement, des usages ont été développés par ces grandes entreprises et c’est difficile de les contourner, de prendre des chemins de traverse, d’où l’importance de développer aussi des contre-pouvoirs technologiques.

J’aurais une dernière question avant qu’on se penche sur le rapport en lui-même et c’est une question qui me parait importante dans cette période où on semble avoir, comment dire, un rapport de plus en plus flexible, y compris de la part de certains de nos représentants politiques, à ce qui serait le réel, un petit peu : c’est l‘importance, me semble-t-il, du travail des journalistes. Du coup quel est, pour vous, le travail des journalistes ? Quelle est l’importance du journalisme dans une démocratie ? Vaste question, je sais que ce n’est pas forcément évident, mais je voulais avoir votre lecture parce qu’on n’a pas si souvent l’occasion d’échanger.

Olivier Petitjean : C’est effectivement une vaste question. Je pense qu’un des rôles, en tout cas essentiel, du journalisme et une des manières dont il est un peu consubstantiel à l’idée même de démocratie au sens moderne du terme, où il n’y a pas des grandes agoras comme à l’époque d’Athènes où on pouvait se parler, où tout le monde se connaissait, etc., c’est à la fois, d’un côté, de tenir les puissants, les pouvoirs en place pour responsables de leurs actes, donc une mission de veille citoyenne, les forcer à rendre des comptes. Le journalisme s’est clairement constitué avec l’idée de forcer les politiques, donc cibler le pouvoir politique, dès le 19e siècle, les forcer à rendre des comptes, ce qu’ils faisaient, ce qu’ils disaient, quelles étaient les conséquences, éventuellement les affaires de corruption. Notre argument c’est que, du coup, le journalisme est resté très focalisé sur le pouvoir politique. Mais il a besoin de faire un travail similaire sur ce qu’on appelle les pouvoirs économiques, qui ne sont pas des pouvoirs officiels mais qui sont quand même clairement des pouvoirs. C’est un peu notre idée, c’est pour ça qu’on reste des journalistes, même si nous sommes des journalistes engagés. En un sens tout journalisme, quand il est voué à pousser les puissants, les pouvoirs en place à rendre des comptes, est toujours une forme de journalisme engagé, même si, sur le pouvoir politique, il est beaucoup plus accepté : ça ne choque personne que des journalistes disent « oui, vous avez dit ça, mais c’est ça que vous faites » à un politique, ou remettre en question ce qu’un politique dit, alors que, dans la sphère médiatique telle qu’elle existe, ça reste un peu choquant d’interpeller de la même manière un PDG ou un responsable économique.
C’est le premier versant. On est donc engagés, mais on utilise les outils, les codes et les règles déontologiques du journalisme et c’est vraiment important, ça touche à votre question. Pour tout ce qu’on fait, on essaye, autant que possible, en utilisant la méthodologie journalistique, que ce soit basé sur des faits. On dit « voilà ce que les faits disent » : faire la différence entre ce qui est fait, ce qui est supposition, ce qui est juste témoignage de sources de l’ordre du on dit, etc., qui est juste une indication. Ce sont des règles qui, effectivement dans le contexte actuel, sont plus que jamais importantes à maintenir. C’est vrai qu’on est de plus en plus confrontés, quand on sort des chiffres qui sont pourtant souvent basés sur des données publiées par les entreprises ou le gouvernement, à des agents politiques qui disent « non, ce n’est pas vrai », qui balayent ça d’un coup, et face à ça on est effectivement un peu désemparés.

Étienne Gonnu : On n’est pas toujours à armes égales non plus, d’où l’importance.

Chiara Pignatelli : Je pense que le travail du journaliste, c’est aussi la volonté d’informer, dans le cas du pouvoir économique : d’informer les pouvoirs publics mais aussi la société civile et montrer au pouvoir économique que des gens s’intéressent à leurs pratiques et veulent les rendre publiques.

Étienne Gonnu : Vous donnez une bonne illustration de ce qu’on appellerait un petit peu le quatrième pouvoir. Dans une démocratie les pouvoirs sont un peu déséquilibrés et avoir ce pouvoir-là paraît effectivement indispensable.

Merci beaucoup, ça m’a paru très clair. Je vous propose de plonger dans le vif du sujet. Vous avez rédigé un rapport qui s’intéresse aux pratiques de lobbying des GAFAM en France. Vous avez commencé à nous expliquer pourquoi, finalement, ce sujet, mais on peut peut-être revenir sur la genèse de cette démarche : savoir si c’était d’abord parce que vous vouliez vous intéresser aux GAFAM, ou si c’était pour mieux comprendre les pratiques de lobbying en général. On peut commencer par cette question. Quel était votre premier prisme, la genèse de ce projet ?

Olivier Petitjean : C’est un projet qui est au croisement de plusieurs projets auxquelles on faisait de plus en plus attention depuis un certain temps.
La première chose qu’il faut dire c’est qu’on s’est inspiré, dans ce travail, du travail qu’avaient faits d’autres ONG au niveau européen, notamment une ONG qui s’appelle Corporate Europe Observatory avec laquelle on travaille beaucoup, qui est vraiment la référence sur les questions de suivi du lobbying au niveau européen. Et une autre ONG qui s’appelle Lobbycontrol, qui est en Allemagne, qui fait un travail intéressant sur les Big Tech. Eux ont commencé à se saisir du sujet depuis quelques années.

Une des bases factuelles de notre travail, c'est de regarder ce qu’il y a dans les registres de transparence du lobbying où les acteurs comme les GAFAM sont obligés, par la loi, de publier certaines informations. Ils ont constaté qu’au niveau européen, en quelques années seulement, les GAFAM sont devenus les plus importants lobbyistes de la place de Bruxelles. En 2015, en gros, on était encore dans la phase « Google, Facebook sont tous des gentils, ils vont sauver le monde, ils ne sont pas méchants, etc. », et, tout à coup, les gens ont commencé à ouvrir les yeux un peu plus, il y a eu des scandales, le Brexit, Trump, Cambridge Analytica, beaucoup de choses, les contestations d’Amazon, enfin voilà ! Tout à coup on a vu leurs dépenses de lobbying monter en flèche. En 2015, les premiers lobbyistes à Bruxelles c’étaient les compagnies pétrolières, les géants de l’automobile ; aujourd’hui les premiers sont, de loin, les GAFAM et Huawei. Évidemment les pétroliers et les automobiles sont encore très haut. Ils ont montré cela dans un rapport qui est sorti il y a deux ans, je pense.

Étienne Gonnu : 2021, d’ailleurs, j’ai déjà mis ce lien vers ce rapport, qui est rédigé en anglais, qui est très instructif sur le niveau européen.

Olivier Petitjean : Ils ont documenté ça et une des premières impulsions a été de regarder ce qui se passe en France et si on observait la même montée en force, disons, des GAFAM, du versant politique du lobbying en France.

Je pense qu’une deuxième motivation c’est le scandale des Uber Files qui est survenu en juillet dernier. Pour rappel, un ex-lobbyiste d’Uber au niveau européen et français, a sorti toute une série de documents sur leur campagne pour pénétrer les marchés européens, et comment ils ont ciblé, en particulier, les hauts dirigeants, dont Emmanuel Macron à l’époque où il était ministre de l’Économie, et une commissaire européenne qui s’appelle Neelie Kroes. C’est vraiment sur la période 2015/2016 où il y avait eu une première vague de contestations et comment ils ont pu financer des études, souvent d’économistes indépendants, pour dire qu’Uber va créer plein d’emplois. À l’époque ça a créé un scandale qui est un peu retombé, même une commission d’enquête est en train de se mettre en place, à l’Assemblée nationale, sur ce sujet. Uber était le méchant. Uber est un cas un peu particulier, ce n’est pas un GAFAM, on l’explique dans le rapport, mais il s’appuie sur l’infrastructure des GAFAM et il partage beaucoup de points communs idéologiques des GAFAM, y compris cette manière d’imposer leur présence sans se faire voir, de mettre le pied dans la porte et mettre tout le monde devant le fait accompli. C’était le méchant et tout le monde disait « regardez le méchant Uber avec ses stratégies un peu pourries, de contacter les hauts dirigeants, de payer des études, etc. ». Une des choses qu’on voulait montrer, c’est que, même si c’était un peu moins agressif, en fait les GAFAM faisaient exactement la même chose, ça faisait partie de la panoplie de la stratégie des multinationales, notamment les Big Tech.
Pardon, je suis un peu long et je monopolise la parole.

Dernier point. Quand on travaille sur les multinationales, de fait on travaille sur le lobbying des multinationales parce que leur pouvoir, leur poids politique est inséparable de ce qui fait leur poids économique et c’est parce qu’elles ont une influence politique forte qu’elles réussissent à préserver leurs intérêts économiques.
On a donc beaucoup travaillé sur les questions de lobbying au sens large notamment en matière climatique. Nous étions effectivement curieux de traiter ça dans le cadre des GAFAM, parce que ce qu’on montre dans le rapport - on va y revenir en long et en large - c’est que les GAFAM, d’une certaine manière, peuvent utiliser toutes les mêmes armes d’influence que les autres multinationales, mais ils en ont, en plus, de très spécifiques et très puissantes qu’ils mettent à profit pour être encore plus influents.

Étienne Gonnu : On va y revenir. Olivier, vous aviez un peu évoqué cette question, dire qu’il y a quelque chose de très spécifique des GAFAM, que vous distinguiez des Big Tech, c’est plutôt aux États-Unis qu’ils utilisent cette formule. Pourquoi cette focale GAFAM ? On rappelle l’acronyme c’est Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft. Qu’ont-ils de spécifique ? Pourquoi cette focale vers eux ? Pourquoi vers la France ? Vous l’avez expliqué : notamment effectivement en Europe on avait déjà des rapports mais pas en France. Chiara peut-être.

Chiara Pignatelli : Parler de GAFAM, même si on va parler aussi de Uber, c’est utiliser une expression qui est communément admise, qui parle à tout le monde. Quand on a vocation d’informer c’est toujours bien. Et aussi parce que, en fait, comme on l’a un petit peu évoqué, ce sont des entreprises et des outils qui sont utilisés par presque tout le monde, voire tout le monde, et qui ont le monopole dans leur secteur d’activité, même si aujourd’hui on sait que les cinq GAFAM ont largement élargi leur champ d’activité. À l’origine ce sont quand même des entreprises qui ont le monopole sur ça, qui ont donc construit tout un modèle économique, culturel, etc., sur lequel les autres entreprises – Uber, Deliveroo, etc. – vont se caler. Ce sont donc les GAFAM qui ont posé les règles.
Comme on l’a dit, c’est un sujet qui n’avait pas été traité au niveau de la France, et c’est bien de montrer que le lobbying n’est pas qu’à Bruxelles, une représentation qu’on peut avoir, mais que c’est bien aussi au sein des institutions françaises et du modèle culturel français, médiatique, etc.

Olivier Petitjean : Je pense que ce qui distingue les cinq GAFAM – Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft – par rapport à tous les autres acteurs de la Big Tech, c’est un, leur poids économique. Quand on regarde les chiffres, même par rapport à Twitter, c’est vraiment le jour et la nuit, ce sont des acteurs qui ont beaucoup de ressources, même si, en ce moment, ils sont en crise. Il faut relativiser la crise qu’ils traversent en ce moment, les suppressions d’emploi dont on entend parler, c’est aussi parce qu’ils ont beaucoup créé d’emplois au moment du Covid, ils ont embauché à tour de bras. Là, c’est une période effectivement plus compliquée, parce qu’ils profitaient de l’argent facile, maintenant il n’y a plus d’argent facile, donc ça baisse, etc., mais ils restent quand même, en termes de poids économique, de mastodontes.
La deuxième chose, je vais insister sur ce qu’a dit Chiara qui est crucial. Pour ces cinq entreprises, de différentes manières, à la base ce n’est pas le même outil, la brique de base n’est pas la même – un moteur de recherche, du commerce en ligne, etc. Elles ont une même stratégie qui est basée sur le monopole : vraiment avoir des positions, des parts de marché énormes sur leur secteur d’activité – Google a 90 % des recherches, Amazon, en termes de commerce en ligne, c’est énorme – et, sur ça, elles utilisent notamment le contrôle des données, pour bâtir. Ce sont des entreprises multi-outils, de plus en plus elles sont construites comme un package qui joue les synergies, je ne sais pas comment dire, entre leurs outils : Amazon c’est le commerce en ligne, mais maintenant c'est aussi le cloud, c’est aussi le streaming, etc. ; on peut dire la même chose, de manière différente bien sûr, des cinq, avec la seule spécificité d’Apple qui est plus aussi sur le côté matériel.

Chiara Pignatelli : Je pense que c’est intéressant de dire que les GAFAM ont vraiment implanté leur modèle. Aujourd’hui, en France, on va parler de licornes françaises, notamment ces dernières années de pousser la souveraineté numérique, etc., mais ce sera toujours selon ces règles et selon ces modèles imposés au préalable par les GAFAM.

Olivier Petitjean : Tout à fait. Elles ont, comme l’a très bien dit Chiara, créé le terrain de jeu, elles nous obligent à jouer dessus et obligent les gouvernements à jouer dessus. C’est vraiment ce pouvoir de créer le terrain de jeu avec ses règles et à imposer leurs règles qu’on cible

Étienne Gonnu : Du coup, j’ai envie de lire une citation de votre rapport, que je trouve vraiment excellente, sur cette question de souveraineté numérique, vous écrivez : « La souveraineté numérique c’est avant tout notre capacité à décider collectivement et démocratiquement des usages que nous souhaitons faire des outils numériques et dans quelles conditions et de ne pas subir les usages dont nous ne voulons pas. C’est précisément cette capacité que la toile d’influence des GAFAM contribue à réduire. Son principal ressort est de nous faire croire, au moins de faire croire à nos dirigeants politiques, que leur expansion est inarrêtable et que le monde qu’ils nous préparent est inéluctable. » Ce qui revient, finalement, à ce que vous nous avez bien éclairé.
Si vous voulez pousser sur la définition que je viens de citer n’hésitez pas, j’aimerais vous demander quelles sont les principales conclusions, on va revenir après dans le détail, de votre rapport. Est-ce que ces conclusions étaient pour vous une surprise ou est-ce que ça correspondait à peu près à ce à quoi vous vous attendiez ? Chiara.

Chiara Pignatelli : Pour revenir sur ce que vous avez dit, on parle de capacité à définir collectivité, alors qu’aujourd’hui, en fait, il n’y a pas de débat sur le modèle des GAFAM. C’est toujours comment on va les réguler, etc., mais leur existence même n’est pas remise en cause, surtout au niveau du gouvernement, où même les services publics, on reviendra là-dessus, utilisent les GAFAM sans s’intéresser à des outils libres.
Sinon, Olivier tu pourras compléter, je pense que ce qu’il est vraiment important de retenir c’est que les GAFAM utilisent des techniques de lobbying classiques sur lesquelles on reviendra – portes tournantes, cabinets de conseil, etc., – et qu’elles ont vraiment dépensé ces dernières années, 2021, plus de quatre millions d’euros, juste ces cinq entreprises-là, dans le lobbying en France, contre un million 300 000, il me semble, en 2017, seulement quatre ans avant.
On dit, dans le rapport, que ce sont des entreprises qui imposent un modèle culturel qui infuse vraiment toute la société, qui veulent se montrer comme « on ne peut pas passer à côté ». Il y a tout un soft power dont on va reparler, qui est hyper-intéressant à décrypter.

Étienne Gonnu : Plusieurs notions ont été évoquées, on va revenir dans le détail. Merci beaucoup

Olivier Petitjean : Pour moi, la conclusion c’est ce que vous avez dit : il faut vraiment prendre la mesure ce que veut dire l’influence des GAFAM et à quel point elle pèse sur les politiques. Cette notion de souveraineté numérique, telle que la conçoit le gouvernement, c’est un peu une caricature par rapport à ce que serait vraiment la souveraineté. Pour eux la souveraineté ce sont des étudiants de HEC qui arrivent à monter quelques startups, qui se font un milliard et ce serait la souveraineté. Ce n’est pas ça la vraie souveraineté ! On pointe beaucoup du doigt le fait que les administrations publiques ont des difficultés, travaillent beaucoup avec les GAFAM, mais on sait aussi qu’au sein du secteur public, même au-delà, il y a des gens qui essaient de faire des choses, de développer des outils hors GAFAM, mais notre constat et notre conclusion c’est que ça pèse relativement peu par rapport à une impulsion, une politique générale, qui nous semble quand même venir du sommet et pas seulement d’Emmanuel Macron, de son monde, de ministres, etc., qui restent totalement acquis à une vision du monde et du numérique qui est, en fait, celle conçue par la Silicon Valley, par les GAFAM.

Chiara Pignatelli : Le tout numérique est encouragé, les licornes françaises et ce genre de terme.

Étienne Gonnu : Je reviens sur cette idée d’imaginaire et on voit les inerties. Tout un pan de notre action, à l’April, c’est, on va dire, d’amplifier le rapport de forces politiques en faveur du logiciel libre et des libertés informatiques et on voit qu’il y a une montagne à gravir, gardée par ces GAFAM.
Je vous propose, avant de rentrer dans les détails de vos conclusions sur ces portes tournantes, sur ce pantouflage, sur ce soft power, de faire une pause musicale. Nous allons écouter Peau Rouge par Les Gueules Noires. On se retrouve dans environ trois minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Peau Rouge par Les Gueules Noires..

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Étienne Gonnu : Nous venons d'écouter Peau Rouge par Les Gueules Noires, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution, CC BY. Vous pouvez retrouver une interview de Corentin, membre du groupe, dans le podcast Libre à vous ! numéro 148.

[Jingle]

Deuxième partie

Chronique « Pépites Libres » de Jean-Christophe Becquet, vice-président de l’April, sur le thème : « Voilà le printemps, libérons nos outils de plaidoyer ! »

Étienne Gonnu : Je suis Étienne Gonnu de l’April et nous allons passer à notre sujet suivant. Nous allons poursuivre avec la chronique « Pépites libres » de Jean-Christophe Becquet, vice-président de l’April et ancien président de l’April. Il nous présente une ressource sous licence libre - textes, images, vidéos, bases de données - sélectionnée pour son intérêt artistique, pédagogique, insolite, utile. Les auteurs et autrices de ces pépites ont choisi de mettre l’accent sur la liberté accordée à leur public.

Salut Jean-Christophe. Alors, je crois que tu es inspiré par cette date du 21 mars.

Jean-Christophe Becquet : Voilà le printemps ! C’est la saison du Libre en fête, une initiative animée par l’April avec plusieurs dizaines d’événements de découverte du logiciel Libre et de la culture libre à destination du grand public partout en France. C’est aussi la Semaine pour les alternatives aux pesticides, coordonnée par l’association Générations Futures. La Semaine pour les alternatives aux pesticides se donne pour objectifs d’informer les citoyens sur les risques des pesticides de synthèse pour notre santé et pour notre planète ; de promouvoir des solutions alternatives pour vivre, consommer et produire plus durablement et fédérer un réseau d’acteurs et mobiliser un public toujours plus large. Elle propose pour cela une programmation très variée de conférences, ciné-débats, portes ouvertes de fermes, de moulins, de jardins, dégustations, ateliers, démonstrations, spectacles, marchés… Notons au passage que leur programmation est donnée à voir sur un fond cartographique issu des données OpenStreetMap et développé avec la bibliothèque libre Leaflet.

Le site semaine-sans-pesticides.fr fournit des outils, notamment un guide de l’organisateur très bien fait, et une vidéo accompagnée de la mention « à diffuser sans modération ». Je me suis alors demandé sous quelle licence était proposées ces ressources. Les mentions légales abordent cette question : « les productions vidéo et sonores et d’une manière générale tous les documents contenus dans ce site, sont la propriété de Générations Futures. Toutefois, Générations Futures encourage la reproduction et la distribution de tous les documents originaux présents sur www.semaine-sans-pesticides.fr ». Mais immédiatement après : « Générations Futures se réserve le droit de modifier ces conditions à tout moment ». Donc la permission est donnée mais elle n’est pas très précise, et surtout elle peut être retirée, voilà qui n’est pas très rassurant !

Nous avons là le parfait exemple d’une initiative qui gagnerait vraiment à adopter une licence libre. En effet, il apparaît assez clairement que la volonté de Générations Futures est de diffuser le plus largement possible son message. Elle fait l’effort de mettre à disposition des outils pour organiser simplement un événement, mais les conditions d’utilisation restent floues et peu sécurisantes. Il faut bien se souvenir que le droit d’auteur s’applique par défaut. Ainsi, sans avis contraire, toute reproduction, représentation ou adaptation est interdite en dehors de quelques exceptions très encadrées.

C’est précisément le rôle de la licence d’exprimer de manière claire les conditions du partage. Les licences Creative Commons sont conçues pour permettre à chacun d’accorder un certain nombre de libertés sans avoir à recourir chaque fois aux services d’un juriste pour rédiger des conditions. En plus du contrat adapté aux différentes juridictions internationales, les licences Creative Commons fournissent une version résumée de la licence, lisible par un humain, des pictogrammes de plus en plus connus par les internautes, et des métadonnées lisibles par les logiciels et les moteurs de recherche.

Il me reste à rappeler que toutes les licences Creative Commons ne sont pas libres. Celles qui restreignent les versions dérivées ou les usages commerciaux ne répondent pas à la définition des œuvres culturelles libres. Ainsi seules les licences Creative Commons BY ou BY-SA se distinguent par le tampon « Approved for Free Cultural Works ». On pourra relire à ce sujet l’excellent article d’Alexis Kauffman sur le Framablog : Dis papa, c’est quoi une « œuvre culturelle libre » ? Allez, je vous partage encore 2 pépites de saison sous licence libre Creative Commons BY. Pour rêver un peu, revoir Spring, le dessin animé de la Fondation Blender dans lequel une jeune bergère affronte les esprits anciens pour permettre la venue du printemps. Et pour apprendre, s’inscrire au MOOC Pollinisateurs proposé par l’association Tela Botanica.

Je pense pour conclure que les licences libres sont une véritable opportunité à saisir, dès lors qu’on veut encourager le partage d’une ressource pour diffuser son message. J’ai opté pour ma part pour la licence Creative Commons BY-SA. J’espère que cette chronique sèmera quelques graines et que nous verrons éclore prochainement de nouvelles pépites sous licence libre.

Étienne Gonnu : Quelle belle métaphore filée, Jean-Christophe. Pas de nouvelles pépites libres en avril, me semble-t-il. Mais un sujet long : c’est bien ça ?

Jean-Christophe Becquet : C’est ça, oui. J’ai proposé proposé d’organiser un sujet long sur Jupiter, qui est un logiciel libre de calcul scientifique. Les échanges que j’ai eus avec les intervenants promettent une émission passionnante. Je précise que je ne connais absolument rien aux techniques de calcul scientifique. Et donc, il s’agit vraiment d’aborder l’objet Jupiter en tant que logiciel libre, comment il est développé, comment s’organisent les communautés, la mutualisation des efforts de développement, les relations entre les acteurs, et comment ce logiciel se déploie aussi bien dans l’industrie que dans le monde académique, ou encore dans l’enseignement. Voilà, et donc ce sera le quatre avril. Et je viendrai en présentiel au studio de la radio avec mes deux intervenants pour animer ce sujet. Et je reviens probablement au mois de mai avec une nouvelle pépite.

Étienne Gonnu : Super. Merci beaucoup, Jean-Christophe. Je te souhaite d’ici là une très bonne fin de journée.

Jean-Christophe Becquet : Merci, bonne fin d’émission et à très bientôt.

Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l'April et le monde du Libre

Étienne Gonnu : Merci Jean-Christophe.

Nous approchons de la fin de l’émission, nous allons erminer par quelques annonces.

[Virgule musicale]

Alors, quelques annonces pour finir cette émission. J’ai peu de temps, donc je vais vraiment aller à l’essentiel, mais vous retrouverez le détail de toutes ces annonces sur le site de l’agendadulibre.com et sur la page dédiée à l’émission libravous.org/171. Jean-Christophe évoquait le Libre en Fête, une initiative coordonnée par l’April depuis plus de vingt ans et qui regroupe autour d’une dynamique conviviale et festive un ensemble d’événements autour du libre que vous retrouverez facilement sur le site libre-en-fete.net ou sur la page de l’émission. Le vendredi 24 mars, à partir de 19 heures, un apéro à l’April dans le 14e arrondissement de Paris. Le 25 mars, l’assemblée générale de l’April, un moment important de notre vie associative ; si vous êtes concernés, le vote en ligne sera clos jeudi 26 mars à 20 heures. Le dimanche 26 aura lieu un April Camp dans le 11e arrondissement de Paris : tout le monde, membre ou pas de l’association, peut participer. C’est l’occasion d’échanger sur différents projets, de nature technique ou pas ; il est possible de participer à distance. Les 1er et 2 avril auront lieu les Journées du Logiciel libre à Lyon, et l’April y sera présente autour notamment d’un stand et de conférences que je pourrai animer avec notamment ma collègue Isabella. La conférence Mercurial Paris 2023 aura lieu du 5 au 7 décembre 2023. Nous avions fait une émission sur les logiciels de gestion de versions décentralisés, dont Mercurial, une émission que vous retrouvez sur libravous/160. Comme d’habitude, vous retrouvez tous les événements libristes et les organisations libristes autour de vous sur l’agendadulibre.org.

Et pour finir, j’aimerais apporter tout mon soutien, rejoint dans ça par mes collègues, mon soutien aux grévistes et à l’ensemble des manifestants et manifestantes qui défendent nos conquis sociaux et, au-delà de ça, une certaine idée vivante et vibrante de la démocratie, mouvement social auquel nous avons pu participer et continuons à le faire à titre individuel, à différents niveaux d’engagement.

Notre émission se termine.

Je remercie les personnes qui ont participé  : Gee, Chiara Pignatelli, Olivier Petitjean, Jean-Christophe Becquet. Aux manettes de la régie aujourd’hui, Isabella Vanni. Merci également aux personnes qui s’occupent de la post-production des podcasts : aujourd’hui je pense que ce sera Julien Osman qui s’en occupera. Et merci à Olivier Grieco, directeur d’antenne de la radio. Merci enfin à Quentin Gibeaux, bénévole à l’April, qui découpe le podcast complet en podcasts individuels par sujet.

Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission. Si vous avez aimé cette émission, n’hésitez pas en parler le plus possible autour de vous et de faire connaître également la radio associative Cause Commune, la voix des possibles.

La prochaine émission aura lieu le mardi 28 mars 2023 à 15 heures 30. Notre sujet principal portera sur le difficile exercice de la modération. Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve en direct mardi 28 mars et d’ici là, portez-vous bien.

Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.