Du local à l'échelle européenne, comment l'OS contribue à un numérique plus responsable

De April MediaWiki
Aller à la navigationAller à la recherche

30’ 11

Sandrine Elmi Hersi : De façon générale, j’en ai déjà parlé, il faudra continuer à améliorer la mesure et agrandir le pool de données disponibles sur l’empreinte environnementale du numérique. Je passe vite sur ce point.
Il faudra aussi veiller, comme j’ai pu le dire au début, à responsabiliser tous les acteurs de l’écosystème du numérique et ne pas s’intéresser qu’aux fabricants de terminaux parce que les terminaux représentent 80 % de l’empreinte carbone. En fait, il y a des interdépendances très fortes entre les différentes couches de l’écosystème du numérique, donc il faut vraiment veiller à avoir une approche holistique. Ça c’est pour la perspective générale.

Sur l’open source, de mon point de vue, de mon expérience, ce qui manque à l’heure actuelle ce sont des études permettant d’objectiver les bonnes pratiques et l’impact positif de l’open source en matière de soutenabilité environnementale pour permettre d’alimenter les initiatives réglementaires en cours de discussion au niveau européen sur le droit à la réparation ou sur la lutte contre l’obsolescence programmée.

Pour finir, pour que ce soit adapté au public de la salle, ce serait de veiller à ce que les développeurs de logiciels libres adoptent effectivement des critères d’écoconception, comme tous les développeurs, parce que, à ce stade, il est clair que les logiciels lires contribuent évidemment à allonger la durée de vie des équipements et sont favorables à la réduction de l’empreinte environnementale du numérique.
On peut aussi noter qu’ils sont plus modulables, plus facilement configurables, c’est donc plus facile de désactiver les fonctions inutiles, donc de réduire la consommation énergétique de ces logiciels. En revanche on ne peut pas dire que par défaut un logiciel libre est plus efficace du point de vue de la consommation énergétique vis-à-vis d’un logiciel propriétaire qui aurait adopté des critères d’écoconception. Pour que le rapport soit favorable et pour être sûrs que l’open source participe à 100 % à réduire l’empreinte environnementale du numérique, il faut aussi veiller à un haut niveau de standard d’écoconception dans la communauté.

Richard Hanna : Faire attention à l’effet rebond peut-être.
Jean-Christophe, en Nouvelle-Aquitaine peut-on espérer que les collectivités passent à large échelle au Libre ? Qu’on réduise l’obsolescence des équipements ? Qu’on ait des ordinateurs qui durent 10/15 ans ?

Jean-Christophe Elineau : Le chargé de mission logiciels libres, le fameux dont on parlait tout à l’heure, vient de rentrer dans la salle, donc je ne vais pas dire de bêtises.
Mais oui, on espère effectivement que le Libre continue à se déployer. Il y avait hier soir la remise des TNL, des labels Territoire Numérique Libre. Trois collectivités de Nouvelle-Aquitaine ont été récompensées, en l’occurrence la ville de Boé, la ville de Périgueux et la ville de Saint-Loubès dans la banlieue bordelaise. Donc oui ça doit se développer. Oui, le numérique responsable doit se développer. Il va, et on l’espère, se développer.
On a répondu à la candidature pour la labellisation Pôle de compétitivité sur la thématique numérique responsable en Nouvelle-Aquitaine, réponse en décembre ou en janvier si je ne m’abuse, avec un certain nombre de clusters partenaires. Ce futur pôle, s’il est labellisé, s’appellera peut-être ENTER, Excellence Numérique pour la Transition Écologique Responsable, j’espère que je n’ai pas dit de bêtise ! On fera en sorte que l’open source soit au centre du fonctionnement de ce futur pôle, notamment dans toute cette logique de réutilisabilité de code et de développement du numérique responsable.

Richard Hanna : Mauna, pareil, même question : est-ce qu’on peut espérer à large échelle, à Plaine Commune en Seine-Saint-Denis, que le logiciel libre détrone le logiciel propriétaire, qu’on ait des ordinateurs, des smartphones qui durent 10 ans, 20 ans, j’exagère un peu !

Mauna Traikia : Dans un monde idéal, ça serait mon souhait le plus vif.
Je crois qu’il faut rester très pragmatique, je pense qu’on a encore un chemin à construire tous ensemble. Autant on ne construit pas une ville comme on la construisait avant, autant on doit construire, en tout cas coconstruire des solutions logicielles de manière différente. On a parlé d’écoconception. Je pense qu’il y a aujourd’hui deux documents de référence : celui de la DINUM et celui de l’Afnor, en tout cas sur la partie responsable, je le dis sans rougir parce que ce sont les guides de référence. On n’a pas vraiment de normes, aujourd’hui, pour le numérique responsable et je crois que c’est ce qui nous manque vivement.
Je pense qu’on a besoin à la fois effectivement de travailler avec l’ensemble des acteurs des écosystèmes numériques et pas qu’eux, c’est-à-dire les clients aussi, les citoyens. Il y a le SIDO [Salon de l'Internet Des Objets)], qui n’est pas très loin, sur l’IoT, mais il y a des milliards d’IoT qui sont déjà là et d’autres qui sont en train d’arriver. Au-delà de l’obsolescence, on a un vrai sujet autour de la maîtrise de nos usages et de notre destin, en tout cas numérique. Il faut y penser.

Les enjeux sont tellement forts en termes de souveraineté numérique. Vous parliez de data, on ne construit pas aujourd’hui un datacenter comme on le construisait il y a cinq ans, il y a dix ans. Un exemple simple : à Plaine Commune on a construit un des plus grands datacenters européen, un projet de plus d’un milliard d’investissement, sur un plan d’investissement, et tout de suite on s’est posé la question de l’écoconception, comment on va récupérer la chaleur, la donnée utile.
Je pense qu’il faut ça soit intégré directement dès le design de la solution applicative et qu’elle réponde aussi, de manière pragmatique, à des besoins fonctionnels précis ; je pense que c’est ce dont on a besoin à l’Europe, il ne faut pas en rougir.

Il y a aussi un aspect développement économique, développement sociétal que j’ai évoqué avec les nouveaux usages, mais on est aussi sur un secteur qui est porteur de beaucoup de création d’emplois. Tout à l’heure vous parliez de formation, il y a certainement de nouveaux métiers qui vont apparaître. C’est aussi un vecteur d’accélération de développement économique, de souveraineté économique, j’en ai parlé tout à l’heure.

Et puis je crois que les enjeux sont tellement prégnants pour préparer, je dirais, la société de demain qu’il n’y a pas de petits gestes, aussi bien les écosystèmes, les collectivités, le levier de la commande publique, mais aussi chacune et chacun de nous, nous devons nous interroger et nous adapter ; il suffit d’une petite recherche open source sur son moteur de recherche préféré, je ne citerai pas de nom, et je crois aussi que plus largement, il y a un enjeu qui est de dire soyons tous innovateurs, et non les followers d’une hégémonie je dirais étrangère. Nous avons tous notre part à prendre.

Richard Hanna : Tous, Responsables du Numérique, comme le titre du documentaire de Jean-Christophe.
Pour finir, Agnès, sur quel sujet vous battez-vous à l’échelle européenne, où avez-vous envie de vous battre pour aller un peu plus loin ? Peut-être citer notamment l’extraction, la traçabilité des matériaux, je ne sais pas si c’est un sujet.

Agnès Crepet : C’était le premier sujet que je voulais effectivement citer, ça tombe bien.
J’étais assez optimiste, il y a plein de choses qui se passent, on est en plein dedans, super ! Mais ce n’est pas encore délivré ! Cette éco-design directive est encore à l’état de draft et j’espère bien que l’ensemble législatif européen va mettre l’accent sur une traçabilité des ressources sur le téléphone.
Typiquement, chez Fairphone, on prône que le LCA, Life Cycle Assessment, l’analyse du cycle de vie, soit disponible pour tous les fabricants de téléphones, librement, sur notre site web. Personne ne le fait ! Apple fait quelque chose au niveau du recyclage, au moins ça, mais il n’y a rien sur l’analyse globale du cycle de vie. Qu’est-ce que ça coûte de faire un téléphone de sa production jusqu’à sa fin de vie, son recyclage, en passant par l’usage ?
On prône ce côté open data. On espère que ça passera, que ça fera partie des obligations. Si on le fait, on paye un organisme indépendant qui s’appelle le Fraunhofer, un institut qui fait référence dans les analyses de cycle de vie, qui est germanique, on le paye pour qu’il y ait une certaine transparence, une certaine indépendance ; on le fait pourquoi les autres ne le font-ils pas ? On espère que ça, ça passe.
Je rejoins que ce que tu disais, Sandrine, je pense qu’il manque effectivement des rapports un peu objectifs. Là on est tous plus ou moins entre convaincus, personnes convaincues, oui l’open source c’est super. Je suis sûre que quand on est en discussion dans des groupes de travail au niveau Europe, au niveau national, on n’est pas du tout face à des convaincus. Arriver à pousser l’open source sur l’indice de durabilité, etc., c’est encore beaucoup de travail. Mon rêve serait d’avoir des organismes un peu indépendants, l’Arcep, voire la DINUM qui intervient, qui produisent des rapports pour nous aider, justement, à objectiver un peu cet aspect-là. Face à des lobbyistes un peu plus agressifs dont je ne citerai pas les noms, eh bien oui, forcément ce n'est évident. C’est toujours sur la tangente. C’est super que des gens comme nous soient dans ces trucs-là, mais ce n’est pas gagné.
Typiquement j’ai eu le coronavirus il y a deux semaines, j’ai failli rater un groupe de travail, eh bien voilà ! Je ne dis pas que tout repose sur moi, mais si les trois/quatre acteurs que je vous ai cités ne sont pas là, ça peut passer. On en est là ! Donc j’espère bien que plus de rapports seront disponibles, pour prouver pourquoi l’open source peut aider des projets responsables.
Et puis, bien évidemment, j’espère bien que le consommateur, la consommatrice sera aussi plus informée ; l’indice de réparabilité c’est une bonne chose, mais que l’acte d’achat soit beaucoup plus éclairé. Ça va dans le bon sens mais ce n’est pas encore suffisant.
Vous avez parlé de la commande publique, néanmoins on est en test au niveau de la métropole de Rennes, la métropole de Lyon a fait aussi l’effort d’avoir des téléphones Fairphone, mais à chaque fois qu’on bosse avec la commande publique, c’est l’enfer ! Toujours ! Il faut aussi disrupter ce truc-là ! En fait toutes les cases à cocher, eh bien mettons un gros hack sur l’environnement, sur le côté responsabilité et essayons de minimiser peut-être d’autres facteurs, je ne sais pas. En tout cas on a passé toutes les certifications Orange, Bouygues, SFR, on est compatible avec tous les opérateurs et ce n’est pas la faute des personnes dans les métropoles, on a souvent des gens qui sont motivés, mais qui nous disent « je suis pas désolé, ça ne passe pas », donc il faut assouplir ces réglages. Je suis d’accord que la commande publique est un vrai levier, mais l’arsenal en place, le process d’achat est tellement lourd que ça ne bouge pas beaucoup.

Tout à l’heure j’avais la question à la fin de mon talk sur les tablettes, le système open source sur les tablettes. Aujourd’hui, dans toutes les écoles, il y a des tablettes qui sont dans des valises parce qu’il n’y a pas d’OS libre disponible pour ces tablettes, les profs n’arrivent pas à les maintenir. Bref ! J’en suis arrivée à dire comme réponse la question qu’on m’a posée à la fin de mon talk qu’il vaut mieux mettre du chauffage dans les écoles, limite il ne faut plus faire du numérique, parce que si c’est pour faire ça autant ne pas le faire.
Ça c’est pour être un peu pessimiste. Le côté optimiste, eh bien si on le fait il faut mieux le faire et assouplissons justement ces commandes publiques, le process d’achat, etc.

Mauna Traikia :On y travaille et on espère vraiment que la loi Reen va évoluer.
On s’est doté de cette fameuse charte et je pense que c’est dans cet état d’esprit-là. L’idée c’est vraiment d’essaimer des retours d’expérience, même plus que des rapports, même si les rapports sont essentiels. Je pense qu’en travaillant en démarche d’amélioration progressive sur ces questions-là, on a des vrais retours d’expérience terrain et c’est ce qui est proof of concept .

Richard Hanna : Merci beaucoup. On a deux minutes pour une question et demie. Quelqu’un a une question et demie ?

Public : Pascal Kuczynski, le collègue de Matthieu qui pose la question embêtante à Agnès, je n’ai pas entendu la réponse concrètement, je vais reposer la question. J’ai bien entendu l’aspect matériel, c’est là à on peut gagner plus. Je veux revenir sur l’aspect purement logiciel. Il me semble qu’il y a à gagner avec le logiciel libre, ne serait-ce que sur le mode développement, parce que les ??? agissent, parce qu’il est reprenable, parce que ça s’échange, parce ça se partage, parce que ça va plus ou moins vers l’évolution. Ça n’est pas une seule structure qui a la mainmise sur son logiciel propriétaire. Et je n’ai pas encore grand-chose là-dessus. Je cherche un argumentaire sur ce côté-là pour mettre en avant le logiciel libre autrement que sur la durabilité des matériels, qui est respectable, je veux bien, je veux rajouter un autre composant qui est purement ???

Agnès Crepet : Je pense que, comme tout à l’heure, vous n’avez pas entendu la réponse, je suis désolée, mais c’est vrai. J’ai cité l’exemple du FrankenPhone, de Commown, de /e/ et de iodé. Pour moi, concrètement, ce sont des exemples qui montrent que l’open source c’est justement fait pour que d’autres acteurs se réapproprient ces produits-là. On ne parle plus de Fairphone, on a dropé le support sur le Fairphone 2, grâce à iodé, grâce à /e/OS, grâce à LineageOS, les produits vont continuer d’exister et c’est chouette.
Je présente des excuses, j’ai été un peu agressive, mais ça fait deux fois.
C’est vrai, il n’y a pas que le côté longévité, vous avez raison, il y a aussi ce côté multiplication des acteurs et le modèle qui peut se faire approprier par des personnes différentes.

Mauna Traikia :Je vais juste me permettre. En fait, je pense que vous avez entièrement raison Monsieur. Il y a effectivement cet aspect longévité, obsolescence, etc., des produits, c’est une certitude. Il y a le côté logiciel qui est essentiel. Je prends toujours l’exemple, je suis tombée sur un documentaire où des agriculteurs n’arrivaient plus à réparer leur tracteur parce qu’ils n’avaient pas accès au code source de leur solution logicielle, on ne leur donnait même plus le monde d’emploi. Vous êtes typiquement dans ce que vous venez citer sur un exemple qui n’est pas du tout du secteur numérique et on peut l’appliquer dans plein d’autres domaines et dans plein d’autres solutions logicielles.
Vous avez entièrement raison, il n’y a pas que l’indice de réparabilité. C’est essentiel parce qu’il faut qu’on ait une longévité objets liée au manque de ressources, qui est évident sur la planète, mais l’open source c’est la solution logicielle, l’écoconception, le partage des sources et faire évoluer nos systèmes.

Agnès Crepet : Je citerai L’Atelier paysan, très important à citer, je pense que c’est connu, une communauté d’acteurs dans le monde de l’agriculture qui essaye de promouvoir l’open source.

Richard Hanna : Une demi-question.

Public : Demi-question. La Commission européenne dépense pas mal d’argent, malheureusement. Comment pourrait-on faire pour qu’à chaque fois qu’elle demande une production logicielle, sans même tellement réfléchir à si c’est ou non une bonne idée, cette production logicielle soit mise en open source ? C’est jamais en discussion ???.

Sandrine Elmi Hersi : Je peux donner quelques éléments. Je pense que ça rejoint ce qui avait souligné par Mauna, le fait que la commande publique est un levier important. Il faudrait prévoir des obligations réglementaires en ce sens. Le problème qu’on rencontre, en tant que régulateur, lorsqu’on réfléchit des initiatives législatives, qu’on participe à des groupes de travail avec la Commission, c'est le manque d’analyses objectives pour objectiver ces propositions et montrer l’intérêt d’un point de vue environnemental. Après est-ce que, par exemple, ce type d’obligation pourrait passer par d’autres argumentaires, notamment en matière d’éthique, de vie privée, de souveraineté du numérique, c’est une question ouverte. Je pense que c’est une question à approfondir, mais j’entends bien votre point.

Mauna Traikia :Dans un monde idéal, je serais pour un open source business Act européen. Aujourd’hui on a des business Acts qui sont autour de l’industrie, personnellement je suis pour pousser ce type d’investissement en disant on nous objective sur l’intégration de l’open source, tous les volets j’entends.
Je trouve que quand on regarde un petit peu ce que font les autres acteurs internationaux, les GAFAM, etc., que ce soit au travers de leur commande publique, ils sont beaucoup appuyés en fait ; je le fais à l’échelle de mon territoire, même à l’échelle de quelques métropoles puisque j’interviens aussi au niveau national sur les sujets numériques. Je pense sincèrement qu’on a besoin d’un message fort et je le vois à l’échelle de mon territoire. Quand on a une forte impulsion politique, on arrive à faire bouger les lignes. Je pense qu’on est là dans un véritable tournant au niveau de l’open source et qu’il ne fait pas qu’on le rate pour les enjeux que j’ai cités tout à l’heure.

Richard Hanna : Merci beaucoup. Merci de faire bouger les lignes. Je vous propose de les applaudir.
Bonne après-midi. Bonne fin de salon.

[Applaudissements]