États & Big Tech : les liaisons dangereuses - Asma Mhalla

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Titre : États & Big Tech : les liaisons dangereuses

Intervenant : Asma Mhalla - Mick Levy - Cyrille Chaudoit

Lieu : Trench Tech

Date : 3 novembre 2022

Durée : 50 min [deux parties non transcrites]

Podcast

Page de présentation du podcast

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : À prévoir.

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcrit MO

Description

La tech s'invite dans l'échiquier géopolitique Les Big Tech jouent de leur puissance pour influer sur la marche des nations La techno-politique est en marche et produit des effets d’ampleur mondiale à l’image du Splinternet. Alors quelle place pour les Big Tech ? Comment exercent-elles leur pouvoir ?

Transcription

Voix off : Le gouvernement s’est mis à coucher avec toute l’industrie des télécommunications dans les années 40. Ils ont tout infecté. Ils pénètrent dans ton compte en banque, tes données informatiques, tes e-mails, ils mettent les téléphones sur écoute. Ma la femme me le serine depuis des années, la moindre fréquence, le moindre fil, plus on est branché technologique plus c’est facile pour eux de tout mettre en fiche. Le meilleur des mondes il paraît.

Voix off : LTrench Tech, esprit critique pour une tech éthique Cyrille Chaudoit : Bienvenue dans ce nouvel épisode de Trench Tech. Vous voulez exercer votre esprit critique pour une tech éthique, vous êtes au bon endroit. Trench Tech c’est le talk-show qui décortique les impacts de la tech sur notre société.
Plus on est branché technologique plus c’est facile pour eux de tout mettre en cloche. Dans le film de Tony Scott, Ennemi d’État, datant de 1998, l’intrigue tourne autour d’une idée folle : pour améliorer la sécurité nationale, une nouvelle loi sur les télécommunications est proposée aux Américains. Elle vise à donner plus de pouvoir aux autorités compétentes, comme on dit. Ce pouvoir inclut l’utilisation de caméras de surveillance et l’écoute téléphonique dans le but de garantir la sécurité de l’État aux dépens des libertés individuelles.
Nous sommes en 98, nous n’avons pas encore connu de 11 septembre, la fibre n’existe pas, Google naît à peine, Amazon ne vend encore que des bouquins, quant à Alibaba, Facebook, Uber ou Twitter, leurs futurs patrons portent encore des couches-culottes ou presque. À l’époque, Internet se rêve comme un espace de liberté et de rapprochement de peuples.
Fin du flash-back, revenons à notre époque.

Côté pile, plus de 9 recherches sur 10 dans le monde se font via Google. Une poignée d’entreprises issues d’Internet sont plus puissantes, économiquement, que bon nombre de leurs pays. Certains de leurs patrons n’hésitent même plus à se positionner comme les garants de la liberté d’expression sur des réseaux sociaux qui véhiculent de plus en plus de fake news. Et la liste est longue.
Coté face cette fois, quelques États légifèrent pour tenter de réguler ces géants du numérique et protéger nos droits en tant que citoyens, RGPD en Europe, LGPD au Brésil, PIPL en Chine, etc. Ils promulguent également des lois qui fonctionnent en dehors de leurs frontières pour protéger leurs intérêts, on pense au CLOUD Act aux États-Unis, au GDCI en Chine, etc. Mais, en même temps, la plupart de ces États essaient aussi de s’attirer les faveurs de ces Big Tech, certains vont même jusqu’à leur dédier des ambassadeurs.
Et au milieu de tout ça, la tranche de la pièce, il y a nous, citoyens et consommateurs, qui sommes partagés entre notre fascination pour tous ces nouveaux usages qu’on nous offre sur un plateau et une source d’inquiétude qui commence à nous saisir, un peu comme dans ce film Ennemi d’État.

Pour nourrir notre réflexion, reprenons une citation de Benjamin Franklin : « Ceux qui peuvent renoncer à la liberté essentielle pour acheter un peu de sécurité temporaire, ne méritent ni la liberté, ni la sécurité ». Essayons de comprendre, avec notre invitée Asma Mhalla, comment évolue la relation entre États et Big Tech et surtout comment se jouent les nouvelles clés de la répartition de pouvoir à l’ère du prochain métavers.

Sans plus attendre, lançons ce nouvel épisode avec notre warm up.

Mick Levy : Salut Cyrille comment vas-tu ?

Cyrille Chaudoit : Ça va Mick. Merci d’être là.

Mick Levy : Ravi de te retrouver aujourd’hui.

Cyrille Chaudoit : Moi aussi. Une pensée pour Thibaut qui ne sera pas parmi nous aujourd’hui, on l’embrasse très fort.

Mick Levy : On l’embrasse très fort, je sais qu’il embrasse très fort aussi tous ceux qui nous écoutent.
Cyrille, aujourd’hui on attaque un gros dossier encore une fois. On va parler géopolitique, on va parler souveraineté et on va voir que le numérique et la tech globalement se cachent au cœur de tous ces enjeux.

Cyrille Chaudoit : Oui, c’est sûr. Le numérique, tout le monde le sait désormais, ce sont des puissances industrielles de dingue. C’est devenu plus que ça, c’est devenu des puissances économiques, on l’évoquait dans l’introduction. Rien que les fameux GAFAM représentent plus de dix mille milliards de capitalisation en janvier 2022, c’est-à-dire plus de quatre fois la capitalisation de tout le CAC 40.

Mick Levy : C’est énorme !

Cyrille Chaudoit : Attends, ce n’est pas fini ! Ça représente 3,5 fois le PIB de la France ou 2,5 celui de l’Allemagne. C’est un petit peu un raccourci, mais si les GAFAM étaient un État ils seraient au quatrième rang mondial, juste derrière la Chine.

Puissances industrielles, puissances économiques, les Big Tech sont carrément devenus des puissances politiques, en tout cas on peut se poser la question quand on voit la difficulté de certains États à leur faire respecter leurs lois, quand on voit aussi les nouveaux services, issus de ces entreprises privées, qui se substituent petit à petit à ce qui était de l’ordre du service public, voire à certains pouvoirs régaliens dans certains cas et quand on voit leur implication dans la déstabilisation de certains pouvoirs en place.

Mick Levy : Ça va être en fait la question clé : quel est le nouveau jeu du pouvoir et quelle est aussi la nouvelle place des États ? On parlait beaucoup d’État-nation jusque-là, est-ce que cette place est remise en cause ? On voit même que certains services qui étaient jusqu’alors régaliens sont peu à peu en train d’être pris par les entreprises, parfois de manière un peu barbare, on a déjà évoqué ce thème des nouveaux barbares de la tech. Je trouve qu’il y a parfois un peu un rétrécissement du débat dans les médias en particulier. On va essayer de ne pas tomber dans cet écueil. Je suis sûr qu’Asma va constamment élargir le débat.

Le débat semble souvent, finalement, sur les sujets de souveraineté, voire de souverainisme. Le sujet est beaucoup trop petit. Pourquoi ? Parce que, déjà, on peut voir la souveraineté sur deux facettes : la souveraineté technologique, en quelque sorte, qui induit une dépendance vis-à-vis d’autres acteurs. Comme la France on n’a pas la capacité à créer elle-même des serveurs, des semi-conducteurs, des routeurs, etc., eh bien ça crée évidemment une dépendance technologique et je ne parle même pas des solutions applicatives, les logiciels, le cloud que nous proposent certains acteurs.

Il y a aussi un deuxième aspect de la souveraineté qui est la souveraineté des données, cette capacité qu’ont les GAFA, qu’ont certaines entreprises de la tech – on pourra aussi parler de la Chine – à récupérer nos données et, par certains liens en plus avec les États, à amener même certains risques en termes d’espionnage entre États et autres.

Cyrille Chaudoit : Ce qui va également être intéressant c’est de voir les implications que ça va avoir sur la posture des États. Est-ce qu’on sera dans une posture d’État-providence ? Est-ce qu’on sera plutôt dans les postures d’État plateforme où, finalement, l’État devient finalement une espèce de hub de services privés, un petit peu ce qu’on vient de décrite.

Mick Levy : En tout cas la tech fait forcément bouger la place des États. Ce qui va être intéressant de regarder aussi, et on va vraiment l’explorer avec Asma, c’est qu’avec la tech on arrive au cœur d’un contexte géopolitique non seulement explosif, on le voit tous, mais hyper-complexe et dans lequel la tech a toute sa place. Un sujet qu’on avait déjà évoqué, souviens-toi Cyrille, notre troisième épisode avec Nicolas Arpagian sur le sujet de comment la tech transforme la guerre. On va voir aussi cette implication qui est hyper-forte, complexe et un peu souterraine entre les Big Tech parfois et les États. Il y a parfois une sorte de vassalisation des Big Tech par les États ou inversement, on va aussi le voir. Et puis les États eux-mêmes profitent de la place des Big Tech pour récupérer des données, pour faire cet espionnage à l’échelle mondiale, voire cette surveillance généralisée à l’échelle mondiale. On connaît tous l’affaire de la NSA, par exemple.

Cyrille Chaudoit : En tout cas ce qui est intéressant c'est que la tech en elle-même peut être à la fois une cause de tectonique des plaques au sens géopolitique du terme ou une conséquence. On va notamment aborder un sujet crucial avec Asma, dont elle s’est fait une de ses expertises, les câbles sous-marins entre autres : ceux qui possèdent les câbles possèdent un petit peu le monde aujourd’hui clairement. Il y a un enjeu de pouvoir derrière qui est extrêmement fort.

Mick Levy : Tu nous as entendu quand même ? On a parlé des Big Tech, on a parlé des US, on a parlé de la Chine, je crois qu’on n’a pas prononcé une seule fois le nom d’un État européen si ce n’est pour dire qu’il était tout petit par rapport à la puissance des GAFA. Ça sera aussi une de nos questions clés : et l’Europe dans tout ça ? Où est l’Europe ? Et comment allons-nous nous en sortir au-delà des questions de souveraineté, voire de souverainismes un peu réductrices qu’on a commencées à esquisser ? Où est l’Europe ? Quelle va être la place de l’Europe demain ? Comment l’Europe va-t-elle pouvoir trouver sa place dans ce nouveau contexte géopolitique où la tech occupe maintenant une place prépondérante en effet.

Cyrille Chaudoit : Je crois qu’on a bien posé la problématique avec ce warm up. Il est temps d’accueillir notre invitée Asma Mhalla, je l’ai entendue arriver, pour explorer tout ça avec méthode et en suivant trois axes :

  • premièrement, on va voir justement cette question fondamentale : les États et les Big Tech, quelle nouvelle répartition du pouvoir ;
  • dans une deuxième séquence, on abordera justement cette question de la tech au cœur du jeu géopolitique ;
  • on terminera par une troisième séquence sur une question que tout le monde se pose : quelle souveraineté numérique pour l’Europe ?v

Bonjour Asma.

Asma Mhalla : Bonjour.

Cyrille Chaudoit : Asma, on se tutoie, c’est OK ?

Asma Mhalla : C’est parfait.

8’ 58

Cyrille Chaudoit : Asma,