Diversité & Open Source
Titre : Diversité & Open Source
Intervenant·e·s : Zoé Maltet - Constance de Quatrebarbes - Sophie Gautier - Zineb Bendhiba - Anumateur
Lieu : Open Source Experience
Date : 10 novembre 2021
Durée : 52 min 18
Licence de la transcription : Verbatim
Illustration : À prévoir
NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.
Description
Chacun peut constater dans ses projets Open Source le faible nombre de femmes participantes. Le problème n’est pas nouveau, il n’est pas propre à l’Open Source, et pourtant il semble exacerbé dans nos projets par une culture qui laisse peu de place aux femmes, à rebours des valeurs d’inclusion affichées par l’Open Source. Trois ans après l’intervention d’Open Héroïnes au Paris Open Source Summit, quelles propositions parmi les huit présentées ont « marché » ? Faut-il se résigner à un monde Open Source où les femmes n’ont qu’une place réduite ? Nos trois intervenantes partageront leur cheminement vers leurs premières contributions, avant d’ouvrir le dialogue avec la salle.
Transcription
Zoé Maltet : Bonjour à toutes et tous. Je suis Zoé Maltet. Je suis doctorante au sein du laboratoire GERiiCO, à l’université de Lille. Le laboratoire GERiiCO est un laboratoire en sciences de l’information et de la communication.
Je vais profiter de la journée d’aujourd’hui pour revenir avec vous sur comment cette question du genre peut se poser dans l’informatique, que ce soit comme discipline ou comme secteur professionnel.
Pour commencer, voici une infographie qui résume déjà bien la situation, issue du rapport 2018 du Collectif Femmes@Numérique. De nombreuses études statistiques, scientifiques, soulignent bien le fait que les femmes restent minoritaires dans les métiers du numérique tout comme dans les formations qui permettent d’y accéder et cela partout en Europe. Par exemple, d’après les derniers chiffres du Syntec Numérique, les femmes ne représenteraient que 33 % des salariés du numérique. Si on regarde un peu plus en détail ces chiffres, on s’aperçoit qu’elles ne sont, en fait, que 15 % dans les métiers véritablement de la technique, elles sont plus présentes dans les emplois de marketing et de communication. Donc vraiment, plus on se rapproche de la technique, moins il y a de femmes.
Pourquoi si peu de femmes ? Plusieurs facteurs entrent en jeu.
Tout d’abord, cette absence de mixité n’est pas propre au secteur du numérique. On a une ségrégation sexuée dans l’ensemble du monde du travail, tout comme dans les formations, on le constate tous les jours. Il y a des professions, des secteurs qui sont plus occupés par des hommes ou d’autres qui vont être occupés majoritairement par des femmes au point qu’il y a des métiers qu’on a du mal à mettre au féminin, par exemple pompier ou, à l’inverse, des métiers qu’on va tout de suite penser au féminin comme assistante sociale.
En fait, on a encore aujourd’hui ce qu’on appelle une division sexuée de l’orientation. Bien qu’aujourd’hui, en France, tout le monde a le droit d’acquérir tout type de savoir il va rester que selon son sexe d’assignation, selon le fait qu’on soit homme ou femme, il va y avoir des savoirs qui vont être considérés comme plus naturels ou alors comme plus transgressifs.
Filles et garçons vivent depuis le plus jeune âge des socialisations différentes, c’est-à-dire qu’ils vont apprendre à se comporter, à sentir, à penser selon les formes socialement associées à leur sexe, ils vont intérioriser les stéréotypes de sexe du moment qui vont être en vigueur dans notre société. L’intériorisation, la mobilisation de ces stéréotypes de sexe est le plus souvent inconsciente, automatique, et même si on conteste explicitement le contenu des stéréotypes de sexe, on les mobilise tout de même et on les partage tous, pour la plupart.
Donc cette socialisation genrée aboutit à ce que filles et garçons développent des compétences, des aptitudes, des intérêts différents et une des conséquences c’est que, dès qu’il y a un choix d’orientation scolaire ou professionnel à faire, eh bien hommes et femmes ne vont pas faire les mêmes choix.
Pourtant, à ses débuts, l’informatique et ses différents métiers étaient plutôt considérés comme féminins. C’étaient des métiers peu qualifiés et qu’on voyait aussi comme la prolongation des métiers de secrétariat. J’ai sélectionné un graphique issu des travaux de la chercheuse Isabelle Collet, qui a beaucoup travaillé sur cette question de la disparition des femmes dans les études informatiques, qui montre que dans les écoles d’ingénieur, jusque dans les années 80, les femmes sont plutôt nombreuses à choisir la spécialité informatique. Il va y avoir, en fait, un basculement à partir des années 80/90 où, comme on le voit sur le graphique, d’un seul coup les hommes vont arriver un peu en masse dans les études d’informatique donc dans les métiers.
Pourquoi ? Pourquoi ça devient intéressant pour les hommes, d’un seul coup, d’aller faire de l’informatique ? Il y a plusieurs choses qui entrent en jeu.
Tout d’abord c’est un moment où l’industrie de l’informatique se développe, elle a besoin de main d’œuvre. Il faut attirer du monde, donc on va revaloriser les métiers de l’informatique qui vont devenir mieux rémunérés, plus prestigieux, donc ça va devenir intéressant pour les hommes pour y aller, ça ne va plus seulement être des petits métiers de secrétariat.
Dans les années 80 c’est aussi le moment où se développe toute une culture masculine de l’informatique avec plusieurs choses qui jouent : l’arrivée du micro-ordinateur dans les foyers qui va modifier les représentations de l’informatique, de l’informaticien, qui va permettre à l’informatique de devenir plus connue auprès du grand public et ce micro-ordinateur, comme on le voit dans cette publicité, on va le vendre en priorité aux hommes. Aujourd’hui encore, dès qu’il y a une nouveauté technologique, peu importe son niveau de technicité, ce sont les hommes qui sont équipés en premier dans les foyers.
Les années 80 c’est aussi le moment où il y a la sortie de nombreux films de science-fiction qui mettent en scène l’informatique et ça aurait participé à susciter l’intérêt des garçons pour cette discipline. C’est aussi le moment où l’industrie du jeu vidéo relance sa production en se mettant à cibler principalement les garçons, que ce soit dans son marketing ou dans les types de jeux qu’elle propose. Ce n’est pas anodin si c’est le moment où sort la fameuse Game Boy. On verra que les jeux vidéo constituent encore, pour beaucoup de personnes, une porte d’entrée vers l’informatique.
Avec l’arrivée du micro-ordinateur va se généraliser une représentation de l’informaticien auprès du grand public qui va être incarnée par le stéréotype du hacker qui vient de la science-fiction et qu’on retrouve aujourd’hui, de manière générale, dans la fiction, beaucoup dans les films et les séries. Vous avez une petite sélection. Ce stéréotype du hacker va avoir un impact au moment de l’orientation .
En fait, quand on réfléchit à son orientation, on se représente les filières, les professions à travers des personnes types qui vont exercer ces professions et on prête à ces personnes types des compétences, des valeurs, un style de vie, voire des caractéristiques physiques et on va faire, de manière plus ou moins consciente, une comparaison entre l’image qu’on a de soi-même et l’image qu’on se fait de ces personnes types. Pour qu’on puisse envisager une orientation, il faut qu’il y ait une ressemblance assez importante entre ces deux images. Or, les travaux d’Isabelle Collet ont bien fait ressortir que la figure de l’expert en informatique est incarnée par ce stéréotype du hacker, donc un homme, le plus souvent jeune mais pas forcément, passionné de programmation, autodidacte, souvent décrit comme asocial, laid, célibataire et qui se moque de la réussite professionnelle parce que tout ce qui compte c‘est la reconnaissance de ses capacités en programmation par ses pairs. On a parfois une version féminine de ce hacker, dans la fiction, déjà elle est assez rare. Là aussi on va être sur des personnages excentriques ou asociaux. Donc ce modèle du hacker est culturellement familier aux garçons, il est possiblement déjà là pour les garçons. À l’inverse, les filles ont du mal à se projeter dans cette image de l’informaticien incarnée par le hacker, notamment parce qu’il est très éloigné des stéréotypes de la réalité.
Après, que ce stéréotype ait peu à voir avec la réalité du métier n’a pas vraiment pas beaucoup d’influence au moment de l’orientation, surtout parce qu’il y a une très grande méconnaissance du grand public de la réalité du métier.
Donc, si c’est atypique pour les femmes de s’orienter vers des formations purement informatiques, je vois que, parmi les hommes que j’ai suivis, ce choix d’orientation scolaire, professionnel, est beaucoup plus évident. Aujourd’hui l’enseignement de l’informatique est encore assez limité dans le secondaire. Les choses sont en train de changer, il faudra voir l’impact, mais pour les personnes que j’ai pu suivre c’est surtout en dehors de l’école, du cadre scolaire qu’elles découvrent l’informatique, dans le cadre familial, par le biais de leurs loisirs, or ce sont plus souvent des loisirs investis par les hommes qui permettent de découvrir l’informatique, comme les jeux vidéo. La très grande majorité des hommes que j’ai interrogés déclarent avoir découvert l’informatique via les jeux vidéo qu’ils ont pratiqués jeunes. C’est parce qu’ils ont voulu améliorer leurs compétences, les fonctionnalités de leur jeu, voire créer leurs propres jeux, qu’ils ont commencé à s’intéresser à ce qui se passait dans l’ordinateur et de là serait né leur intérêt pour l’informatique. C’est le cas de quelques femmes, mais ça concerne surtout les hommes interrogés, étudiants comme professionnels.
Cette association de l’informatique aux mathématiques.
Sa découverte via des pratiques ludiques plutôt considérées comme masculines, son supposé manque de créativité, tout ça fait que ce choix d’orientation est beaucoup moins évident pour les femmes que pour les hommes. Souvent elles découvrent l’informatique à un âge plus avancé que celui des garçons et par hasard, par le biais d’une option dans un cursus de licence générale en sciences ou par le biais d’un proche qui va travailler dans ce domaine. Elles vont alors souvent faire le choix de se réorienter, de se spécialiser dans ce secteur.
Je vois que même parmi des étudiantes qui s’orientent directement après le bac en DUT informatique, elles avouent qu’en fait ce n’est pas leur premier choix. Elles ont d’abord envisagé de faire autre chose, de faire médecine, une école de vétérinaire, une école d’art. Elles ont dû renoncer à ce projet pour différentes raisons, elles n’avaient pas le niveau scolaire suffisant ou en raison du coût des écoles. C’est arrivé à un moment où elles étaient un peu perdues qu’un proche leur a soufflé la possibilité de l’informatique, une discipline à laquelle elles n’avaient pas du tout pensé auparavant, alors que le choix est beaucoup plus évident pour les garçons qui pratiquent déjà l’informatique, en tout cas estiment pratiquer l’informatique, depuis plusieurs années déjà, dans le cadre de leurs loisirs.
Si les hommes découvrent plus tôt l’informatique que les femmes, ils estiment qu’ils la pratiquent bien avant leur entrée en formation. Ils disent s’être formés tout seuls, sur leur temps libre, parce qu’ils sont passionnés, ils adorent ça, ils se disent autodidactes. Ils apprennent seuls, avec des tutoriels sur Internet ou en manipulant la machine et ils suivent, par la suite, des cours en informatique pour obtenir un diplôme qui va valider leurs compétences, mais en entretien ils vont avoir tendance à négliger les apports de la formation académique qu’ils vont limiter à un ou deux cours.
Ce rapport insiste sur cette représentation que pour faire une formation en informatique il faudrait déjà posséder des connaissances préalables, qu’il faudrait déjà savoir faire de l’informatique pour pouvoir se former en informatique et surtout il faudrait être passionné par ça.
Donc de nombreuses femmes avouent avoir hésité à se lancer dans une formation en informatique non pas parce qu’elles redoutaient de se retrouver toutes seules au milieu d’hommes, chose dont elles avaient très bien conscience, mais parce qu’elles estimaient qu’elles n’avaient pas assez de connaissances préalables dans le domaine et qu’elles n’étaient pas passionnées par ça. Si elles ont sauté le pas c’est qu’elles ont pu rencontrer la bonne personne qui les a détrompées sur ce point, souvent un enseignant ou encore un proche qui va travailler dans le domaine.
Cela fait que dès le début de la formation, les étudiants hommes se retrouvent autour d’une passion commune, qu’ils vont donner à voir en affichant vraiment le fait qu’ils ont des compétences techniques, ils vont mettre en avant le fait qu’ils maîtrisent ces compétences. Ça peut se voir notamment lors des cours de travaux pratiques où les garçons instaurent une véritable compétition entre eux : c’est au premier binôme qui terminera l’exercice. Ils s’interpellent à travers la salle pour savoir où en est chaque groupe, insultent ceux qui sont en avance, se dépêchent de les rattraper ; quand ils ont terminé tout le monde le sait, ils se tapent dans les mains, se congratulent, se vantent auprès des autres. Quand il y a des remises de notes qui concernent des disciplines liées à l’informatique là aussi chacun compare sa note, on se vante, on se moque de ceux qui ont échoué. Il faut savoir que la popularité au sein du groupe de formation passe beaucoup par le fait d’être doué en informatique. C’est aussi important pour les garçons de mettre en avant leur réussite en informatique, de le faire savoir aux autres.
Les enseignants constatent aussi une importante différence de niveau entre les personnes qui ont déjà pratiqué l’informatique et ceux et celles qui la découvrent. Bien qu’ils affirment de ces différences de niveau se gomment au fur et à mesure de la formation, en début d’année il y a des étudiantes qui se disent angoissées par ce constat. Elles doutent de leurs compétences, elles disent devoir travailler plus. Il y en même qui vont jusqu’à revoir leurs ambitions à la baisse. Il y a l’exemple de Léna, seule étudiante dans sa classe qui, en voyant les réussites de ses camarades en TP, en entendant leurs notes, se dit « finalement l’informatique ça ne va pas être pour moi, je n’ai pas le niveau ». C’est en discutant avec une enseignante qu’elle a appris qu’elle se situait, dans l‘ensemble de la promotion, parmi les dix premiers étudiants et que, si les garçons de sa classe avaient de bons résultats, ce n’est que dans certaines matières bien spécifiques ou dans certaines activités bien précises.
Pour terminer.
S’il y a peu de femmes qui s’orientent dans les métiers du numérique, dans les filières qui y préparent, il faut savoir que celles qui y vont, celles qui se forment, qui trouvent un emploi, sont beaucoup plus nombreuses que les hommes à sortir en cours de carrière. J’ai sélectionné une citation qui est issue d’une étude qui avait été faite à l’échelle européenne. Parmi les femmes ayant des diplômes dans le domaine des technologies de l’information et de la communication, 20 % de celles âgées de 30 ans travaillent dans ce secteur, elles ne sont plus que 9 % passé l’âge de 45 ans. Donc cela témoigne bien des difficultés des femmes à se maintenir dans une activité du secteur, c’est un phénomène qu’on désigne souvent sous le nom de « tuyau percé ». Les principaux obstacles, les principales difficultés que relèvent plusieurs études sur cette question de l’abandon des femmes, ça va être le plafond de verre, les inégalités de traitement et cette grande difficulté à se faire reconnaître par des pairs majoritairement masculins.
Je vous remercie.
Animateur : Je vous remercie aussi. On va faire intervenir nos intervenantes.
[Applaudissements]
14’ 29
Animateur : On va commencer, comme on avait dit, par Sophie, puis Zineb et enfin Constance que je vais vous présenter
Le défi qu’on s’est donné c’est que toutes les trois, avec vos profils différents, vous répondiez à la question comment est-ce que vous en êtes venues à vos premières contributions dans l’open source et quel a été votre parcours. Bien sûr, vous pouvez intervenir sur ce qu’on vient de voir, sur ce dont on a discuté avant et puis les choses dont on a discuté pendant la préparation de cette table ronde.
Sophie Gautier est Foundation coordinator à The Document Foundation. Elle a rejoint la communauté openoffice.org en octobre 2000 où elle a participé à différents projets notamment en QA [Quality assurance] et en localization. Elle est un des membres fondateurs de The Document Foundation et elle participe à la communauté francophone de LibreOffice.
À toi Sophie. Tu as plusieurs minutes pour exposer.
Sophie Gautier : Bonjour à tous.
J’ai commencé tout au début du projet openoffice.org, quand Sun a libéré le code de Star Office. J’ai d’abord commencé par de la documentation pour rentrer petit à petit dans le projet. Après j’ai continué avec de la localisation et puis en même de l’assurance qualité, pas mal d’assurance qualité sur les patchs qui étaient soumis.
De 2000 à 2010 j’ai contribué petit à petit et de plus en plus, au projet. Ensuite on a forké le projet openoffice.org pour fonder The Document Foundation et LibreOffice. J’ai continué à m’occuper surtout des équipes de localisation et d’assurance qualité et j’ai été embauchée par la fondation comme ??? manager et maintenant comme Foundation coordinator.
J’ai eu la chance de tomber dès le début sur un environnement qui était très ouvert et très accueillant. J’ai rencontré d’autres personnes à ce moment-là – je crois, Fred, que je te connaissais peut-être déjà dans ces années-là – l’équipe Mozilla, J’ai aussi beaucoup travaillé avec l’équipe de localisation francophone de Debian qui m’a beaucoup appris et c’étaient aussi des gens qui étaient aussi très bienveillants. Dans mon parcours j‘ai eu la chance de ne tomber que sur des gens qui étaient accueillants et bienveillants et c’est vraiment une chance parce que je sais ça n’arrive pas à tout le monde de la même façon. Voilà pour mon parcours.
Animateur : Merci. N’hésitez pas à être plus longues, on a le temps, de toute faon on aura le temps pour des questions.
Zineb Bendhiba est Senior Software Engineer chez Red Hat . Elle est contributrice reconnue sur le projet open source Apache Camel. Actuellement elle contribue principalement au sous-projet Camel Quarkus. Avant de rejoindre Red Hat, en 2020, elle a travaillé pendant 12 ans dans différentes entreprises. Elle a participé à la conception, au développement et à la gestion de différents projets principalement dans la technologie Java. Par ailleurs, elle est membre actif de l’association Duchess France.
Zineb Bendhiba : Bonjour tout le monde.
Par rapport à la présentation, je voudrais juste rajouter un petit contexte par rapport à moi. Je suis arrivée en France il y a dix ans. J’ai grandi au Maroc, j’ai étudié au Maroc et j’ai commencé ma carrière au Maroc. Je voudrais juste dire qu’entre le Maroc et la France on n’a pas cette si grande disparité dans les études. Je suis allée au collège et au lycée fin des années 90, début années 2000. La tendance était d’être scientifique, d’aller principalement sur des études d’ingénierie. Quand on est ingénieur ou dans l’informatique on va avoir à peu près 30/40 % de femmes, en tout cas sur la période où j’ai étudié. Donc j’ai connu un peu tardivement, quand je suis arrivée par France, par hasard, qu’il n’y avait pas beaucoup de femmes dans l’informatique, je m’en suis déjà rendu compte déjà en partant à ma première conférence et c’est là où j’ai rencontré les Duchess France.
Par contre, par rapport à l’open source, en fait il y avait le monde d’avant et le monde d’après. Dans le monde d’avant j’étais un peu comme beaucoup de gens, j’aimais l’open source, j’ai toujours voulu être dans l’open source, mais, dans ma tête, c’était un monde qui n’était pas pour moi, c’était pour une élite à laquelle je ne m’identifiait pas et je pense que j’avais des stéréotypes très forts par rapport à la typologie de personnes qui sont dans l’open source. C’est vrai qu’il y a même des hommes dans l’informatique qui ont cette vision-là, mais vu que nous, les femmes, sommes minoritaires et que nous avons beaucoup plus le syndrome de l’imposteur parce que le fait de me dire « je ne suis pas légitime dans l’open source » c’était vachement lié au syndrome de l’imposteur. Il y a plein de présentations sur ça, plus de pourcentages, c’est vrai qu’in fine il n’y a pas beaucoup de femmes dans la tech, donc dans l’open source on en voit encore moins.
Aujourd’hui je suis dans l’open source, c’est mon travail de tous les jours. La question de la légitimité dans l’open source ne se pose même pas. Je côtoie les gens au jour le jour, je ne les vois plus comme je les voyais avant, inaccessibles. Dans le monde d’avant, même quand j’allais dans les conférences, je n’arrivais pas à leur parler.
Entre-temps il y a eu une période de transition et j’ai rencontré les Duchess France il y a des années dans la conférence DevoX France. J’ai eu un espace d’échanges, j’ai pu savoir que le syndrome de l’imposteur existe , avant je ne savais pas, donc tout ce que je pensais était forcément vrai. J’ai rencontré beaucoup de femmes modèles dans lesquelles j’ai commencé à me visualiser, à me dire « eh bien oui, c’est possible, je peux l’être aussi ». J’ai eu aussi cet espace d’échanges entre femmes où d’autres femmes m’ont soutenues, m’ont dit « tu peux le faire » et ça m’a changée petit à petit avec le temps.
Le jour où je me suis dit « il faut que je travaille sur le syndrome de l’imposteur », que j’ai mis un nom dessus, ça n’a pas été magique, ce n’est pas du jour au lendemain « je travaille sur le syndrome de l’imposteur, je fais ma première contribution ». Du coup, j’ai cherché plusieurs moyens. Le premier c’est via le site Meetup où j’ai trouvé un meetup où on pouvait faire ses contributions en groupe. Ça m’a beaucoup aidée parce que, du coup, on est ensemble, donc on va faire la revue de code ensemble, on va contribuer ensemble et ça permet de ne pas se sentir seule pour sa première contribution. Par la suite j’ai été mentorée par une autre Duchess France et après j’ai fait ma première contribution toute seule.
C’est un peu mon histoire avec l’open source, je ne sais pas si ça peut aider quelques personnes.
Animateur : Je pense qu’après on pourra aussi parler de ton expérience à Red Hat, dans la partie questions réponses.
La troisième intervenante, Constance de Quatrebarbes, est une programmeuse indépendante, militante libriste et data artisan depuis une dizaine d’années. Elle est spécialisée dans la science des données ainsi que dans le développement de méthodes et outils numériques principalement à destination des chercheurs mais qu’elle a pu mettre aussi au service des bibliothécaires et des analystes en cybercriminalité.
Entrepreneure d’intérêt général pour la Bibliothèque nationale de France en 2018, elle s’engage à nouveau dan ce programme en 2021 pour le défit Green Data for Health auprès du ministère de la Transition écologique.
Constance de Quatrebarbes : Bonjour. Donc tout ça !
Pour revenir sur pourquoi de l’open source. Il se trouve que je suis autodidacte, avec toute cette belle présentation ça vous a fait un peu perdre le fil, mais j’ai appris à peu près toute seule. Il se trouve qu’il y a une conjonction de deux choses, ce que la présentation d’avant m’a rappelée. Il se trouve que j’avais besoin d’un ordinateur qui ne soit pas trop lourd et c’était le premier IPC. Le premier IPC était, si je ne dis pas dit pas de bêtises, sous une Debian, c’était le seul qui était disponible, donc j’ai commencé à découvrir tant bien que mal ce que c’était que le logiciel libre et toutes les difficultés qu’on pouvait avoir. En gros, c’est pour dire que j’ai vécu avec de l’open source parce que j’ai après à peu toute seule, avec de l’aide évidemment, mais sans l’open source et sans le logiciel libre, ça m’aurait été impossible.
Je me suis aussi posé la question de la légitimité que j’avais à venir parler de contribution puisqu’en réalité je me suis demandé moi-même si j’avais déjà contribué à un logiciel open source. En vrai je ne crois pas que j’ai déjà fait des pull-requests corrects, si j’ai dû en faire, j’ai dû faire des questions et des réponses. Je pense que ce serait intéressant de revenir sur ce que c‘est que de contribuer à l’open source pas forcément seulement dans l’intervention sur le code source lui-même. Il se trouve que comme j’étais autodidacte, j’ai voulu aussi passer le flambeau en disant il faut que je donne aux autres ce qu’on m‘a donné. J’ai fait pas mal de formations, j’ai aussi travaillé pas mal sur certaines documentations. Un truc important à rappeler c’est que la contribution à l’open source ce n’est pas seulement intervenir sur le code, sachant qu’il y a toujours cette question de la légitimité technique de dire peut-être que finalement je n’ai pas une grande vue globale du projet, donc je ne suis peut-être pas forcément autorisée à agir.
J’aurais bien aimé rencontrer les Duchess parce que je ne les ai jamais croisées, du coup ça m’aurait peut-être aidée à ne pas sentir toute seule dans mon coin. Sachant que dans les métiers, dans les entreprises et les labos dans lesquels j’ai travaillé on fait évidemment beaucoup d’open source et j’avais quand même l’impression d’être assez isolée sur les sujets que je touchais.
Voilà pour ma part.
25’ 56
Animateur : Merci à toutes les trois.
14’ 29
Animateur : On va commencer