Un numérique qui prend soin des humains par Maïtané Lenoir

De April MediaWiki
Aller à la navigationAller à la recherche


Titre : Un numérique qui prend soin des humains

Intervenante : Maïtané Lenoir

Lieu : Entrée Libre #2, Centre des Abeilles, Quimper

Date : 30 août 2021

Durée : 31 min 35

Vidéo

Présentation de la conférence sur le site de Penn Ar Web

Diaporama support de la conférence

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : À prévoir

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Description

Maïtané Lenoir, UI/UX Designer (conceptrice des interfaces utilisateur) présente, dans cette conférence, comment faire avancer un numérique qui prend soin des humains
Le numérique ça semble être un truc de geeks, qui est forcément conçu par des gens spécialisés qui prennent des décisions à la place des usagers de leurs produits. Mais il existe un autre monde, un monde plein de petits et grands projets numériques qui prennent soin de leurs utilisateurs.

Transcription

Bonjour tout le monde. Bonjour à vous. Bonjour aux gens que je n’ai pas vu tout à l’heure.
Je vais vous parler de comment on fait avancer un numérique qui prend soin des humains. Après avoir parlé de robots, ça va être cool.
Moi c’est Maïtané. J’utilise le pseudo maiwann sur Internet. Je suis designeuse. En gros, je suis conceptrice de logiciels, ça veut dire que je discute avec les utilisateurs pour comprendre quels sont les problèmes qu’ils rencontrent soit dans la vie parce qu’on se dit numériser des processus qui se font de façon analogique ça pourrait être bien, soit parce que les gens utilisent déjà un dispositif numérique qui est plus ou moins bien foutu, du coup on a envie comprendre leurs problèmes. Donc je conçois des choses, ensuite je teste les nouvelles solutions pour vérifier que ça résout bien leurs problèmes, si ça leur en crée des nouveaux, des choses comme. Et je suis membre d’une association qui s’appelle Framasoft, qui est une association trop chouette, une association d’éducation populaire aux enjeux du numérique. Je vais vous en reparler plus tard.

La question c’est : comment fait-on avancer un numérique qui prend soin des humains ?

Des outils conviviaux

Avec des outils conviviaux ! C’est quoi un outil convivial ? Ce n’est pas très précis.
Une personne a réfléchi sur le sujet, je vais vous partager ce qu’elle a réfléchi. Ce que je trouve enthousiasmant c’est qu’elle parle d’un modèle de société, donc on relie ça directement à un truc politique alors que ça parle de la technique, donc je trouve ça assez chouette. C’est Ivan Illich qui en parle il dit : « J’appelle société conviviale une société où l’outil moderne est au service de la personne intégrée à la collectivité et non au service d’un corps de spécialistes. » C’est un problème qu’on a souvent avec le numérique où on a l’impression que l’informatique c’est pour les informaticiens et, si jamais vous n’êtes pas informaticien, tant pis pour vous c’est dommage. Ce qui est un peu un marrant parce qu’on ne dirait pas ça de la plomberie, par exemple, ou de la mécanique, en tout ça serait plus bizarre que vous arriviez au garage et que la personne dise « en fait votre capot est soudé et il n’y a que moi qui peux le dessouder. Tant pis pour vous ! » La mécanique vous pouvez l’apprendre tout seul. Si jamais vous en avez marre d’aller au garage parce que vous trouvez pénibles tous les garages autour de vous, vous pouvez apprendre.
L’informatique c’est techniquement sauf qu’il y a une espèce de nuage de fumée autour qui donne l’impression que c’est différent, c‘est de la technique un peu différente qui nécessite d’être beaucoup plus, je ne sais pas, intelligent ou avoir fait les études qui vont bien pour pouvoir le faire, alors que pas du tout.
Du coup Ivan Illich retourne un peu ça en disant que l’idée c’est de faire des outils conviviaux qui sont accessibles à toutes les personnes et pas juste aux spécialistes. Il parle d’une société conviviale où l’homme contrôle l’outil. Ça c’est bien aussi parce qu’il y en a un peu marre que ce soient les logiciels qui réfléchissent à notre place ou qui induisent des comportements, parce que je peux vous le dire, je suis designer : en fait, quand on conçoit un logiciel, si on ne s’est pas renseigné sur les différentes façons de fonctionner des gens, déjà la façon de fonctionner globalement d’un être humain, très vite on va indiquer un chemin plutôt qu’un autre, en général le chemin auquel on a réfléchi, peut-être le chemin qui nous correspond mais qui ne correspond pas forcément aux autres personnes. Par exemple, moi je suis une femme blanche, à priori valide – valide dans le sens pas handicapée –, si jamais il y a un chemin qui fonctionne pour moi, je n’en sais rien ; on parlait tout à l’heure des captchas, si le captcha visuel fonctionne pour moi, il ne fonctionne pas pour une personne aveugle et ça m’est complètement invisible tant que je n’en ai pas discuté, par exemple, avec une personne aveugle. L’idée est que ce ne soit pas moi qui décide de qui peut l’utiliser ou pas mais que ce soit au service des personnes.

L’outil convivial répond à trois exigences d’après Ivan Illich :
il doit être générateur d’efficience sans dégrader l’autonomie personnelle. C’est un peu ce dont je viens de vous parler ; il ne doit susciter ni esclave ni maître. Il ne doit pas instaurer de dominations au sein du logiciel du genre toi tu n’as accès qu’à ça et tu n’as pas de vision globale sur ce qui se passe à l’intérieur du logiciel. Par contre, peut-être que ton chef, peut voir. Donc toi tu ne peux pas savoir qui est connecté quand, mais ton chef peut savoir qui est connecté, des choses comme ça ; et il doit élargir le rayon d’action personnel. L’idée c’est que ça soit un outil pour faire plus de choses. Il y a un moment où c’est un peu tendancieux. Par exemple les histoires de GPS, on peut se dire, à la fois, que les GPS c’est vachement parce que, du coup, je peux aller un peu n’importe où, je peux arriver à Quimper ou je peux arriver à Paris et je peux trouver super facilement l’endroit où il faut aller, mais moi, en tout cas, j’ai l’impression que ma façon de me repérer dans l’espace a quand même grandement été dégradée au fur et à mesure du temps parce que, du coup, moi qui essaye d’utiliser moins mon téléphone, l’application de navigation c’est quand même le truc le plus difficile dont se séparer. Est-ce que ce n’est que pour moi ?, je n’ai pas lu d’études là-dessus. À la fois c’est, d’un côté, élargir mon rayon d’action et d’un autre côté, en fait, m’en passer c’est difficile, donc je ne suis pas sûre que ce soit complètement à considérer comme un outil convivial.

Le logiciel libre

Si on veut des outils conviviaux qui aident les personnes, qui soient à leur service, pour moi une chose non négociable c’est l‘aspect logiciel libre. Rapidement, un logiciel libre correspond à quatre libertés pour les utilisateurs qui sont :
je peux l’utiliser ;
je peux étudier son code. En fait le capot du logiciel n’est pas soudé, je peux le relever pour voir ce qu’il y a dessous. Moi je ne sais pas faire de mécanique, par contre mon voisin qui sait faire de la mécanique, en qui j’ai confiance, peut me dire « c’est daubé, ce truc-là est tout rouillé, il faut absolument que tu le changes ou alors, il faut absolument que tu n’achètes pas cette voiture, parce que ce truc tout rouillé ça ne va pas fonctionner » ;
que je puisse le modifier. Du coup je peux changer mon truc tout rouillé ;
et le redistribuer à d’autres. Quand j’achète une voiture, je ne peux pas la copier pour l’offrir au voisin, tandis que c’est beaucoup plus facile de faire ça avec le logiciel. Un aspect super chouette du numérique c’est que dupliquer et partager ça se fait en un claquement de doigts beaucoup plus facilement. Du coup, il y a des personnes qui trouvent ça chouette et qui se disent « comme ça on peut partager absolument partout ». Par exemple là je fais une conférence, on l’enregistre et n’importe qui peut la voir ailleurs et je n’ai pas à la refaire à dix endroits différents pour que les autres personnes puissent la voir. Il y a des gens qui trouvent ça cool. Il y a d’autres gens qui pourraient dire « je vais mettre la conférence à 30 euros sur Internet et il n’y a que les personnes qui peuvent payer qui pourront la regarder », ce n’est pas super inclusif.
Je vous ai mis des exemples de logiciels libres que je trouve cool. J’ai mis Signal, je vous en parlerai dans ma conférence de vendredi si jamais vous ne connaissez pas. C’est cool.

Un petit point de différence entre logiciel libre et logiciel open source. Pour moi, open source ça veut dire que le code, justement, est accessible, donc le capot du moteur n’est pas soudé. C’est bien, mais ce n’est pas pareil que quand on pourrait avoir un truc pas soudé et voir qu’à l’intérieur tous les composants, en fait, ne sont faits que par notre vendeur d’automobile. Du coup on est dégoûté parce que c’est bien beau qu’on puisse voir ce qu’il y a à l’intérieur, mais si jamais on doit tout acheter au même endroit, ça ne nous permet pas vraiment d’être émancipé.
Tandis que l’idée du logiciel libre c’est qu’il puisse être, par exemple, réutilisable ailleurs. Donc c’est une visée plus politique de dire OK, non seulement je fais quelque chose qui est ouvert, mais, en plus, je vais permettre aux autres personnes de se l’approprier.
Respect des libertés, mise en avant d’une société coopérative et inclusive et une portée, un regard critique pour aller vers l’émancipation.
Des outils privateurs, on parle surtout des utilisateurs, ce ne sont pas tant les outils le problème.

Dégooglisons Internet

Par rapport à tout ça, par rapport aux idées que les sociétés conviviales c’est chouette, les outils libres c’est chouette, ça prend soin des humains, tout ça, l’association Framasoft dont je vous ai parlé au début a lancé une campagne qui s’appelle « Dégooglisons Internet ». Je vais dire « elle », parce que je n’y étais pas à ce moment-là. Elle a été lancée en 2014 et l’idée c’était de faire connaître ses logiciels libres en disant franchement c’est chouette, ça fait faire les choses différemment. L’idée c’est d’être plus indépendant des grosses sociétés de logiciels un peu plus privateurs, donc on vous encourage à les utiliser. Ça a eu du succès. Plein de monde est venu chez Framasoft pour utiliser les logiciels alternatifs qu’on proposait, donc c’était chouette. Sauf que c’est une petite association où il n’y avait pas beaucoup de personnes, où il n’y a toujours pas beaucoup de personnes, et proposer des choses face à des énormes entreprises qui ont beaucoup de moyens, beaucoup de salariés, c’est épuisant ; on ne peut pas être au niveau, c’est normal. Ce n’était pas le but, mais c’est quand même un peu pénible de se dire que ça ne sert à rien de proposer un service alternatif à tel autre logiciel à l’instant t, alors qu’eux dans un an ils auront beaucoup avancé et nous ne pourrons jamais les rattraper, des choses comme ça.
Le bilan : il y a plein de gens qui sont venus chez nous, c’est cool. En même temps est-ce qu’on a vraiment un avenir enthousiasmant devant nous ? Pas forcément.

Campagne Contributopia

Du coup on a lancé une nouvelle campagne, là je dis « on » parce que c’est à peu près le moment où je suis rentrée dans l’association, qui s’appelle Contributopia. Il va y avoir beaucoup de mots en « contribu » quelque chose, vous allez sans doute voir où je veux en venir à un moment.
Contributopia a été lancée en 2017. L’idée c’est de dire qu’on ne veut pas faire comme les grosses entreprises, on veut faire différemment. Le monde qu’on souhaite ce n’est pas de faire le leur, on ne veut pas faire des gros services qui captent des données personnelles, par exemple en France plutôt qu’en Amérique, ce n’est pas le but. L’idée c’est de faire différent, c’est de faire alternatif, c’est de faire chouette.
On a lancé Contributopia pour rêver à un monde qui soit plus dans le partage, l’échange, notamment autour de la technique mais pas forcément, pour aller vers quelque chose de, c’est mieux écrit là « partager ensemble, échanger sur la raison d’être. Prendre soin des communs et outils numériques qui permettent l’émancipation ».
C’est une campagne dans laquelle on est actuellement. On fait plein de choses. On propose des services qui sont alternatifs, non pas juste en disant « on fait une copie mais libre de ce qui existe ». On fait pas de côté, en disant OK. Par exemple on fait un logiciel qui s’appelle Mobilizon qui permet d’organiser des événements en ligne. Fondamentalement Mobilizon n’est pas pensé juste pour permettre d’organiser des évènements comme ce serait possible sur Facebook, mais, par exemple, pour permettre d’avoir des identités multiples. Sur Facebook on a une identité parce que le but c’est de capter les données, du coup que ça corresponde à nous. Ça intéresse Facebook et les publicitaires à qui il vend de la pub de savoir si moi j’aime les logiciels libres, le design, les crêpes et le tricot. Vous voyez ! Mais peut-être que ça m’embête que les gens du logiciel libre sachent que j’aime le tricot. Dans ma famille, par exemple, le tricot n’est pas très bien accepté.
Dans Mobilizon, par design, c’est-à-dire dès la conception, il y a une réflexion qui est de dire qu’on veut protéger les personnes qu’on estime être tout aussi légitimes à aimer le logiciel libre qu’à aimer le tricot. Comment fait-on pour protéger ces personnes ? On leur permet d’avoir des identités différentes, du coup de se dire « ça c’est mon profil où j’aime le tricot et ça c’est mon profil où j’aime le logiciel libre ».
Je ne vous raconte pas tout ce qu’on fait dans Contributopia, parce qu’on fait plein de trucs trop cool.

Donc je parle de tout ça. Contributopia, l’idée c’est d’aller vers la société de contribution, pour ne plus être juste dans la consommation de logiciels alternatifs, mais dans la contribution. Pourquoi ? On pourrait se regrouper entre informaticiens et décider de comment on fait des logiciels alternatifs qui pensent aux autres. Mais ça ne fonctionnera pas, on a besoin d’entendre des voix dissonantes. Comme je disais tout à l’heure, j’ai besoin de parler avec une personne aveugle pour qu’elle me dise « là, ton fonctionnement est complètement biaisé ». Même si je m’imagine à sa place, même si j’essaye de me renseigner en me disant « si j’étais aveugle comment je ferais », ça ne sera jamais la même chose que d’une personne qui le vit tous les jours.
Et ça marche pour le tricot, ça marche pour le fait d’être noir, ça marche pour le fait d’être queer, donc d’être LGBT, ça marche pour le fait d’être autiste, d’être neuro-atypique c’est-à-dire d’avoir un fonctionnement du cerveau qui n’est pas dans la norme. Pour tout ça on a besoin de gens qui sont différents de ce que penserait un informaticien de base ; de base, dans ce que je vous raconte, c’est un homme blanc, trentenaire/quarantenaire, comme ça, qui campe chez lui devant son ordinateur. On se dit c’est bien sympa mais non merci. Ce qu’on veut ce sont des personnes différentes, qui réfléchissent ensemble à comment on fait le meilleur logiciel pour tout le monde.
Pour ça, il faut qu’il y ait des gens qui viennent et qui contribuent, qui réfléchissent ensemble.
Sauf que ça c’est l’idéal mais souvent les personnes disent « je contribuerais bien, mais… ». Je vais vous raconter les mais. Ce sont peut-être des mais que vous vous dites vous-mêmes.
« Je contribuerais bien, mais je ne sais pas où et comment. » C’est bien gentil, mais moi, quand j’ai commencé à vouloir contribuer « je me suis dit je veux contribuer, en fait je cherche VLC sur Internet parce que c’est un logiciel libre et puis je vois s’ils ont besoin de quelqu’un pour faire des trucs », je ne sais pas, donc voilà, c‘est vaste. Et puis il y a des gens qui m’ont dit « tu n’as qu’à prendre n’importe quel projet qui te plaît et puis aller les contacter ». Sauf que l’idée ne me va pas du tout !
Il y a aussi des fois on dit « je veux bien venir contribuer sur ton projet, mais je ne sais pas trop comment ». Et des gens qui ont des logiciels libres m’ont dit « tu vas sur notre dépôt et tu n’as qu’à faire des issues. Donc, en gros, ce qu’on a compris quand la personne a dit ça, on sort et on dit « aller sur le dépôt et faire des issues, je ne comprends pas ce qu’elle m’a dit. » En fait, ce sont des mots techniques que les personnes utilisent tous les jours donc forcément c’est dans leur vocabulaire, mais quand on est là on fait « oui, super. Mais je n’ai ren compris ! » On ne peut pas vraiment dire qu’on n’a rien compris, car on se sent un peu bête, donc c’est un peu compliqué.
Il y a aussi le truc de base qui est « oui, mais moi je ne sais pas coder », du coup je ne peux pas contribuer puisque que je ne sais pas faire de code, ce n’est pas possible.

16’28

Comment faciliter la contribution au Libre

On s’est dit comment fait-on pour faciliter la contribution