Comment lutter contre les dérives du Net
Titre : Comment lutter contre les dérives du net ?
Intervenant : Arthur Messaud
Lieu : Matinale de LCI
Date : 15 mai 2019
Durée : 4 min
Lien vers la vidéo : [1]
Le 15 mai 2019, sur le créneau de la rubrique du '6h40', Arthur Messaud, juriste à La Quadrature du Net, était l'invité de la Matinale de LCI et interrogé par Pascale de la Tour du Pin, pour évoquer Facebook et sa modération.
transcrit par gropoilu
Pascale de la Tour du Pin : Bonjour Arthur Messaud, vous êtes juriste à La Quadrature du Net. Merci d'être avec nous sur le plateau, je voudrais juste vous faire réagir au reportage que l'on vient de voir sur ces modérateurs du Net qui travaillent. On a vraiment le sentiment que c'est très artisanal encore.
Arthur Messaud : Ca l'est complètement et ça va le rester. On voit là quelqu'un qui est à Dublin mais, en fait, la plupart des personnes qui vont être employées dans ses fonctions vont plutôt être en Asie, en Afrique ou en Amérique du Sud. ELles vont être employées dans des conditions salariales terribles et des conditions de travail, que l'on a vu, qui vont être lamentables.
Pascale de la Tour du Pin : C'est vrai que l'on comprend peut-être mieux comment les géants d'Internet ont du mal à contenir des contenus qui sont notamment terroristes. Ce sera le thème du jour, abordé autour d'Emmanuel Macron à l'Elysée aujourd'hui, alors que l'on apprend ce matin que Facebook va restreindre l'usage de sa plateforme "live" de vidéo en direct. Est-ce que c'est suffisant ?
Arthur Messaud : Non, c'est de la poudre aux yeux. Ce qui s'est passé sur Facebook, lors de l'attentat de Christchurch [2], c'est que la personne qui a comis cette tuerie s'est filmée en live et a diffusé ces images sur "Facebook live". Dans les faits, cela a été vu par cent ou deux-cents personnes, par très peu de gens. Mais, des alliés de ce tueur ont pris la vidéo et l'on dupliquée sur Facebook. Ils ont réussi très facilement à passer outre "l'intelligence artificielle" de Facebook, qui en fait est une passoire. Sur Youtube, il y a eu le même problème. Ces technologies, que l'on nous vend comme magiques, sont très facilement contournables par des humains organisés. Il suffisait typiquement de changer un peu la couleur de la vidéo pour rendre tout le système inopérant.
Pascale de la Tour du Pin : Excusez-moi, ça paraît dingue ! Je ne suis pas une intiée mais comment se fait-il que facebook ne l'ait pas fait ?
Arthur Messaud : En fait Facebook ne peut pas le faire, ne pouvait pas le faire. Facebook a deux armes : son intelligence artificelle, qu'il présente comme une solution magique mais qui ne marche pas du tout, on l'a vu, ou des milliers de salariés, des modérateurs, qui ne peuvent pas gérer des millions voire des milliards de personnes parce que c'est beaucoup trop dur. Facebok, Google et Twitter se sont mis dans une situation impossible à résoudre. Il y a beaucoup trop de personnes au même endroit qui discutent de trop de choses pour pouvoir facilement lutter contre le harcèlement, contre la propagande terrroriste. Facebook ne va même pas sortir de cette situation ! On voit aujourd'hui Facebook, à la place de diminuer en taille, rachèter et fusionner différentes entreprises. WhatsApp et Instragram rejoignent le groupe Facebook, alors que c'est le processus inverse qu'il faudrait faire. Il faudrait compartimenter tout ça pour faciliter l'organisation collective de ces espaces-là.
Pascale de la Tour du Pin : On fait commment ? A vous écouter, il n'y a pas de solution.
Arthur Messaud : Il n'y a pas de solutions ? Si ! Il n'y a pas de solution à la place de Mark Zukerberg, qui était invité cette semaine par Emmanuel Macron, reçu comme un chef d'Etat. Mr Macron s'imagine que Marc Zuckerberg va être la solution. Non, leur système est fondamentalement vicié et ne pourra pas être une solution aux problèmes que l'on rencontre sur Internet. La solution, c'est de permettre aux gens de partir de ces plateformes fondamentalement nocives, pour aller sur d'autres plateformes de plus en plus nombreuses, beaucoup plus petites et à taille humaine qui, elles, peuvent gérer de façon cohérente le harcèlement, les conflits. Ce n'est qu'en diminuant la taille, en revenant à des structures humaines, comme Internet était avant que l'on y arrivera.
Pascale de la Tour du Pin : Mais les géants d'Internet sont-ils d'accord avec vous ? Enfin, c'est inenvisageable puisque vous parliez justement de fusions, du fait qu'ils cherchent à devenir de plus en plus gros.
Arthur Messaud : Les géants d'Internet ne sont pas du tout d'accord. Ce n'est pas notre problème. Par contre, ce qui nous pose soucis, ce sont les utiisateurs, les utilisatrices. Est-ce qu'ils sont d'accord pour partir de Facebook ? Aujourd'hui, ce que l'on voit, c'est que plein de gens sont très insatisfaits de Facebook, notamment à cause de tous les scandales en matière d'utilisation de données personnelles, par YouTube également, par Twitter où il y a un climat extrêmement anxiogène.
Pascale de la Tour du Pin : Ce sont les utilisateurs qui doivent agir ?
Arthur Messaud : Les utilisateurs n'aiment pas ces plateformes mais on voit bien qu'ils ne partent pas. Il ne partent pas parce qu'il y a un vrai problème d'enfermement parce que partir de ces platerformes c'est s'isoler, se couper de sa famille, de ses collègues. Ce n'est pas un enfermement naturel. Techniquement, c'est un enfermement qui est entretenu par ces plateformes pour nous menacer, pour nous dire "soit vous restez avec nous, vous vous soumettez à notre surveillance économique, à notre publicité, soit vous partez et vous perdez vos amis". Alors que, en matière de technique du Web, la loi pourrait simplement imposer à ces plateformes la possibilité que l'on puisse partir, de Facebook par exemple, pour aller dans un endroit plus petit, et continuer à parler avec nos amis. Et ça, on pense que c'est la vraie solution de fond. La solution proposée aujourd'hui par Macron, avec une proposition de loi contre la haine en ligne, se trompe complètement de schéma parce qu'ils pensent que ce sont les géants d'Internet qui vont apporter la solution alors que ce sont eux le problème.
Pascale de la Tour du Pin : Et donc la solution va provenir des utilisateurs et c'est le message que vous souhaitiez passer ce matin. Merci beaucoup Arthur Messaud d'être passé sur le plateau de la Matinale ce matin.