Ce que copier veut dire (3/3)
Titre : Ce que copier veut dire (3/3)
Intervenant : Lionel Maurel
Lieu : Conférence [lire+écrire] numérique - Médiathèque de Rezé
Date : Mars 2013
Durée : 31 min 16
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Lionel Maurel
Pourquoi une Copy Party et qu'est-ce que la Copy Party signifie dans tout ça ? La Copy Party a un peu plus d'un an, la première a eu lieu le 7 mars 2012, c’était à La Roche-sur-Yon, on a fait ça dans la BU à La Roche-sur-Yon. Pourquoi est-ce qu'on a fait ça et comment on a pu le faire surtout ? Le principe de la Copy Party ce sont des usagers de bibliothèque, avec leurs propres moyens de reproduction, qui peuvent être des téléphones portables, des ordinateurs portables, des graveurs, tout moyen de reproduction qu'ils possèdent et qu'ils sont capables d'amener à la bibliothèque, vont faire des copies, dans l'établissement, et vont pouvoir repartir avec. Voilà, en gros. Et on fait un événement où les bibliothécaires proposent et incitent les gens à venir faire des copies à partir de leurs collections.
Juridiquement ce n'est pas complètement anodin, parce que le fait de faire une copie, de toute manière, est saisi par le droit d'auteur. Comment est-ce que c'est possible qu'on puisse faire ça ? En fait, le droit d'auteur fonctionne de cette manière : quand un contenu est protégé, c'est « copyright tous droits réservés », ça veut dire, qu'a priori, on ne peut faire aucune reproduction, sauf à passer par une autorisation préalable. Mais, dans ce système, il y a des exceptions à ce principe, qui sont fixées par la loi et qui sont conçues comme une sorte d'équilibrage du système dans certains cas précis, où le législateur considère qu'il donne une autorisation par la loi aux utilisateurs, pour leur permettre de faire des actes, sans avoir besoin d'autorisation. Ces exceptions, vous en connaissez certaines ; par exemple on peut faire, d'après la loi, des courtes citations ; faire une courte citation c'est possible sans autorisation. On peut faire aussi ce qu'on appelle des représentations gratuites et privées dans le cadre du cercle de famille. Ça, vous ne vous êtes jamais posé la question, mais quand vous écoutez un CD chez vous, vous pouvez le faire mais uniquement parce qu'il y a une exception du droit d'auteur. C'est parce qu'il y a cette exception de représentation privée que vous pouvez écouter les CD que vous achetez. C'est le fondement de votre liberté d'écouter ces CD. Il y a la parodie, le pastiche, les caricatures ; il y a la revue de presse pour les journalistes. Tout ça s'exerce sur le fondement des exceptions. Il y a une, dans le code, qui est la copie privée. Donc là elle a été introduite dans les années 80, justement dans cette période où les magnétoscopes et ce type d'appareils se répandaient, donc là l'idée, c'est que quand vous avez un contenu, vous allez pouvoir le copier, à des fins personnelles et à la base c'était pour faire des copies de sauvegarde. Donc quand vous achetiez une K7, quand vous achetiez un disque, une cassette vidéo à l'époque, vous aviez la possibilité d'utiliser un appareil pour faire une copie de sauvegarde dans un certain cadre juridique précis. C'est le moyen, si vous voulez, que le législateur a trouvé pour faire un équilibre entre le respect du droit d'auteur et la diffusion de certains moyens de, copie à grande échelle, dans la population.
Les exceptions au droit d'auteur existent mais elles sont parfois un peu insuffisantes, si vous voulez, ou mal adaptées. Voyez, là par exemple je vous ai mis un exemple, cette image-là,reproduction interdite de René Magritt, elle est protégée par des droits, elle n'est pas dans ce qu'on appelle le domaine public, elle est toujours protégée, et bien là en fait je ne peux pas vous la montrer. Ça c'est une contrefaçon au droit d'auteur, parce qu'en droit français il n'y a pas de droit à la citation des images, de citation graphique. Donc là, en fait, ça c'est trois ans de prison et 300 000 euros d'amende. Il n'y a aucun moyen pour moi de vous montrer cette image légalement. Si j'étais un professeur dans une école ce serait un peu différent, mais là on n'est pas dans un cadre pédagogique au sens de la loi, je ne peux pas vous montrer cette image.
Par contre la copie privée permet quand même pas mal de choses. La loi nous dit que les auteurs et les titulaires de droits ne peuvent pas empêcher les copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective, à l'exception des copies d'un logiciel autre que la copie de sauvegarde dans les conditions prévues, etc, et des copies d'une base données. L'important c'est le début : copie strictement réservée à l'usage du copiste, non destinée à une utilisation collective. La jurisprudence est venue préciser ce que ça voulait dire, notamment elle a rajouté en 1984 que pour faire une copie privée il fallait être propriétaire du matériel de copie. Par exemple si vous allez dans une officine de photocopies ou si vous faites une photocopie à la bibliothèque, même si vous réservez cette copie à votre usage personnel, ça n'est pas considéré comme une copie privée, parce que vous n’êtes pas propriétaire du photocopieur. Et pour organiser la photocopie il y a une autre loi, qui a été votée, pour mettre en place tout un système de gestion des droits qui permet d'employer régulièrement des photocopieurs. Mais ce n'est pas le même système. Pour faire une copie privée vous devez être propriétaire de votre matériel de copie.
Et pour équilibrer les choses, la copie privée, en fait, n'est pas gratuite, c'est-à-dire que c'est une exception qui est compensée parce ce qu'on appelle une rémunération pour copie privée, et vous vous en acquittez chaque fois que vous achetez un support vierge permettant la copie ou maintenant ça a été étendu au support numérique. Donc quand vous achetez un téléphone portable, un appareil qui permet de faire des reproductions il y a une redevance qui est appliquée et qui est versée, pour faire simple, à un organisme de gestion collective qui va rassembler ces sommes et qui va les reverser aux différentes filières de la création. L’année dernière ça représentait 198 millions d'euros ce qui est quand même une somme importante. Il faut savoir que dans cette somme il y en a un quart qui est réservé, qui va aux sociétés de gestion collective pour mettre en place des activités culturelles type festivals et c'est un des moyens, très important, de l'action cultuelle en France. Vous voyez ce système est en place, il existe.
Par contre il avait une faille, c'est-à-dire qu'on ne savait pas de quelle manière exactement il s'appliquait à la copie sur Internet. Quand vous téléchargez un fichier sur Internet est-ce que vous faites une copie privée si vous ne le rediffusez pas ? Ça, c'est resté longtemps une question qui se posait et les tribunaux, qui ont été soumis des premières affaires de piratage, n'avaient pas vraiment tranché la question, parce qu'ils ne se prononçaient pas sur ce qu'on appelle la question de la source licite. Pour faire une copie privée faut-il que la source de la copie soit licite ou pas ? Donc si vous dites oui, et s'il faut que ce soit licite, ça ne s'applique pas au piratage. Si vous dites non, ça peut potentiellement s'appliquer à certaines formes de piratage, comme c'est la cas d'ailleurs dans des pays comme l'Espagne, ou le Portugal que j'ai cité, qui ont utilisé la copie privée pour rendre légal le téléchargement simple. En décembre 2011 il y a eu une réforme du régime de la copie privée par la loi, ça nous a donné une loi et pour des raisons sur lesquelles je ne vais pas m'appesantir, mais dans le débat, un député a proposé de rajouter explicitement que la source de la copie privée, que les copies privées devaient être réalisées à partir de sources licites uniquement, ce qui a pour effet d’exclure les pratiques de piratage. Nous quand on a vu ça, en fait, on s'est dit, oui mais alors attendez, il y a un moyen de l'interpréter autrement : si on peut faire des copies privées à partir de sources licites, il existe d'immenses réservoirs de sources licites, justement de contenus, que sont les bibliothèques. J'avais déjà remarqué que pas mal d'usagers de bibliothèques prenaient parfois leur téléphone portable et faisaient une copie d'un livre qui les intéressait. Je me souviens qu'une fois dans une bibliothèque du réseau à Paris, j'avais vu une personne qui était à genou par terre et qui avait mis devant elle cinq ou six livres de cuisine, et qui était en train de les photographier avec son téléphone et qui se faisait sa propre petite réserve de recettes pour la semaine. Et je m'étais dit ce qu'elle fait, ces gestes-là est-ce qu'ils sont légaux ou pas ? Et en creusant j'en étais arrivé à la conclusion qu'il fallait qu'on ait une réponse sur la source licite, pour savoir si cet acte-là de copie était légal ou pas. En fait la loi nous l'a donnée la réponse : maintenant on peut faire des copies à partir d'une source licite. Ça ouvrait la voie à la copie personnelle en bibliothèque et l'idée qu'on a eue c'était de dire si on peut faire des copies personnelles en bibliothèque, on peut aussi l'organiser dans le cadre d'un événement qui pourrait s'appeler la Copy Party où les bibliothécaires permettraient à leurs usagers de mettre à disposition des contenus et de faire des copies. On a lancé le concept et ça a donné lieu à la première Copy Party, à la Roche-sur-Yon, qui a eu lieu il y a un an. Donc voilà le cadre.
Les conditions sont celles de la copie privée, donc en fait, attention, on est dans le cadre de la loi, donc il y a des conditions, qui sont assez simples à respecter, mais il faut en avoir conscience quand on fait cela. Les copies que vous allez faire tout à l'heure doivent être réservées à votre usage personnel ; ça veut dire que si copiez une page d'un livre, vous avez le droit de la conserver, vous n'avez pas le droit de la partager. C'est assez strict. Vous n’avez pas le droit, évidemment, de la repartager sur un réseau social, d'envoyer la page du livre que vous avez copiée sur Twitter ou Facebook ; vous n'avez pas le droit de la donner à un de vos camarades de classe, parce que vous avez vu un schéma dans un livre qui pourrait l'intéresser ; ça normalement, vous sortez du cadre de la copie privée si vous faites ça.
Vous devez faire les copies avec vos propres matériels de reproduction, c'est-à-dire vous devez avoir votre propre appareil photo, votre propre téléphone, votre propre graveur, pas un matériel emprunté à quelqu’un. Vous devez prendre les documents originaux qui sont dans la bibliothèque, évidemment, et vous n'avez pas le droit de briser une mesure technique de protection. Si vous tombez sur un DVD, un CD ou un autre contenu, qui est protégé par un dispositif qui vous empêche la copie, vous n'avez pas le droit de le faire sauter. Ça c'est la loi DADVSI.
Il y a d'autres subtilités que j'avais détaillées dans l'analyse du cadre juridique. Par exemple il y a une chose assez drôle : pour un CD de musique, vous avez le droit de le copier dans la bibliothèque, mais si vous l'empruntez vous n'avez plus le droit de le copier chez vous. C'est assez étrange. Pourquoi ? Parce qu'en fait et bizarrement, en France, il n'y a pas de base légale au prêt de CD. Il y en a une au prêt de livres, il y a une loi spéciale, mais le prêt de CD n'a pas de base légale, c'est-à-dire que les bibliothèques prêtent des CD illégalement. C'est étrange mais c'est comme ça. Donc si vous copiez le CD dans la bibliothèque, ça va, parce vous n'avez pas fait un prêt, vous avez bien une source licite. Si vous copiez le même CD chez vous, la source n'est plus licite, vous ne pouvez plus faire d'acte de copie privée normalement. Mais là, comme on va être dans la bibliothèque, vous avez accès à tous les documents qui sont proposés que ce soient des livres, des revues, des CD, des DVD.
Quand on a lancé l'idée, ce qui nous a beaucoup surpris, c'est le retentissement que ça a eu. On a eu une couverture radio, média et télé qui était assez importante. On avait France 3 « la première Copy Party », on a eu plusieurs articles dans la presse. Ce que je trouve intéressant dans cette idée et pourquoi, à mon avis, ça a eu un retentissement, c'est parce que, pour une fois, on en revenait à une conception positive de la copie. C'est-à-dire qu'au lieu de vous dire « Vous ne pouvez pas le faire », on arrivait à dire « Ça, vous pouvez le faire ». Et le fait de changer de discours et de dire, en restant dans le cadre de la loi, vous pouvez faire ça et d’ouvrir une porte vers une forme d'usage, ça a rencontré un certain intérêt et un certain écho. Moi depuis, là je le disais tout à l'heure, moi j'ai la chance de travailler dans une bibliothèque qui s'appelle la BDIC, à Nanterre, qui est une bibliothèque de recherche en histoire, quand je suis arrivé dans cette bibliothèque, je me suis rendu compte qu'ils pratiquent ça depuis toujours, c’est-à-dire qu'ils ont toujours permis la copie personnelle. Et c'est une bibliothèque de recherche sur des documents anciens, enfin pas si anciens, mais des documents du 20ème siècle qui sont toujours protégés par des droits d'auteur, mais qui sont fragiles et assez rares, et en fait je ne vois pas comment les chercheurs, aujourd'hui, pourraient travailler sur ces documents sans pouvoir prendre des photos, des éléments qui les intéressent. Ils se constituent comme ça une archive qui leur permet de faire leurs recherches et c'est un usage qui est très demandé par les chercheurs.
Des copies Party il y en a eu d'autres. Il y en a eu une en décembre 2012 au lycée Rabelais à Fontenay-le-Comte, d'ailleurs on a une des organisatrices qui est dans la salle. Ça a été une déclinaison pédagogique de la Copy Party qui était extrêmement intéressante et je vous invite à aller sur les sites, notamment à consulter le kit pédagogique que les documentalistes ont réalisé pour accompagner l’événement. L'idée c’était de se servir, avec les documents du CDI, de se servir de cet événement pour sensibiliser et ouvrir un dialogue sur les questions de copie et de droit d'auteur aujourd'hui. Et visiblement ça a donné lieu à des travaux d'étudiants et à des activités qui sont assez intéressantes.
Il y en a eu autre aussi qui était vraiment intéressante à Bruxelles en janvier. Ça a été une exportation internationale du concept qui était vraiment intéressante d'ailleurs parce que la copie privée n'est pas tout à fait la même en Belgique ; et là ils en ont fait un happening, c'était dans la bibliothèque de la communauté francophone à Bruxelles. Ils en ont fait un happening et ils ont invité les représentants des sociétés de gestion collective, donc l'équivalent de la SACEM belge, qui s'appelle la SABAM, et qui est un société assez dure ; par exemple, là récemment, elle a mis en place un tarif pour « les heures du conte », en Belgique. C'est-à-dire qu'ils ont considéré que le fait de lire des livres à des petits-enfants, c’était une représentation au public qui devait être soumise à un tarif. Ils ont appliqué un tarif à ces actes-là et ils ont attaqué en justice aussi les bibliothèques pour l'acte de prêt. La décision est remontée jusqu'à la Cour de justice de l'Union européenne, qui a considéré que les bibliothèques belges ne payaient pas assez cher la rémunération du prêt et donc ils ont appliqué une réévaluation rétroactive sur quatre ans qui va faire que les bibliothèques belges ne vont plus pouvoir acheter de livres pendant une période assez grande. Donc il y a un contexte de tension très fort, en Belgique, autour des questions de droit d'auteur, et donc là ils ont organisé un débat public avec les sociétés de gestion collective et notamment la SABAM ; ce qui était, je trouve, assez courageux quand même, et visiblement ça a eu un retentissement assez fort.
Et là donc vous allez en avoir une aujourd'hui, qui me paraît aussi très intéressante, parce que c'est une déclinaison plus créative. Il y a une Copy Party. On vous propose ensuite un atelier d'écriture autour des contenus copiés et là on est dans une déclinaison créative qui me paraît vraiment intéressante.
Voilà un peu tout ce que charrie l'acte de copie, tout ce que ça peut vouloir dire et comment la Copy Party peut nous donner une occasion d'y réfléchir et puis d'en parler. Voilà. Merci.
Applaudissements
16' 20
Public : Est-ce que tu peux nous dire un mot de, je crois que tu es l'inventeur du concept de copyfraud, du fait que des œuvres qui normalement ne devraient pas être protégées par le droit d'auteur, avec la technique, se retrouvent protégées par des droits que théoriquement elles n'ont pas.
Lionel Maurel : Alors je ne suis pas l'inventeur du concept. C'est un juriste américain qui s'appelle Jason Mazzone, qui l'a introduit. Donc le copyfraud par exemple, c'est ça vous voyez, j'avais mis exprès cette image. C'est le fait de revendiquer frauduleusement un copyright sur un contenu qui ne devrait pas être protégé, notamment quand il est tombé dans le domaine public, après l’expiration des droits d'auteur. Là vous voyez si vous allez sur le site du département de la Dordogne, vous constaterez que le département de la Dordogne revendique un copyright sur les peintures de Lascaux qui ont 17 000 ans. C'est une vraie revendication qui a donné lieu récemment à une affaire en justice, avec une des personnes qui travaillaient à la restauration, qui a fait une reproduction de la fameuse Vache noire de Lascaux et qui a été attaquée par le département pour reproduction illégale. Ça c'est un phénomène qui est très inquiétant parce que le domaine public, je n'en ai pas parlé, mais c'est un mécanisme d'équilibrage du système qui est fondamental, normalement, une fois que les droits se terminent, soixante-dix ans après la mort de l'auteur, les œuvres rentrent dans un état qui est un état de disponibilité à la copie et à toutes sortes de choses. Et ça ouvre des portes à la réutilisation, etc, et de plus en plus, on se rend compte qu'avec la numérisation beaucoup d’institutions culturelles remettent du droit d'auteur, ou d'autres sortes de droits, sur les œuvres du domaine public. Et en faisant ça, à mon avis, elles font quelque chose de très grave parce qu'elles portent une atteinte à l'idée même du domaine public, et ça c'est très problématique. Donc on a beaucoup d'exemples en ce moment, on en a un à la BNF, justement, à la Bibliothèque Nationale de France, où il y a eu des accords de partenariat public privé avec certaines firmes qui vont conduire à dix ans de restrictions sur l'accès à des corpus d’ouvrages anciens qui nous paraissent assez graves. Donc le copyfraud c'est un vrai problème et moi je crois beaucoup que la notion de domaine public pourrait justement, si elle était mieux protégée, apporter un vrai équilibre au système du droit d'auteur.
Public : Donc dans le cadre d'un espace auto-formation, en bibliothèque, est-ce que nous devons vérifier, quand nous utilisons des ressources gratuites, si la personne qui a mis en ligne ces ressources nous autorise, en fait, à les utiliser, à les mentionner, les référencer. Est-ce que ça porte atteinte au droit d'auteur ?
Lionel Maurel : Ça c'est une question assez compliquée mais qui revient souvent. C'est-à-dire que, sur Internet, vous avez tout un tas de mises à disposition de contenus gratuits, mais qui peuvent avoir des statuts très différents. C'est-à-dire que si jamais vous allez prendre une image qui est sur Wikipédia, et que vous la réutilisez, vous allez pouvoir le faire légalement, parce que ces images ont été mise à disposition sous ce qu'on appelle des licences libres, qui vous permettent la réutilisation. Si vous faites une recherche sur Google Images et que vous voyez une image qui vous intéresse, il y a de très fortes chances que cette image soit disponible gratuitement mais que vous ne puissiez pas la réutiliser, parce qu'il y aura quand même un droit d'auteur. Ce n'est pas parce que quelque chose est accessible sur Internet librement que vous pouvez le réutiliser dans votre espace. Donc en fait la réponse ne peut pas être unique. Il faut voir document par document quelle est l'intention de l'auteur. Est-ce qu'il a mis un « copyright tous droits réservés » ou est-ce qu'il a choisi d’ouvrir ses usages ? Justement là on tombe sur un immense espace qui est celui des ressources sous licences libres qui vous permet des tas de réutilisations. Là sur mon PowerPoint par exemple, la très grande majorité des images son issues de Flickr, qui est le site de partage de photographies, le plus grand site de partage de photographies, et sur Flickr vous avez 280 millions d'images sous licences libres. Vous regardez quelle licence est appliquée à l'image, et là vous voyez par exemple , moi j'ai trouvé cette image de la pyramide de Khéops, elle est sous une licence qui permet toutes formes de réutilisation à condition de citer le nom de l'auteur. J'ai cité le nom de l’auteur, par Michel Colin, et là je suis dans les clous du droit parce qu'il ma donné cette possibilité. Et là pareil, j'ai trouvé une autre image, je peux la réutiliser. Là j'ai pu réutiliser ce tableau de Dürer parce qu'il est sur Wikimedia Commons et il est dans le domaine public. Wikimedia Commons c'est la banque d'images qui alimente Wikipédia, je peux le réutiliser. Pareil pour ces images-là. Donc voilà, je ne peux pas vous répondre, si vous voulez, dans l'absolu parce que c'est vraiment une question de cas par cas, et c'est très complexe, et ça devient d'ailleurs une compétence de bibliothécaire, c'est-à-dire savoir identifier des contenus réutilisables vraiment, ça peut être très précieux pour nos activités. C'est pareil pour la musique, il y a des musiques réutilisables, d'autres pas, des vidéos.
Public : Tu l'évoquais à la fin de la citation de Lawrence Lessig, je pense que ça peut être important de l'évoquer quand même, c'est-à-dire quels peuvent être les modes de rémunération ?
Lionel Maurel : La question, évidemment, c'est de se dire que les personnes qui créent des œuvres, qui sont des artistes, et toutes les filières qui participent à cette création, évidemment, ont besoin d'un mode de financement et il ne s'agit pas du tout de nier que la création ait besoin d’être financée. Moi je ne suis pas un partisan du tout de la gratuité à tout va et du fait de dire que la culture doit être absolument gratuite dans toutes les circonstances. Tout ça ça a un coût et il faut que socialement il y ait des moyens qui soient mis en place pour que les artistes puissent créer, avoir le temps de le faire, etc. J’ai une toute partie de ma réflexion, aussi, qui est sur le fait de savoir comment on organise des modes de rémunération. Il faut savoir, par exemple, que quand vous êtes sur Deezer ou sur Spotify, c'est une offre légale, c’est-à-dire vous allez payer un abonnement, éventuellement pour l'offre Premium, avoir les musiques sur votre téléphone. La part qui revient effectivement aux auteurs est infime et aux interprètes elle peut être inexistante, zéro. Donc voila, le financement de la création cherche sa voie actuellement et dans l'offre légale il n'est pas toujours au rendez-vous.
Vous avez des gens qui depuis longtemps ont pensé qu'on pouvait essayer de changer le mode de fonctionnement du droit d'auteur. Plutôt que de le déclencher à chaque acte de copie, on pourrait le déclencher uniquement quand il y a utilisation commerciale des contenus. Donc on changerait le mode de fonctionnement. Certaines copies pourraient devenir libres, celles qui se situent dans une sphère qu'on appelle le partage non marchand. C'est-à-dire que si je suis en train d’échanger un fichier avec un ami, ou même le mettre à disposition sur un site de peer to peer, mais que je n'ai pas de publicité sur mon site, je suis dans un cadre vraiment non marchand, ces échanges-là pourraient être légalisés. Par contre, on mettrait en place un mode de rémunération associé qui peut prendre plusieurs formes. Celui qui est à droite, là, c'est un système dit de licence globale. Il y en a d'autres qui ont été inventés, qui peuvent être des systèmes de contribution créative qui sont un petit peu différents. Ça tourne quand même tous autour de l'idée qu'on payerait un surcoût à la connexion Internet, par mois, qui pourrait être de quelques euros, il y a plusieurs modèles, ça peut être trois, quatre, cinq euros ; donc votre connexion Internet vous coûterait trois, quatre, ou cinq euros plus cher mais l’ensemble de ces sommes serait rassemblé et reversé aux créateurs sous la forme d'une rémunération.
Il y a plusieurs projets. Moi celui que je trouve le plus abouti, c'est celui qu'a proposé la Quadrature du Net, qui est une association de défense des libertés numériques, qui a fait un programme qui s'appelle « Éléments pour une réforme du droit d'auteur et des politiques culturelles liées », qui propose une légalisation du partage non marchand, associé à un mode de financement de type contribution créative. Il propose aussi d'autres types de financement qui peuvent être le crowdfounding, vous savez l'idée, je ne sais pas si vous connaissez des plates-formes comme Kickstarter ou KissKissBankBank, où un artiste peut venir proposer un projet, des internautes le financent directement, ça peut être aussi un point. Et je m'intéresse aussi beaucoup à des projets de type revenu de base, qui proposent là de verser des rémunérations, une sorte de minimum incompressible, inconditionnel, de rémunération à toute le population pour lui permettre de gagner en autonomie et notamment pour les parties culturelles. Donc des pistes de financement de la création il y en a. La contribution créative telle que la présente Philippe Aigrain qui est la personne qui a mis au point ce système, qui travaille avec la Quadrature du Net, il estime qu'elle peut rapporter plus d'un milliard d'euros par an, rien que pour la France. Ce qui fait qu'en fait on en parle depuis 2006, les industries créatives et tous les auteurs sont passés à côté de six ou sept milliards de revenus à redistribuer. Moi j'attends de voir quand est-ce qu'ils auront cette même somme avec l'offre légale, si vous voulez.
Voyez, des pistes il y en a, le problème c'est que si on met en place ça, ça provoque une recomposition globale du système des industries culturelles qui va être assez perturbante et c'est pour ça que beaucoup d’industries culturelles s'opposent à ces systèmes parce que, quelque part, ça leur fait perdre beaucoup de contrôle sur la distribution des contenus, la manière dont ils sont créés, etc. C'est ce qui crée des tensions très fortes.
26' 11
Dan Bull : Censored by Copyright