Jeanne Tadeusz au vinvinteur

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00' transcrit Marie-Odile

Jean- Marc Manach : Bonjour Jeanne.

Jeanne Tadeusz : Bonjour

Jean- Marc Manach : Est-ce que tu peux nous dire qui tu es et qu’est-ce que c'est que l'April ?

Jeanne Tadeusz : Alors je suis responsable des Affaires Publiques à l'April. Donc l'April c'est l'association de promotion et de défense du logiciel libre. C'est-à-dire qu'on s'occupe de sensibiliser et d’informer à la fois le grand public et aussi les pouvoirs publics à ce que c'est que le logiciel libre et à faire en sorte que l'écosystème politique, juridique, etc... soit au moins pas trop défavorable voire idéalement favorable au logiciel libre.

Jean- Marc Manach : Alors c'est quoi un logiciel libre ?

Jeanne Tadeusz : Alors un logiciel libre c'est un logiciel qui respecte les 4 libertés. La première liberté ça va être la liberté d'usage, c'est-à-dire quevous pouvez utiliser le logiciel comme vous le souhaitez. Ensuite vous avez la liberté d’étudier le code, donc c'est-à-dire de voir comment le logiciel fonctionne.

Jean- Marc Manach : D'avoir accès à la recette du logiciel !

Jeanne Tadeusz : Voila. Exactement ! Et après vous avez le droit de le modifier, donc si vous trouvez qu'il serait amélioré en ajoutant du sel par exemple pour reprendre la comparaison avec une recette, vous pouvez tout à fait le faire et enfin vous pouvez le redistribuer, c’est-à-dire que soit le logiciel original soit celui que vous avez amélioré, vous pouvez librement le distribuer au monde entier, à vos amis, etc..

Jean- Marc Manach : Dans les logiciels libres les plus connus il y a Firefox, Open Office qui est un équivalent de Office.

Jeanne Tadeusz : Voila. Il y a aussi VLC comme lecteur multimédia qui est assez utilisé. Voilà.

Jean- Marc Manach : Moi je suis venu te voir notamment par rapport à Office, parce que ce qui s'est passé c'est que en 2007, apparemment d'après les documents que j'ai réussi à obtenir, il y a eu une offensive enfin c'est comme ça que ça été qualifié, de Microsoft de lobbying qui a proposé au Ministère de la Défense d'unifier tous les contrats qu'avaient passé les différentes armées, Armée de terre, Armée de l'air, Marine, etc, avec Microsoft, pour proposer un contrat unique qui a été surnommé d'Open Bar au Ministère de la Défense pour que tous les militaires puissent piocher, se servir dans les logiciels Microsoft et essentiellement pouvoir utiliser la suite Office et ça coûtait 100 euros par poste, par an. Et le contrat là va être renouvelé, au bout de 4 ans il va être renouvelé, sauf que tu as posé, enfin April a posé des questions au gouvernement et au Ministère de la Défense et vous n'avez pas de réponse. Est-ce que tu peux nous parler des questions que tu as posées au Ministère, au gouvernement ?

Jeanne Tadeusz : Tout à fait. Donc, en fait ce qui s'est passé c'est qu'en 2009, apparemment il y a eu donc un accord cadre qui a été signé entre le Ministère de la Défense et Microsoft Irlande d’ailleurs, même pas Microsoft France ! Jean- Marc Manach : Alors pourquoi Microsoft Irlande ?

Jeanne Tadeusz : Principalement pour des raisons, pour éviter un certain nombre d’impôts et autres.

Jean- Marc Manach : La fiscalité ?

Jeanne Tadeusz : Fiscalité, voilà.

Jean- Marc Manach : Pourtant on a un siège de Microsoft en France. On n'était pas obligé de passer par l’Irlande !

Jeanne Tadeusz : Bien sûr, mais apparemment pour des raisons a priori fiscales, on ne voit pas d'autre explication, c'est Microsoft Irlande qui a décidé de signer le contrat Donc ce contrat a été signé en 2009 sans qu'il n'y ait aucun appel d'offre, aucun mise en concurrence, aucune publicité.

Jean- Marc Manach : Et ça c'est légal le fait de ne pas passer par un appel d'offre ?

Jeanne Tadeusz : Alors il n'y a pas de justice qui s'est penchée sur la question, mais ça nous semble en tout cas clairement illégal et en tout cas illégitime, parce que tout ce qui est principe des marchés publics dit qu'on doit avoir de la publicité à l'avance, qu'on doit avoir une mise en concurrence, etc.. même s'il semble aussi au final qu'on doive opter pour ce type d'accord au moins il y a de la publicité au début. Là ça a été fait dans le plus grand secret, on a a appris finalement après coup qu'on avait ce type de contrat qui était signé, en plus complètement Open bar, c'est-à-dire qu'on a simplement un contrat de location pendant 4 ans, donc pendant 4 ans, on peut prendre les logiciels qu'on veut et on les loue.

Jean- Marc Manach : C'est ça qui est important, on n'achète pas un logiciel, on loue le droit de s'en servir tous les ans.

Jeanne Tadeusz : Absolument. Et vraiment c'est un droit de location qu'a pris le Ministère de la Défense vis-à-vis de Microsoft, c'est-à-dire que pendant 4 ans ils ont droit d'utiliser les logiciels, mais une fois que le contrat est terminé, ils ne peuvent plus les utiliser même si ils sont encore dans la machine ou qu'ils sont encore installés. Ils ont une interdiction complète, ce n'est même pas un achat de licence ou quoi que ce soit. Donc ce contrat avait été passé en 2009, donc on savait qu'en 2013 vu que le contrat était pour 4 ans, il doit être renouvelé. Donc cette année dans les prochaines semaines même si une fois de plus on n'a aucune information, le contrat n'est absolument pas public et n'a toujours pas eu ni appel d’offre, ni publicité ni quoi que ce soit sur le sujet et c'est pour ça que à l'April on a essayé de réagir d'abord pour obtenir les documents, parce que on sait qu'il y a des discussions, des négociations en interne d'abord sur le premier contrat donc Open bar Microsoft avec la Défense et aussi sur le renouvellement de contrat et aussi pour savoir ce qu'il en est exactement aujourd'hui.

Jean- Marc Manach : Alors juste pour que les gens comprennent aujourd'hui plutôt que d'acheter une licence pour le droit d'utiliser la suite Office de Microsoft, il existe des alternatives en logiciel libre qui sont en plus gratuites et qui sont tout aussi fonctionnelles que la suite Office de Microsoft. C'est quoi la différence entre les alternatives libres à la suite Office et la suite Office ?

Jeanne Tadeusz : Alors ce sont des logiciels différents. Après on peut considérer qu'ils sont tout aussi efficaces, qu'ils fonctionnent bien, c'est-à-dire qu'effectivement alors même s'il faut bien voir que logiciel libre ne veut pas dire nécessairement gratuit, parce que tout ce qui est coût de développement et aussi de support et de formation des personnels il reste, il existe. Cependant on n'a pas effectivement de coût de licence, donc souvent le logiciel libre est moins coûteux mais aussi et c'est sans doute là que c'est plus important et surtout pour un ministère régalien comme celui de la Défense c'est qu'on est avec des logiciels où on a beaucoup de fournisseurs qui peuvent proposer du support, de la maintenance, etc... donc on n'est pas lié à un seul éditeur, à un seul fournisseur qui est dans une situation monopolistique et finalement aujourd’hui ce qu'on a à la Défense c'est qu'on est complètement dépendants de Microsoft puisque c'est eux qui proposent l’ensemble des produits. On a même un centre de compétences Microsoft au sein du Ministère lui-même ce qui pose quand même des problèmes.

Jean- Marc Manach : C'est au sein du fort du Kremlin-Bicêtre, il y a des militaires qui travaillent avec des ingénieurs de Microsoft et qui supervisent l'ensemble du porc informatique des militaires français.

Jeanne Tadeusz : Voila ! C'est ça. On a même un centre de compétences Microsoft, donc avec des gens employés par Microsoft au sein du Ministère de la Défense qui y travaillent.

Jean- Marc Manach : C'est-à-dire que Microsoft société américaine connaît le détail de l'ensemble du parc informatique militaire français.

Jeanne Tadeusz : Alors on ne pas savoir exactement ce qu'ils connaissent ou ce qu'ils ne connaissent pas mais le fait est qu'ils sont dans les bureaux et qu'ils ont des bureaux au sein du Ministère. Donc on peut se douter qu'en tout cas ils ont au moins sans doute des possibilités d’accès à des informations sur le fonctionnement du Ministère de la Défense.

Jean- Marc Manach : A ce propos moi j'ai plein de documents qui ont fuité et que j'ai pu me procurer. Dans un de ces documents qui est rapport du groupe de travail mis en place par l'armée française pour regarder, pour étudier la proposition de Microsoft, ils la déconseillent. Ils déconseillent fortement la proposition de Microsoft parce qu'ils disent il y a une perte de souveraineté nationale parce que c'est une entreprise américaine qui aura accès en tout cas aux infrastructures du Ministère de la Défense, parce qu'il y a un risque en terme de sécurité informatique parce que la NSA qui est le service de renseignement américain en charge de l'espionnage des télécommunications peut éventuellement introduire des portes dérobées ou accéder aux logiciels Microsoft et ils disent que c'est en dépit du bon sens. Ils parlent de perte de souveraineté nationale.

Jeanne Tadeusz : Absolument ! Et c'est pour ça qu'en plus le logiciel libre serait clairement un avantage notamment pour des ministères régaliens comme le Ministère de la Défense parce que le logiciel libre, on a accès à la recette, on a accès au code. Donc ça veut dire que des experts du Ministère peuvent surveiller ce que fait le logiciel, ce qui n'est pas le cas avec des logiciels Microsoft, où c'est une boîte noire, donc on n'a plus qu'à espérer que le logiciel fait bien et ne fait bien que ce que Microsoft dit. Donc là on a clairement une perte de souveraineté et un danger clair ne serait-ce que parce qu'on ne sait pas ce que fait le logiciel. Et le fait de favoriser systématiquement ce type de logiciel en dépit du logiciel libre en dépit aussi de ce que recommandent des commissions comme la commission des marchés publics de l’État, c'est un non-sens absolu, et c'est sans doute même dangereux aujourd'hui.

Jean- Marc Manach : Dans le rapport de la commission des marchés publics, le rapporteur qualifiait la proposition de Microsoft d'abus de position dominante au travers par exemple d'un délit de vente liée. Il dénonçait également l’asymétrie de compétences entre Microsoft et l'Armée. Grosso Modo il expliquait que Microsoft en savait bien plus sur le parc informatique de l'armée que l'armée n'en sait sur ses propres ordinateurs et que ce soit les experts militaires ou le rapporteur de la commission des marchés publics déconseillaient l'offre de Microsoft. Comment ça se fait que finalement c'est l'offre Microsoft qui a été achetée ?

Jeanne Tadeusz : Ça on n'en sait rien finalement vu qu'il n'y a aucune transparence qui a été faite sur le dossier. Finalement on ne sait pas ce qui s'est passé.

Jean- Marc Manach : Ça c'est les questions que vous avez posées au gouvernement, au Ministère de la Défense.

Jeanne Tadeusz : Des questions où on s'interrogeaient. Nous on s'est concentré principalement sur ce qui va se passer aujourd’hui, c'est-à-dire est-ce que le renouvellement va avoir lieu, si oui dans quelles conditions, simplement aussi pour demander la renégociation du contrat et aussi dans la transparence et dans le respect des règles des marchés publics. Donc ça on l'a demandé. Aujourd'hui on n'a pas de réponse. On a aussi demandé que les documents nous soient communiqués. Donc on a fait une demande d'accès aux documents administratifs. On a fait ça mi-février, on n'a toujours pas de réponse. On a saisi en forme d'appel la commission à l'accès aux documents administratifs qui eux doivent nous rendre une réponse d'ici une quinzaine de jours donc on peut espérer que ça se débloque et qu'on puisse déjà savoir ce qui se passe, parce que c'est la grande difficulté aujourd'hui, c'est qu'on n'a aucun chiffre officiel clair, même si il y a des documents qui ont pu fuiter dans la presse, on ne sait pas exactement ce qui se passe et ce à quoi on a à faire. Et quand tu dis que Microsoft sait mieux que le ministère, enfin simplement quel est le parc du Ministère de la Défense et comment ça se passe aujourd'hui, je pense que c'est un peu vrai dans beaucoup de ministères. On voit aujourd'hui qu'on a une forme de main-mise complète. Et juste pour rebondir sur un terme que tu utilisais qui était la vente liée, c'est finalement proche de ce qu'on voit aussi dans le commerce grand public d'informatique. Quand on va acheter un ordinateur, souvent on se retrouve forcé, obligé d'acheter un certain nombre de logiciels, souvent du Microsoft. On ne s'en rend pas compte mais en réalité c'est 20 à 30 % du prix qu'on paye quand on achète un ordinateur en grande surface, c'est du logiciel et du logiciel Microsoft pour lune grande part d'entre eux. Et c'est également cette forme de vent liée, on associe l'idée de l'ordinateur à Microsoft qui pose problème et on se retrouve dans une situation complètement ubuesque comme on voit aujourd'hui au Ministère de la Défense où c'est Microsoft qui contrôle finalement toutes les infrastructures informatiques ou au moins bureautiques du Ministère.

10'21

Jean- Marc Manach : Alors ce qui est étonnant également c'est que dans le rapport du comité d'experts ils pointaient du doigt un risque d'addiction, enfin d'accoutumance et d'addiction. Addiction c'est un terme très lourd et dans un courrier qui date de janvier 2013, qui a été signé signé par le responsable de la DIRESI qui est la Direction Informatique du Ministère de la Défense, il écrit texto il n'y a pas de dépendance au logiciel Microsoft, mais en même temps un sondage a été effectué auprès de 19 corps d'armée qui représente 85 % des utilisateurs militaires, ils veulent tous du Microsoft.

Jeanne Tadeusz : Oui, parfois ils n'ont pas forcément conscience de la dépense parce que c'est tellement une évidence peut-être pour eux d'utiliser du Microsoft puisque finalement ils n'ont jamais connu autre chose dans leur cadre professionnel que pour eux il n'existe simplement rien d'autre. Et c'est bien en ce type de situation qui est dangereuse aujourd'hui c'est que, avec ce type d'accord, et en plus on voit la tentation pour Microsoft d'aller faire généraliser ce type d'accord dans d'autres ministères, on a complètement l'idée qu'on fait des accords comme ça, donc on promeut du Microsoft à toutes les sauces, pour tous les types d'usages en plus sous une forme Open bar où on ne rend pas vraiment compte du coût financier que ça représente et il y a du Microsoft partout, Microsoft semble la norme, on ne peut pas faire autrement ni utiliser autre chose.

Jean- Marc Manach : Là dans le courrier effectivement de janvier il est question que d'autres ministères adoptent eux aussi ce contrat Open Bar : Ministère du Travail, de la Santé, Commissariat à l'énergie atomique, la Cour des Comptes et la Direction générale des finances publiques. Et ce qui est intéressant c'est de voir que le apporteur de la Cour des Comptes et les experts militaires avaient eux aussi dénoncé le fait que c'est un peu à la manière d'une pieuvre comme ça ils vont commencer à étendre leur main-mise sur les ordinateurs de l'administration.

Jeanne Tadeusz : Absolument. Il y a une forme en fait de dépendance qui est créée justement avec ce type de contrat Open Bar où c'est simplement de la location où Microsoft propose ce type de contrat qui au premier abord peut sembler moins cher à certains ministères sauf qu'ils ne prennent pas en compte les coûts de sortie, les coûts de renouvellement, etc, et donc les rend, finalement c'est la première prise qui est peu coûteuse et les rend dépendants et ensuite les gens ne peuvent simplement plus en sortir, sont complètement dépendants d'un seul fournisseur qui est Microsoft et donc sont contraints de rester avec lui. Et quand aujourd'hui le gouvernement et notamment le premier ministre commencent à faveur un stand d'annonces en faveur du logiciel libre, même déjà en disant aux différents ministères qu'il faut envisager le logiciel libre à l'égalité avec les autres solutions pour l'usage dans les administrations, finalement ce qu'on voit avec ce type de contrat c'est une contre offensive de la part de Microsoft pour garder le pouvoir dans les différents ministères de l'administration publique en France

Jean- Marc Manach : Sachant que ce contrat il doit être renouvelé fin avril, début mai, je crois quelque chose comme ça.

Jeanne Tadeusz : A priori on n'a pas de chiffre officiel.

Jean- Marc Manach : Pour en revenir à la notion de dépendance, quelque chose également qu'ont testé, ont pointé du doigt les experts de l'armée française, c'était le fait que dans le contrat il y a un droit de sortie équivalent à 1,5 année de contrat. C'est-à-dire que le fait de dire à Microsoft je ne veux plus louer vos logiciels, il faut payer pour ne plus avoir le droit de louer leurs logiciels. Il y a vraiment un côté...

Jeanne Tadeusz : Voilà ! Voilà ! On nous pointe, surtout la première fois que le contrat a été signé la baisse des coûts qu'il représente mais en réalité on s'enferme dans un système et il devient extrêmement coûteux d'en sortir. C'est pour ça , pour nous, c'est vraiment essentiel, pour nous à l'April, que, quand on envisage le coût, on envisage l'ensemble des coûts et aussi la possibilité de passer à une autre solution.

Jean- Marc Manach : Là dans le courrier de janvier c'est marqué qu'ils ont négocié une baisse de 49 % par rapport aux tarifs pratiqués par Microsoft en règle générale. Et donc il est super content parce que 49 % c'est vachement bien, sauf que ce que tu en train d'expliquer, c'est qu'en fait aujourd'hui c'est 49 %, mais 4 ans après après, là tu payes la facture.

Jeanne Tadeusz : Voila ! Il faut voir ça quelque part comme une offre promotionnelle. Au début ça peut sembler peu cher, sauf que si on doit payer des coûts beaucoup plus élevés après, plus si on veut changer de fournisseur finalement on a un coût global qui est nettement plus élevé que ce qui paraît à premier abord et c'est typiquement ce type de stratégie qui est visée ici par Microsoft.

Jean- Marc Manach : Comment t'expliques le fait qu'il n'y ait pas de réponse ?

Jeanne Tadeusz : Alors ça peut s'expliquer de plusieurs manières. Ça peut s’expliquer parce que déjà ça gêne potentiellement un certain nombre de personnes dans les différents ministères ; après visiblement il y a un culture du secret autour de ce type de contrat qui a été faite et qu'ils n'ont pas spécialement du temps d'en sortir, même s'il y a quand même eu dans la presse il me semble un nombre de retours de la part notamment du service des achats de l’État et aussi du ministère qui ont fait des réponses très brèves et très rapides en expliquant que comme Microsoft était les seuls à pouvoir fournir des produits Microsoft on n'avait pas besoin de faire de marché ni de publicité. Mais bon, l’argument peut sembler quand même un peu douteux de logique.

Jean- Marc Manach : Alors un autre point qui était pointé du doigt par les militaires c'était que ça affaiblissait l'industrie du logiciel français parce qu'on passait effectivement par une entreprise, même si elle est établie en France, une entreprise qui est américaine. Est-ce que tu peux nous parler justement de ces entreprises françaises et notamment celles qui font du logiciel libre parce que il y en a pas mal qui travaillent déjà pour l'armée, enfin pas que pour l'armée, mais entre autres pour l'armée ?

Jeanne Tadeusz : Oui, oui. On a en France aujourd'hui actuellement de plus en plus d'entreprises du logiciel libre qui sont d’ailleurs plutôt en croissance, alors avec différents types de boîtes même si c'est majoritairement des PME mais en tout cas qui progressent et en même temps quand on voit ce type de marché finalement ça les exclue complètement. Elles n'ont juste plus la possibilité de contracter avec l’État ce qui pose quand même beaucoup de problèmes aujourd'hui. Et si on veut au contraire favoriser que ce soit l'innovation que ce soit le développement d'entreprises informatiques en France, ne pas se limiter à ce fournisseur qui est déjà acquis, qui est déjà monopolistique, qui est Microsoft, ça semble pertinent ne serait-ce parce que ça permet de baisser la concurrence et d'ouvrir le marché à de nouveaux acteurs sachant qu'on a quand même aussi des acteurs du logiciel libre qui contractent déjà aujourd'hui avec un certain nombre d'administrations y compris avec la Défense même si ce n'est pas sur des marchés comme la bureautique.

Jean- Marc Manach : Moi justement j'ai voulu interviewer des gens de la gendarmerie puisque la gendarmerie a fait le choix en 2002 de changer son système informatique pour passer au logiciel libre. Visiblement ils sont plutôt contents du fait d’être passés au logiciel libre et quand j'ai demandé à la gendarmerie est-ce que vous voulez bien répondre à mes questions pour parler de qu'est-ce que c'est que le logiciel libre au sein de la gendarmerie, on m'a répondu c'est un peu trop tôt. On ne peut pas vous répondre pour l'instant.

Jeanne Tadeusz : Oui ça semble étonnant surtout qu’il y avait quand même eu un certain nombre de communications qui avaient été faites en 2009 et 2010 justement sur le passage au logiciel libre et totalement logiciel libre, c'est-à-dire à la fois pour des usages bureautiques et aussi même le système d’exploitation. Ils utilisent le système d’exploitation libre et ils ont vraiment que du logiciel sur leurs ordinateurs, quand ils auront terminé leur migration ça devrait être d'ici 18 mois environ. En plus c'est vrai d'après tout ce qu'en dit la gendarmerie, ils en sont contents. C'est une économie réelle pour eux parce que c'est plus d'un million d'euros par an d’économisé. Actuellement ce sera encore plus élevé une fois que tous les coûts de formation etc, des utilisateurs seront amortis et en plus ils trouvent qu'en terme de sécurité, en terme d’interopérabilité, c'est des vrais avantages d’être passé au logiciel libre, ce qui nous semble effectivement logique et tout à fait réel dans leur cas. Et comme en plus on voit avec la gendarmerie nationale qu'ils ont vraiment aussi adopté des bonnes pratiques du logiciel libre, c’est-à-dire qu'un certain nombre de logiciels ne convenaient pas forcément exactement à leurs usages, donc ils ont modifié ou fait modifier.

Jean- Marc Manach : Ils ont adaptés les logiciels

Jeanne Tadeusz : Adaptés les logiciels pour que ça leur convienne mieux et ensuite ont reversé à la communauté donc à l'ensemble des utilisateurs qui le souhaitaient les modifications qu'ils avaient proposées pour que tout le monde puisse en bénéficier. Donc là finalement on a au contraire un choix d'utilisation de l'argent public qui est particulièrement pertinent parce que la gendarmerie avait besoin d'adaptation de logiciels. Elle a payé effectivement des entreprises pour le faire parce qu'elle n'était pas forcément compétente, et comme c'était du logiciel libre, maintenant ces développements elle les possède, c'est-à-dire qu'elle n'est pas dépendante de l'entreprise qui a fait des développements, pour des améliorations futures elle peut choisir de passer par un autre fournisseur ensuite et en plus l'ensemble de ces améliorations sont disponibles pour tout le monde, donc pour vous et moi, ou pour tous les autres acteurs publics, pourquoi pas, qui seraient potentiellement intéressés. Voilà. Donc on a vraiment là-dessus, voilà. Et c'est triste de voir que la Défense prend l'exact inverse chemin.

Jean- Marc Manach : Là concrètement dans le contrat qui a été négocié donc on ne connaît pas les tarifs qui sont en négociation en ce moment au Ministère de la Défense entre Microsoft et le Ministère de la Défense. On sait pas contre que le contrat qui avait été signé, donc avec Microsoft Irlande, c'était 85 euros hors taxe pour les droits d'usage, donc la location, chaque année, du fait d'avoir le droit d'utiliser les logiciels, plus 15 euros pour les services. Hors dans le rapport du groupe de travail estimait, il qualifiait ce surcoût de 100 euros par ordinateur par an de surcoût inutile, des dépenses inutiles et que ça aurait pu permettre de faire 20 millions d'euros d'économies par an pour le Ministère de la Défense. Ça c'est un argument qui... Là le gouvernement ? Vous avez posé au gouvernement cet argument-là sur fond de crise de faire des économies ou ce n'est pas quelque chose que vous avez discuté ?

Jeanne Tadeusz : Alors c'est une question que nous on a posé. Mais ce qu'il faut bien voir notamment au niveau du gouvernement ce qui les interroge c'est de savoir le coût total qui pourrait être économisé, parce que simplement sur un ministère ça peut sembler limité. Mais le paradoxe c'est qu’aujourd’hui on ne connaît pas le montant des licences qui sont achetées et payées par les différents ministères. C'est-à-dire qu'il n'y a aucun chiffre qui existe, qui soit public, des dépenses faites par l’État vis-à-vis de Microsoft ou d’autres opérateurs d'ailleurs qui vendraient des licences logicielles.

Jean- Marc Manach : Pourtant il y a des questions parlementaires qui ont été posées ?

Jeanne Tadeusz : Oui il y a une question parlementaire notamment qui a été posée par le député Bui il y a quelques mois qui n'a pas encore eu de réponse. Donc on attend patiemment cette réponse de la part du ministre du budget pour déjà connaître les coûts et les sommes dépensées annuellement pour pouvoir simplement proposer, pourquoi pas, des solutions logiciel libre pou réduire ces coûts

Jean- Marc Manach : Grosso modo que ce qu tu es en train d'expliquer c'est que Microsoft Irlande et donc Microsoft États-Unis sait combien les administrations, le gouvernement français payent en licences chez Microsoft et par contre à l’Élysée, à Matignon, on ne sait !

Jeanne Tadeusz : Après on n'est pas dans les comptes de Microsoft non plus, même si on peut imaginer qu'eux puissent faire des calculs en interne, on n'a pas les chiffres de Microsoft évidemment puisque ce sont leurs chiffres à eux en interne. Par contre au niveau de l’État, on n'a pas les chiffres, on ne connaît pas combien l’État donne chaque année à Microsoft en terme de licences et autres.

20'54

Jean- Marc Manach :