TEDxBordeaux frederic couchet

De April MediaWiki
Révision datée du 19 juin 2011 à 18:42 par Mgarnero (discussion | contributions) (transcription publiée, page laissée au groupe traduction)
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Présentation


Transcription publiée

Frédéric Couchet : Hello everybody, I am pleased to be here today to spend some time with you, to speak about something very interesting. Bon, normalement il devait y avoir une vidéo en anglais, mais rassurez-vous je ne vais pas parler en anglais parce que comme vous le voyez je suis très mauvais en anglais.

Et pendant longtemps j'ai pensé que cette très grosse faiblesse allait m'empêcher de mettre en œuvre un de mes rêves les plus chers : changer le monde. C'est un beau projet, changer le monde ! D'ailleurs j'ai une question, qui ici parmi vous a eu envie un jour de changer le monde ? Ou de faire simplement évoluer un petit peu la société ? Si c'est le cas, vous levez la main. Génial ! Je vois que nous sommes nombreux et nous sommes à TEDx c'est normal.

Alors je vais vous raconter comment moi aussi j'ai essayé un petit peu de changer le monde à mon niveau. Depuis que je suis tout petit j'ai toujours voulu faire de la politique, pour avoir un impact sur la société. Et donc mon bac en poche, j'envisage de « candidater » à Sciences Po. Mais à Sciences Po, il y a une note éliminatoire, en anglais et avec un minimum de 7 que j'étais absolument sûr de ne pas pouvoir avoir, je pouvais faire une croix sur Sciences Po et donc peut-être mon envie de faire de la politique.

Et pourtant 20 ans plus tard, je ne regrette absolument rien. Je me suis donc inscrit par hasard dans une fac d'informatique, à Paris 8. Alors Paris 8 comme ça, ça sonne bien, mais 8 c'est pas le 8ème arrondissement de Paris. Si je vous dis Paris 8 c'est à Saint Denis dans le 9-3, tout d'un coup c'est beaucoup moins sexy, on se dit comment changer le monde à partir de là ? Et pourtant c'est là, à Paris 8 que j'ai rencontré pour la première fois des gens qui ont changé le cours de ma vie et qui m'ont expliqué qu'on pouvait avoir un impact sur la société à travers l'informatique.

Mais Paris 8 c'est une fac pauvre. Par pauvre, j'entends peu de moyens, donc très peu d'ordinateurs disponibles. Alors plutôt que de venir le matin pour essayer de réserver une machine et je vous assure avec des amis on a essayé mais c'était vraiment trop tôt pour nous, qu'est ce qu'on fait ? On décide d'y passer des nuits pour travailler sur nos projets et aussi pour ceux des autres.

Je me souviens très bien de la première soirée, c'était un jeudi de novembre. Alors je suis désolé, c'était un soir de Beaulojais nouveau que l'aventure a commencé pour nous. Alors imaginez, une dizaine d'informaticiens, de geeks, autour d'une table dans une salle, chacun travaillant sur ses projets mais également sur ceux des autres. Dès que l'un de nous trouvait une chose intéressante, il la partageait. Ça pouvait être par exemple une jolie façon par exemple de corriger un bug, une erreur de programmation ou de rajouter une fonctionnalité. Donc nous étions dans une réelle dynamique de partage.

Mais Paris 8 c'est une fac un peu particulière, il n'y a pas que les étudiants qui passaient leur nuit. Il y avait aussi des enseignants, des chargés de cours. Alors je sais bien que dans l'imaginaire du grand public, le geek, il est scotché sur son ordinateur toute la journée ou dans notre cas toute la nuit. Et pourtant, non, je vous assure de temps en temps nous faisions des pauses et notamment avec un enseignant dont je me souviendrais toujours. Son nom : Marc Detienne.

Il a radicalement changé ma vie et nos vies, celle de mes amis. C'est le premier qui nous a expliqué que les pratiques que nous avions à Paris 8 n'étaient pas du tout naturelles. Les logiciels que nous téléchargions à l'époque, c'était il y a 20 ans, c'était des logiciels libres d'utilisation, mais ce n'était pas du tout un processus naturel. Nous avions également le code source du logiciel, c'est à dire la recette de cuisine, nous pouvions donc étudier son fonctionnement, éventuellement rajouter des fonctionnalités ou corriger des erreurs. Mais cette pratique n'était pas dominante, à l'époque et d'ailleurs aujourd'hui encore encore la pratique dominante de l'informatique, c'est plutôt le logiciel propriétaire, ou également appelé privateur. C'est-à-dire des logiciels dont on ne connaît pas le mode de fonctionnement, dont on n'a pas la recette de cuisine, et que seul l'éditeur peut contrôler.

Nous, nos logiciels étaient et sont encore aujourd'hui des logiciels libres. C'est lui aussi qui nous a expliqué que parmi les gens qui dédiaient leur vie aux logiciels libres, il y avait un informaticien américain, nommé Richard Stallman, qui concevait des logiciels libres, et qui avait créé aussi une fondation dédiée à leur promotion.

Et un jour, Stallman va à Paris 8. alors imaginez pour nous étudiants en informatique, Stallman c'est une icône. L'un des meilleurs développeurs de logiciels libres dans le monde, l'un de ceux qui développaient les logiciels que nous utilisions à l'époque. Je pourrais peut-être dire en gros que c'était le Zinedine Zidane ou le Mozart du Logiciel Libre, à Paris 8, à Saint Denis. Donc qu'est-ce qu'on fait, bien sûr on va voir sa conférence. Il y a plein de monde. On s'attend à ce que Stallman nous parle de technique, mais en fait pas du tout. Il nous parle de société, de partage, de coopération. Il nous parle très peu d'informatique. Ou plutôt il nous explique comment le Logiciel Libre peut avoir un impact sur la société.

Pour lui le Logiciel Libre c'est l'incarnation informatique de notre devise républicaine, « Liberté, Egalité, Fraternité ».

Liberté parce qu'on a le droit d'utiliser le logiciel, on a le droit d'étudier son fonctionnement, on a le droit de le modifier, et on a le droit de le redistribuer.

Egalité parce que tout le monde a le même droit, quelque soit son statut.

Et fraternité parce que le libre favorise le partage et la coopération.

Accordons-nous juste une petite pause pour expliquer l'importance de l'informatique aujourd'hui. Vous serez d'accord avec moi que les ordinateurs sont omniprésents dans notre quotidien : réseaux sociaux, services bancaires, services publics... il est donc essentiel que nous gardions le contrôle sur nos outils. Le Logiciel Libre n'est pas simplement une alternative technique au logiciel propriétaire. C'est avant tout un socle pour nos libertés. Et c'est une philosophie basée sur le partage et l'ouverture.

Tout à l'heure on a parlé d'Internet. Logiciel Libre et Internet se sont développés de concert et en harmonie. L'architecture logicielle d'Internet, c'est des logiciels libres. Et Internet a favorisé le développement du Logiciel Libre. Si vous pensez dans la salle n'avoir jamais utilisé de logiciels libres, sachez qu'à chaque fois que vous vous baladez sur Internet, des logiciels libres accompagnent votre voyage. Sans logiciels libres, il n'y aurait pas d'Internet, tel que nous le connaissons. Et Internet qui est un outil avant tout de contact et de mise en relation de milliards d'êtres humains, a favorisé les pratiques de partage. Et la première est celle des logiciels libres.

Mais d'autres ont suivis. Pouvions-nous ne serait-ce imaginer qu'il y a dix ans, que la principale encyclopédie en ligne Wikipédia, serait une encyclopédie libre d'accès et libre de modifications.

Revenons à Stallman et à sa conférence. Pour nous et après les nuits passées avec Marc Detienne, c'est une sorte de révélation. La révélation d'un enjeu fondamental de société dans lequel il faudrait s'investir, et qui nous tendait les bras. Le fait de se rendre compte qu'à notre niveau d'informaticien, ne serait-ce qu'en utilisant et en diffusant des logiciels libres on pouvait avoir un impact sur la société.

A la fin des années, je crois que c'est 96, donc à la fin de nos études, avec quelques amis, on se posait la question de ce qu'on allait faire. On se dit : « Bien écoutez naturellement on a appris l'informatique à base de logiciels libres, qu'est-ce qu'on va faire, on va faire du Logiciel Libre ». Et on se dit qu'on va le faire connaître en France. Un peu comme ce que fait Stallman aux États-Unis. Donc on crée une association, dont l'objectif est tout simple, celle de promouvoir le Logiciel Libre.

Alors on se lance dans l'aventure comme ça, sans feuille de route pré-établie, sans business model. On invite des gens à nous rejoindre, on crée un site Internet, rappelez-vous c'était quand même il y a une quinzaine d'années, pour faire connaître nos activités, et pendant des années on va mener des actions, visant à promouvoir et défendre le Logiciel Libre, qui va petit à petit changer un peu la société et nous changer aussi.

Nous changer aussi parce qu'on va apprendre des tas de choses nouvelles, on va devoir sortir de notre zone de confort,... (excusez-moi, je suis … oui, complètement, … ah oui, excusez-moi).

Donc on va apprendre des tas de choses nouvelles, on va devoir sortir de notre zone de confort. Ensemble, on va apprendre à défendre un projet, une cause. Alors par exemple, on a parlé d'Hadopi, bien, on a appris à étudier des projets de loi. Pour nous à priori informaticiens, on étudie du code, du code informatique, mais finalement un projet de loi, c'est un code écrit dans un langage différent, qu'on peut étudier, qu'on peut déchiffrer, qu'on peut éventuellement corriger, proposer des améliorations, ce qu'on appelle des "patchs" dans notre langage d'informaticien.

Évidemment, il faut aller voir aussi des politiques pour défendre notre cause, donc on est allé les voir. On a appris à parler leur langage et on peut espérer que peut-être au fur et à mesure des années, ils ont appris à parler notre langage. Nous avons étudié, agi sur ces projets de lois, parce que ces projets de lois ont un impact sur la société, alors pour nous c'était essentiel de pouvoir agir sur ces projets.

Et fondamentalement, au delà de toutes ces activités, pourquoi cette cause du Logiciel Libre me fait-elle vibrer ? Pourquoi je viens vous en parler aujourd'hui ? Parce que fondamentalement et par essence, c'est une cause que l'on ne peut pas mener seul. Il y a plein de causes qu'on peut mener seul, que des gens exceptionnels peuvent mener seuls. La cause du Logiciel Libre, on la mène ensemble.

Les logiciels libres sont écrits par des gens ensemble, nous à notre niveau, on essaye de faire connaître les logiciels libres ensemble. Au fur et à mesure des années, on a mûri, on s'est développé, on a obtenu des résultats, des amendements votés dans des projets de lois, la participation au rejet d'une directive européenne sur les brevets logiciels, mais plus que ça, on a construit une micro-société associative dans laquelle les gens peuvent agir. Seul et avec même la plus grande volonté du monde, on n'aurait pas eu les mêmes résultats. Si chacun dans notre coin on avait agi, on n'aurait pas eu le même impact. Mais ensemble on a pu maîtriser à la fois les processus législatifs, les documents de communication, la présence, la visibilité.

En 96 nous étions 5, 5 informaticiens, 5 geeks. Aujourd'hui nous sommes des milliers, plus de 5 000 et la plupart ne sont pas informaticiens. La plupart c'est des gens du grand public qui utilisent quelques logiciels libres mais qui ont compris l'importance du logiciel libre. Notre action est aujourd'hui reconnue par la presse, relayée par la presse, reconnue par les pouvoirs publics. On a réussi, simplement parce que on a réussi à construire, à réunir des énergies. Ce qu'on a construit avant tout c'est un cadre, dans lequel les gens qui ont envie de créer et de partager peuvent se sentir bien et peuvent venir apporter leur pierre à l'édifice.

Dans cette aventure aussi personnellement, j'ai appris beaucoup, j'ai beaucoup évolué. Un exemple, j'ai appris qu'il fallait faire confiance aux gens. Déléguer des objectifs mais pas une façon de faire, demander un document de communication, mais pas une façon de le réaliser. C'est fondamental quand on travaille ensemble d'apprendre à être tolérant. Accepter que les gens soient différents. Il faut laisser la place à l'initiative, pour permettre aux gens de s'investir et de s'améliorer. Quand vous travaillez ensemble, avoir confiance dans la capacité des autres est fondamental et valoriser aussi leur travail.

Parmi les gens qui constituent l'association, il y a à la fois des jeunes, des retraités, des juristes, des traducteurs, des graphistes, et il y a même des gens qui comme une de mes collègues viennent de Sciences Po. Voyez, tout le monde se retrouve dans ce combat.

Aujourd'hui, on pense souvent que ce qui motive les gens, ce qui va leur permettre de les faire avancer c'est l'argent. C'est un défaut de conception de notre société actuelle de considérer que la meilleure façon de valoriser les gens c'est de leur donner plus d'argent. Alors bien sûr, les gens ont besoin d'argent pour vivre. Mais ce qu'ils ont avant tout besoin pour être motivés, pour être valorisés, c'est de savoir qu'ils peuvent être utiles à quelque chose. Qu'ils peuvent participer à un projet plus global. Et ça aujourd'hui, c'est peut-être le plus extraordinaire dans l'aventure que j'ai vécue à travers ce monde associatif, c'est qu'à la fois à travers le Logiciel libre on contribue à changer un petit peu la société, mais on permet aussi à des gens à travers l'association, on permet à chaque personne, chaque adhérent, chaque bénévole ou même chaque personne simplement qui veut participer, de pouvoir apporter sa pierre à l'édifice, sa petite contribution qui s'intègre dans un tout plus global. Les personnes peuvent exprimer leurs talents, leurs envies, dans un cadre bienveillant et dans un cadre où leur action est valorisée.

Dans le cadre associatif, ce qui est fondamental, c'est qu'il n'y a aucune obligation. Les gens viennent là parce qu'ils ont envie de contribuer.

L'idée que je veux faire passer par là, sans trop déborder, pour reprendre les propos d'Eben Moglen, qui est une autre figure importante du Logiciel Libre, c'est que le Logiciel Libre c'est juste une aventure humaine. L'homme qui joue rencontre l'homme qui fabrique. C'est un jeu parce qu'effectivement on s'amuse, c'est fun mais on fabrique aussi quelque chose. A travers le Logiciel Libre, on a un impact sur la société, et à travers le Logiciel Libre on permet à des gens d'exprimer leur créativité. Et quand on donne un cadre aux gens pour exprimer leur créativité, ils le font.

Il me reste même pas 30 secondes pour vous faire passer un dernier message. Si je voulais résumer mon parcours en quelques mots, je dirais : « J'ai participé à créer une communauté, j'ai appris à travailler avec cette communauté, nous avons mené des actions, des combats et tout ça parce que j'ai trouvé, il y a quelques années, la cause qui m'anime. Celle qui me fait lever le matin, de façon enthousiaste, celle qui permet à ma femme et mes enfants de supporter mes longues heures derrière un clavier ou d'absence, ce que les japonais appellent leur ikigaï, leur raison d'être. Ma raison d'être est simple, avoir un impact sur la société, être utile aux autres, agir avec les autres. A travers le Logiciel Libre, j'ai le sentiment d'enrichir la société, j'agis avec les autres et pour les autres. »

Et ce que je veux vous souhaiter à tous aujourd'hui, à chacun d'entre vous, c'est de trouver si ce n'est déjà fait, votre ikigaï. Je vous remercie.