2e édition de la Journée des communs
Titre : 2e édition de la Journée des communs - Table ronde de clôture
Intervenant·es : Sébastien Soriano - David Marchal - Rémy Seillier - Alexis Kauffmann - - Héloïse Calvier
Lieu : Paris
Date : 4 juillet 2024
Durée : 46 min 03
Licence de la transcription : Verbatim
Illustration : À prévoir
NB : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·es mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.
Description
Le 4 juillet 2024, l’ADEME et l’IGN ont coorganisé une rencontre avec les lauréats de l’appel à communs « Sobriété et résilience des territoires ».
Transcription
Héloïse Calvier : Merci à ceux qui viennent d’arriver, qui nous ont rejoints pour cette soirée sur le thème « Innover par les communs » et, plus précisément, innover grâce à la coopération permise par les communs.
Nous avons la chance d’avoir quatre intervenants sur le sujet de la coopération et des communs, dont trois représentants d’institutions et un représentant d’association.
Je présente
Sébastien Soriano, directeur de l’IGN [Institut national de l'information Géographique et forestière][1] ;
David Marchal, directeur de l’expertise et des programmes à l’ADEME [Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie][2] ;
Rémy Seillier, qui est directeur, président de l’association France Tiers-Lieux[3] ;
on aurait bien voulu partager le micro avec Yolande Prou, pour avoir un peu de mixité sur la table ronde, malheureusement elle n’a pas pu se libérer ;
et enfin Alexis Kauffmann, qui est chef de projet logiciel et ressources éducatives libres au ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse.
Cette table ronde a eu lieu dans le cadre du partenariat entre l’ADEME et l’IGN, l’IGN qui nous accueille dans ce bel espace de la Géoroom. Nous avons collaboré sur l’appel à communs, un dispositif qui a été conçu dans le but de favoriser la coopération au service de la transition écologique, tout cela pour accélérer l’innovation au service de la transition écologique, pour accélérer l'innovation au service de la transition écologique.
Nous avons échangé, cet après-midi, avec les lauréats de l’Appel à Communs[4] . L’appel a permis de soutenir une trentaine de projets qui se sont positionnés sur les dix défis de la sobriété, de la résilience sur les sujets de l’application de l’Appel à Communs, sur une centaine de candidatures. Nous avons échangé avec les porteurs pour qu’ils puissent se rencontrer, c’était aussi l’objet de cette journée, avec les experts en communs et avec les instructeurs à l'ADEME les experts de l'IGN, forcément. Nous avons échangé principalement sur les piliers des communs que sont les communautés, la gouvernance et la ressource.
L’idée de cette table ronde, c’est de changer un petit peu d’échelle, de passer de l’échelle des projets de communs à l’échelle des organisations. Je remercie les intervenants d’avoir accepté de participer pour échanger sur ces questions.
Je vais leur proposer de répondre à deux principales questions : pourquoi votre structure a-t-elle choisi de miser sur les communs ? Et, deuxième question, comment les communs se sont-ils intégrés dans vos organisations, notamment en termes d’outillage juridique, numérique et aussi quels sont les changements de culture que ça a peut-être provoqué dans vos organisations ? Je vous inviterai aussi à partager les questions qui sont peut-être non résolues, en tout cas les zones d’incertitude, pour les mettre au pot commun et peut-être identifier, comme ça, de nouvelles pistes de collaboration sur lesquelles nous pourrons travailler ensemble.
Sébastien, je vous laisse commencer.
Sébastien Soriano : Bonjour à tous. Je cherche, mais je n’ai pas mes autocollants, mes super autocollants sur les communs.
Bonjour à tous. Je considère que c’est un traitement inhumain de faire une table ronde à 18~heures~30 !
Je suis vraiment ravi que l’IGN puisse héberger cette communauté, sans oublier de citer l’ADEME qui, il faut quand même le rappeler, est l’initiateur de cet Appel à Communs, auteur du premier appel à communs, on peut le dire, après avoir déjà commis des initiatives emblématiques sur la Fabrique des mobilités[5] et autres ; je ne vous apprends rien en disant ça. Nous sommes très heureux.
Les Communs se sont imposés à l’IGN dans la continuité de l'open data. En fait, on faisait déjà tout ce qu’on appelait collaboratif, qu’on continue à appeler collaboratif. Collaboratif, ça veut dire comment on construit nos bases de données en s’appuyant sur d’autres. Typiquement, il y a beaucoup de communes, de métropoles, qui mettent à jour elles-mêmes leur description du territoire, typiquement, par exemple, la cartographie des rues. On s’est donc dit, plutôt que de refaire ce qu’elles font déjà, on va organiser le fait qu’elles puissent contribuer à ces bases de données.
C’est quelque chose qui était fait historiquement, mais la limite du collaboratif, quand vous n’êtes pas en open data, c’est que la donnée est payante. En fait, vous faites payer les gens trois fois : une première fois, parce que ce sont des contribuables qui payent des impôts, donc qui payent l’IGN ; une deuxième fois, parce qu’ils payent la donnée ; et puis une troisième fois puisqu’ils collaborent en donnant de leur puissance de travail pour faire cette donnée. C’est quand même un petit peu compliqué d’être très convaincant sur ce sujet.
Par ailleurs, on se retrouve aussi avec une diversité de régimes de licences qui peuvent exister, avec énormément de créativité, du coup, c’est compliqué, si vous êtes payant, de dire aux autres que ce serait quand même bien d’avoir des licences plus simples.
L'open data avec la licence ouverte[6], le choix qui est fait à l’IGN, une licence sans restrictions d’utilisation, permet d’avoir un message hyper clair et d’arriver vers les gens de manière encore plus ouverte. Ça permet de doper le collaboratif. C’est donc comme cela que les communs se sont imposés assez naturellement à l’IGN et ça nous a permis d’ouvrir des questions de gouvernance qu’on ne s’était jamais posées jusqu’à présent : une fois, vous êtes complètement dans la coconstruction, vous pouvez même dépasser le collaboratif ; ce n’est plus seulement « merci d’aider l’IGN à faire des objets d’IGN », ça peut devenir « cool, si on essayait de faire un truc ensemble, on va décider ensemble de faire. » C’est vraiment la logique des communs dans laquelle nous avons basculé.
La deuxième question, comment ça se traduit ?, ce serait assez long à tout expliquer. Ce que je peux indiquer, peut-être, c’est qu’on a commencé par créer un lieu qui est la Fabrique des géocommuns, qui est piloté par Nicolas Berthelot. C’est un incubateur de communs qui suit la méthode dite « produit », qui a été créée par la DINUM [Direction interministérielle du Numérique]. La manière dont on a orchestré ça, c’est qu’on fait d’abord des appels à idées, c’est-à-dire qu’on demande aux gens « que pensez-vous qu’il pourrait être chouette de craquer ensemble ? ». Les gens ont plein d’idées et on sélectionne.
Ensuite, on fait des appels à intrapreneurs. On demande en interne IGN qui se sentirait de craquer ce truc en rassemblant une communauté ? On l’a fait ensuite à d’autres acteurs de l’État. Aujourd’hui, on a même des gens du Cerema [Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement] et d’un conseil départemental, dont j’ai oublié le nom, qui sont aussi des intrapreneurs.
Ensuite, on fait des appels à partenaires pour recenser toutes les personnes qui on envie de nous aider à craquer ça, avec un commun particulièrement emblématique qui est Panoramax[7]. On a, avec OpenStreetMap[8], une alternative au petit bonhomme jaune de Google Street View qu’on est en train de bâtir.
J’aurais d’autres choses à raconter, mais, pour l’introduction, je m’arrête. Voilà ce qu’on peut dire.
David Marchal : À l’ADEME, notre une mission c’est, bien entendu, la transition écologique. Il y a donc du boulot, il y a des objectifs ; tout cela a été décrypté en fixant une trajectoire à 2030. On a 140 millions de tonnes de CO<sub2>2 à abattre d’ici 2030. Les premières nouvelles sont bonnes, ça s’infléchit, mais il y a encore beaucoup de travail.
Par ailleurs, on a des budgets qui explosent. Les budgets ont été multipliés par quatre ces dernières années pour aider les acteurs à faire leur transition. On fait des appels à projets, c’est notre spécialité, sur l’innovation, sur le déploiement. On en fait plein.
La question, c’est : est-ce que, avec ces appels à projets, on arrive finalement à faire bouger tout le monde ? Le constat est non, on n’arrive pas à faire bouger tout le monde. Bien entendu, c’est indispensable d’accompagner les acteurs, mais il faut aussi essayer de tirer d’autres fils et la question des communs, finalement, vient là. Elle vient sur le fait qu’il y a des problèmes qui sont trop compliqués à craquer pour le faire tout seul.
L’État et les différents établissements publics ont déjà trouvé plein d’idées pour cela. Un certain nombre de structures existent pour le travail en commun : les GIE [Groupements d'Intérêt Economique] pour les entreprises, les accords de consortium, quand on soutient des projets de R&D, les syndicats d’énergie, les syndicats d’ordures ménagères ; étymologiquement, c’est vraiment la justice ensemble, syndicale, c’est vraiment essayer de répartir de façon juste un bien commun. On accompagne déjà ces structures, pour mettre en place des tarifications incitatives des ordures ménagères, par exemple, avec les syndicats d’ordures ménagères. Ce sont déjà des choses qu’on fait. On accompagne aussi des opérations collectives, par exemple auprès d’une filière qui a envie ou, en ce moment, ce qu’on fait avec le projet ZAN [Zéro Artificialisation nette], qui est une façon d’accompagner une cinquantaine de collectivités dans la réflexion autour du zéro artificialisation nette. Nous essayons de les faire réfléchir ensemble et de capitaliser sur les problématiques.
Et puis, il y a les communs, les fabriques. C’est une aventure qui a commencé effectivement avec Gabriel [Plassat] sur la Fabrique des Mobilités.
Une fabrique c’est, à mon sens, un commun, une communauté et un passage à l’échelle, c'est-à-dire une communauté qui décide de coopérer pour bâtir un commun qui, ensuite, peut passer à l’échelle.
De cette belle idée-là est née l’Appel à Communs. Héloïse disait 30 lauréats[9] cette année, quasiment deux millions d’euros de soutien, avec une belle collaboration avec l’IGN sur l’expertise des dossiers. Nous sommes très contents.
Il y a de belles réalisations, vous en faites partie, qui sont souvent de natures très différentes, qui sont des communs numériques, qui sont des communs méthodologiques, à l’exemple de la Rue Commune[10] qui, quelque part, est une méthode, un guide. Il y a des jeux sérieux, il y a des choses très variées.
Bien entendu, aussi pour l’interne, ça ne se fait pas aussi simplement que ça, Gabriel et Héloïse en sont les témoins. Effectivement, nous sommes des ingénieurs avec des logiciels bien rodés, on a des appels à projets, on demande des appels à projets. Il y a donc aussi tout un chantier de transformation en interne pour accompagner ce changement. Ça ressemble pas mal à ce que Sébastien a décrit : s’interroger sur les gros problèmes qui sont devant nous ; accompagner aussi avec un volet de formations qui s’appelle « Innovez-vous », formation notamment à l’innovation, aux sujets d’innovation pour que les gens essaient de voir les problèmes autrement –~quand on a un marteau, ce sont les clous, c’est bien connu. On essaie de voir véritablement quels sont les problèmes qu'on essaye de résoudre pour accompagner les gens dans ces démarches. Ça va parfois vers de la startup, on a une belle dynamique de startups d’État ces dernières années. Et puis ça va aussi vers des réflexions sur les communs, et ce n’est pas sans difficultés.
Au-delà de la compétence et de l’accompagnement à un changement de logiciel en interne, on a également des questions plus difficiles, des questions juridiques : quel système met-on derrière un truc comme un commun ? Est-ce que c’est de la R&D, est-ce que ce n’est pas de la R&D ?, c’est notre tambouille interne. Ce n’est pas sans soulever des questions, également du point de vue de nos juristes à l’ADEME.
12’ 46
Rémy Seillier : Merci pour l’invitation. Je vais peut-être me présenter à nouveau parce que je ne suis pas tout à fait une association, je suis pas tout à fait directeur non plus d’ailleurs.
Je suis Rémy Seillier, je suis général adjoint de France Tiers-Lieux. Je vais revenir sur ce qu’est France Tiers-Lieux, expliquer pourquoi on s’intéresse aux communs.
Aujourd’hui, nous sommes un groupement d’intérêt public qui réunit justement une association nationale des tiers-lieux et cinq ministères, plus l'ANCT [Agence nationale de la cohésion des territoires]. Pendant trois ans, auparavant, nous étions une association de préfiguration.
Notre mission, aujourd’hui, c’est d’accompagner le développement des tiers-lieux en France et avant, la mission de l’Association de préfiguration était double, c’était de structurer une organisation pour représenter les tiers-lieux en France qui, aujourd’hui est l’Association nationale des tiers-lieux[11]. Sa deuxième mission, c’était de voir comment on pouvait favoriser la coconstruction des politiques publiques autour des tiers-lieux.
C’était un peu le premier point que je voulais soulever sur cette question des tiers-lieux. C’est un peu par là que nous rentrons sur les communs. Quand est venu, en 2019, le moment de lancer une politique publique de soutien aux tiers-lieux, nous y sommes entrés, en fait, sur le fait que les tiers-lieux étaient des espaces de contribution citoyenne, étaient portés par des communautés de citoyens et que ces communautés répondaient à des enjeux politique publique, parfois mieux que ce que vous pouvaient faire certains services publics, certaines politiques publiques. Notre point de vue, en tout cas ce qu’on a tenté de faire depuis ces cinq dernières années, c’est de dire qu’il faut que les politiques publiques soient en capacité de s’appuyer sur ces communautés, de s’appuyer sur ce qu’elles expérimentent et aussi de les soutenir. Ces communautés sont des associations, ce sont des sociétés coopératives d’intérêt collectif, c’est tout un tas de formes juridiques diverses et variées que vous connaissez bien parce que ça ressemble à ce que vous essayez de faire aussi sur la question des communs.
Notre sujet, c’était de se dire : il y a besoin de changer de culture pour s’appuyer sur ces communautés. Ce n’est pas dans la culture de l’administration, puisque ce qu’on a vu en 2019, quand on a commencé à travailler sur les tiers-lieux, c’étaient des collectivités qui, elles-mêmes, essayaient de développer leurs propres tiers-lieux. C’est dire que le terme de tiers-lieux était devenu à la mode, mais sans la communauté.
On a donc essayé de ramer à contre-courant en disant : OK, le tiers-lieu ce n’est pas du foncier. Ce sont des communautés de citoyens qui s’organisent, qui répondent à des enjeux locaux, donc, il faut que l’administration, premièrement, détecte, ensuite a minima soit en capacité, politiquement, de les soutenir et ensuite s’outille juridiquement pour travailler avec ces communautés.
Ça nous a amenés entre-temps, je ne vais pas tout détailler, à faire un travail qui s’appelle « Juristes embarqués »[12]. Nous nous sommes intéressés aux problématiques juridiques des communs. Je vous invite à le feuilleter, si vous ne l’avez pas vu, c’est un peu rude, un peu compliqué, puisque c’est du juridique. Nous avons envoyé des avocats sur des terrains de tiers-lieux, de communautés organisées, pour voir comment ces communautés avaient levé les blocages juridiques et comment on pouvait s’inspirer de ce travail de contournement juridique, en tout cas de slalom juridique, pour aider d’autres communautés.
Pour moi, c’est un premier apprentissage : on a besoin, collectivement, de s’outiller juridiquement pour travailler avec des communautés.
Le deuxième apprentissage que je voulais partager –~je reviendrai ensuite sur France Tiers-Lieux et ce qu’on fait aujourd’hui~–, c’est que pour nous les tiers-lieux sont des espaces de libre contribution et ça invite à une transformation de l’action publique assez forte. En fait, on a rarement l’occasion, en tant que citoyen, d’être autre que consommateur, bénéficiaire ou, au mieux, usager de services publics. Sur les cinq/dix dernières années ou les quinze dernières années, on parle beaucoup d’approche usager dans le monde de l’innovation publique. On essaye porter cette question sur les tiers-lieux : est-ce qu’on peut sortir de l’approche usager pour aller plus loin et entrer dans une forme d’approche contributeur ? Je pense que c’est là où nous interpellent les tiers-lieux et c’est ce qu’on essaye de diffuser au sein des ministères.
Pour en venir à ce qu’est France Tiers-Lieux aujourd’hui. J’ai dit que c’est un groupement d’intérêt public qui a vocation à être interministériel et à aider. Aujourd’hui, on a cinq ministères, on espère que demain on en aura plus. D’ailleurs, je réitère l’invitation à l’ADEME qui n’est pas encore membre du GIP, je profite de ce jour, le ministère de l'Agriculture.
L’objectif, c’est de voir comment mieux travailler avec les ministères, pour que ces ministères s’appuient sur ces communautés et sur ces lieux, qui sont des espaces de contribution citoyenne. C’est ce qu’on essaie de construire au quotidien. C’est pour cela qu’on a monté ce GIP qui est assez récent.
Tout cela pour dire qu’en essayant de créer le lien entre l’administration et la société civile, ça nous a obligés à innover, ça nous a obligés à créer de GIP, puisque Bercy nous a dit : si vous voulez beaucoup d’argent pour faire des politiques publiques sur les tiers-lieux, pour coconstruire des politiques publiques sur les tiers-lieux, vous ne pouvez être une association. On s’est dit mince, comment va-ton faire pour avoir une structure à la fois gouvernée par l’État et par les acteurs ? Non sans difficulté, nous avons fait émerger ce GIP. En tout cas, cette question du lien entre administrations, société civile et communautés organisées nous a mis face à nos difficultés, face à un mur. Nous nous sommes battus pour créer ce GIP France Tiers-Lieux. Il a une durée de vie de trois ans, on espère que ce sera prolongé. En tout cas, c’est un combat de chaque jour pour convaincre de l’intérêt de coconstruire des politiques publiques en associant les acteurs. Aujourd’hui, ce GIP est gouverné par une association qui représente les tiers-lieux, qui est un peu moins de la moitié de la gouvernance du GIP, puisque l’État n’aime pas partager complètement, et les ministères qui ont 60 % de la gouvernance de ce GIP.
Aujourd’hui, on continue d’essayer de travailler sur cette question des communs de manière plus concrète. On essaie aussi s’inspirer de choses qui ont été faites, donc là, je le reconnais, en copiant le travail de l’ADEME.
On essaie de mettre en place un appel à communs, l’Appel à Communs des tiers-lieux[13] qu’on a d’ailleurs lancé hier, en se disant qu’un de nos objectifs c’est que l’État soit partenaire des tiers-lieux, mais aussi qu’on accompagne les tiers-lieux à s’outiller. L’objectif de notre appel à communs, c’est que les tiers-lieux puissent mutualiser des moyens pour développer les ressources ouvertes et partagées dont ils ont besoin. Ce sont des choses que vous maîtrisez, c’est un peu ce que vous avez pu faire avec l’Appel à Communs. Très simplement, nous allons demander aux tiers-lieux quelles sont les ressources ouvertes et partagées dont ils ont besoin et sur quelles ressources ouvertes et partagées ils ont envie de mutualiser les moyens.
La différence avec ce que vous avez fait, ce qu’on essaie de promouvoir, c’est ce côté État partenaire des tiers-lieux, au sens où on va inviter les tiers-lieux à cofinancer les communs de l’Appel à Communs. On va fonctionner sur un système d’abondement de France Tiers-Lieux sur le financement des tiers-lieux, au sens où pour chaque euro d’un tiers-lieux, il y aura un euro de France Tiers-Lieux en face. On va aller jusqu’à 500 euros par tiers-lieux, donc, chaque fois qu’un tiers-lieu mettra 500 euros, il y aura 1~000 euros de cofinancement pour les communs. Ce sont les tiers-lieux qui décideront sur quel commun ils souhaitent investir ces 1~000 euros. C’est un peu la deuxième nouveauté qu’on a apportée à l’Appel à Communs. On essaye de donner la main aux acteurs pour décider quels sont les communs sur lesquels ils ont envie d’investir. On ne va pas faire de jury, on ne va pas décider côté France Tiers-Lieux ou avec d’autres ministères quels sont les communs prioritaires. Ce sont les tiers-lieux qui vont dire « à partir de mes besoins et de ce que j’ai envie de faire, j’investis sur telle ou telle ressource ». C’est donc une tentative de rendre cet Appel à Communs plus démocratique, c’est une première expérimentation de dotation. Ce sont 100~000 euros apportés par France Tiers-Lieux, donc, au maximum, ce sera un Appel à Communs doté de 200~000 euros. On verra ce que ça donne. En tout cas, ça a été lancé hier. On est dans une phase d’identification des communs jusqu’à octobre. Entre octobre et novembre, on va inviter les tiers-lieux à cofinancer les ressources dont ils ont besoin, sachant que la derrière innovation, l’objectif, c’est que ce soit un Appel à Communs pérenne et qu’il soit porté par l’écosystème. C’est-à-dire que nous, France Tiers-Lieux, on espère, si nos crédits sont poursuivis, abonder tous les ans via des campagnes de cofinancement. En tout cas, cet Appel à Communs appartient à l’écosystème des tiers-lieux. C’est-à-dire qu’une fois qu’on aura fait cette campagne avec 100~000 euros à la fin de l’année, l’année prochaine, les tiers-lieux pourront continuer de cofinancer des ressources ouvertes et partagées qui leur sont utiles. Donc, en janvier, si un tiers lieu a envie de mettre 5~000 euros sur telle ou telle ressource, il pourra le faire. Il n’y aura pas d’abondement de la part de l’État en janvier, en tout cas de France Tiers-Lieux puisqu’on aura fini la première phase de financement, mais cet Appel à Communs continuera de vivre sa vie.
Et je ne l’ai pas dit, je le dis parce que, en plus, les personnes sont présentes aujourd’hui, il ne faudrait pas que je me fasse taper sur les doigts, c’est aussi possible parce qu’on a une communauté au sein de l’écosystème des tiers-lieux, qui est investie depuis maintenant plusieurs années sur ce sujet des communs et qu’on peut s’appuyer sur la communauté qui porte Communalité, qui développe un outil qui s’appelle « Les Communs des Tiers-Lieux »[14]. En tout cas, c’est le site qu’on va utiliser pour l’Appel à Communs. Donc, cette communauté d’acteurs des tiers-lieux a développé un site qui va permettre aux tiers-lieux d’auto-gérer leur appel à communs. Ils avaient déjà commencé à réfléchir, ce sont mêmes eux qui ont eu cette idée de faire du cofinancement un euro/un euro et de donner des droits de vote aux tiers-lieux. C’est possible aussi parce qu’il y a une culture de l’innovation dans les tiers-lieux, une culture des communs et de la mutualisation qu’on essaye d’amplifier.
Je m’arrêterai là. Juste un dernier point. Quand je dis qu’il y a une culture des communs dans les tiers-lieux, je remercie Simon Sarazin, Nicolas Loubet, l’écosystème de communautés et tous ceux qui y participent, mais il faut aussi dire que ce n’est pas gagné, même au sein des tiers-lieux, on a beau dire que les tiers-lieux se pensent souvent comme des communs. Il y a deux ans, on a lancé une dynamique qui s’appelait « Adopte un commun » pour inciter les tiers-lieux à cofinancer ; on essaye de trouver des jeux de mots un peu sexy, on fait ce qu’on peut, ça n’a pas pour autant marché, d’ailleurs ! On avait incité les tiers-lieux à cofinancer des ressources utiles, cette fois il y en avait trois et ça a quand même été un échec : on avait investi 12~000 euros, on avait récolté 12~000 euros ; ce n’était pas l’emportement qu’on attendait, en tout cas sur le sujet. Donc, même au sein de l’écosystème des tiers-lieux, ce n’est pas si évident que ça de convaincre les gens qui sont pris dans leur territoire, qui ont la tête dans le guidon, qui ont eux-mêmes des difficultés à terminer le mois, en tout cas qui jouent leur propre survie. Le fait de les inciter à cofinancer des communs n’est pas une évidence pour tout le monde, même s’il y en a au sein de l’écosystème qui sont très matures sur ce sujet, sur les 3500 tiers-lieux, 80 % sont encore assez éloignés de cette question et sont encore un peu réticents à cofinancer des ressources, à mettre de l’argent sur la table. Il y a un vrai travail d’acculturation à mener pour leur montrer aussi que ces ressources répondent à leurs besoins, parce qu’on voit que les gens font souvent le choix de la facilité, en fait : je vais prendre un outil privé pour gérer ma comptabilité plutôt que m’embêter à aller cofinancer Dokos [plateforme de gestion complète d'entreprise 100 % open source, NdT] parce que je ne sais pas trop si ça répondra à mon besoin et puis c’est un peu compliqué.
Ce travail d’acculturation est vraiment nécessaire, en tout cas on l’a ressenti, et, même dans un écosystème pourtant assez favorable aux communs, ça reste compliqué.
Alexis Kauffmann : Merci. Donc, c’est c’est moi qui vous sépare du cocktail, c’est ça ? Je vais essayer d’être un peu plus court que Rémy, du coup.
Donc, je suis à l’éducation, la preuve, j’ai un Bic quatre couleurs !
La Direction du numérique pour l’éducation[15] est une DSI classique de systèmes d’information, infra, etc., enfin classique, si ce n’est que 1~200~000 professeurs et agents, 10~millions d’élèves, 25~millions avec les familles, donc, il faut que ça tourne. Il y a également un volet numérique éducatif donc éducation au numérique et éducation par le numérique. Je suis plutôt positionné là, puisque, à l’origine, je suis enseignant.
Je réponds aux deux questions à la fois vite fait. Pourquoi, comment le ministère s’intéresse aux communs ?
Mon directeur de la DNE, Audran le Baron, s’est récemment exprimé ainsi et ça m’a beaucoup ému, parce que j’ai aussi un passé associatif avec Framasoft[16]. C’était il y a deux mois, il a dit, de mémoire, : « Nous pouvons désormais affirmer et assumer le fait que les communs numériques sont l’horizon, par défaut, de ce qu’opère et soutient le ministère en matière de numérique éducatif » ; l’horizon par défaut. C’est public. N’hésitez pas à le partager, c’est en vidéo, comme cela, ça mettra aussi de l’eau à mon moulin et puis ça lui rappellera qu’il l’a dit[17].
Le « par défaut » est intéressant. D’abord on ouvre le code, les données, les contenus, etc., avant, pendant, après étudier, quitte à faire un autre choix, si on veut, avec des partenariats, des modèles économiques classiques, mais, par défaut, en communs numériques.
Et l’horizon, c’est la direction, c’est la boussole, c’est là où on veut aller et rares sont nos projets qui soient 100 % communs, j’ai envie de dire, avec une belle communauté, une gouvernance partagée entre tous les utilisateurs, etc. On en a très peu comme ça, en tout cas nombreux sont les projets qui ont pris ce chemin.
Et il a ajouté, et ça répond aussi au pourquoi, il a donné un argumentaire, il a listé un argumentaire, aussi, peut-être, en réponse au fait que, par le passé, on n’a pas assez pris en considération ces arguments. Il a dit « d’abord pour des questions de proximité de valeurs avec l’éducation et la mission de service public. » C’est vrai qu’une ressource à laquelle on donne accès à toutes et tous, usage, études, modifications, partage, etc., c’est un petit peu aussi la mission du service public avec la transmission des savoirs et des connaissances, si on y réfléchit bien. Pour moi, c’est du bon sens, en tout cas c’est ce qui m’a animé, quand j’ai découvert les logiciels libres, à monter Framasoft. Proximité de valeur.
IL y a plein d’arguments.
Il y a la confiance, cadre de confiance. La confiance, c’est important aussi parce qu’elle est, comment dire, mise à mal entre les enseignants et l’institution, on ne va pas se mentir. Pourquoi ce cadre de confiance est-il important ? C’est qu’on a beaucoup financé du numérique avec des marchés publics classiques qui, à la fin du marché, au bout de trois~ans, cinq~ans, ont fermé la lumière et tant pis pour les enseignants qui s’étaient investis à créer des activités pédagogiques sur des plateformes fermées. La question de rapatrier ses données, de l’interopérabilité était aussi mise à mal. Donc cadre de confiance.
D’autres arguments, c’est l’inclusion, c’est l’accès ouvert à toutes et tous.
Sobriété également.
Recyclage au sens noble du terme. On ne réinvente pas la roue à chaque fois, on l’a trop fait par le passé.
Souveraineté, évidemment, je ne détaille pas.
Et le maître mot, c’est quand même pérennité : ça fait 20~ans qu’on finance du numérique éducatif et on n’a quasiment capitalisé sur rien ; je caricature, j’exagère. Là, on se réveille un petit peu. On s’en est aperçu lors de la crise du Covid, ça a été un peu la panique, je n’étais pas là, donc j’en parle de manière assez libre.
En tout cas, cette succession d’arguments montre, en creux, qu’on veut faire un petit peu différemment, de manière un petit peu plus éthique.
Après, ce sont des belles paroles. Ça se traduit, comment ? Ça se traduit par une stratégie, nous nous sommes dotés d’une stratégie, stratégie numérique pour l’éducation 2023/2027[18]. Soutenir le développement des communs numériques apparaît de manière explicite dans cette stratégie. Pour moi, c’est un document de référence, c’est un point d’entrée. Regardez, c’est dans la stratégie, on avance comme ça.
Et j’ai encore deux minutes, Héloïse ?
Il y a deux mouvements dans ce soutien au développement des communs numériques : il y en a un qui part un peu d’en haut et l’autre plutôt du bas.
En haut, on met à disposition des enseignants et de leurs partenaires des plateformes pour qu’ils créent et partagent d’eux-mêmes leurs ressources. Ces plateformes reposent toutes sur des briques open source, avec une authentification unique qui donne accès à un ensemble de briques libres, de briques open source. Je ne détaille pas. Par exemple, on utilise Moodle[19] pour que les enseignants puissent créer eux-mêmes leurs parcours pédagogiques, une alternative un peu à Google Classroom ou Microsoft Teams pour ceux qui connaissent, etc.
On propose aussi une alternative à Google Drive basée sur Nextcloud qui s’appelle Nuage[20].
On a regardé les chiffres. Mine de rien, ce sont 218~millions de fichiers qui sont déposés depuis qu’on a posé ce service il y a trois ans, 218~millions de fichiers, 405~téraoctets de données. Ça fonctionne bien.
Ce qui est intéressant aussi, c’est que, pour certains, on essaye d’entrer en contact et de participer à la communauté des logiciels libres qu’on utilise massivement. Donc, pour BigBlueButton[21], pour ceux qui connaissent, on a vraiment financé du développement des dernières versions, dans le dépôt, dans le GitHub de BigBlueBotton. On remercie French Industry of Education pour son concours et ce n’est pas rien. On essaye aussi de les inviter, c’est-à-dire que la gouvernance de BigBlueButton s’est rendue au ministère pour un workshop avec nous. On a fait pareil avec Collabora, pour ceux qui connaissent ; on est en relation avec Moodle. D’ailleurs, c’est là qu’on voit que certains logiciels libres sont plus ou moins communs ; par exemple, Nextcloud, c’est assez difficile de discuter avec eux, ce sont des Allemands, c’est assez fermé, je ne rentre pas dans les détails.
En tout cas, on essaye aussi participer à la gouvernance de ces logiciels, parce que c’est vertueux, c’est nouveau et c’est intéressant.
En tout cas un ensemble de services et l’enjeu, c’est essayer de faire communauté, parce que c’est plutôt commandé par le haut, par le ministère ou par les académies.
Et puis, un mouvement et je suis très attaché à cela. Quand j’étais à Framasoft et prof pendant des années, j’ai vu plein de projets venus du terrain, plein de projets de profs, de communauté de profs, qui avaient un super potentiel, mais qui n’étaient pas repérés, pas soutenus, qui mouraient de leur belle mort, etc., c’était très frustrant. On essaie de d'abord les fédérer, de les mutualiser sur une forge. En fait, c’est notre soutien au pot commun. Parce que c’est vrai qu'avec près de un million de professeurs, 870~000 enseignants du primaire et du secondaire, il y a des projets qui sont absolument extraordinaires, qui sont déjà massivement utilisés, qui ont un potentiel et un impact. Il y a là une énergie potentielle extraordinaire, qu’il serait dommage de ne pas exploiter. La question, c’est comment soutenir ces projets-là ? Comment les repérer ? Comment les accompagner ? Comment être à l’écoute de leurs besoins ?
Sur la forge[22] , il y a déjà plus de 1~000 projets. Ça a l’air de rien, parce que, sur cette forge, on a 0,2 % des profs, on a 1~600 profs. Il y a déjà des projets qui pourraient être très rapidement dans notre catalogue numérique éducatif.
En tout cas, j’ai réussi à faire passer l’idée, grâce à vous, parce que d’autres institutions avaient déjà lancé leur appel à communs ; le mot appel à communs ça marche bien, les politiques aiment bien, c’est un peu nouveau, etc. On lance donc un appel à communs en 2025 en s’inspirant justement beaucoup de ce qu’a fait l’ADEME, de ce qu’a fait l’IGN. Je suis très intéressé pour savoir aussi celui de France Tiers-Lieux.
Donc en mode prototype sur ces projets de la forge qui viennent des profs, et puis, si ça fonctionne, on l’étendra de plus en plus et on essayera que ça inspire l’ensemble de nos marchés publics.
Merci pour votre attention.
[Applaudissements]
33’ 56
Héloïse Calvier : Merci beaucoup pour ces interventions.
Avant de conclure, je vais vous passer à nouveau le micro soit pour dire un mot de la fin, quelques phrases ou pour réagir aux interventions d’un voisin de la table ronde. Après je conclurai et ce sera le temps du cocktail.
Sébastien Soriano : J’ai effectivement entendu un bouchon, c’est vraiment déloyal de me faire ça ! En tout cas, il y a des gens qui vont passer avec des assiettes apéros.
Deux choses que j’ai oubliées de dire.
La première, c’est que la logique qu’on essaie d’impulser est une logique de place à communs. De la même manière qu’il y a les places de marché, c’est la place à communs, c’est-à-dire faire des enablers de communs, des lieux d’encapacitation. C’est vraiment la logique de la fabrique que j’ai mentionnée tout à l’heure. Finalement, chacun peut arriver avec son défi et utiliser « l’infrastructure », entre guillemets ; ce sont d’abord des gens, ensuite ce sont des infrastructures d’hébergement pour venir développer des communs. Ce lieu a aussi vocation à abriter, à terme, la Fabrique des géocommuns[23].
On a aussi la Géoplateforme[24], qui est l’infrastructure d’hébergement de gestion de données, pour laquelle nous sommes en train de développer une interface conviviale qui s’appellera cartes.gouv.fr[25], dans laquelle chacun, notamment les acteurs publics, pourra créer des communautés de données pour, justement, favoriser de la coconstruction. C’est vraiment la logique dans laquelle on est. La parabole que j’utilise, c’est souvent celle de la table de pique-nique, c’est-à-dire que nous dressons la table de pique-nique et, après, des gens viennent avec leur pique-nique.
Deuxième chose. Comme cette table ronde s’appelle « Innover par les communs », je voulais dire que je n’aime pas l’innovation, par pure provocation, parce que, justement, le problème de l’innovation, c’est que tout le monde dit qu’innover c’est bien. Avez-vous déjà vu quelqu’un dire qu’innover ce n’est pas bien ? Le fond de ma pensée, c’est que la question des communs et l’approche qu’on est en train de développer –~et je trouve très bien ce qui a été dit sur le fait que les communs ne sont pas purs, que c’est un horizon, c’est une belle d’expression. En fait, je pense profondément que c’est toute l’action publique qui doit pivoter dans une trilogie État, marchés, communs, dans laquelle on cherche des combinatoires différentes en fonction des sujets entre ces trois pôles. C’est l’alliance des trois qui est fondamentalement puissante, qui permet d’avoir un peu le meilleur de ces différents univers. La puissance publique est parfois entravée dans son action parce qu’elle a ses devoirs de neutralité, d’universalité, etc. On voit, par exemple, dans ce commun Panoramax, que nous construisons avec OpenStreetMap, eh bien qu’eux arrivent, déboulent et disent « on n'a pas besoin d’avoir des spécifications hyper léchées, on y va, on avance. Ce qu’il faut, c’est qu’un cycliste avec une GoPro [caméra, NdT] puisse le faire. Et si quelqu’un bidouille le système, met des fausses images, ce n’est pas grave, ça se réglera dans la durée, ce n’est pas une donnée d’autorité. » On voit bien comment les différentes approches peuvent se combiner. Et, en même temps, nous allons apporter un étendard, qui est celui d’être la puissance publique, d’être l’institut national, donc, ça va permettre une capacité de rassemblement que n’a pas forcément OpenStreetMap. On voit comment ça peut se compléter.
Toujours dans cet exemple, il y a des entreprises qui captent des données des rues, qui passent avec des voitures, qui captent des vues, des photos des rues pour les communes, par exemple, pour permettre de faire des contrôles des affichages publicitaires. Pour ces entreprises, c’est intéressant de savoir que cette donnée va pouvoir être utilisée pour d’autres usages, en étant versée à un commun, que ça va peut-être donner envie à d’autres communes de faire ces captations, parce que ça permettra de développer des usages, des effets de communautés.
On voit ces complémentarités et, pour moi, ce n’est pas de l’innovation. Alors, oui, c’est vrai que c’est de l’innovation parce que ce n’est pas partout et qu’il n’y a pas encore de trilogie –~État, marchés communs~– dans la police nationale, par exemple, mais un jour ça viendra sûrement.
Pour moi, c’est vraiment l’horizon qu’on doit poursuivre. Ce n’est pas de l’innovation, en fait c’est ce qu’il faut qu’on arrive à craquer partout.
David Marchal : Merci. Je voulais compléter sur un enjeu qui est, quelque part, encore devant nous. Quand on parle d’innovation et de numérique, on a souvent trois étapes, on va dire, dans le degré de changement qu’une l’innovation numérique peut apporter, : la première, c’est la numérisation ; la deuxième, c’est le fait de supprimer les intermédiaires et, après, on a l’effet réseau.
Finalement, on a tous souhaité que les communs qu’on développe ici, qu’ils soient numériques ou pas, passent à l’échelle et que ce commun qu’on a testé dans une configuration précise soit ensuite réutilisé par tout le monde. C’est aussi, quelque part, le message du logiciel libre, et, pour autant, ce n’est pas facile.
Numérisation, on voit bien, Deezer passe au numérique, vous transformez à l’achat d’un CD, quelque part, en un OPEX, un abonnement. OK, ça change le modèle d’affaires, ça change plein de choses.
Suppression des intermédiaires. Là c’est Uber, il n’y a plus besoin d’avoir la société de taxis, c’est pareil, on a un levier de plus.
Et puis l’effet réseau, c’est quand on va encore plus loin et, finalement, l’outil-même devient indispensable, que si vous n’êtes pas là-dedans, vous êtes exclu. C’est Facebook, c’est ce type de chose, et on rêve tous de ça, finalement. Quand on développe un logiciel open source, quand on développe un commun, c’est bien ça qu’on vise. Sans pour autant forcément vouloir remplacer Facebook, je pense qu’il faut qu’on garde ça en ligne de mire. En tout cas à l’ADEME, comme je le disais en introduction, la transition des communs, c’est bien résoudre des problèmes et passer à l’échelle pour que la transition écologique, quelque part, devienne plus facile pour tout le monde.
Donc, c’est bien sur ce type d’idées qu’on surfe. Pour l’instant nous n’avons pas encore, dans notre Appel à Communs, généré un tel effet de réseau, mais c’est bien l’objectif visé.
Rémy Seillier : J’ai beaucoup parlé. Tristan, désolé.
Deux idées. La première. J’aspire effectivement à ce que les communs sortent de cette dimension objet, ressources. On voit que là où les communs prennent le plus, au niveau de l’État, c’est sur la question du numérique. Je pense que ce qu’il y a autour des communs, c’est avant tout une invitation à une transformation en profondeur de l’action publique qui doit nous interroger sur la façon dont on démocratise nos politiques publiques, nos institutions publiques, nos infrastructures, nos agences publiques ; comment on associe les citoyens, les organisations de la société civile. Je pense que c’est le chemin, en tout cas, c’est la prochaine étape. Je plussoie ce que tu disais, Sébastien, sur la non-pureté du commun. Je pense qu’il faut qu’on continue de faire circuler l’information, l’innovation entre nous, en tout cas les bonnes pratiques, puisque certains n’aiment pas l’innovation. En tout cas, nous esseyons de documenter, par exemple, les travaux sur l’échelle de la communalité qui, je pense, sont un premier pied, assez en profondeur quand même puisque c’est un travail colossal de nombreux juristes, sur cette transformation en profondeur de l’action publique.
Je vous invite à vous pencher sur ces travaux si vous ne les connaissez pas. En tout cas, on a fait une synthèse[26] sur le site de l’Observatoire des Tiers-Lieux ; c’est quand meme un rapport de 650 pages, on a fait une petite synthèse de 12 pages pour les plus fainéants d’entre vous.
La deuxième idée, très simple. Je pense que demain les temps seront durs, sans doute pour plein de raisons, c’est un peu comme cela que je l’anticipe aujourd’hui, dans une semaine un peu étrange. Je constate que le lien à la société civile, pour de nombreux agents publics, peut être une bulle d’air. Je pense qu’on a besoin, agent public, de trouver des relais à l’extérieur de l’administration avec qui on peut faire des choses qui répondent à des enjeux d’intérêt général, et je pense que les communs sont une invitation à faire ça. Je pense que, demain, on aura besoin de développer ces relations, de sortir de l’administration et de faire avec ces communautés qui sont déjà engagées pour l’intérêt général et qui ont tout intérêt, également, à travailler avec nous.
Alexis Kauffmann : Donc là, c’est vraiment moi qui vous sépare de…
Il y a deux arguments que j’ai oubliés dans la liste que mon directeur a cités publiquement. C’est presque un lapsus : la maîtrise des coûts, qui est assez typique et il y a aussi la réinternalisation des compétences, on a peut-être trop fait appel à des prestations. C’est aussi retrouver notre capacité d’agir.
On a publié, récemment, un poste à pourvoir pour venir nous rejoindre, pour, petit à petit, faire un petit bureau des communs numériques à l’intérieur de la structure. C’était un poste « communs numériques et mixité », toujours est-il qu’il y avait communs numériques dans le titre et on explicitait bien, pourquoi. On a reçu beaucoup de dossiers de candidature et, dans les lettres de motivation, certains sont très motivés par porter des communs, tant au ministère que dans les institutions. On ne promet pas forcément les mêmes salaires, etc. En tout cas, ça peut être très porteur, notamment pour la jeune génération ; c’est un petit message au niveau de la RH. Donc oui, ça peut être évidemment en relation [avec l'ADEME, NdT], mais on peut aussi recruter en interne.
Juste pour rebondir sur ce qu’a dit Sébastien, les profs ne nous ont pas attendus pour partager les contenus pédagogiques, etc., mais ça se faisait de manière totalement anarchique, ça continue un peu à se faire, sur les réseaux sociaux, sur les groupes Facebook, etc.
Et puis, de l’autre côté, on avait une institution très rigide, qui avait besoin de labelliser les contenus, chez nous les inspecteurs doivent tamponner, etc., dont ça fait des ressources de grande qualité, mais très rares, avec un workflow de six mois avant d’être publiées, etc. Donc ça vient un peu se positionner là et on essaye d’être un peu entre la communauté et l’institution.
Pour cette forge, je terminerai là-dessus, on a deux slogans, on hésite un peu entre les deux slogans, vous allez me dire celui que vous préférez, il y a « Que la forge soit avec nous ! » et « L’union fait la forge ».
Héloïse Calvier : On peut faire un vote à main levée, si vous voulez, pour la première version, pour la deuxième.
En tout cas, merci beaucoup pour ces interventions qui nous ont donné à voir une belle diversité de raisons pour lesquelles on peut faire du commun et des façons dont on peut mettre des stratégies autour des communs. Ce sera très intéressant de voir les nouvelles formes de communs sur l’éducation, sur les tiers-lieux, pour, après, s’en inspirer pour les prochaines éditions d’intérêt commun, transition écologique.
Je vous remercie pour vos interventions et pour votre attention.
On se retrouve pour le cocktail qui est au rez-de-chaussée. Ce sera l’occasion d’échanger à nouveau entre nous et de rencontrer les participants.
Je vous remercie.
- ↑ L’IGN,cartographe du service public
- ↑ ADEME, Agence de la transition écologique
- ↑ France Tiers-Lieux
- ↑ Sobriété et résilience des territoires : l’ADEME soutient 30 nouveaux « communs », 2 mai 2024
- ↑ La fabrique des mobilités
- ↑ Licence ouverte/Open Licence
- ↑ Panoramax,projet de vues immersives, commun numérique, collaboratif, libre et ouvert
- ↑ OpenStreetMap
- ↑ Communs sélectionnés par l'Appel à Communs
- ↑ La Rue Commune
- ↑ Association nationale des tiers-lieux
- ↑ Tiers lieux - Juristes embarqués : la créativité règlementaire pour les tiers-lieux créateurs de communs
- ↑ Préparez-vous pour l’Appel à Communs des tiers-lieux
- ↑ Les Communs des Tiers-Lieux
- ↑ Direction du Numérique pour l'Éducation
- ↑ Framasoft
- ↑ Journée du Libre Éducatif 2024 - Audran Le Baron - Discours de Journée du Libre Éducatif 2024 - Audran Le Baron
- ↑ Stratégie numérique pour l'éducation 2023-2027
- ↑ Moodle, plateforme d'apprentissage en ligne libre distribuée sous la Licence publique générale GNU
- ↑ Nuage : Un cloud « Éducation Nationale » mais pas seulement ! – Apps Education
- ↑ BigBlueButton
- ↑ Forge des communs numériques éducatifs
- ↑ La Fabrique des géocommuns, incubateur de communs à l’IGN
- ↑ Géoplateforme - Construisons ensemble la nouvelle infrastructure publique des géodonnées
- ↑ Bienvenue sur le service public des cartes et données du territoire
- ↑ L’échelle de la communalité - Synthèse du rapport « L’échelle de la communalité » ou Comment intégrer les biens communs au droit