Pierre Beyssac, porte-parole et n°2 de la liste du Parti Pirate français pour les élections européennes
Titre : Pierre Beyssac, porte-parole et n°2 de la liste du Parti Pirate français pour les élections
Intervenant·e·s : Pierre Beyssac - Jean-Paul Smets - Delphine Sabattier
Lieu : Podcast Politiques Numériques, alias POL/N
Date : 11 mai 2024
Durée : 28 min
Licence de la transcription : Verbatim
Illustration : À prévoir
NB : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.
Transcription
Delphine Sabattier : Bonjour. Durant tout le mois de mai Politiques Numériques sera une spéciale avec des interviews de 30 minutes environ, avec des candidats têtes de liste, colistiers pour les Européennes. L’occasion de découvrir la vision de chacun pour l’Europe numérique de demain, puis de mieux comprendre, aussi, comment ils appréhendent les enjeux numériques dans l’espace européen. On va s’intéresser à leur projet global, mais aussi, plus précisément, dans l’un de ces quatre domaines que je leur ai demandé de choisir : ou la cybersécurité ou la résilience technologique ou l’énergie l’innovation ou encore la démocratie numérique.
Mon deuxième invité, pour cette spéciale, s’appelle Pierre Beyssac. Bonjour Pierre.
Pierre Beyssac : Bonjour Delphine.
Delphine Sabattier : Porte-parole du Parti Pirate et numéro 2 de la liste du Parti Pirate pour ces élections européennes. On va d’abord parler de vous, Pierre, qui êtes-vous ?
Pierre Beyssac : Je m’appelle Pierre Beyssac, je suis ingénieur de formation. Je suis tombé dans le numérique il y a très longtemps, ça m’a toujours passionné, j’ai été également entrepreneur du numérique et, depuis quelques années, je suis un des porte-parole, impliqué dans le Parti Pirate qui défend pas mal d’idées, de valeurs, qui convergent avec les miennes.
Delphine Sabattier : Pareil, pourquoi ce choix d’engagement politique ?
Pierre Beyssac : Déjà, je ne savais plus pour qui voter. En 2019, je me suis posé la question, je me suis dit « pourquoi pas voter pour la liste où je suis présent. Il y a tout un tas de sujets autour du numérique qui sont négligés, à mon sens, par les autres partis, donc j’ai eu des positions activistes, disons hors politique, je n’aurais même pas imaginé, en fait, de m’impliquer dans un parti classique. Et puis je me suis aperçu, à un moment, qu’il y a des mouvements type La Quadrature du Net, qui ont une action très utile. À un moment, je me suis dit que ça serait quand même bien, voyant l’exemple notamment du Parti Pirate allemand, qui avait fait beaucoup de travail sur la législation dans la mandature 2014/2019, d’essayer d’apporter et de faire converger mes efforts avec ceux du Parti Pirate français pour avoir des élus ; ça ne serait pas mal !
Delphine Sabattier : Depuis quand le Parti Pirate français existe-t-il ? Parti Pirate, c’est 2006.
Pierre Beyssac : C’est ça, 2006 en Suède et, en France, il est arrivé en 2009. Il y a eu plusieurs phases, il y a eu des hauts et des bas, mais, sur la durée, on essaie de faire monter un petit peu nos idées.
Delphine Sabattier : Parti Pirate, rien qu’avec le nom on imagine un peu les valeurs qu’il porte, mais précisez-les, peut-être.
Pierre Beyssac : Initialement, le Parti Pirate s’est créé en Suède. C’était quasiment un gag, en fait c’était suite aux échauffourées contre The Pirate Bay qui était un site de partage illégal de contenus numériques.
Delphine Sabattier : C’était a grande époque du téléchargement.
Pierre Beyssac : Exactement, les torrents, etc. Ça n’a pas complètement disparu, mais ça s’est atténué avec l’expansion du streaming légal. À l’époque et depuis très longtemps, les gens qui partagent des contenus illégalement sont appelés « des pirates », ça existait déjà à l’époque de la micro-informatique quand on copiait des programmes entre lycéens. Donc, les Suédois ont voulu créer une église, d’abord, pour défendre une valeur religieuse qui était de partager des contenus librement, parce que, évidemment, les convictions religieuses sont protégées, puis, finalement, c’est devenu un parti politique. Ça a essaimé un peu petit partout, en Europe notamment, mais pas uniquement, il y a déjà des branches un petit peu partout dans le monde.
Delphine Sabattier : Et vous vous retrouvez derrière ses valeurs ?, de partage libre et gratuit
Pierre Beyssac : Absolument. Déjà, là la devise du Parti Pirate français c’est liberté, démocratie, partage, parce que, pour nous, tout cela est lié : c’est l’accès à la connaissance, la libre expression, tout un tas de valeurs autour de ça, la souveraineté même, d’une certaine façon.
Tout l’environnement numérique, qui est un peu notre ADN de départ, est quelque chose qui devient de plus important dans la vie de toutes et tous et on pense nécessaire de se protéger contre les velléités de législations un peu brutales parfois, par des gens qui ne sont pas forcément naïfs, mais qui peuvent l’être aussi, mais qui négligent l’impact, à long terme, que cela peut avoir sur notre société.
Delphine Sabattier : Justement, je voulais avoir votre regard sur l’Europe numérique aujourd’hui déjà.
Pierre Beyssac : L’Europe s’en tire plutôt pas mal, à mon sens. On a loupé quelques trains avec l’hégémonie américaine, notamment en termes d’Internet, en termes de moteurs de recherche, en termes de systèmes d’exploitation, en termes de cloud aussi, mais je pense que la situation n’est pas fatale, on peut rattraper, on a des occasions à saisir par exemple avec l’IA, avec le logiciel libre. Il faut se souvenir qu’un certain nombre de GAFAM seraient quasi morts s’il n’y avait pas eu logiciel libre pour les soutenir, typiquement le cloud Microsoft est fondé sur du logiciel libre ; Apple a pu se refaire une santé, avec Steve Jobs, grâce aux logiciels libres ; Amazon et Google n’auraient pas pu démarrer sans logiciels libres. Il y a donc un vrai substrat, à long terme, pour retrouver plus de souveraineté qu’on n’en a aujourd’hui, surtout aujourd’hui où il y a des lois américaines comme le FISA, Foreign Intelligence Surveillance Act, qui force les fournisseurs, les entreprises américaines, même opérant sur le sol européen, à collaborer avec les services secrets américains, ce qui peut poser des problèmes en termes de surveillance de la population, mais également en termes d’intelligence économique. Je crois qu’il y a eu un rapport, je ne sais plus si c’est la DGSE, ou la DGSI, qui signalait que dans les affaires récentes d’ingérence en termes d’intelligence économique, il y en avait la moitié qui venait de nos alliés américains. Ce n’est pas pour cela que ce ne sont pas nos alliés, mais il ne faut pas non plus être naïf par rapport à notre souveraineté.
Delphine Sabattier : Quel est le programme du Parti Pirate pour cette Europe numérique de demain ?
Pierre Beyssac : Le Parti Pirate, déjà par nature, a une forte prédilection pour le logiciel libre, l'open data et aussi tout ce qui concerne les droits humains, en termes de numérique déjà : lutter contre la traçabilité que permettent les technologies. Nous nous estimons techno-réalistes au sens où nous ne sommes pas technophobes, on ne veut pas rejeter la technologie en blog ; nous ne sommes pas non plus naïfs sur les dangers de la technologie en termes de surveillance et de traçage d’États policiers, etc. En fait, on essaye aussi de sortir de notre image de parti numérique technophile et de montrer qu’on a des idées qui vont au-delà, ne serait-ce que par l’expansion du numérique dans la société, mais aussi sur la démarche scientifique, donc l’écologie, la protection de l’environnement, l’énergie, le transport.
Delphine Sabattier : Parlons de l’écologie, parce que c’est un sacré défi de défendre l’écologie, le développement durable, quand on prône le numérique.
Pierre Beyssac : Oui, c’est un de mes combats. Le numérique se fait cogner dessus régulièrement pour son empreinte environnementale, il faut donc être vigilant là-dessus, notamment avec la montée de l’IA qui est forte consommatrice de moyens de calcul, mais il faut aussi remettre les pendules à l’heure en termes d’impact, parce que le numérique a un impact finalement relativement réduit par rapport à son utilité économique et sociale. Il y a, notamment en France, beaucoup de mouvements qui alertent. Récemment, il y a le rapport sur les dangers des écrans qui propose des mesures assez brutales ; il y a toutes les mesures de sobriété, pas forcément très bien dirigées, certaines sont bien dirigées, mais d’autres sont un peu artificielles comme le nettoyage de courriers électroniques. Donc nous sommes là pour remettre un petit peu l’église au milieu du village en la matière.
Delphine Sabattier : Je vous ai vu réagir, notamment à la proposition de Najat Vallaud-Belkacem sur le rationnement de nos consommations numériques. Vous trouvez qu’on est dans une caricature, aujourd’hui en France, par rapport au numérique ? En fait, je reprends vos termes.
Pierre Beyssac : Oui, complètement ! On est dans une caricature. Il y a aussi un effet médiatique aussi. Najat Vallaud-Belkacem a essayé de faire un peu de buzz là-dessus en proposant une action forte, ce qui était littéralement écrit dans cette tribune, après elle est un petit peu revenue en arrière vu le tollé, parce que les choses ne sont pas si simples. On demande que les choses soient un petit peu circonstanciées, qu’on ne mette pas tout le numérique dans le même bateau, parce qu’il y a des usages qui sont effectivement potentiellement néfastes ou addictifs, il faut essayer d’éduquer les gens là-dessus, mais se fonder sur le volume de données, c’est un petit peu simpliste à notre sens.
De même, le rapport « écrans » qui est sorti hier, le rapport sur le danger des écrans, mélange tout sous le terme « écrans » ; les écrans c’est beaucoup de choses, c’est la télévision, ce sont même les distributeurs de billets dans les gares. Bon !
Delphine Sabattier : On a bien compris de quels écrans ils parlaient, quand même, Pierre Beyssac, dans ce rapport ?
Pierre Beyssac : Oui et non, parce que la télévision, par exemple, est maintenant imputée au titre de l’impact du numérique, ce qui n’est pas dans notre mental quand on entend parler d’impact du numérique, mais la télévision a un impact notable ; un téléviseur ça consomme beaucoup plus qu’un téléphone. On peut parler des réseaux sociaux, on peut parler de plein de choses. Une des mesures du rapport est de dire qu’on va interdire la connectivité mobile au moins de 13 ans entre 11 et 13, il n’y a pas forcément de problème à ce que les enfants disposent d’un téléphone mobile, mais uniquement pour la téléphonie classique. Ça prive donc ces enfants-là d’utiliser Wikipédia en mobilité ou d’utiliser des applications de géolocalisation pour leurs itinéraires en transports, par exemple. Quand on met ça en avant, on nous accuse de caricaturer les choses, mais, en fait, c’est écrit directement dans la mesure. Ce qu’on demande, ce qu’on aimerait, c’est que les recommandations soient plus circonstanciées et plus adaptées aux cas particuliers.
Delphine Sabattier : Vous avez choisi de développer en particulier le sujet de la démocratie numérique. Je voulais vous interroger, parce que la démocratie ça veut dire engager chaque citoyen. Qu’est-ce que propose le Parti Pirate pour lutter contre la fracture numérique ?
Pierre Beyssac : Déjà, une meilleure éducation au numérique ; avoir des réseaux haut débit développés au maximum et mobiles, donc fixes et mobiles. On est plutôt bien en France, à ce niveau-là. Les réseaux mobiles méritent d’être améliorés dans les zones rurales, il y a encore des progrès à faire. Des initiatives ont été prises sur le partage des réseaux pour éviter que chaque opérateur ait besoin d’installer une antenne à chaque endroit, donc les opérateurs partagent déjà leurs infrastructures, en partie. Il faut continuer. On est plutôt bon en France, là-dessus, par exemple par rapport à l’Allemagne qui a fait le choix du VDSL [Ligne de transmission numérique à très haute vitesse], une technologie cuivre un peu dépassée maintenant. En France, on a décidé d’équiper massivement en fibre ce qui est vraiment un pari sur l’avenir, un très bon pari. Typiquement, si on veut utiliser des IA de manière souveraine, c’est-à-dire chez soi, il faut télécharger beaucoup de données ; avoir un réseau fibre, c’est donc vraiment utile.
Ça veut dire aussi adapter un petit peu notamment l’Éducation nationale, tout ce qui est éducation, aux usages numériques, parce que, dans le tropisme national, on a tendance à beaucoup avertir sur les dangers du numérique, mais à ne pas aider les enfants à utiliser. On est plus dans le blocage ou l’interdiction que dans la sensibilisation aux usages positifs type encyclopédie en ligne, partage de la science, des connaissances, etc.
Delphine Sabattier : Vous considérez que les jeunes, aujourd’hui, ne sont pas assez éveillés aux usages du numérique ?
Pierre Beyssac : Ils le sont mais pas forcément guidés par les adultes, c’est-à-dire qu’ils vont peut-être faire du TikTok, mais ils sont quand même sensibilisés aux dangers. On a créé un compte TikTok pour le Parti Pirate, justement pour être plus proches des jeunes ; d’autres partis ont décidé de sortir de TikTok. Au contraire, nous pensons que s’il y a du contenu débile sur TikTok, c’est à nous de mettre du contenu intelligent, le contenu ne vient pas de nulle part, il vient des utilisateurs. Mon fils, lui-même, m’a dit « attention TikTok, c’est très dangereux ». On voit effectivement les mécanismes de TikTok qui commence à vous envoyer des vidéos alors que vous êtes encore en train de créer votre compte, c’est assez déconcertant et même, effectivement, un peu paniquant.
Les jeunes ont des usages, ne sont pas débiles non plus, il ne faut pas prendre les jeunes pour des imbéciles. On est plus pour l’éducation au sens « donner des petits points d’attention » aux jeunes, c’est en tout cas ce que je fais avec mes enfants, plutôt que leur dire « on va te couper le réseau parce que c’est n’importe quoi. » On essaie de leur apprendre, d’ailleurs comme nous, les adultes, devrions faire : essayer de prendre un peu de recul par rapport à nos usages addictifs.
Delphine Sabattier : Là vous parlez de TikTok et des pratiques algorithmiques, des pratiques addictives, c’est aussi comme ça que vous le percevez, visiblement. Face à cela l’Europe s’organise, crée des règlements, essaye d’imposer de nouvelles lois, de nouvelles règles. Est-ce que vous êtes en accord avec ça ? Est-ce que vous voudriez proposer autre chose au niveau européen ? Je pense à la question de la modération des services numériques.
14’ 16
Pierre Beyssac : Sur cette question,