Le libre pour s'organiser dans les collectifs militants

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Titre : Le libre pour s'organiser dans les collectifs militants

Intervenant : Numahell

Lieu : Faiseuses du web 2021

Date : 28 mai 2021

Durée : 17 min 18

Vidéo

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : À prévoir

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Salut tout le monde. Je veux vous parler aujourd'hui du Libre pour nous organiser dans les collectifs militants.

Qui suis-je ?

Je suis Numahell et je suis développeuse web. J'utilise du logiciel libre depuis plus de 20 ans, je crois.
J'ai milité dans un groupe d'utilisateurs et d'utilisatrices de logiciel libre pendant presque aussi longtemps, notamment pour l'organisation d'un événement annuel entre 2009 et 2015.
En 2016, je m'en suis éloignée pour rejoindre des militances un peu plus large que le logiciel libre : l'écologie ou les communs. Aujourd'hui [2022], je fais partie notamment d'Alternatiba [1], un mouvement citoyen pour le climat et la justice sociale, dans le groupe toulousain ; du collectif Point Communs [2], un collectif qui met à disposition des services libres pour les collectifs de commoneurs ; du Pic[3], un hébergeur web associatif pour les associations, situé à côté de Toulouse et membre du Collectif CHATONS[4] ; et enfin, de Framasoft [5], une association d'éducation populaire au numérique et aux communs culturels.

Pourquoi ce thème et avertissements

J'avais envie de vous parler des usages du Libre dans le collectif militant — ça fait un moment que j'essaye de proposer, dans certains d'entre eux, notamment à Alternatiba Toulouse, des outils libres pour nous organiser — et d'accompagner les camarades dans leurs choix et leur utilisation.
Actuellement, j'essaye de prendre un peu de recul pour savoir comment analyser ce qui est fait au quotidien dans ces collectifs militants, du point de vue de l'organisation via des outils numériques, libres ou non. Tout ce que je vais dire n'est qu'à l'état de réflexion. Il y a certainement de nombreux biais dans ce que je vais dire : le biais de confirmation, parce que je reste convaincue de la nécessité d'utiliser du libre. Et le biais — je ne sais pas comment il s'appelle : j'ai un profil technique, donc j'ai des facilités à utiliser ces outils.

En résumé, je vais vous parler du Libre dans nos collectifs, de quels outils utiliser pour nous organiser, comment les choisir et quelques bonnes pratiques à l'usage.

Pourquoi faire l'effort du Libre ?

Pourquoi faire l'effort du Libre, alors que les outils proposés par les GAFAM sont tellement confortables ?

Un petit rappel sur le logiciel libre.
Un logiciel libre est un logiciel qu'on a la liberté

  • d'utiliser,
  • d'étudier,
  • de copier,
  • de modifier et de distribuer ces modifications.

Pour étudier et modifier ce logiciel, le code source doit être ouvert.

Pourquoi choisir un outil libre, alors que les outils proposés par les GAFAM et autres sont tellement plus confortables ? Il y a plusieurs raisons à cela.
D'abord, vous voulez protéger votre vie privée : c'est la plus évidente et, par là-même aussi, celle de tous les membres du collectif, pas seulement la vôtre.
Ensuite, peut-être que votre collectif est critique vis-à-vis du modèle des GAFAM qui captent l'attention pour diffuser de la publicité ou exploitent les données utilisateur, ont un bien trop grand pouvoir, et vous souhaitez avoir une cohérence avec les valeurs de votre collectif.
Ou alors parce que, potentiellement, vous avez envie de contribuer plus facilement pour améliorer cet outil.

Pourquoi ce n'est pas le seul critère ? parce que le Libre est bien une condition nécessaire, mais pas suffisante.

Trouver un hébergeur

Pour s'organiser en ligne, il faut un logiciel libre qui va être hébergé sur un serveur web maintenu par vous ou bien par un hébergeur.
Un hébergeur web doit répondre également aux critères de respect des données personnelles.

Vous devrez trouver un hébergeur internet pour vos outils avec des critères selon les services fournis, par exemple, la confidentialité ou le risque de censure.

Il y a d'autres critères à prendre en compte : est-ce que les outils envisagés sont accessibles ? Est-ce qu'ils sont conviviaux et intuitifs ? Est-ce que c'est compliqué à installer ou à configurer ? Est-ce qu'ils qui restent sobres énergétiquement parlant ? Également, st-ce qu'ils respectent votre attention ?

Quels outils libres pour nous organiser ?

Quels outils libres proposer pour nous organiser ?

D'abord, quels sont nos besoins ?
Nous avons besoin de nous organiser collectivement, gérer nos membres, organiser des réunions, prendre des décisions et se répartir les tâches.
Communiquer en interne, échanger et diffuser des informations dans nos groupes de travail.
Collaborer sur des fichiers, des agendas, partager des agendas éditer des documents.
Également communiquer vers l'extérieur, mais je ne vais pas du tout en parler dans cette présentation, ou très peu.

Alors, quels outils pour quels usages ?

Communiquer en interne

Il y a plusieurs choix pour communiquer en interne, en fait, il y a trop de choix !

On a :

  • les listes de discussion par mail : Sympa [6], Mailman [7] par exemple ;
  • les forums de discussion : Discourse [8], Loomio [9] ;
  • les messageries instantanées comme Rocket Chat [10], Matrix [11], Mattermost [12], Signal sur mobile [13] ou IRC [14] qui est un peu l'ancêtre de tout le monde.

Ça fait beau coup trop de choix. La plupart permettent quand même d'avoir des notifications mail. Discours et Loomio sont quand même relativement utilisables en mobile ; Matrix, Rocket Chat et Mattermost ont une application mobile. Signal est nativement mobile, par contre, on est obligé de d'avoir un smartphone pour pouvoir se créer un compte sur Signal.

Partager des fichiers et des agendas

Vous aurez besoin de stocker les documents de votre collectif et de noter les dates des réunions et des événements. Pour cela, Nextload [15] est la plus indiqué, même si le design pourrait être vraiment amélioré. Il fonctionne avec des applications (plugins), des fichiers, agendas, contacts, etc., et il peut être très extensible grâce à cela.
Il y a des applications (plugins) intéressantes :

  • Deck, une sorte de kanban, un tableau de cartes, une sorte de Trello ;
  • Talk qui est, en fait, une messagerie instantanée intégrée à Nextcloud et qui permet de faire des appels ;
  • Circle, un outil pour gérer des groupes restreints, privés, cachés ;
  • Collective, pour des pages internes ;
  • Forms qui permet de créer des formulaires.

On pourrait faire pas mal de choses rien qu'avec NextCloud.

Ensuite, il est possible de faire de l'édition collaborative avec les plugin disponibles : OnlyOffice [16] ou Collabora Online [17]. C'est un petit peu plus exigeant au niveau de l'installation.

Organiser une réunion

Pour choisir une date de réunion, Framadate [18] est souvent le plus facile. Mais, si vous utilisez déjà Loomio, il existe des sondages de type date dans Loomio. Vous diffuserez ensuite l'invitation sur votre outil de communication interne préférée.
Pour la réunion, si c'est à distance, vous aurez besoin d'un outil de visio. Il existe pour cela BigBlueButton [19] ou Jitsi [20], et d'une application de prise de notes, Etherpad [21] ou Hedgedoc [22].

Sur entraide.chatons.org [23], il y a pas mal d'outils disponibles pour faire ce genre de choses et pas besoin d'inscription.

Pour s'organiser collectivement, il y a des fonctionnalités peu connues dans Mobilizon [24], qui peuvent être utiles pour les collectifs :

  • la gestion de groupe et de ses membres ;
  • dans un groupe, l'accès à un forum de discussion interne ;
  • la possibilité d'ajouter des collections de liens de ressources ;
  • la publication de billets d'actualité, en plus des événements ;
  • et les événements non listés, seulement accessibles par lien.

Jusqu'à présent, je n'ai pas eu l'occasion de tester ça dans un collectif, mais ça peut être utile.


Pour le moment, je tire quelques constats dans les collectifs que je côtoie.

Les outils récurrents sont Nextcloud et les pads. Je ne parle pas de la visioconférence.
Il existe trop d'outils de discussion différents, parfois trois peuvent coexister pour un même collectif, c'est beaucoup trop : dans un collectif de petite taille, quatre/cinq personnes, on a réussi à utiliser plus de trois outils pour nous organiser : le site web, les chats, les pads et Nextcloud.
La complexité augmente si on est dans une organisation de type fédération avec des membres, ou de type équipe nationale avec des groupes locaux. Une équipe nationale ou une fédération ne vont probablement pas utiliser les mêmes outils de communication que ses groupes locaux ou ses membres, il va donc falloir faire le lien.

Comment choisir un ou des outils numériques ?

J'en suis au début de ma réflexion, c'est donc tout à fait questionnable.
J'ai fait une proposition méthodologique lorsque la team Alternatiba nationale a choisi son outil de communication interne, en l'occurrence Rocket Chat. Même si elle n'est pas complètement adoptée, notamment par les groupes locaux, cette façon de procéder a permis une large adoption parmi les membres les plus actifs de ces groupes, même dans les groupes locaux.

Voilà ce que je propose :

  • d'abord priorisez vos critères de choix en fonction de vos besoins ;
  • ensuite sélectionnez des outils candidats en fonction de ces critères et présentez-les au collectif ;
  • faites-les tester ensuite par des volontaires, sur un temps assez long pour leur laisser le temps de faire des retours ;
  • et enfin choisissez, donc renoncez.

Anticiper l'adoption de l'outil

On peut anticiper l'adoption de l'outil. Il sera plus facilement adopté s'il est déjà utilisé par ailleurs, si vous l'avez choisi collectivement et si vous l'avez fait tester par des volontaires. Attention, ça ne signifie pas mettre en place immédiatement et yolo vous changez tous les six mois, « regardez j'ai un nouvel outil ! ». Les militantes et les militants de collectifs ne sont pas des bêta-testeuses et bêta-testeurs.

Éviter la surcharge numérique

Essayez aussi d'éviter la surcharge numérique.
Dans l'idéal, qui n'existe pas, si possible limitez à trois, maximum, les outils utilisés par l'ensemble du collectif. Ça peut être plus parce que certains groupes de travail auront besoin d'outils spécifiques. Et surtout pour la communication interne, essayez d'avoir un seul outil, au moins un principal sur lequel vous êtes sûr d'envoyer toutes les informations importantes.

Connaître ses utilisateurs et utilisatrices

Il est bon de connaître ses utilisateurs et utilisatrices :

  • ont-ils des facilités ou non à utiliser le numérique ?
  • quels sont les outils qu'ils utilisent déjà ou le matériel qu'ils utilisent le plus souvent ?
  • quelle est leur façon préférée de recevoir l'information : par notification, par mail ou sur un site web ;
  • quelle est leur préférence sur l'organisation de l'information reçue, plus ou moins structurée : un forum de discussion offre une messagerie structurée alors que sur une messagerie instantanée, ce sont des discussions au fil de l'eau ;
  • est-ce leur souhait de ne pas être trop envahi par le numérique, qui est assez partagé.

Les difficultés rencontrées

Vous pourrez rencontrer des difficultés.

Les gens n'ont pas envie, par exemple : « Le libre, ça ne marche pas, on veut de l'efficace ! — Je connais bien tel outil : pourquoi devrais-je changer ? — Je ne me suis pas encore connecté, j'ai oublié comment faire. »
L'appréhension : « L'informatique, je n'y connais rien à rien — Je m'y perds avec tous ces outils » ; l'infobésité, souffrir de trop de numérique.
Les problèmes matériels et de connexion, ou encore des outils inadaptés, donc pas intuitifs, pas accessibles ou pas disponibles pour un smartphone.

A l'usage, comment ça va se passer ?

Accompagnez

Je vous conseille d'être à plusieurs pour administrer les outils en place au cas où l'une de vous n'est pas disponible, et également pour animer et modérer les outils de discussion. Proposez régulièrement à tous vos membres des mini-formations ou des sessions de questions-réponses sur les outils, ça peut les aider grandement. Et répondez aux questions annexes.

Documentez

Une page « gare centrale » est bienvenue pour lister les outils utilisées, mais pas seulement. Elle peut être aussi utile pour expliquer votre fonctionnement : vous pouvez englober les outils utilisés dans votre fonctionnement, ce qui est même mieux.

Documentez aussi l'utilisation des outils, ou alors en passant des liens vers des documentations existantes. Et également comment les configurer, les administrer pour passer le relais, en fait, à d'autres membres qui seraient motivés pour vous rejoindre dans l'équipe d'animation ou de maintenance.

Requestionnez vos usages

Et régulièrement requestionnez vos usages, parce qu'un outil peut ne plus être utilisé. Autant le composter : sauvegardez ce que vous voulez garder et désactivez-le, débranchez-le. Votre collectif peut avoir évolué, ou alors les outils eux-mêmes peuvent avoir évolué, ne plus être adaptés.

Ressources

Je vais vous montrer quelques ressources pour trouver de la documentation et pour aller plus loin. Donc vous avez notamment :

  • Le Guide Resolu [25] qui est classé en trois parties : collaborer, communiquer, organiser. Dans chacune des parties, vous allez retrouver Next Cloud pour collaborer, Jitsi ou Mattermost pour communiquer.
  • Les métacartes « Numérique éthique » [26], faites par Lilian Ricaud et Mélanie Lacayrouze en creative commons CC BY SA : c'est une soixantaine de cartes qui sont disponibles sur internet gratuitement et auxquelles vous pouvez contribuer, mais également sous forme d'un jeu de cartes qui est en cours d'impression. Les cartes sont organisées en cartes « Usages » pour préciser les usages d'un outil numérique et proposer des alternatives, en cartes « Critères », formulées sous forme de questions pour affiner vos besoins - on en a parlé - et en cartes « Concepts » pour expliquer un petit peu les concepts essentiels, je ne sais pas : capitalisme de surveillance, ce genre de chose, les communs, aussi...
  • La documentation Framasoft [27], où il y a pas mal de guides, notamment, et puis sur chaque outil libre disponible mis à disposition par Framasoft, il y a une documentation assez précise. Par exemple, vous allez voir sur Framavox [28] - basée sur Loomio, on en a parlé - avec vraiment des tutoriels très précis.
  • Entraide.chatons.org : ce sont des services libres en ligne qui sont accessibles sans connexion, sans création de compte. Donc, vous aurez de la rédaction collaborative avec des pads, la visioconférence, la prise de rendez-vous avec Framadate, du tableur collaboratif, partage de fichiers, d'images, etc. Même un tableau de post-it !
  • Le forum chaton.org [29]. Si jamais vous souhaitez en fait héberger et administrer vous-même les outils, vous trouverez des réponses et vous pourrez poser des questions.
  • Si vous cherchez un hébergeur, vous pourrez également passer par le site web des CHATONS [30] où il y a pas mal de choses intéressantes. C'est le collectif des hébergeurs alternatifs transparents, ouverts, neutres et solidaires qui proposent des outils libres, des services libres, en ligne ou pas, pour tout le monde, ça dépend des chatons, pour vous aider, en fait, à sortir des GAFAM.
  • Et enfin, pour en apprendre plus, le mooc CHATONS [31] qui propose tout un cours. En tout cas, le premier module : Internet, c'est quoi ? ; Les GAFAM, c'est quoi ? et Quelles solutions pour lutter contre ça.

Voilà un petit peu quelques ressources. Et donc place à la discussion. Merci, et à tout de suite.