Émission Libre à vous ! du 28 février
Titre : Émission Libre à vous ! du 28 février 2023
Intervenant·e·s : Lorette Costy - Laurent Costy - Gee - David Revoy - Luk - Isabella Vanni - Étienne Gonnu à la régie
Lieu : Radio Cause Commune
Date : 28 février 2023
Durée : 1 h 30 min
Page des références de l'émission
Licence de la transcription : Verbatim
Illustration : Déjà prévue
NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.
Transcription
Voix off : Libre à vous ! l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Isabella Vanni : Bonjour à toutes, bonjour à tous. La bande dessinée et la culture libre, c'est le sujet principal de l’émission du jour, avec également au programme deux chroniques, celle de Laurent et Lorette Costy ainsi que la Pituite de Luk qui, par coïncidence, traitent toutes les deux de ChatGPT. Nous allons parler de tout cela dans l’émission du jour.
Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques proposées par l'April, l’association de promotion de défense du logiciel libre. Je suis Isabella Vanni, coordinatrice vie associative et responsable projets à l'April. Le site web de l’émission est libreavous.org : vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours ou à nous poser toute question.
Nous sommes mardi 28 février 2023, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast. À la réalisation de l’émission, mon collègue Étienne Gonnu. Bonjour, Étienne.
Étienne Gonnu : Salut, bonne émission.
Isabella Vanni : Merci. Nous vous souhaitons une excellente écoute.
[Jingle]
Isabella Vanni : Comprendre internet et ses techniques pour mieux l’utiliser, en particulier avec des logiciels libres et des services respectueux des utilisatrices et utilisateurs, pour son propre bien-être en particulier, et celui de la société en général : c'est la chronique « À cœur vaillant, la voie est libre » de Laurent Costy, administrateur de l'April, et sa fille Laurette. Le thème d'aujourd'hui est « ChatGPT - ou GiPiTi, on verra bien comment prononcer - dans l'eau ça fait des bulles, c'est rigolo ». La chronique a été enregistrée il y a quelques jours, nous allons l’écouter et on se retrouve juste après.
Chronique de Laurent et Lorette Costy sur le thème « ChatGPT dans l’eau ça fait des bulles, c’est rigolo »
Laurent Costy : Coucou Lorette ! Serais-tu capable à brûle-pourpoint, là comme ça, de me donner un palindrome ?
Lorette Costy : Non !
Laurent Costy : Merci !
Lorette Costy : De rien ! Par contre, à brûle-pourpoint, on va le ranger dans la liste des mots jolis mais dont il faut limiter l’usage ici, sinon, ça peut kéblo les écoutants et les écoutantes.
Laurent Costy : J’enlève mon pourpoint et j’enfile mon T-shirt Libre à vous ! que l’on trouve à un prix modique dans la boutique En vente Libre. Oh, qu’elle est habilement glissée cette réclame pour les goodies de l'April. Mes dividendes vont encore exploser ce mois-ci ! Mais continuons parce que je crois que tu n’as pas beaucoup de temps à m’accorder.
Lorette Costy : Sacrés dividendes. Oui, justement, on va devoir s’arrêter là, car j’ai en effet un texte à rendre pour demain sur le thème « Quel rôle la connerie humaine, le capitalisme de surveillance et le libéralisme jouent-ils respectivement dans l’accélération du réchauffement climatique ? ». J'adore mes profs...
Laurent Costy : Waouh ! Vous avez des super sujets à la fac ! La réponse n’est pas facile, car ce sont des notions très intriquées et c’est difficile de savoir quelle est la pire des trois ! Du coup, il faut qu’on trouve une solution : si je ne rends pas la chronique en temps et en pleurs, je vais être banni du conseil d’administration de l’April !
Lorette Costy : On pourrait faire la chronique sur ce thème, mais je ne suis pas sûre que le prof accepte le travail sous forme de podcast.
Laurent Costy : J’ai une autre idée : on va torcher ton devoir en utilisant les moyens modernes. Je te propose ChatGiPiTi ; exceptionnellement, on va privilégier la prononciation anglaise pour éviter la tentation de rajouter à chaque fois après ChatGPT « dans l’eau ça fait des bulles, c’est rigolo » ; ChatGPT donc, pour celles et ceux qui ne connaissent pas, c’est cette Intelligence Artificielle qui défraie la chronique et attire le journaliste comme le pot de miel attire l’ours, l’abeille, le blaireau et le consommateur quand il y a des promos.
Lorette Costy : Oh, oui, je vois ! C’est que Wikipédia définit bien cet outil : « C’est un prototype d'agent conversationnel qui utilise l'intelligence artificielle développée par OpenAI et spécialisée dans le dialogue. L'agent conversationnel est un modèle de langage affiné – comme le fromage – à l'aide de techniques d'apprentissage supervisé et d'apprentissage par renforcement ». Pour reformuler globalement la définition, on pourrait dire aussi que c’est un outil inventé pour libérer du temps et permettre au monde étudiant de faire plus la fête.
Laurent Costy : Si on en croit certains sites plus ou moins journalistiques, il semblerait que l’utilisation de ChatGPT chez les élèves se développe à la vitesse d’un cheval au galop qui tente d’échapper à la marée dans la baie du Mont Saint-Michel en Bretagne normande. Mais il faut aussi être prudent : si tu tapes « ChatGPT copie étudiant Lyon » dans un moteur de recherche, le nombre de sites mimétiques qui commencent par « 50 % des copies » ou « 50 % des étudiants » est impressionnant et ces articles relaient une triche qui se serait passée à l’université de Lyon.
Lorette Costy : C’est très journalistique en effet : préférer afficher 50 % plutôt que 7 personnes sur 14 ! Oui, c’est carrément plus buzzifiant…
Laurent Costy : Surtout que l’information est loin d’être avérée si on en croit le site lesnumeriques.com qui fait un démenti sur son premier article. Bref, c’est toujours très tentant de relayer des articles autour d’une technologie qui émerge et qui attire tous les regards. On surfe sur la vague, ça fait moderne ! Mais, pour autant, penser que ChatGPT ne serait pas utilisé par des élèves, serait aussi d’une grande naïveté.
Lorette Costy : Oui, ça je le conçois. Du coup, juste pour être sûre : je crains quoi, moi, en utilisant ChatGPT pour répondre à une question de cours, notamment sur le plan légal ?
Laurent Costy : Le droit est rarement en avance sur des objets dont on évalue la pertinence et les défauts en avançant. C’est d’ailleurs le jeu des grandes plateformes de poser leurs règles en premier dans ce Far West numérique et de regarder la puissance publique prendre beaucoup de temps pour réguler les problèmes qu’elles ont générés. Et ce temps est précieux pour accumuler du profit, donc du pouvoir. Pour les questions de plagiat et de sources, c’est effectivement un enjeu immédiat de l’enseignement que de considérer désormais les intelligences artificielles. Une des voies pourrait être une sorte de tatouage précisant l’origine du texte, mais ça reste facilement contournable.
Lorette Costy : Bon, d’accord ! Avançons mon devoir, je n'ai pas que ça à faire. Allons sur le site de ChatGPT et faisons travailler l’IA à notre place. Argh !, ça commence mal, il faut donner une adresse mail ET un numéro de téléphone.
Laurent Costy : C’est fidèle au désormais célèbre syndrome du « en même temps » : en même temps on t’expliquerait que c’est pour protéger de sollicitations par des robots et, en même temps, on collecte des données, mais ça, on te le dit moins !
Lorette Costy : Le « en même temps », c’est comme un caca posé derrière un conifère ou mettre un bulletin Le Pen/Macron dans la même enveloppe : ça sent le sapin mais pas que dans le premier cas, et 1+1 ne fait pas 2 dans l’autre cas.
Laurent Costy : Waouh !, je vois que tu as creusé le concept ! Dommage que ton devoir ne soit pas là-dessus ! Bon, je copie-colle la question : « Quel rôle la connerie humaine, le capitalisme de surveillance et le libéralisme jouent-ils respectivement dans l’accélération du réchauffement climatique ? » et on se répartit la lecture de la réponse de Chat GéPéTé !
Lorette Costy : « Dans-l’eau-ça-fait-des-bulles-c’est-rigolo » ! T'as raison, c’est vachement tentant. Ça me va, c’est parti, voici la première partie de la réponse : « La connerie humaine peut contribuer au réchauffement climatique en ignorant les preuves scientifiques sur le changement climatique et en refusant de prendre des mesures pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. »
Laurent Costy : Je poursuis : « Le capitalisme de surveillance, qui met l'accent sur la croissance économique et le profit à tout prix, peut également contribuer en encourageant les pratiques industrielles polluantes et en réprimant les politiques visant à protéger l'environnement. » Ah, on voit que le concept de capitalisme de surveillance n’est pas appréhendé par l’IA. Elle n’a pas eu le temps, visiblement, de lire le livre de Shoshana Zuboff ! Je te laisse finir la dernière partie de la réponse.
Lorette Costy : « Le libéralisme, qui met l'accent sur la liberté individuelle et la réglementation minimale, peut également contribuer en s'opposant à des politiques visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre. » Ce n’est pas mal tout ça quand même ! Comme on est chaud, on enchaîne avec la question : « Comment faire pour enrayer la connerie humaine, le capitalisme et le libéralisme ? » Ah ! pas de bol : « An error occurred. If this issue persists please contact us through our help center at help.openai.com ».
Laurent Costy : Ah ! Ça bogue ! Normal, ça commençait à devenir un outil intéressant. Ça ressemble encore à un outil con asservi au capitalisme et au libéralisme ce truc ! De toute façon, la question allait au-delà de ce dont tu avais besoin.
Lorette Costy : Oui, en effet. Mais du coup ça me fait poser la question : c’est quoi les limites de ChatGPT ? Quand on lit ce texte produit par l’IA, on est un peu obligé de se dire que l’on est loin des réponses à côté de la plaque des robots conversationnels, chatbots en anglais, censés nous aider sur les sites. Ça pourrait faire illusion avec une réponse formulée par un être humain ! Elle est vraiment intelligente ?
Laurent Costy : François Poulain, le trésorier de l’April, dit que c’est un peu la même chose que d’apprendre à nager à un sous-marin. Et puis, il y a les limites connues. D’abord, il faut savoir que les données qui ont nourri l’IA s’arrêtent en 2021. Elle n’est pas connectée à Internet et des interrogations sur des événements récents n’auront guère de réponses pertinentes.
Lorette Costy : Pas trop grave dans notre cas : la connerie humaine remonte quand même à plusieurs millénaires, on ne va pas se mito !
Laurent Costy : Oui, l’IA a l’air de bien savoir de quoi il s’agit. C’est plutôt bien documenté finalement !
Lorette Costy : Et puis les biais liés aux données qui ont nourri l’IA commencent à être connus : par exemple, une IA « projettera », si on peut dire ainsi, un PDG comme un homme blanc à cause de la grande quantité de données allant dans ce sens qu’elle aura ingurgitée préalablement.
Laurent Costy : Mais protester contre les biais laisse entendre qu'il y aurait, quelque part, la possibilité d'une IA neutre, sans biais. Or, toute IA – d'ailleurs, tout algorithme – fait des choix. Il ne s'agit donc pas de biais mais de simple restitution de ce qui a été programmé. Il y a aussi la problématique du réglage des « récompenses » qui améliorent les résultats de l’IA au fil du temps. On appuie trop sur la boucle de rétroaction de l’IA qui va alors logiquement survaloriser une probabilité. On n’est pas loin des préoccupations de Goodhart qui avait compris l’enjeu de la manipulation de critères et la potentielle influence néfaste sur les résultats.
Lorette Costy : Je connais Goodhart ! C’est un économiste qui, si je ne me trompe pas, en 1975 a formulé le fait que « lorsqu'une mesure devient un objectif, elle cesse d'être une bonne mesure », parce qu'elle deviendrait sujette à des manipulations, directes, comme des trucages des chiffres, ou indirectes.
Laurent Costy : Si je résume, la qualité de la donnée va être une clé essentielle de la qualité du résultat produit par l’IA, c’est une évidence ! Mais l’équilibre et le poids qui leur seront attachés seront aussi déterminants. À cela, il faut aussi ajouter la quantité de données ingurgitées qui, avec l’avènement du big data, permet de renforcer encore la pertinence des réponses des IA.
Lorette Costy : L’épisode de Tay, robot conversationnel de Microsoft qui, en 2016 a viré facho en moins de 24 heures, montre l’efficacité « d’efforts coordonnés de quelques utilisateurs pour abuser des capacités de Tay afin de la pousser à répondre de façon inappropriée » selon les termes mêmes de Microsoft répondant au journal Le Monde à l’époque.
Laurent Costy : Et on frémit pour notre démocratie si on projette une IA qui aurait la capacité d'une personne à écrire des commentaires automatisés dans le but d'influencer un processus de décision ou une élection. Pour ChatGPT, ils essaient de tirer des leçons de l’épisode Tay et programment des garde-fous pour tenter de contrôler l’éventuelle dérive vers des zones marécageuses et fangeuses.
Lorette Costy : Le hic sur le plan social, si on en croit Wikipédia, c’est que OpenAI a fait appel à Sama, une entreprise qui a son siège à San Francisco mais qui emploie des travailleurs au Kenya. Ceux-ci doivent lire des textes sexistes et racistes ou décrivant automutilations, incestes, contenus pédopornographiques et les classer selon leur type pour apprendre à l’IA à les repérer. Sympa tout ça !
Laurent Costy : On retrouve toutes les sombres caractéristiques des travailleurs du clic. Le site www.welcometothejungle.com éclaire cette face très sombre de l’Internet. Ce n’est pas drôle du tout.
Lorette Costy : Brrr ! Mais au fait, juste une question comme ça : c'est quoi le lien entre IA et logiciel libre ?
Laurent Costy : Excellente question ! Je te remercie de me l’avoir posée et je me remercie de l’avoir écrite dans le script. Tu en vois toi ?
Lorette Costy : J’ai surtout noté que l’entreprise qui était derrière a bien pris soin de mettre le terme open dans son nom : OpenAI ! J’imagine qu’invoquer « open » ne suffit pas pour être en phase avec la fameuse philosophie que porte le mouvement du logiciel libre ?
Laurent Costy : Oui, d’autant qu’OpenAI va devoir aussi trouver un modèle économique. Une des perspectives c’est de se maquer avec Microsoft pour intégrer cette IA dans Bing, Microsoft Office, Outlook. L’idée est de permettre, avec les données des utilisateurs et utilisatrices auxquelles il faudra avoir accès pour être pertinent, de proposer des modèles de mails personnalisés, des courriers de réponses prenant en compte l’historique des échanges, etc.
Lorette Costy : En même temps, Microsoft va être toujours plus intrusif et, en même temps, il va promouvoir un service en apparence performant. Dis donc, ça me rappelle une histoire de sapin et d’urne tout ça !
Laurent Costy : Donc, pour répondre à ta question, oui, ça reste très important que d’avoir une licence libre sur le moteur d’IA : c’est une condition nécessaire pour savoir au départ comment est « pensée » l’IA. Mais on voit bien que cette condition n’est pas suffisante en soi puisque la donnée fournie est déterminante et que c’est parfois très difficile d’expliquer comment telle IA est arrivée à tel résultat. Il va falloir cadrer les usages. La réglementation sera une voie déterminante pour ça. Expliquer ce que sont les IA, avoir des débats de société sur leur pertinence, leur utilité, en particulier lorsqu’elles impactent la vie privée, vont aussi être des étapes vitales pour garder la maîtrise de ces outils et de leur usage.
Lorette Costy : En tous cas, personnellement, je vois un avantage immédiat à ChatGPT : on a fait mon devoir et la chronique en même temps ! Je vais pouvoir te laisser, demander à ChatGPT de faire mon rapport de stage et aller en boîte pendant ce temps-là ! Let’s go ! La bise mon papa de géant qui me fait avancer dans la compréhension de ce monde numérique !
Laurent Costy : La bise ma puce à l’intelligence authentique !
[Bruits de bulles !]
[virgule sonore]
Isabella Vanni : Vous êtes de retour en direct sur Radio Cause commune. Nous venons d’écouter la chronique « À cœur vaillant, la voie est libre » de Laurent et Laurette Costy, enregistrée il y a quelques jours et consacrée à ChatGPT.
Nous allons maintenant faire une pause musicale. Et après la pause musicale, nous parlerons de bande dessinée et culture libre, avec nos personnes invitées : David Revoy et Gee. Nous allons écouter Bouquet d’Opinions par MoiJe et on se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Bouquet d’Opinions par MoiJe.
Isabella Vanni : Nous venons d’écouter bouquet d’opinion par MoiJe, disponible sous licence art libre.
[Jingle]
Isabella Vanni : Je me suis trompée en lisant le nom de l’artiste, c’est MoiJe, j’ai lu à l’italienne. Passons à présent à notre sujet suivant.
La bande dessinée et la culture libre, avec David Revoy et Gee
Isabella Vanni : Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui porte aujourd’hui sur la bande dessinée, la culture libre, avec nos deux personnes invitées : David Revoy, auteur de BD, au téléphone et Gee, auteur multimédia, depuis le studio.
N’hésitez pas à participer à notre conversation au 09 72 51 55 46 ou sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat».
Le sujet principal d’aujourd’hui a été préparé par Laurent Costy, oui, encore lui !, mais cette fois en direct depuis le studio et avec sa casquette de chargé de mission Éducation et Communs Numériques aux Ceméa. Laurent animera également l’échange avec nos deux personnes invitées, c’est pourquoi je lui passe la parole.
Bonjour Laurent.
Laurent Costy : Bonjour Isabella. Merci beaucoup pour cette parole. Nous avons effectivement invité Gee et David Revoy, respectivement auteur multimédia et auteur de BD, ils vont vous expliquer mieux que moi. Bonjour Gee.
Gee : Salut Laurent.
Laurent Costy : Bonjour David. Est-ce que tu nous entends ? Tu es au bout du téléphone.
David Revoy: Oui, je vous entends bien. Bonjour à tous.
Laurent Costy : Parfait. C’est impeccable. On va vite rentrer dans le sujet parce qu’on a préparé l’émission ensemble, vous avez énormément de choses à dire, on ne va pas épiloguer. Je vais vous demander de vous présenter chacun et expliquer peut-être votre parcours dans la foulée. Comment en êtes-vous arrivés à faire de la BD entre autres ? Gee.
Gee : J’avais dit « auteur multimédia ». C’est un peu un terme bizarre, c’est pour dire que je fais beaucoup de choses, je fais de la BD mais aussi des romans, de la musique, je travaille sur un jeu vidéo, je fais aussi des chroniques radio ici de temps en temps.
Pour mon parcours, je vais essayer d’aller vite parce que je sais que David a plein de trucs à dire. Je pense que tout le monde dit un peu ça, en gros je fais du dessin depuis que je suis tout petit. J’avais un peu arrêté à l’adolescence parce que c’était plus stylé de faire de la guitare, même si, en vrai, ça ne m’a jamais apporté beaucoup de popularité, peu importe ! J’ai fait une prépa scientifique après le bac, je ne me suis pas orienté vers l’art. Quand tu fais une prépa de ce style-là, tout le monde te dira que tu mets un peu les loisirs de côté, du coup j’avais un peu laissé tomber tout ce qui était dessin, musique, tout ça. Quand je me suis retrouvé en école d’ingénieur avec, finalement, beaucoup de temps libre, eh bien je me suis dit que j’allais reprendre et c’est un peu sur un coup de tête que j’ai ressorti une veille tablette graphique Wacom que j’avais et je me suis lancé dans un blog qui s’appelait Le Geektionnerd à l’époque, c’était en 2009, ça commence à faire !
Très rapidement j’ai fait une thèse d’informatique et j’ai travaillé comme développeur et il y a un an et demi, à l’été 2021, je me suis dit que j’en avais un peu marre de faire de l’art juste sur le temps libre, du coup j’ai quitté mon boulot, j’ai tout plaqué pour devenir auteur à plein temps.
Laurent Costy : C’est courageux. Tu vas nous expliquer tout à l’heure un peu la suite et ce que ça implique. David, à toi de te présenter.
David Revoy: Pour ma part, ça va prendre un peu plus de temps parce que je pense que je suis plus vieux que Gee.
Gee : Pas tant que ça !
David Revoy: Je pense que j’ai bien dix ans de plus que toi. Je suis un enfant des années 80 et pareil, tronc commun, je suis un enfant qui dessine beaucoup, qui a un des premiers ordinateurs à la maison. Je vais grandir là-dedans, je vais essayer de m’orienter vers le dessin. Le conseil d’orientation me propose un bac techno et c’est ce que je vais faire même si ce ne sont pas les choses que j’aime bien : on nous apprend plutôt à dessiner des pinces à linge, des croquis de mode ou des objets un peu design comme les premiers téléphones portables des années 2000. Ce n’est pas vraiment ce qui me branche !
Pour moi l’adolescence ça été beaucoup sur l’indépendance, la rébellion et je vais quitter mes études juste après le bac ; je vais commencer à faire du portrait de rue, loin de chez mes parents, je voulais avoir un appartement très vite, je voulais être très indépendant. Je vais faire aussi de la peinture sur chevalet pour faire des expos, pour vendre des peintures.
On est au tout début des années 2000. Je reprends contact avec Internet parce qu’on me dit que ça serait bien d’avoir une galerie en ligne ; à l’époque c’est le nec plus ultra pour les gens qui ont ça sur leur petite Wanadoo. C’est donc ce que je fais et là je découvre qu’il y a des gens qui dessinent sur tablette. Mes soirées vont être passées sur tablette à dessiner des illustrations où là il n’y a plus de problèmes de couleur, de toile, de trucs comme ça. Je vais apprendre en autodidacte un peu tout ce qui est le numérique, à dessiner numériquement avec des logiciels propriétaires, premièrement, et je vais commencer à avoir des demandes de boulot là-dedans pour faire de l’illustration. Je vais très vite abandonner mon métier de peintre et de portraitiste pour pouvoir faire de l’illustration de jeux de société, de couvertures de livres, j’ai tout un passé là-dedans.
À un moment donné, je vais avoir un gros crash dans mon parcours sur un foutage de gueule des logiciels propriétaires, on pourra peut-être en reparler plus tard, ça va me faire passer, encore sur le temps libre, au logiciel libre et c’est là que la Fondation Blender va avoir besoin de quelqu’un pour pouvoir faire les dessins préparatoires entre le scénario et les modèles 3 D pour faire leurs films d’animation. Donc, comme je dessine avec des logiciels libres et qu’il n’y a vraiment pas beaucoup de personnes qui dessinent avec des logiciels libres parce que, dessiner sur Linux avec les logiciels libres de l’époque, on est bien avant 2010, c’est un peu plus ardu. Ça va donc attirer la Fondation Blender qui va me dire « ça serait bien que tu fasses sur nos films ». J’ai donc travaillé sur quelques courts métrages avec la Fondation Blender en concept art, en direction artistique. En sortant de là, j’avais le virus du Libre qui était maintenant à fond pour le côté culturel, donc j’ai fait ma propre bande dessinée libre puisque, à la base, le rêve de l’adolescent c’était avant tout de faire ces trucs-là, c’était quand même de faire de la BD, mais c’était le truc inavouable, le truc qui n’était pas du tout adapté socialement.
En faisant un Webcomic, un peu sur un petit burn-out dans ma carrière de free-lance à ces moments-là, j’ai commencé à faire une BD sur le blog et voilà !, ça a pris. Ça fait maintenant neuf ans que je fais Pepper & Carrot, que j’en vis. Au fur et à mesure du temps je me suis aussi rapproché que ceux qui m’avaient mis le pied à l’étrier quand j’ai commencé le Libre, donc l’association Framasoft ; maintenant je fais un peu les deux. Je fais du Pepper & Carrot et l’illustration pour les campagnes de Framasoft.
Laurent Costy : Le dessin est assez reconnaissable. Quand on côtoie un peu Framasoft, on retrouve très vite tous tes dessins. C’est vrai que ça donne un cachet aux campagnes de Framasoft et une identité qui est remarquable.
Tu as un peu répondu à la question suivante, que je vais peut-être plus expliciter pour Gee et tu pourras compléter après éventuellement. Expliquez comment vous avez cheminé pour arriver à mettre sous licence libre vos productions ? La question est un peu longue, je ne sais pas faire des questions courtes : est-ce que l’on peut vous qualifier de masochistes quand on appréhende un peu toute la difficulté qu’il peut y avoir à réussir de vivre de son art quand on dessine ?, quand les gens connaissent un peu le monde la bande dessinée. Et qu’est-ce qui vous a amenés à aller à contre-courant et à vous ajouter encore une couche de difficulté ?
Gee : Sur le côté masochiste je ne sais pas trop. On va dire, par rapport au droit d’auteur classique, je ne suis pas sûr que ce soit lié au fait de publier sous licence libre qui rend les choses plus compliquées. Il y a des tas d’artistes qui publient sous copyright classique qui galèrent.
Pourquoi j’en suis venu là ? J’ai essayé de réfléchir et je pense que j’ai identifié trois responsables. Spoiler, le dernier c’est aussi Framasoft. Avant ça, il y a deux responsables qui sont Napster et Windows Vista.
Je fais partie des gens qui ont eu Internet assez tôt en France, c’était mes parents, du coup j’en ai profité, c’était aux alentours de 1998/99, je dirais, quelque chose comme ça. C’est vrai que très vite, à ce moment-là, on a découvert Napster.
Laurent Costy : Il va peut-être falloir expliquer aux plus jeunes écoutants et écoutantes ce que c’est.
Gee : Napster c’est un peu le tout premier logiciel, on va utiliser le mot, de piratage principalement de musique, je crois que c’était à ce moment-là, je me demande si ce n’était même pas que ça. Ça a été l’avènement du MP3, du format de musique qui était plus léger que le format WAV qui était le format de l’époque, et qui a permis aux gens de s’échanger de la musique de manière « complètement libre », entre guillemets, sur Internet, sans payer, évidemment, les CD comme on les payait à l’époque.
Forcément, comme j’avais Internet à ce moment-là, c’est vrai que j’ai piraté pas mal de trucs. Après, quand il y a eu les campagnes anti-piratage, « pirater c’est du vol », c’est vrai que ça ne m’a jamais trop convaincu. J’avais la sensation que c’était quand même plutôt une bonne chose qu’il y ait cette possibilité de partager des œuvres. En plus c’est vrai que j’ai découvert énormément de choses avec le piratage et j’ai écouté beaucoup de choses dont pas mal que je n’aurais jamais achetées, en vrai. Déjà parce qu’en termes de volume c’était trop, je n’avais pas assez d’argent pour acheter tout ça. Du coup, le côté manque à gagner du piratage, oui, il y en a, mais il n’est pas si évident que ça, je ne vais pas faire toute l’émission sur le piratage. Peu importe ! Quelque part ça m’a déjà apporté l’idée que la culture devrait être quelque chose qui se partage assez librement et que les questions économiques c’est une autre question quelque part.
Ensuite je disais qu’il y a eu Widows Vista, c’est un peu plus tard, là j’étais en prépa. Au tout début de la prépa, en 2007, je venais d’avoir mon tout premier ordi personnel, d’habitude j’allais toujours sur celui de mes parents, là j’avais un petit ordinateur portable avec Windows XP dont j’étais très content par ailleurs. On commence à avoir les échos sur Windows Vista, tout le monde disait que c’était vraiment pourri. Du coup, je me disais mince ! Il y avait marqué « Windows Vista compatible » sur mon truc, du coup, je ne vais peut-être pas passer à Windows Vista. Là, un ami me parle de Linux et me dit « si tu veux, il y a un truc qui est sympa, c’est Ubuntu – en 2007 c’était la 7.4 – donc je me suis mis Ubuntu en dual-boot, je ne sais pas s’il faut expliquer dual-boot.
Laurent Costy : On a deux systèmes d’exploitation sur le même ordinateur, on peut choisir de démarrer soit Windows, soit GNU/Linux.
Gee : Un peu comme David qui parlait de Blender, je suis rentré dans les logiciels libres par Linux, je me suis mis à connaître un peu tout ça. Ce qui fait que quand j’ai lancé Le Geektionnerd de mon blog, deux ans plus tard, en 2009, il y avait énormément de blagues anti-Windows : sur les écrans bleus de Windows, les bugs de Windows, tout ça, c’étaient forcément des trucs qui nous faisaient rire à l’époque et pas mal de trucs sur le fait que Linux c’est bien. Ce qui fait que très vite l’association Framasoft « m’a repéré », entre guillemets, et m’a demandé « est-ce que tu ne veux pas venir publier chez nous ? ». À l’époque, sur mon blog, il n’y avait pas de licence, je ne m’étais pas spécialement posé la question. Ils m’ont dit « si tu veux venir publier chez nous il faudrait que ce soit sous licence libre ». Du coup j’ai regardé les Creative Commons, je connaissais déjà un petit peu, et c’est vrai que le choix n’a pas été dur. Je reviens au début, ça aurait été un peu hypocrite de ma part de télécharger plein de musiques gratuitement comme ça et de dire « moi, par contre il faut payer mon art, il y a des barrières et tout ! » On parlera du financement, je ne veux pas corréler complètement les deux, mais c’était l’idée : publier gratuitement et laisser les gens en faire un peu ce qu’ils veulent.
Laurent Costy : Merci pour cet éclairage. On pourrait effectivement développer la question du piratage. Dans l’éducation c’est aussi un sujet puisque c’est bien gentil de vouloir promouvoir des logiciels privateurs et de ne pas avoir les capacités financières de les utiliser ! À un moment donné, l’alternative GNU/Linux s’impose finalement d’elle-même : on fait de l’éducation, on accompagne les gens et on le fait en toute sécurité.
Est-ce que tu voulais rajouter quelque chose par rapport à ce point en particulier, David ?
David Revoy : Oui, si j’ai le temps !
Il y a deux points pour moi : logiciel libre et culture libre et l’un ne fait pas forcément l’autre.
Par exemple, c’est grâce à ma rigidité à ne pas vouloir pirater, en quelque sorte, que je suis arrivé au logiciel libre. Je suis tombé sur une machine sous Vista que j’ai mise à jour, elle était encore sous Vista, et là tous mes logiciels, tous ceux que je n’avais pas piraté – j’avais acheté les licences Photoshop, Painter et compagnie – ne sont pas compatibles avec cette nouvelle plateforme et je ne peux pas les installer sur cette plateforme-là, que je viens d’acheter sur un coup de tête. Je dois donc acheter des services de mise à jour, des packs qui coûtent très cher pour chaque logiciel et ça n’avait pas beaucoup de fonctionnalités à part la compatibilité Vista. Là je me suis retrouvé un peu pris en otage, je sentais qu’on en voulait sérieusement à mon portefeuille. C’est ça qui m’a poussé, on va dire, à faire un crack et à dire que je n’irais pas dans cette voie-là. Qu’est-ce qu’il y a comme alternatives à long terme pour qu’on ne me fasse les poches, pour qu’il n’y ait pas une sorte de petite mafia autour de moi qui décide de mes usages ? Oui, c’est ça l’angle.
Pour la culture libre, je suis passé par la Fondation Blender. Au début j’avais un peu peur de leur licence, la Creative Commons Attribution, je ne connaissais pas, je ne publiais pas comme ça mes dessins sur mon blog, c’était en copyright tout simplement. J’ai vu avec les concepts art et compagnie, il n’y avait pas de problèmes. Il y a eu une petite période où je me suis dit « elle va être reprise, le personnage, quelqu’un va copier mon style » ; il y avait vraiment, en fait, une sorte de paranoïa de ce qui pouvait se passer en mettant l’art en libre. J’ai vu qu’il n’y avait que des effets bénéfiques de dérivation, de propagation. Cette peur-là s’est dissipée et c’est là où j’ai commencé à l’adopter pour mon blog.
Après il y a eu une prise de conscience que la culture propriétaire était partout quand j’ai fait ma BD, c’est-à-dire que je ne pouvais pas reprendre les univers propriétaires qui étaient déjà en place. Tout était déjà verrouillé et, pour créer une sorte de nouvelle culture, c’est très difficile, il faut slalomer entre tout ce qui est fait et, à notre époque, énormément de choses étaient faites. Surtout quand je fais une sorcière, on me dit très vite « ça c’est Little Witch Academia. Ah non, ça c’est Kiki. Non, ça ce sont les sœurcières de Pratchett ! ». C’est un slalom pour ne pas reprendre des références, pour pouvoir créer son propre truc. C’est là qu’on voit qu’il y a beaucoup de choses. Là je m’étale un petit peu, je suis désolé de rentrer dans les détails.
Laurent Costy : Pas du tout, c’est extrêmement intéressant et c’est aussi extrêmement intéressant de vous écouter sur ce qui a finalement déclenché votre passage à la culture libre ou au logiciel libre : c’est le fait de se sentir un peu, à un moment donné, prisonnier.
On me demande dans le chat d’expliquer rapidement ce qu’est Blender. Peux-tu expliquer ?
David Revoy: C’est un logiciel libre de 3 D. On va pouvoir faire des objets en 3 D, mais aussi leur mettre des squelettes d’animation, les animer, faire le rendu, donc faire un film et même, à une époque, c’était pour pouvoir faire des jeux vidéos de A à Z. Maintenant ça peut servir à faire des modèles de jeux vidéos. C’est toute une suite 3 D libre. Ils font des projets. En 2010, ils ont fait des projets pour pouvoir améliorer le logiciel. Ils faisaient un film libre en crowdfunding. Ils faisaient un appel de budget, toutes les personnes de la communauté Blender étaient réunies dans un studio à Amsterdam pour pouvoir faire un film. Il y a eu comme ça Cosmos Laundromat, Sintel, Big Buck Bunny, etc.
Laurent Costy : On les trouve facilement sur Internet puisqu’ils sont, en plus, sous licence libre, on peut en profiter. On voit bien que la qualité est remarquable, les animations sont juste incroyables. Je trouve ça extraordinaire. Big Buck Bunny est un des premiers courts métrages qui a été promu auquel on a associé Blender, moi j’avais trouvé très bluffant à l’époque, mais ça commence à dater ?
David Revoy: C’est vers 2008. J’arrive juste après, en 2009, pour Sintel pour lequel j’ai fait la direction artistique.
Laurent Costy : Très bien.
Une fois qu’on a mis le doigt dans la culture libre, dans les logiciels libres, on pousse même la logique à se confronter à des éditeurs de bande dessinée. Est-ce que tu peux nous raconter ? Tu l’as racontée sur le Framablog, on mettra le lien sur la page de l’émission. J’ai trouvé l’histoire de Pepper & Carrot vis-à-vis de Glénat extraordinaire à lire. Je trouve que c’est un pied de nez au modèle imposé, au modèle économique qu’on veut nous imposer et qu’on n’a pas le droit d’interroger Je trouve ça extraordinaire. Est-ce que tu peux nous raconter ?
David Revoy: Je vais essayer de faire court.
Laurent Costy : Oui, j’allais le dire, 17 minutes pas plus !
David Revoy: Glénat m’a démarché par e-mail, comme ils le font sûrement pour beaucoup d’auteurs et d’autrices, à l’époque, on est en 2014/2015. Ils ont une direction artistique qui recherche les talents du Web. En gros, ils regardent les webcomics, ceux qu’ils trouvent sympas, pour en faire une édition papier. Pepper & Carrot va tomber à peu près dans ce schéma-là. Je reçois un petit e-mail me demandant de faire un petit dossier, rapide, pour pouvoir faire une réunion. Je leur fais ça. Ils me disent « ça nous intéresse » et après ils m’envoient directement tout pour l’éditer selon leur process, c’est-à-dire qu’ils ont leur contrat, tout est prêt. C’est là que je dis « non, ça ne va pas le faire, je ne suis pas d’accord avec ça », parce que dedans il y a directement marqué les mots d’exclusivité, de droit d’auteur, ce n’est vraiment pas du tout le délire derrière Pepper & Carrot, comment je le fais. On se rencontre par téléphone et là je leur explique tout le truc. Il va y avoir, à Glénat, un directeur artistique extrêmement ouvert qui m’a dit « c’est un super délire, on voudrait respecter les choses », c’est-à-dire l’audience est là autour, c’est une expérimentation, on va se mettre tout autour. Je leur dis « vous savez mon délire, ensemble on ne signe que la Creative Commons, c’est-à-dire qu’on ne soit pas liés du tout, que vous ne me donniez de l’argent que quand je publie un nouvel épisode, en fait comme les mécènes ». Mais bon ! Peut-être plus qu’un mécène normal, parce que vous avez une initiation industrielle. Ils vont dire que c’est intéressant, mais ça a d’autres implications, c’est-à-dire que si leurs concurrents d’une autre maison d’édition décident de faire Pepper & Carrot, ils peuvent le faire aussi, mais ils se disent « on va tenter le truc ». Ça s’est fait comme ça, on en est au tome 4 et ça se passe bien. À côté de ça il y a d’autres éditions, il y a l’édition norvégienne cette année, l’année dernière l’édition bulgare est sortie. Ça laisse, comme ça, tous les éditeurs faire leur version, la version bretonne, la version occitane qui va sortir cette année. Je suis très content de cette liberté, en tout cas de cette non-exclusivité que la Creative Commons me laisse.
Laurent Costy : Tu as dû passer beaucoup d’énergie pour essayer de les convaincre, parce que ça bousculait quand même leur logique, leur modèle. Ils ne devaient pas être habitués à ce que quelqu’un les interpelle en disant « ce n’est pas du tout comme ça que je vois les choses » et les pousser à aller jusqu’au bout ? C’est étonnant quand même ! Dans le monde de la BD, Glénat ça s’impose !
David Revoy: Je pense que je n’ai pas de mérite. Je pense que c’est vraiment le directeur artistique qui est là, qui, sur le coup, va voir un projet extra-terrestre va se dire « c’est un délire ça fait un peu ??? [39 min 45], ça fait un peu que Glénat se positionne sur quelque chose ». Il y a peut-être une logique marketing derrière ça, se dire « on essaye quelque chose de nouveau », il y a tout ça, et se dire « on va essayer de faire le délire total ». C’est sûr que ça a fait faire la gueule au département légal, j’en ai eu des petits échos, parce qu’eux ont leur process, ils ont leurs contrats, ils ont leurs trucs, donc avoir à lire toute la Creative Commons, savoir où est le loup là-dedans et ce qui va pouvoir se passer.
Laurent Costy : Mince ! Il ne pouvait pas utiliser les modèles qu’ils avaient préparés dans leur ordinateur ! Ils étaient obligés de réécriture quelque chose.
David Revoy: Chaque fois que je refais une couverture, il faut savoir que pour les quatre tomes, j’ai reçu à chaque fois le modèle de contrat d’exclusivité et c’est vrai qu’à chaque fois je refuse : on met l’e-mail de l’auteur et hop !, ça renvoie directement toute la paperasse et tous les trucs ! Je continue de recevoir ces modèles-types. Ils ont vraiment une structure qui biberonne les auteurs. C’est vrai que je suis vraiment à part. Quand je vais faire de la dédicace pour Glénat, oui, je vais jouer à l’auteur parce que je ne gagne pas sur les ventes des albums. Je gagne de l’argent quand je fais un nouvel épisode.
Laurent Costy : On parlera tout à l’heure du modèle économique, tu nous en reparleras, c’est aussi extrêmement intéressant. En tout cas, ça montre qu’on peut avoir un partenariat avec Glénat qui est quand même, encore une fois, plutôt connu dans le monde de la BD, pour peu qu’on s’intéresse un peu à la BD. Je trouve ça extrêmement intéressant. Si vous voulez avoir le détail de tout ça, si vous voulez passer un peu de temps à la lecture, allez sur le Framablog où vous aurez un peu plus d’éléments pour comprendre les tenants et les aboutissants.
Je vais repasser la parole à Isabella.
Isabella Vanni : Tout à fait. Je pense que c’est le bon moment pour une pause musicale. Nous allons écouter By Force par Punch Deck. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : By Force par Punch Deck.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Isabella Vanni : Nous venons d'écouter By Force par Punch Deck, disponible sous licence libre Creative Commons, CC BY 3.0.
[Jingle]
Deuxième partie
La pituite de Luk sur le thème « ChatGPT, conformisme et gros business »
Isabella Vanni : Nous venons d’écouter ??? par ??? sous licence art libre.
<jingle>
Isabella Vanni : Je suis Isabella Vanni de l’April et vous vous écoutez l’émission Libre à vous ! sur Radio Cause commune. Nous allons passer au sujet suivant. Nous allons poursuivre avec la pituite de Luk, qui porte elle aussi sur ChatGPT, le titre exact de la chronique d’aujourd’hui étant « ChatGPT, conformisme et gros business ». La chronique a été enregistrée il y a quelques jours. Nous allons l’écouter et on se retrouve juste après.
Luk : Salauds de grévistes ! À cause d’eux, ça fait un bail que je n’ai pas écrit de pituite. J’ai à peine eu le temps de me moquer du nom de ChatGPT. Je sais, c’est facile mais maintenant c’est trop tard pour ricaner sans avoir l’air d’être un demeuré.
Je n’ai pas été surpris d’apprendre que le bidule flatule des informations fausses ou contradictoires en fonction du vocabulaire employé. Ce machin génère des foutaises au kilomètre à partir de l’existant.
À mes yeux, la principale caractéristique de ChatGPT est d’étendre le domaine de nuisance des spams. Mieux que le confinement qui a poussé une maison d’édition à s’avouer vaincue et à demander à tous les auteurs en herbe de ne pas leur envoyer leur manuscrit, car ils n’avaient tout simplement pas le temps de les lire, ChatGPT est utilisé pour spammer Amazon avec des bouquins bidons, juste assez crédibles pour être achetés sur un malentendu. On découvre des nouveaux exemples de ce type tous les jours !
Même difficulté dans le domaine des études. Avant, les mauvais étudiants copiaient-collaient Wikipédia ou quelques textes de référence trouvés sur Internet. Les plus audacieux tentaient la traduction automatique de texte écrits dans une autre langue. Maintenant, les textes ne sont plus les mêmes et, pour faire la différence, il ne faut plus considérer que les textes qui contiennent le plus de fautes sont les originaux. Comme quoi la baisse du niveau scolaire a ses vertus. Mais bon ! Les IA pourraient tout aussi bien être un gain de temps pour les profs : ils pourraient fournir à leurs étudiants un tissu de foutaises générées, en leur demandant de relever et expliquer tout ce qui est faux.
La génération par des IA menace de se répandre partout. Comme pour le spam, générer du bruit est bien plus rapide que de faire le tri. Notre vie, à l’avenir, sera un peu comme regarder un blockbuster américain : une structure toujours identique, un enchaînement des faits incohérents et un conformisme de bon aloi.
En matière de conformisme, le barycentre californien de la tech semble tenir le bon bout. YouTube a commencé à démonétiser les vidéos contenant des grossièretés. Je n’ai sans doute pas des millions d’auditeurs mais moi, à la radio, je peux dire tous les gros mots que je veux : caca, merde, chiasse, Microsoft Teams !
Alors bien sûr, ça a couiné et ils ont fait la promesse de réviser leur politique. Les grossièretés n’ont pas le même sens, ni le même usage, en fonction des langues et du contexte ; pas besoin d’être un génie de la linguistique pour savoir ça ! Et puis leur justification de ne pas froisser les annonceurs est bidon. Adepte de pratiques extrêmes que je suis, j’ai revu un téléfilm français en prime time pour la première fois depuis 25 ans et le héros y utilisait constamment des grossièretés. Les pages de pub étaient pourtant bien garnies.
Si TF1 a pigé le truc, comment se fait-il que nos génies du business digital aient pu penser que bannir des mots allait résoudre un quelconque problème ? Simple différence culturelle ? J’ai du mal à y croire, tant le « fuck » a été prononcé dans le cinéma américain.
En tout cas, le conformisme, encore lui, semble frapper avec la vague de licenciements qu’on observe chez les GAFAM. J’avais espéré que ces boîtes connaissent ou anticipent des difficultés. Un universitaire de Stanford pense que c’est par pur mimétisme. Si les copains virent, faudrait peut-être faire pareil ? Hein ? Virer des gens, c’est facile, c’est mesurable, c’est pratique pour calculer les bonus.
Donc, au final, ChatGPT ou décision de VP bronzés de la Côte Ouest, le résultat n’est pas si différent. Si ça se trouve, ils ont déjà délégué leur boulot à une IA. Ou alors, comme je l’avais annoncé il y a un petit moment, une IA a pris le contrôle.
Mais bon... Et si ces IA génératives étaient finalement salutaires ? Elles nous tendent le miroir de notre propre fadeur, de notre conformisme, des poncifs constamment ressassés qui suffisent à nourrir notre quotidien.
Si à l’avenir, nous devons nous faire spammer constamment et partout, cela veut dire qu’il faudra être plus imaginatif, maîtriser notre culture, contrôler nos propres réseaux de confiance et faire vivre nos communautés.
[Virgule sonore]
Isabella Vanni : Vous êtes de retour en direct sur Radio Cause commune. Nous venons d’écouter la chronique La pituite de Luk, consacrée aujourd’hui à ChatGPT. Nous approchons de la fin de l’émission, nous allons terminer par quelques annonces.
<jingle>
Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l'April et le monde du Libre
Isabella Vanni : Dans les annonces aujourd’hui, nous sommes très contents et contentes de vous annoncer que les vidéos de l’édition 2022 de Capitole du Libre, qui est un événement libriste majeur ayant lieu chaque année en novembre à Toulouse, sont désormais en ligne. Vous pouvez déjà les trouver sur YouTube et à venir sur PeerTube.
La première instance Mastodon dédiée aux collectivités territoriales est née. Nous saluons cette très belle initiative du SITPI, le syndicat intercommunal de mutualisation situé dans l’agglomération grenobloise.
En mars et avril 2023 auront lieu les Journées des Libertés numériques, un événement pour comprendre les enjeux de technologie et culture numérique avec les bibliothèques universitaires, notamment de Nantes. L’expo libre qui a été réalisée par le groupe Sensibilisation de l’April sera notamment exposée du 1er au 31 mars.
Le 2 mars, à partir de 19 heures, au Papier Timbre à Rennes, l’association Actux organise un apéro-rencontres et Magali Garnero alias Bookynette, présidente de l’April, y sera présente.
Cause Commune vous propose un rendez-vous convivial chaque premier vendredi du mois, à partir de 19 heures, dans ses locaux à Paris, au 22 rue Bernard Dimey dans le 18e arrondissement. Une réunion d’équipe ouverte au public, avec apéro participatif à la clé, occasion de découvrir le studio, de rencontrer les personnes qui animent les émissions. La prochaine soirée-rencontre aura lieu le vendredi 3 mars, donc vendredi qui arrive, et mon collègue Frédéric Couchet, délégué général de l’April, sera présent à cet apéro.
Le Libre en Fête débute officiellement ce samedi 4 mars 2023 : des événements de découverte sont proposés partout en France, dans une dynamique conviviale et festive, pour sensibiliser le grand public aux enjeux de l’informatique libre et de la culture libre, jusqu’au dimanche 2 avril là. Vous pouvez consulter le site libre-en-fete.net pour trouver les événement près de chez vous.
Et je vous invite, comme d’habitude, à consulter l’agenda du libre pour tous les autres événements en lien avec les logiciels libres ou la culture libre près de chez vous.
Notre émission se termine. Comme vous pouvez le constater, le générique a été lancé par mon collègue. Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission : David Revoy, Gee, Lorette Costy, Laurent Costy, Luk, et aux manettes de la régie aujourd’hui, mon collègue Étienne.
Merci également aux personnes qui s’occupent de la post-production des podcasts : Samuel Aubert, Élodie Déniel-Girodon, Lang1, Samuel Hausman ???, bénévoles à l’April, et Olivier Grieco, le directeur d’antenne de la radio. Merci aussi à Quentin Gibeaux, bénévole à l’April, qui découpera le podcast complet en podcasts individuels par sujet.
Vous retrouverez sur notre site libreavous.org toutes les références utiles ainsi que sur le site de la radio causecommune.fm. N’hésitez pas à nous faire des retours pour nous indiquer ce qui vous a plu mais aussi des points d’amélioration. Vous pouvez également nous poser toute question et nous y répondrons directement ou lors d’une prochaine émission. Toutes vos remarques et questions sont les bienvenues à l’adresse contact chez libreavous.org. Si vous préférez nous parler, vous pouvez nous laisser un message sur le répondeur de la radio pour réagir à l’un des sujets de l’émission, pour partager un témoignage, vos idées, vos suggestions, vos encouragements ou pour nous poser une question. Numéro du répondeur: 09 72 51 55 46.
Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission. Si vous avez aimé cette émission n’hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous et à faire connaître également la radio Cause Commune, la voix des possibles.
Il n’aura pas d’émission inédite mardi 7 mars. La prochaine émission Libre à vous ! aura lieu en direct, mardi 14 mars à 15 heures 30 et notre sujet principal portera sur le système libre de gestion de bases de données PostgreSQL - faudrait inventer un autre nom plus facile à prononcer. Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve en direct mardi 14 mars. Et d’ici là, portez-vous bien.
Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.