Cours de culture numérique 2018-2019 - Introduction 1re partie - Hervé Le Crosnier

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Titre : Culture numérique - introduction - 1ère partie - (CN18-19)

Intervenant : Hervé Le Crosnier

Lieu : Centre d'Enseignement Multimédia Universitaire (C.E.M.U.) - Université de Caen Normandie

Date : septembre 2018

Durée : 59 min

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Diaporama support de la présentation, pages 1 à 31

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration :

NB : transcription réalisée par nos soins. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas forcément celles de l'April.

Statut : Transcrit MO

Transcription

Bonjour à vous toutes et vous tous. J’ai été enseignant, j’avais l’habitude d’intervenir dans les amphis, mais maintenant je suis éditeur alors j’ai beaucoup moins l’habitude. On va se remettre en train.

Effectivement, le cours d’introduction de l’année dernière a été filmé, donc j’ai essayé de me dire je ne vais pas faire la répétition d’autant que je sais qu’il y en a qu’ils l’ont déjà subi, malheureusement pour eux, l’année dernière. Donc si vous voulez retourner voir je vais essayer de faire de faire aujourd’hui un complément à ce cours-là mais qui reste néanmoins un cours d’introduction sur cette question dite de la culture numérique au sens assez général, que je vais donc vous expliquer pendant deux heures.

On a commencé par dire « oh malheureux pauvres ! Deux heures, des étudiants de L1 ! » Alors on va faire une pause au milieu quand même, on s’arrangera. Quand vous commencez à ne plus en plus en pouvoir vous me dites stop, on s’arrête deux minutes et puis voilà.

Je voudrais commencer en fait une première partie sur cet étrange phénomène qui a fait que, disons entre les années 90 et la fin des années 2000, dans la presse, dans les médias, à la télévision, partout « Internet c’est génial ». Internet c’était le seul avenir qui restait ouvert ; c’était toute une création d’utopies, de positives, de choses comme ça. Et puis, depuis quelques années, on ne peut pas ouvrir un journal, on ne peut pas regarder une émission de télévision sans voir que Internet c’est la pire des catastrophes qui soit arrivée à l’humanité. C’est le dérèglement de tous les individus. C’est la fin de la culture, la fin de l’économie ; c’est la surveillance totale et généralisée. Comment on peut passer d’une utopie à une dystopie ?

Moi j’ai eu la chance de plonger dans le bain de l’Internet il y a 25 ans, ça fait un bail, et très vite j’ai commencé aussi à émettre des critiques, à dire : attendez là il y a des choses bien et puis il y a des choses qui sont quand même dangereuses pour la construction de la société. Et en fait avec le recul, je me rends compte, et ce n’est pas pour rien que j’ai mis ici le dessin du yin et du yang avec une interpénétration de ces deux forces contraires, je pense que ce côté d’utopie et ce côté de dystopie sont présents en permanence dès qu’on parle du numérique. Donc je vais essayer aujourd’hui à la fois de montrer, de faire une critique – parce que je pense que si on ne fait pas une critique d’un domaine qu’on aime ça ne sert à rien de l’aimer –, donc il faut faire une critique et en même temps essayer de soulever la continuation, la continuité des forces positives qui ont pu exister au développement, à la création de l’Internet dans cette période que l’on peut dire utopique.

Projection de Apple 1984 Super Bowl Commercial Introducing https://www.youtube.com/watch?v=2zfqw8nhUwA

Quand on parle de la relation utopie-dystopie, je trouve que cette vidéo qui date de 1984, présentée lors de la finale de base-ball aux États-Unis, qui a été tournée par Ridley Scott – donc vous voyez un gros appareillage – elle marque un tournant inverse de celui dont je vous ai parlé précédemment, c’est le tournant qui fait passer d’une informatique de contrôle, de surveillance, une informatique centralisée, au service des puissants pour contrôler l’ensemble de la population, une informatique de type Big Brother, en une informatique qui va porter le message de la liberté. Le Macintosh est considéré comme l’outil d’interactivité, de créativité personnelle, de capacité au même moment à se connecter au premier réseau qui va devenir Internet dans le courant des années 80.

Donc on a là un premier basculement qui consiste à passer de ces hommes en costume de flanelle grise qui subissent le contrôle, qui sont les servants de l’appareillage informatique à une informatique individuelle, le terme est important, individuelle, individualisée, autonome, qui va pouvoir en même temps constituer des réseaux. Et dès qu’on va constituer des réseaux, je vous parle encore des années 80, vont apparaître derrière ces deux personnages que sont Stewart Brand et Howard Reinghold, le terme et l’idée de communauté virtuelle. On va pouvoir se rencontrer même si on ne se voit pas. On va pouvoir échanger à distance et de manière asynchrone. Donc on va expérimenter une nouvelle forme de relation entre des humains, entre des individus à nouveau disposant d’un ordinateur individuel.

Donc cette idée-là était l’idée d’utopie présente dès le début de l’Internet. Or aujourd’hui, c’est Yes We Scan. C’est l’idée que tout ce qu’on va faire sur notre ordinateur personnel est en réalité tracé par les services auprès desquels nous nous rendons. Que tous nos échanges sont filtrés ; que nos mails sont étudiés pour nous donner de la publicité ciblée, etc. ; c’est qu’on a de la surveillance à tous les étages.

Heureusement sur Internet :

Projection de la publicité parodique NSA Cloud Backup – Stockage gratuit et automatique de vos données privées ! https://www.youtube.com/watch?time_continue=2&v=1tSTtmX3v3w

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Hervé Le Crosnier : Donc c’est important face au phénomène de voir qu’il y a quand même une création, on est toujours dans le logique yin et yang, il y a toujours cette réaction qui existe et qui prend sur Internet cette forme très particulière de l’humour. L’humour comme outil pour libérer à nouveau les individus. Pourquoi ? Parce qu’en fait l’Internet, que les médias nous présentent souvent comme un élément extérieur à nous, est en réalité le produit de ce que nous en faisons. Qu’est-ce qui se dit ? Qu’est-ce que nous voulons ? Comment nous réagissons vis-à-vis des outils, des services, des propositions qui nous sont faites sur Internet ? Est-ce que nous plongeons la tête la première dans le bain de la surveillance ou est-ce que nous essayons de nous donner des moyens d’éviter cette surveillance ? Est-ce que nous plongeons la tête la première dans ce que je vais vous montrer tout à l’heure qui s’appelle l’économie de l’attention ? Ou est-ce que, au contraire, nous essayons de l’éviter au maximum, tout en bénéficiant – parce que c’est élément important de la culture du 21e siècle – de l’intérêt de ces communautés virtuelles, de ces relations à distance qui ont pu être mises en place depuis les années 80.

En fait, je pense qu’il ne faut jamais imaginer l’Internet comme un outil dont nous nous servons. Ça c’était peut-être vrai il y a 25 ans quand j’ai commencé sur un écran avec 25 lignes de petits caractères verts ou orange, mais maintenant ce n’est plus ça. C’est un écosystème à l’intérieur duquel nous sommes plongés. Il est impensable aujourd’hui de vivre en dehors de l’Internet. C’est notre monde moderne.

Donc la question qui se pose c’est plutôt comment est-ce que nous allons être capables de maintenir à la fois notre autonomie d’individus et nos consciences collectives ; nos capacités collectives de former une société à l’intérieur de cet écosystème.

En fait nous avons deux écosystèmes : les pieds sur terre et la tête dans le cyberespace. Et nous sommes réduits, c’est notre situation d’humains du 21e siècle à vivre en permanence dans ces deux écosystèmes. Vous savez que l’écosystème terrestre ne va pas bien, que la crise climatique est un des enjeux majeurs de notre siècle ; que nous allons connaître certainement des bouleversements sociétaux absolument énormes dont personne ne veut aujourd’hui prendre la mesure. Eh bien disons-nous que l’écosystème numérique est en train de connaître lui aussi des mouvements de ses plaques tectoniques et que c’est à l’intérieur de ces mouvements-là qu’il va falloir que chaque individu, We are the Internet, que chaque individu décide de se positionner.

C’est à mon avis à ça que sert la culture numérique. Vous voyez on fait un cours, une conférence, une série de conférences, même 12 conférences je crois, de culture numérique. Donc c’est bien qu’il y a quelque chose, un enjeu qui dépasse le savoir-faire technique.

Aujourd’hui vous savez tous, peut-être même mieux que moi, utiliser les appareils, les configurer, trouver l’endroit caché dans lequel il faut appuyer pour avoir la meilleure définition ou le meilleur usage d’un service. Mais aujourd’hui ce n’est plus ça la culture numérique. C’est comment est-ce qu’on acquiert de l’autonomie, parce que l’objectif de la culture c’est toujours d’être autonome face au monde qui nous entoure, comment on acquiert cette autonomie à l’intérieur de l’écosystème numérique, c’est-à-dire notre capacité à l’habiter ?

11’ 05

Et pour ça, il faut c’est prendre les deux sens du terme culture.