Freezone - Émission du 29-07-2016

De April MediaWiki
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Titre : Épisode 10 de Freezone

Intervenant : Calimaq - OliCat 

Lieu : Asso Libre à Toi

Date : Juillet 2016

Durée : 19 min 08

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Licence : Verbatim

Statut : Transcrit MO

Description

Événement: l’EFF (Electronic Frontier Foundation), la grande association de défense des libertés numériques a décidé d’attaquer en justice le DMCA (Digital Millenium Copyright Act), une loi votée en 1998 qui a introduit la notion de DRM (Digital Rights Management). EFF considère que le fait de ne pas pouvoir contourner légalement ces verrous numériques est inconstitutionnel dans de nombreux cas. Cela pourrait constituer un des procès les plus importants des années à venir, qui viendrait limiter la nocivité de ce que Richard Stallman appelle les « menottes numériques »

À surveiller: Les Jeux Olympiques de Rio vont commencer la semaine prochaine. Il y a quatre ans à Londres, les jeux avaient provoqué de très nombreuses dérives, dues à l’agressivité dont fait preuve le CIO dans la défense de ses marques et de son copyright. La semaine dernière, la branche US du CIO a prévenu que seuls les sponsors officiels des jeux auraient le droit d’utiliser sur Twitter des hastags en lien avec l’événement. Comment peut-on en arriver à cette forme de privatisation du langage qui va nous interdire d’utiliser certains mots pendant la période des jeux ?

Pépite libre: « Letter for Black Lives » est un projet d’écriture collaborative qui vise à favoriser le dialogue interculturel et intergénérationnel à propos de la condition des noirs aux USA, dans le cadre de la campagne « Black Lives Matter ». Il a commencé sous la forme d’une lettre écrite par un groupe de jeunes de manière collaborative, qui a ensuite été placée sous licence CC0 (domaine public volontaire). Cela a permis la traduction du document dans 22 langues, de nombreuses réinterprétations et une diffusion à grande échelle de la démarche.

Transcription

OliCat : Bonjour et bienvenue à toutes et à tous. Calimaq bonjour à toi.

Calimaq : Bonjour.

OliCat : Freezone. épisode 10. En forme Calimaq, sous le soleil ?

Calimaq : Ça va, ça va !

OliCat : Un studio rangé aujourd’hui. On remercie Christian qui a fait fonctionner l’huile de coude et passé le balai. On est ravis, évidemment, de vous retrouver dans le cadre de cette émission Freezone qui va, cet après-midi, une fois n’est pas coutume, traiter de trois actualités qui sont, aujourd’hui, divisées en un évènement dont on va parler dans quelques instants, une actu à surveiller et puis une pépite libre. Calimaq a réussi, cette semaine, à nous en trouver une.

Du côté des événements il semblerait que l'EFF, l’Electronic Frontier Foundation, s’attaque à ce que notre ami Richard Stallman appelle les menottes numériques dont on trouve une parfaite expression avec les fameux DRM qui ont été introduits par une loi qui s’appelle le DMCA et que l'Electronic Frontier Foundation a décidé d’attaquer.

Calimaq : Oui. Tout à fait. Quand j’ai vu la nouvelle, je me suis demandé si ce n’est pas un des procès des plus importants, dans ce domaine-là, des années à venir, à vraiment garder dans le radar. L'EFF, l’Electronic Frontier Foundation, c’est la grande association de défense des libertés dans l’environnement numérique aux USA qui est là depuis plus de quinze ans maintenant et qui a l’habitude de faire des procès et qui a les reins suffisamment solides pour faire bouger la jurisprudence. Aux États-Unis, ils ont eu plusieurs précédents importants et là ils s’attaquent à un symbole fort.

OliCat : Oui. La cible n’est pas des moindres puisque l’introduction des DRM est ce qui a introduit l’incapacité légale à pouvoir contourner les fameux verrous numériques que le DRM représente.

Calimaq : C’est ça donc là c’est une loi, le DMCA, qui date de 1998, donc on est à la période post Napster. La grande question c’est comment arrêter le piratage en ligne via téléchargement, et donc les industries culturelles se disent que le moyen d’y arriver c’est de trouver un moyen technique. Parce qu’ils ne vont pas y arriver juste juridiquement, ils veulent un moyen technique. Donc ils introduisent un nouveau délit qui est le contournement de mesures techniques de protection, c’est comme ça que ça été transposé aussi en France.

OliCat : OK.

Calimaq : Aux États-Unis ça s’appelle DRM, Digital Rights Managment. Donc si jamais tu fais sauter une protection sur un fichier qui comporte un moyen soit de cryptage soit de code, il y a mille et une façons de les implémenter, du coup tu commets un délit supplémentaire par rapport à simplement la violation du droit d’auteur et c’est ça que le DMCA a vraiment inscrit dans le paysage et qui s’est répandu partout après dans le monde. En France on a la même chose depuis 2006, avec la loi DADVSI.

OliCat : C’est ça, absolument. Alors selon l'EFF, cette incapacité qu’on aurait à détourner légalement ces verrous numériques serait anticonstitutionnelle.

Calimaq : Tout à fait. C’est leur arme. En fait, pourquoi ? Ils expliquent qu’il n’y a que dans certains cas où contourner un DRM ça peut être illégal. Parce il y a des cas où c’est tout à fait légitime. Et là, ce qui est intéressant, c’est qu’ils viennent en appui à deux personnes qui veulent pouvoir contourner des DRM et qui ne le peuvent pas actuellement.

OliCat : Donc un cas pratique.

Calimaq : Voilà. Ce sont vraiment des cas concrets. Il y en a une qui a inventé comme une sorte de table de mixage qui permet de récupérer des bouts de vidéos pour en faire des montages et qui explique qu’il y a des cas, aux États-Unis, où c’est couvert par ce qu’on appelle le fair use, l’usage équitable.

OliCat : Absolument.

Calimaq : Et donc, du coup, on a tout à fait le droit de le faire et c’est une atteinte à la liberté d’expression. Elle, elle voudrait avoir un moyen de pouvoir légalement faire sauter les DRM pour faire ce type de montage.

Et l’autre c’est encore plus intéressant, c’est un chercheur en sécurité informatique qui s’intéresse, notamment, à la sécurité des machines à billets pour le retrait des billets.

OliCat : Ouais, les DABs ?

Calimaq : Voilà, exactement. Qui s’intéresse à la sécurité de certaines prothèses médicales qui contiennent des logiciels.

OliCat : Genre les pacemakers.

Calimaq : Voilà, les pacemakers ou d'appareils qui sont implémentés dans les voitures, qui comporte aussi des logiciels. Et donc du coup, lui il veut pouvoir faire sauter les DRM pour pouvoir étudier le code source et voir s’il y a des failles de sécurité. Et il ne peut pas le faire actuellement à cause du DMCA. Donc voilà ! Ça pourrait avoir des impacts énormes en fait, parce que si jamais ça saute aux États-Unis, on imagine l’effet domino que ça peut avoir partout dans le monde et ça, ça reviendrait un peu sur les orientations qu’on a depuis presque vingt ans maintenant.

OliCat : C’est assez malin parce que, finalement, ça ne va pas directement attaquer la logique de DRM.

Calimaq : Non

OliCat : Parce qu’on pourrait décider que le fait d’avoir dans un fichier quel qu’il soit un code qui permet une utilisation par exemple. On a des DRM de cet ordre, c’est quelque chose de finalement absurde. Eh bien non, là on va attaquer pour avoir la possibilité, dans certains usages légaux de ces fichiers sous droit d’auteur, de pouvoir détourner ces DRM.

Calimaq : Alors c’est sûr, ce n’est pas une revendication du droit au partage.

OliCat : Non absolument ce n’est pas le positionnement.

Calimaq : Ils savent que dans le cadre actuel aux États-Unis et même partout dans le monde tu ne pas défendre ce droit-là sans faire voter une nouvelle loi ou sans changer vraiment le système en cours.

OliCat : Oui. Et puis ça bouleverse complètement l’infrastructure des droits d’auteur, etc. On revient toujours au même…

Calimaq : Sur le même problème. Mais là ils essaient d’exploiter jusqu’au maximum les marges qui existent dans le système actuel. En fait ils expliquent qu’ils ont attendu aussi longtemps pour le faire parce qu’ils anticipent aussi l’arrivée de l’internet des objets et le fait que la plupart des objets auront des capacités de connexion donc vont avoir des logiciels, etc. Et que la logique des DRM appliquée à l’internet des objets c’est complètement désastreux parce que en fait tu n’es plus propriétaire de ton propre matériel. Et on commence à voir, aux États-Unis par exemple, les fermiers qui n’ont plus le droit de réparer leur propre tracteur parce qu’il y a un logiciel dedans.

OliCat : Ce qui est complètement absurde !

Calimaq : Oui. C’est complètement fou !

OliCat : Alors un article que vous pouvez retrouver sur The Guardian, c’est ta source de cette semaine. Juste un petit mot sur ce qu’il faut attendre en termes de délais concernant cette action ? Ton expérience par rapport à ce type de…

Calimaq : Ça c’est typiquement le genre d’affaire qui peut aller jusqu’à la Cour suprême, en montant tous les degrés de juridiction et ça peut prendre sept ou huit ans.

OliCat : OK !

Calimaq : Eh ! C’est ça le problème !

OliCat : OK ! L'EFF a donc le moral. On va passer sur la seconde actu. C’est à surveiller, ça concerne les Jeux olympiques de Rio qui vont commencer la semaine prochaine. Il y a quatre ans nous dis-tu Calimaq, à Londres, les Jeux avaient provoqués de très nombreuses dérives dues à l’agressivité dont fait preuve le CIO, dans la défense de ses marques et de son Copyright Madness. Je sens venir le Copyrigth Madness, justement. La semaine dernière, précisément, la branche US du CIO a prévenu que seuls les sponsors officiels des Jeux auraient le droit d’utiliser sur Twitter les hashtags en lien avec l’évènement. Donc là on est dans un cas complètement, là encore, absurde. Comment on en est arrivés là, que tu poses Calimaq, une privation claire du langage ? Est-ce que c’est ce qui est à craindre demain si ce genre de truc passe ?


08' 05

Calimaq : Alors là, ouais, il va falloir voir dans les semaines prochaines ce qui va se passer autour des Jeux de Rio.

OliCat : Mais comment est-ce qu’on peut empêcher les gens de twitter sur un hashtag ?

Calimaq : Quand on regarde bien, il faut remonter jusqu’en 2009, parce qu’en 2009, quand le Brésil a obtenu l’organisation des Jeux, il y a une condition c’est que tu dois passer une loi qui s’appelle l'Olympic Act. Avant l’Angleterre avait été obligée de le faire quand il y a eu les Jeux à Londres. Là, en 2009, le Brésil a été obligé de passer cette loi. Dans cette loi il y a des tas de choses liées à l’organisation des Jeux et il y a une section liée à la défense des marques et des copyright du CIO qui prévoit toute une liste de noms, donc tu as Rio 2016, Olympic Games, Paralympics Games, toute une série d’expressions et l’État s’engage à protéger de la manière la plus ferme et absolue l’exclusivité d’usage sur ces mots. Ce qui est intéressant c’est ce que va encore beaucoup plus loin que le droit des marques classique, parce que le droit des marques classique il y a une limite, c'est que ça ne vaut que dans la vie des affaires, ça vaut entre marchands qui protègent une manière de désigner leurs produits. Mais avec cette loi-là, ça va encore plus loin parce que ça prend en compte la distinction entre l’usage commercial ou non. Donc c’est une exclusivité totale sur le mot. Et là, la semaine dernière, on a la branche américaine du CIO qui a repris la chaîne ESPN, en lui disant : « Attention vous n’êtes pas un sponsor officiel des Jeux, donc vous n’avez pas le droit d’utiliser le hashtag Rio 2016. Ça c’est réservé à mon sponsor. » Donc ils vont commencer à mettre en place tout le processus de surveillance. Il y a toute une police des marques

OliCat : Non, mais là, sans Twitter ils ne peuvent pas y arriver, en fait. Il n’y a que Twitter qui aujourd’hui peut restreindre l’accès à un hashtag à certains comptes.

Calimaq : Ouais. Ça va être très compliqué pour eux, mais ils sont très bien organisés, quand même. À Londres il y avait plus de deux cents personnes qui étaient chargées en permanence de faire appliquer les exclusivités et ça allait extrêmement loin : il y a certaines chaînes, par exemple, quand tu n’as pas acheté les exclusivités, tu n’as pas le droit de dire le mot « Jeux olympiques », ne serait-ce qu'au JT.

OliCat : Ouais !

Calimaq : Ils étaient obligés de dire, par exemple en Angleterre ils disaient The O World plutôt que dire Olympic parce que c’était risqué de dire Olympic. Il faudra voir aussi quel effet ça aura dans la ville de Rio, parce que à Londres ça avait été complètement désastreux. Il y avait un bar par exemple à Londres qui s’appelait depuis des années le Olympic Café, qui s’était fait reprendre par la police des marques en disant:« Eh bien non, là il faut que vous changiez de nom. Olympic c’est nous quoi ! » Ils avaient enlevé le « O » et ils s’appelaient le Lympic Café. Je ne sais pas si Rio va autant déchaîner, parce qu'à mon avis, Rio, il va y avoir d'autres problèmes.

OliCat : Oui, probablement, ouais.

Calimaq : On sent que ça va être déjà très complexe. Et puis problématique à tous les niveaux, niveau social et tout, ça va être compliqué. C’est pour ça que j’ai mis à surveiller, parce qu’à mon avis, sur Internet en tout cas…

OliCat : Absolument !

Calimaq : Et donc là on est typiquement dans la privatisation du langage. Le CIO s’arroge des noms, des expressions. Déjà il y a quatre ans je trouvais ça flippant et là on replonge dedans allègrement.

OliCat : Écoute, je pense qu’on va avoir l’occasion d’en parler, parce que c’est la semaine prochaine que ça se lance. Effectivement, on peut imaginer que le CIO peut faire pression sur les chaînes, notamment, mais comment faire pression sur les millions de twittos qui vont s’exprimer au sujet de ces Jeux ?

Calimaq : Ils vont faire des exemples, en fait. Ils vont taper au hasard, ils prendront ceux qui seront les plus visibles.

OliCat : Mais du coup, comme tu le disais, on dépasse le cadre du droit des marques.

Calimaq : Oui, oui.

OliCat : En quoi même s’ils souhaitaient faire des exemples ce serait légalement possible ? Je n’arrive pas à saisir.

Calimaq : Avec cette loi qui a été votée au Brésil, je pense qu’ils ont matière à s’appuyer sur ce genre de trucs. Je ne sais pas après comment ils vont faire au niveau mondial, ça reste d’être plus compliqué. Mais, à mon avis, ils vont tenter de l’appliquer bien au-delà. À Londres, par exemple, il y a des tas de gens qui étaient opposés à la tenue des Jeux à Londres, il y a tout un mouvement social s’était constitué parce qu’ils ne voulaient pas qu’il y ait les Jeux olympiques à Londres, et le CIO s’était servi de ces lois-là pour faire fermer des sites par exemple, les sites de gens qui critiquaient l’organisation des Jeux.

OliCat : En gros ce serait comme si Iliad attaquait Freezone parce qu’on s’appelle Freezone.

Calimaq : Oui, oui, tout à fait. Oui. C’est un peu la même chose.

OliCat : On attend votre petite lettre. Iliad. On a besoin d’un peu de pub. C’est bon ça !

Calimaq : D’ailleurs,j'encourage tout le monde à bien réfléchir avant de soutenir la candidature de Paris aux Jeux olympiques parce que ce genre de délire, dans un pays comme la France qui est déjà bien portée sur la propriété, ça risque d’être puissant.

OliCat : D’autant que là…

Calimaq : Ça montre à quel point que dans une ville ça peut limiter la liberté d’expression.

OliCat : Absolument d’autant qu’on sait très bien, peu importe la ville, c’est le CIO qui gère et on a compris que c’était un des ayatollahs du dépôt de marques

Calimaq : C’est clair !

12' 58

OliCat : Donc ça va être un peu compliqué.