Enclosures du vivant aux logiciels libres

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Titre : Les enclosures des biens communs, du vivant aux logiciels, logiciels LIBRES

Intervenants : Richard Stallman - Jean-Pierre Berlan

Lieu : Paris

Date : 23 février 2008

Durée :

Lien vers la vidéo : [1]

00' transcrit Marie-Odile

Paris

Nouvelles enclosures. Richard Stallman, Jean-Pierre Berlan


Richard Stallman : Bonsoir. Je peux expliquer le logiciel libre en trois mots, trois mots presque oubliés dans la France actuelle : liberté, égalité fraternité.


Applaudissements

Jean-Pierre Berlan : Vous voyez bien le but mortifère qui est derrière tout ça : séparer la production de la reproduction, faire en sorte que la production reste entre les mains des agriculteurs, des paysans, mais la reproduction doit devenir le monopole, le monopole de qui à l'heure actuelle ? D'un groupe, d'un cartel de six firmes qui fabriquent les agro-toxiques. les pesticides.


Musique


Bellinux, La Cantine présentent le débat « Les enclosures des biens communs, du vivant aux logiciels, logiciels LIBRES »


Richard Stallman : Liberté parce que l'utilisateur est libre de faire ce qu'il veut avec le programme. Égalité parce que tous les utilisateurs disposent des mêmes libertés. Et fraternité parce que, à chaque utilisateur, il est permis de partager le programme avec les autres, avec tout le monde.



L'injustice. Logiciel propriétaire


Richard Stallman : Mais comment voit-on cette domination et comment est-ce que c'est injuste ? L'interdiction de la coopération, du partage, est directement injuste, parce que l'aide à ses voisins est la base de la société. Interdire le partage c'est attaquer la société à sa base, donc complètement injuste et insupportable. Le logiciel privateur, c'est-à-dire le logiciel pas libre, le logiciel qui prive l'utilisateur de sa liberté est un problème social. Il ne doit pas exister. Beaucoup de programmes privateurs contiennent des fonctionnalités malveillantes, comme par exemple Windows Vista, qui a été fait pour permettre à Microsoft d'attaquer, à n'importe quel moment, l'utilisateur. Microsoft peut faire n'importe quel changement dans le logiciel. Mac OS X fait la même chose. Le iPhone fait la même chose. Ils font semblant de vouloir nous aider, corrigeant des problèmes, mais qu'est-ce que ça veut dire un problème selon eux ? Notre liberté c'est le problème et la solution c'est de reconnaître que le logiciel doit être libre et que n'importe quel programme privateur est une menace sociale. Il faut décider de le chasser, de le rejeter et ne jamais accepter des programmes privateurs pour vivre en liberté.

Applaudissements.

Richard Stallman : Je veux expliquer l'escroquerie sémantique dans l'expression « propriété intellectuelle ». Si la domination d'un développeur de logiciel ou de quelqu'un d'autre sur vous est appelée sa propriété cela veut dire qu'il mérite ce pouvoir et que moralement vous devez l'accepter, vous devez être soumis et vous n'avez rien à faire. Le préjugé est évident, pas difficile à voir. Mais la confusion est moins évidente parce qu'il faut bien connaître beaucoup de champs de la loi pour reconnaître la confusion que cette expression sème dans tous ces champs, parce que cette expression s'applique à plusieurs lois.



Deux batailles

Richard Stallman : La question de la loi du droit d'auteur est une question et la loi des brevets est complètement différente. Il faut considérer l'une et l'autre séparément. Et quand les avocats disent c'est une question de notre propriété intellectuelle, ça veut dire qu'ils ne veulent pas vous dire quelle loi ils vous accusent d'avoir enfreint parce qu'ils cachent le nom de cette loi sous la le terme général de propriété intellectuelle. Cette expression « propriété intellectuelle » cache les grandes différences entre plusieurs lois qui n'ont rien en commun. Donc il s'agit de quelle loi ? Et donc, dès que vous savez de quelle loi il s'agit, vous pouvez commencer une conversation intelligente.

Musique

Jean-Pierre Berlan : Je crois qu'une bonne partie des mystifications qui sont en cours dans le domaine de la confiscation des biens communs tient en effet très largement à l'utilisation d'un vocabulaire qui est forgé par les multinationales pour nous tromper, pour nous empêcher de penser la réalité. Il y a un très beau terme, que malheureusement on continue à utiliser, c'est le terme « organisme génétiquement modifié ». Les organismes génétiquement modifiés, en fait il faudrait les appeler, il y a différentes expressions qu'on peut utiliser, mais pour ceux qui sont cultivés, on pourrait appeler ça plutôt des chimères, des chimères pesticides, brevetées. Et on reviendra sur la question du brevet très rapidement.

Richard Stallman : Francis Muguet a noté que dire « verrouillage » n'est pas le mot juste parce que avoir des verrous dans l'appartement ce n'est pas mauvais, mais il dit les menottes numériques.

Jean-Pierre Berlan : Le terme OGM a été inventé par Monsanto pour éviter le terme qui a été utilisé au départ des manipulations génétiques, en 1973, première manipulation génétique, qui était le terme de chimère fonctionnelle ou de chimère génétique. A l'époque il faut bien voir que fonction et gène signifie exactement la même chose. Bien entendu les gens de Monsanto ont commencé à se gratter la tête et se dire d'un point de vue marketing, c'est évidemment pas formidable. Pensez bien que personne n'acceptera de manger volontiers des chimères fonctionnelles ou des chimères génétiques. Donc ils ont inventé le terme « organisme génétiquement modifié » qui a l'immense avantage de n'avoir strictement aucun sens précis, puisque « organisme génétiquement modifié », tous les individus dans cette salle vous êtes tous des organismes génétiquement modifiés, puisque justement le rôle de la nature c'est de recréer constamment de la sexualité, c'est de recréer constamment de la diversité, de faire en sorte qu'aucun être vivant ne soit semblable à un autre être vivant. Nous sommes identiques à aucun être vivant. Au fond, ces techniques nouvelles, consistant à faire des chimères génétiques, ne seraient que la continuation de ce que l'humanité a toujours fait. Et vous avez le discours, rassurant, qui est tenu par ces firmes, qui consiste à dire « Mais nous ne faisons que poursuivre, par des méthodes plus sûres, plus fiables, plus précises, plus tout ce que vous voudrez, plus techniques, plus scientifiques, plus rapides ce que l'humanité a fait depuis les débuts de la domestication des plantes et des animaux. Vous voyez bien à quel point le terme OGM se prête en effet à ce genre de manipulation et à ce genre de discours.

09'09

Chimère


Jean-Pierre Berlan : Les premières chimères ont été faites en 1973 et c'est quelque chose qui est radicalement nouveau, qui nous introduit dans un monde nouveau dans la mesure où toutes les connaissances en matière de génétique ont été acquises au sein de l'espèce. Et là on fait de la transgenèse, on est au-delà de l'espèce, ça veut dire qu'on ne peut pas faire comme si les connaissances génétiques valables à l'intérieur de l'espèce pouvaient s'appliquer à la transgenèse. Donc ça nous introduit dans une véritable, ce qu'on peut appeler une boîte noire, quelque chose que est radicalement nouveau et qui est plein de dangers, mais ça je n'aurai pas le temps d'expliquer pourquoi ces nouvelles techniques sont pleines de dangers.


Agriculture propriétaire


Jean-Pierre Berlan : Lorsque les premiers sélectionneurs animaux d'abord et un siècle plus tard plus tard de plantes ont commencé à faire leur travail, faire leur travail pour faire de l'argent, ils se sont heurtés immédiatement à cette propriété malheureuse des êtres vivants qui se reproduisent et se multiplient, je tremble en le disant, gratuitement. Ils peuvent même faire cette reproduction gratuite avec un certain plaisir et là c'est vraiment le comble de l'horreur dans nos sociétés marchandes. Le but de ces premiers sélectionneurs a été immédiatement de séparer la production de la reproduction, donc de séparer ce que la vie confond, parce que dans le domaine de la biologie, vous ne pouvez pas produire sans simultanément reproduire. Donc vous voyez bien le but mortifère qui est derrière tout ça, séparer la production de la reproduction, faire en sorte que la production reste entre les mains des agriculteurs, des paysans, mais la reproduction doit devenir le monopole, le monopole de qui à l'heure actuelle ? D'un groupe, d'un cartel de six firmes qui fabriquent les agro-toxiques, les pesticides. C'est-à-dire qu'on est dans une logique à l'heure actuelle où ce sont les fabricants de mort qui sont en train de déterminer l'avenir de la vie : Monsanto, Syngenta, Dow Chemical, Bayonet, Basf, Bayer. Voila, vous avez les six.

Jean-Pierre Berlan : Monsanto a l'ambition de devenir le Microsoft du vivant selon l'un de ses présidents. Ce qui est symbolique dans notre société et je pense qui est tout à fait révélateur, ça a été la technique, le brevet qui a été déposé en 1998, qui s'appelle contrôle de l'expression des gènes. C'est un brevet qui est déposé par la recherche publique américaine et une firme privée et ce brevet vous le connaissez sous un autre nom, c'est le nom de Terminator. Terminator est le plus grand triomphe de la biologie appliquée depuis deux siècles parce que ça fait depuis deux siècles que cette biologie appliquée essaye de résoudre le problème de la gratuité de la vie. Terminator est une technique qui permet de fabriquer des plantes, des semences, qui vont germer normalement, la plante va pousser normalement, mais au moment où le germe se forme, la plante a été manipulée, programmée, de façon à ce qu'elle aille tuer sa descendance, de faire en sorte donc que l'agriculteur va récolter un grain stérile.

Public : Je pense que c’était déjà le cas avec les plantes hybrides. Quiconque a essayé de planter, de replanter des graines issues de plantes hybrides, ça n'a rien donné !

Jean-Pierre Berlan : Je suis tout à fait d'accord avec vous. La seule raison pour laquelle on a fait des hybrides, c’était la première forme de Terminator, la première façon biologique de séparer la production de la reproduction. Maintenant vous avez d'autres moyens de parvenir à ce même résultat, c'est évidemment le brevet. Vous avez toute une série d'autres moyens de parvenir au même résultat. Vous avez les moyens réglementaires, soit par des taxations, soit par des interdictions de nettoyer le grain de telle façon que les agriculteurs soient forcés de semer un grain dégueulasse, plein de mauvaises herbes. Il y a toute une série de mesures discriminatoires qui sont prises dans ce sens et le dernier incident dans le même domaine, ce sont les procès qui ont été fait systématiquement à l'association Kokopelli qui, disons, diffuse des variétés anciennes non seulement en France mais dans le monde entier et donc qui a été condamnée récemment pas les tribunaux pour ne pas avoir appliqué les règles. Ce que vous ne savez sans doute pas c'est qu'il y a à l'heure actuelle en France des fruits interdits. Ce qui veut dire que ni les semences ni ces fruits ne peuvent être offerts à la vente. Vous avez à la rigueur la possibilité de les cultiver pour vous et de les consommer vous-même, mais si vous en donnez à vos voisins vous commencez à être en infraction. Toutes ces mesures sont prises au nom du libéralisme, au nom de l’intérêt public.

Je voudrais simplement vous lire un texte d'un très grand libéral, qui avait écrit une pétition en 1845, qu'il avait intitulé la pétition des fabricants de chandelles, bougies, lampes, chandeliers, réverbères, mouchettes, éteignoirs et des producteurs de suif, huiles, résines, alcool et généralement de tout ce qui concerne l'éclairage. Donc voici la pétition, le texte de la pétition : « Nous punissons l'intolérable concurrence d'un rival étranger placé, à ce qu'il nous paraît, dans des conditions tellement supérieures aux nôtres pour la production de la lumière, qu'il en inonde notre marché national à un prix fabuleusement réduit, car aussitôt qu'il se montre, notre vente cesse. Tous les consommateurs s'adressent à lui et une branche d'industrie française dont les ramifications sont innombrables va du coup être frappée de la stagnation la plus totale. Ce rival n'est autre que le soleil et il nous fait une concurrence acharnée. Nous demandons qu'il vous plaise de faire une loi qui ordonne la fermeture de toute fenêtre, lucarne, abat-jour, contrevent, volet, rideau, vasistas, œil-de-bœuf, store, en un mot de toutes ouvertures, trous, fentes et fissures par lesquels la lumière du soleil a coutume de pénétrer dans les maisons au préjudice des belles industries dont nous nous flattons d'avoir doté le pays. Et s'il faut fermer, autant que possible, tout accès à la lumière naturelle, si vous créez ainsi le besoin de lumière artificielle, quelle est l'industrie en France qui, de proche en proche, ne sera pas encouragée ? »


Applaudissements


Jean-Pierre Berlan : Eh bien voyez-vous, vous applaudissez-là Frédéric Bastiat qui était un journaliste hyper-libéral, qui bataillait en 1845 contre le protectionnisme. Seulement voila, 150 ans plus tard, les imposteurs néo-libéraux du complexe génético-industriel dénoncent le privilège, inexistant bien sûr, de l'agriculteur qui consiste à semer le grain récolté et qui est la pratique fondatrice de l'agriculture pour se faire conférer, au nom de leur philanthropie verte un privilège bien réel sur la faculté des plantes et des animaux de se reproduire et de se multiplier

Public : Je voudrais poser une question à Richard Stallman et Jean-Pierre Berlan. Si j'ai bien compris, la convergence première qu'on peut trouver entre nous elle est d'abord de se méfier du vocabulaire qui nous trompe, de ne pas dire « propriété intellectuelle », là-dessus vous êtes d'accord tous les deux, ne pas dire « OGM » mais chimères, ne pas dire « Linux » mais GNU-Linux. Quelle autre convergence pouvons-nous construire ensemble ?

Richard Stallman : Il y a une ressemblance entre les deux problèmes, le problème de l'interdiction de partager les semences et l'interdiction de partager les programmes. Dans deux champs de la vie très très différents, il y a la possibilité de copier des choses, des choses utiles. Quand la technologie est capable de copier quelque chose d'utile, alors ôter aux citoyens le droit de pratiquer la copie est injuste. Dans les deux champs les entreprises qui le font emploient des lois différentes, mais l'injustice est pareille.

Jean-Pierre Berlan : Quand on parle de privilège, de privilège d'agriculteur pour désigner le fait de semer le grain récolté, ce n'est manifestement pas un privilège, ça ne l'a jamais été. C'est la dénonciation d'un privilège inexistant pour se faire créer un privilège bien réel et ce, au nom du libéralisme. Donc on est face à un assaut sur l'ensemble, je pense, de nos libertés, à l'heure actuelle, et je crois que c'est contre ça qu'il faut réussir et qu'il faut s'élever, préserver ces libertés, parce que le système de plus en plus est en train de nous enfermer, de nous interdire, disons, de faire des choses que nous avons toujours eu la possibilité de faire.

Public : Quand Richard Stallman a dit qu'interdire de copier c’était injuste, moi, ça m'a fait penser à un espace que tout le monde connaît, où il est interdit de copier, et qui s'appelle l'école et on apprend ça à fond la caisse. Ceux qui réussissent sont ceux qui arrivent à copier à l'extérieur, chez leurs parents, et ceux qui n'ont pas les moyens de copier chez leurs parents n'ont pas le droit de copier sur ceux qui peuvent copier chez leurs parents. Je trouve que vraiment on devrait réfléchir à une transformation radicale de l'école par rapport au droit de copier.

18'19

Public : J'avais essayé d’expliquer à des gens autour de moi pendant un repas pour leur dire que ces gens comme Monsanto