IA générative - Le grand remplacement numérique
Titre : IA générative - Le grand remplacement numérique ?
Intervenants : Bertrand Lenotre, Damien Douani et Fabrice Epelboin
Lieu : Podcast Les Éclaireurs du Numérique
Date : 16 décembre 2022
Durée : 25 min 14
Licence de la transcription : Verbatim
Illustration : À prévoir
NB : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·es mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.
Description
Quelques jours après le choc collectif de l'arrivée de ChatGPT et DALL·E, les Eclaireurs du Numérique imaginent l'avenir possible pour les créatifs de tous horizons. Suppression, ou augmentation.
Transcription
Voix off : Les Éclaireurs du Numérique, le podcast qui décrypte les enjeux cachés d’Internet.
Bertrand Lenotre : Salut tout le monde. Bienvenue dans le podcast Les Éclaireurs du Numérique. On se retrouve chaque semaine, ou presque, pour parler de l’actualité connectée, de l’actualité qu’on ne voit pas toujours surgir à la une, à la fois des éléments du Web et des médias. Bref, de tout ce que vous avez envie de savoir, mais, parfois, vous ne saviez même pas que ça existait. Aujourd’hui, on va vous parler d’IA générative. On va le faire avec Damien Douani. Salut Damien.
Damien Douani : Bonjour.
Bertrand Lenotre : Ça va bien ?
Damien Douani : Très bien, grande forme.
Bertrand Lenotre : Damien qui n’est pas un produit issu d’une IA, malgré le fait qu’il soit très « ??? » [0 min 55] avec montre connectée. Non tu es un vrai homme !
Damien Douani : Pour l’instant, je suis tout à fait vrai, même si je dois vous le dire franchement, je vais vous faire une confidence, j’ai vu récemment un reportage sur Brut, je crois, à propos des gens qui se rajoutent des puces un peu partout pour rentrer dans une logique de cyborg, eh bien, il y a des trucs que j’ai trouvés bien sympathiques. Je me suis dit que si je n’étais pas aussi douillet peut-être bien que je me ferais mettre une puce !
Bertrand Lenotre : Et puis, à côté, il y a celui qu’aucune IA ne serait assez puissante pour inventer, c’est Fabrice Epelboin. Salut Fabrice.
Fabrice Epelboin : Salut Bertrand.
Bertrand Lenotre : On va parler des IA génératives. Vous allez me dire si la définition d’IA générative va à peu près : il s’agit de produire quelque chose, un contenu qui est basé sur des modèles déjà existants, et tout ça grâce à la puissance du deep learning. On parle de modèles, ça peut être de l’écrit, ça peut être de l’image, ça peut être du deepfake, pourquoi pas, ça peut être des fake news en termes d’écrits, mais ça peut être aussi plein de choses vraiment intéressantes. Ça peut être toutes les news qu’on lit dans la presse spécialisée, sur la bourse par exemple, qui est quasiment maintenant 100 % faite par des IA génératives ; ça peut être des médicaments, ça peut être de l’art. Bref, plein de choses.
Fabrice Epelboin : Du code informatique. Ça peut être du code informatique.
Bertrand Lenotre : Du code informatique, tout à fait, la virtualisation d’OS. Plein de choses peuvent se faire aujourd’hui qui sont absolument incroyables. Et puis, ça peut être un vélo pour Décathlon, qui est fabriqué directement par une IA, qui, ensuite, balance les infos pour la chaîne de production directement, qui sont imprimées ; les cloisons de cabine pour Airbus. Bref, les IA génératives, c’est tout ce qui n’a plus besoin d’intervention humaine pour aller pratiquement discuter directement avec la machine qui va imprimer la chose derrière, par exemple, ou la réaliser. C’est un peu ça l’idée.
Fabrice Epelboin : Je vais le dire différemment. C’est la première fois que la creative class se rend compte qu’elle va effectivement devoir faire face à l’IA et la creative class au sens le plus large qu’on puisse imaginer, ça va du graphiste aux marketeux, en passant par le journaliste, évidemment. Une large partie des gens qui gagnent leur vie en étant créatifs, en produisant quelque chose avec leur cervelle, est menacée par l’arrivée de ces IA génératives, par OpenAI.
Damien Douani : Elles sont menacées ou elles peuvent être, on va dire, augmentées.
Fabrice Epelboin : Augmentées ou menacées, c’est un vrai débat. Augmentées ou menacées, pour l’instant, ce qu’on voit, en termes d’usage, ce sont plutôt des gens qui font partie de cette creative class, on a de bons exemples, qui font joujou avec l’IA et qui se rendent compte, les uns après les autres, que, effectivement, augmentée ou effacée, c’est vraiment le débat qui se pose face à cette nouvelle génération d’intelligence artificielle.
Damien Douani : Complètement. C’est assez bluffant. Les gens qui nous écoutez, si vous n’avez pas joué à ça, vous pouvez taper dans Google, vous tapez « IA générative » et vous allez trouver des tombereaux d’informations autour de tout ce qui est texte. C’est ce que tu disais, Bertrand, les textes, c’est le premier truc qui vient en tête, notamment lorsque le texte est très formaté, par exemple les textes autour de tout ce qui est bourse, par exemple, c’est toujours la même chose. Le canevas, on va dire, est toujours le même. Il suffit juste de remplacer les trous par les valeurs, etc. D’ailleurs, pas à la présidentielle qui vient de passer mais à la précédente, Le Monde avait utilisé une IA générative pour générer des milliers d’articles de résultats de vote dans le moindre petit patelin français. L’idée, c’était de dire qu’on ne va pas mettre un journaliste derrière chaque résultat de chaque patelin. On a ces résultats officiellement par le ministère de l’Intérieur, donc, on va générer des milliers de pages internet, ce qui fera que quand on tape, quand on cherche sa bourgade, boom !, on a un truc qui sort, qui est généré par une IA.
Bertrand Lenotre : Et c’était bien foutu.
Damien Douani : Et c’était bien foutu, mais ce n’est rien du tout par rapport à ce qui vient de sortir.
Fabrice Epelboin : On est d’accord, mais c’était déjà les prémices de l’histoire. Là, on est face à quelque chose, où on peut lui poser, par exemple, une question : « quel va être l’impact de la crise énergétique sur l’industrie aéronautique européenne ? », et il pond un article qui est vraiment d’un niveau, allez, on va dire d’un niveau d’un journaliste des Echos qui ne s’est pas trop cassé le cul.
Bertrand Lenotre : C’est ça. En fait, ce que tu pointes du doigt, Fabrice. C’est très précisément, à mon sens, ceux qui vont s’en sortir qui l’utilisent sont soit ceux qui arrivent à augmenter ce qu’ils savent déjà, soit ceux qui travaillent de manière moyenne, parce qu’ils n’ont pas le temps, parce qu’ils bâclent le truc et, dans ces cas-là, ce genre d’outil-là peut largement faire leur taf.
Fabrice Epelboin : Complètement. J’ai vu le thread d’une directrice marketing d’ une grosse boîte, qui avait fait joujou avec pendant une journée, et qui disait « ce truc est l’équivalent pour du conseil à SIO [Système d’Information et Organisation], est l’équivalent d’un junior qui a déjà deux ans d’expérience. C’est nettement supérieur à un stagiaire qui sort d’école de commerce, mais c’est l’équivalent de quelqu’un que je vais payer 50 000 balles par an dans ma boîte. » On en est là. Objectivement, c’est vrai. J’avais vu la démo et la personne avait fait faire toute une stratégie marketing, de la stratégie de base au contenu à utiliser pour faire du SIO. Effectivement, c’était un travail tout à fait décent et ça lui a demandé 20 minutes.
Damien Douani : Après il y a des erreurs. J’ai vu des gens comme Rafi Haladjian qui a créé notamment le Nabaztag, qui a fait plein d’autres choses, une application qui s’appelle Juice, il a voulu faire faire sa bio, le truc s’est planté complètement. Il est allé chercher un autre Haladjian. Il y a quand même la question de la source de données qui est importante, qualitatives et qui, aujourd’hui, n’est peut-être pas super au taquet.
Cependant, quand on s’amuse, typiquement avec ChatGPT qui est basé sur GPT 3, qui est, effectivement, un des moteurs sémantiques les plus puissants au monde en termes d’intelligence artificielle, d’un seul coup, on a l’impression enfin de parler – enfin, si je puis dire – à un chatbot intelligent, la promesse du chatbot est enfin réalisée. Mais surtout, tu te dis « et si Google se faisait contourner ? », parce que ce truc-là, avec la base de données de Google, tu poses des questions et le truc te répond de manière structurée, et c’est ça qui est fascinant.
Fabrice Epelboin : Là où ça devient fantastique, c’est que le patron de Microsoft [Satya Narayana], dont le nom m’échappe à l’instant, a clairement commencé à travailler avec ChatGPT, donc, ça va se passer. En tout cas, il va y avoir beaucoup de travail investi sur ce qui peut remplacer Google. C’est vrai qu’un truc à qui tu poses une question et qui te pond un article pour te répondre, c’est assez convaincant.
Damien Douani : On va être très clair : Google travaille depuis des années en IA. Ils ont d’ailleurs des sites sur lesquels vous pouvez aller, où ils font de la collaboration, de la coconstruction ; vous pouvez entraîner des IA. Ils travaillent sur du texte, ils travaillent sur de la génération d’images, etc. Les labos de Google sont très bons en IA. Est-ce qu’ils préparent la suite de Google comme une logique, quelque part, de prompts qu’on écrit ?
Fabrice Epelboin : Forcément !
Damien Douani : J’espère pour eux, j’espère vraiment pour eux. Mais là, ce qui est impressionnant, c’est, d’un seul coup, de voir ce truc-là sortir et dire « ah ouais ! Le futur, là, c’est clair, ça fonctionne, ça marche, c’est efficace ! ». Pour tout vous dire, je fais des chroniques, vous savez peut-être, sur une chaîne de télé qui s’appelle Sqool Tv, qui est dédiée à l’éducation et au numérique, et j’ai donc fait une chronique en utilisant Copy.ai qui est un des meilleurs outils, aujourd’hui, classés dans le copywriting. Le copywriting, pour ceux qui savent pas, en gros, en français, c’est la conception-rédaction : vous écrivez du texte qui vous aide à générer du texte, on va dire, vendeur ou accrocheur, notamment pour des sites web. Je me suis donc amusé à écrire le début de ma chronique avec Copy.ai et ça marche ! La question que j’avais posée à Copy.ai c’était, en gros, « génère-moi un texte sous forme de chronique sur ce qu’est, justement, l’intelligence générative et ce à quoi ça sert. ». Et elle m’a sorti deux/trois paragraphes assez longs, que j’ai à peine retouchés, j’ai juste rajouté un chapô, au début, pour faire l’intro de la chronique, après, j’ai copié-collé le texte et, au bout de deux minutes, j’ai dit « ce que je vais vous raconter c’est 99 % sorti d’une IA. »
Bertrand Lenotre : On comprend mieux pourquoi tu fais autant de trucs avec autant de mégas.
Fabrice Epelboin : Chut, il ne faut pas le dire ! Mais c’est vraiment ça : remplacer ou augmenter, c’est le truc que nous pose cette IA générative, qui a d’ailleurs un taux d’adoption absolument spectaculaire. ChatGPT est passé de zéro à un million d’utilisateurs en cinq jours. C’est bluffant !
Damien Douani : On parle du texte, il n’y a pas que du texte, il y a évidemment plein d’autres choses. On peut fabriquer des objets, des choses comme ça, notamment, par exemple, des prothèses avec les technologies d’impression en 3D. C’est-à-dire qu’une IA pense une prothèse et va donner les informations à l’imprimante directement ; ça se passe sans intervention humaine. Selon Gartner, il y a un truc génial : d’ici 2025, 30 % des nouveaux médicaments seront carrément issus d’IA génératives, figurez-vous, parce que les IA génératives sont capables, tout simplement, d’aller chercher des molécules organiques en se basant sur des molécules qui existent déjà. Elles en créent de nouvelles et elles créent des médicaments comme ça. C’est absolument hallucinant ! On vit là un changement de monde.
Fabrice Epelboin : Il y a cette histoire de Stack Overflow. Pour ceux qui ne connaissent pas, Stack Overflow est une espèce de grande bibliothèque de trucs et astuces pour les codeurs, vraiment une référence universelle et tous les codeurs un peu feignants, ou pas bons, ont tendance à copier-coller – c’est typiquement mon style – copier-coller de Stack Overflow. C’est une énorme communauté de codeurs. Ils se sont fait assaillir de code qui sortait de ChatGPT qui a une option pour vraiment faire du code informatique. Ils ont été obligés de virer les intelligences artificielles de la plateforme parce qu’ils commençaient à être floodés. Forcément, l’intelligence artificielle peut vraiment déborder des humains, fussent-ils nombreux. On commence donc à voir apparaître des avants signes d’une espèce de ségrégation des intelligences artificielles par rapport aux communautés humaines. Ce qui était, quand même, un thème de science-fiction total et qui commence à être une réalité. On a une première plateforme qui interdit les intelligences artificielles.
Bertrand Lenotre : Pour aller plus loin que ce que tu dis dans la lignée de cela, déjà, premier élément, c’est que ça prouve que tout ce qui est algorithmiquement faisable – on va dire que faire du code, quelque part, c’est une compréhension de langage. Mais si tu es, à nouveau, un programmeur moyen ou plutôt bon, tu peux te faire concurrencer par une machine, effectivement. La question qu’on pourrait se poser, ce que j’imagine demain, c’est avoir des produits, des sites web – je dis produits ou services, pour moi un site web est un produit ou un service, tu parlais tout à l’heure de médicaments –, à l’instar de ce qu’on a aujourd’hui sur des produits de consommation où il y a marqué « avec ou sans OGM », demain, pourquoi pas, qu’il y aurait « conçu par une IA » ou « conçu à x % par de l’IA » ou « 100 % conçu par de l’humain ». Je vous paye ce que vous voulez que, dans trois à cinq ans, on va avoir ça, on va avoir des gens qui vont dire « nous sommes des vrais humains. »
Fabrice Epelboin : Exactement comme « fabriqué à la main dans les boulangeries », on va vers ce monde.
Bertrand Lenotre : Oui ! On va aller vers ça
Damien Douani : La question qui se pose aujourd’hui clairement, par exemple en matière de divertissement, lorsqu’on regarde un petit peu ce qui se fait sur Netflix et ailleurs et qu’on voit des films qui sont des copiés-collés, scène par scène, minute par minute, de choses qui ont déjà été faites, en fait des agrégations de films qui ont déjà été faits ! Les scenarii, aujourd’hui, sont vraiment des choses qui sont millimétrées pour marcher, on se demande si ce ne sont pas déjà des IA qui sont à la manœuvre.
Fabrice Epelboin : En tout cas, c’est clair que ça pourrait être fait par des IA ; ça fait partie des creative class qui sont menacées.
Bertrand Lenotre : Alors, j’ai essayé des IA. Je vais vous raconter rapidement une petite histoire là-dessus. Mais à nouveau, tu ne vas pas créer le chef-d’œuvre du siècle qui, on va dire, sortira des clous. C’est vraiment encore humain qui va être capable de sortir le truc, cette étincelle que n’est pas encore capable d’amener vraiment l’IA. En revanche, si tu veux faire du copier-coller de trucs qui marchent, du flux de base pour Netflix, le truc moyen sur lequel tu veux faire du retour sur investissement et des producteurs, aucun problème.
Déjà, premier élément, il y a quelques années de ça, j’étais invité au MIP TV, à Cannes. Le MIP, c’est le marché international des programmes, et une partie traitait des nouvelles technologies. Il y avait une boîte, allemande je crois, qui présentait un outil qui était capable, soi-disant, d’analyser des films et dans ressortir ce qui allait marcher ou pas. Bien sûr, après, tu discutes avec eux, ils expliquent qu’ils regardent les patterns de films qui ont bien marché au box-office ; ils croisent ça et ils se disent « ce film-là a tous les éléments qui vont bien dans la dramaturgie, dans le scénario et dans le déroulé pour faire en sorte qu’il fonctionne ». Après, si les mecs jouent comme des quiches, ça ne va peut-être pas fonctionner ! Ils rajoutaient même les éléments style, le casting qui est bankable ou pas, les gens qui aiment les films avec tel acteur, etc. On peut donc faire une sorte de calibrage qui va dire, au final, « notre IA a déterminé qu’à 90 % votre film va marcher. ».
Fabrice Epelboin : C’est provisoire. À l’époque, bien sûr, tous les producteurs disaient : « Non, mon job de producteur c’est de faire ça, etc. »
Bertrand Lenotre : Eh non, ou plus vraiment, on devient un producteur remplacé ou augmenté. Et c’est à nouveau ce même débat. Aujourd’hui, Netflix a des algorithmes capables, premièrement, de nous générer des visuels, huit visuels différents, en fonction de ce qu’on aime, en fonction de notre historique sur la plateforme, il va générer un visuel qui correspond à ce qu’on aime. Si tu es plutôt film à l’eau de rose ou film d’horreur, par exemple, je n’en sais rien, il va sortir, pour le même film, un angle de vue ou une scène, ou un acteur, si tu adores tel acteur, même s’il passe trois secondes dans le film, il va te générer un visuel qui va te donner envie de regarder. On est là-dedans.
13’ 47
Damien Douani : Un mec qui tue avec une rose !