Ce que l'on conçoit bien s'écrit clairement : les textes et l'accessibilité numérique

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Titre : Ce que l'on conçoit bien s'écrit clairement : les textes et l'accessibilité numérique

Intervenante : Morgane Hauguel

Lieu : Lyon - MiXiT 2024

Date : 29 avril 2024

Durée : 31 min 18

Vidéo

Présentation de la conférence

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : À prévoir

NB : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·es mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Aujourd’hui, on va parler ensemble de textes et d’accessibilité numérique.
Pour commencer je vais me présenter rapidement. On m’a dit que pour gagner la sympathie d’une audience tech, il fallait mettre des photos de chats dans sa présentation et, vu que ce dont on va parler après ça ne collait pas bien, ça ne marchait pas et je n’avais pas non plus de photo moi avec mes chats, donc j’ai fait un montage. Du coup, dans l’ordre, une photo de moi et, en haut, vous avez monsieur chat, madame chat et marlou pour finir.
Je m’appelle Morgane Hauguel. Je suis cogérante dans une coopérative lyonnaise où on fait du service numérique responsable. Au-delà de mon métier, ce qui m’intéresse ce sont les impacts sociaux du numérique et l’accessibilité.

Écrivain·e public

Je vais commencer, en introduction, par parler un petit peu du rôle d’écrivain/d’écrivaine, je l’ai féminisé même si c’est un peu impropre, écrivain/écrivaine public. Je ne sais pas du tout si c’est un métier ou une fonction qui vous parle, c’est un petit peu désuet, c’est un métier qui existe depuis très longtemps, dans les sociétés où la capacité à lire et à comprendre concernait vraiment une élite très restreinte. En fait, un écrivain public, c’est quelqu’un qu’on vient voir pour lire ou rédiger un courrier. Pour celles et pour ceux qui ne le savent pas, ça existe toujours, il y a toujours des écrivains/écrivaines publiques professionnels et aussi, souvent, bénévoles. La petite différence, quand même, par rapport aux siècles qui nous ont précédés, c’est qu’aujourd’hui, dans une permanence d’écrivain public, à 80 % c’est gérer des problématiques liées au numérique, qui sont diverses : ça va être créer son espace personnel sur Pôle emploi, gérer une correspondance qu’on ne peut avoir que par mail ou répondre à une administration, mon exemple n’est n’est pas pris au hasard, on va y revenir juste après.

Le Web c’est de l’écrit

C’est l’info du jour, on va commencer par là : le Web c’est de l’écrit et beaucoup d’écrit. Je le dis parce que, souvent, c’est quelque chose qu’on n’a pas forcément en tête, y compris pour les personnes qui sont assez sensibilisées, voire qui travaillent, voire qui mettent en place de l’accessibilité numérique. Quand je dis que c’est de l’écrit, du coup, c’est assez large, ça peut prendre plein de formes : ça peut être des textes très longs qu’on a sur le site d’une banque avec des larges paragraphes, écrits en tout petit, très difficiles à déchiffrer et puis c’est aussi tout ce qui va être, tout simplement, formulaires, boutons, etc.

Du coup, la question qui va nous occuper maintenant, c’est : qu’est-ce qui se passe pour les personnes pour qui, précisément, l’écrit est un obstacle.
Le fait de faire un lien entre les textes dans les environnements numériques et l’accessibilité numérique n’est pas du tout quelque chose que je peux m’attribuer, ce n’est pas moi qui l’invente.
Dans l’accessibilité numérique, le principe selon lequel un outil, un environnement numérique, doit être accessible au plus grand nombre de personnes et les règles pour y parvenir s’appuient souvent sur un texte : les Directives d’accessibilité du contenu Web, l’acronyme c’est WCAG, mais si vous êtes un peu cool vous dites plutôt « wecag », sachez-le ! La première fois je me suis plantée, on m’a regardée de travers ! Dans ces directives, il y a bien un critère qui est sur le niveau de lecture dans les environnements numériques. Ce critère vous l’avez ici, je vais le lire : « Lorsqu’un texte nécessite une capacité de lecture plus avancée que le premier cycle de l’enseignement secondaire après la suppression des noms propres et des titres, un contenu additionnel ou une version qui ne requiert pas de capacité de lecture supérieure au premier cycle de l’enseignement secondaire est disponible. » Vous avez donc remarqué que les WCAG sont quand même rédigées d’une façon particulièrement compliquée ; il y a des raisons, mais c’est toujours assez drôle de le souligner. Ça dit concrètement que si vous avez besoin d’un niveau scolaire qui est supérieur, à peu près, au niveau collège pour lire un texte qui est dans un environnement numérique, il y a un problème, c’est, en gros, ce que dit ce critère en gros.

On va voir aujourd’hui, pendant cette conférence, que cette question des difficultés de lecture et de compréhension de l’écrit n’est pas quelque chose qui est anecdotique ou marginal.
On va voir aussi, et c’est la bonne nouvelle du jour, que ce n’est pas du tout une fatalité.
Et dans un troisième moment, plutôt vers la fin de mon intervention, on va voir un petit peu plus largement comment on peut se saisir de cette question de l’égalité devant l’information en général et pas seulement devant le contenu écrit.
Pour cela il va y avoir trois moments, trois parties :

  • une première partie, on va revenir sur les besoins ; qui a besoin de textes plus clairs et plus simples ;
  • quels sont les outils pour y parvenir qu’on va chercher à mobiliser ;
  • et enfin, plus largement, quels sont les enjeux concernant l’égalité devant l’information.

Si on commence par qui ça concerne, il s’est passé un truc absolument incroyable cette semaine. Ça fait plusieurs fois que je parle de ce sujet, que j’essaie d’expliquer qu’il y a quand même pas mal de personnes concernées et, souvent, je m’appuyais sur une étude qui était la plus grande étude qui avait été réalisée en en France, une étude de l’Insee et qui datait de 2012. Je disais « oui, elle date un petit peu, mais, en même temps, c’est la plus grande étude, elle va être réactualisée, ne vous inquiétez pas ! ». Cette semaine, il était 11 heures 47 du matin, l’heure un petit peu critique où on scrolle pas mal sur LinkedIn et j’ai vu un communiqué de presse de l’ANLCI, l’Agence national de lutte contre l’illettrisme, qui disait « ça y est, la réactualisation de cette étude est sortie. » Je pense qu’on était à peu près 10, en France, à l’attendre, donc j’étais assez contente.
Donc, en 2022, c’est 10 % des personnes qui ont entre 18 et 65 ans. Comme le petit schéma le montre subtilement à côté, c’est une personne sur 10, du coup, qui est concernée. Là on parle plutôt des adultes.
Pour les personnes plus jeunes, pour le coup on a des réactualisations qui sont un petit peu plus régulières. À mon époque, ça s’appelait la JAPD [Journée d’appel de préparation à la défense], maintenant c’est la JDC, la Journée défense et citoyenneté, et cette journée, assez pénible, sert notamment à faire des statistiques justement sur le pourcentage de personnes qui ont des difficultés de lecture et de compréhension parmi la population. C’est assez stable ces dernières années, c’est aussi 10 %, donc un jeune sur 10.
Il y a quand même des disparités territoriales qui sont importantes chez les jeunes dont on parlait juste avant. On a dit que c’est 10 %, ça monte à 30 % quand on parle de La Réunion, la Martinique et la Guadeloupe, 50 % en Guyane et jusqu’à 75 % à Mayotte.

Maintenant, si on reprend l’étude de l’Insee, donc les adultes, celle d’avant, on a une plus forte proportion de difficultés de lecture et de compréhension en France dans le Nord Pas-de-Calais, en Île-de-France. Maintenant, si on zoome à l’échelle d’une ville, plus encore dans les quartiers dits quartiers prioritaires de la politique de la ville. Donc, la répartition de ce phénomène est inégale selon ces différentes échelles géographiques.

Du coup ça fait le lien avec ma question d’après : pourquoi peut-on avoir des difficultés de lecture et de compréhension ?
Il y a forcément plusieurs facteurs, je vais schématiser un petit peu.
Le premier, le plus significatif, c’est quand même l’allophonie. C’est un mot un petit peu bizarre, un petit peu compliqué qui veut dire, tout simplement, que votre langue maternelle n’est pas la langue du pays dans lequel vous résidez. Si votre langue maternelle, c’est l’anglais et que vous vivez en France, alors vous êtes allophone.
La deuxième raison, ce sont les handicaps et les troubles de l’apprentissage, une catégorie dans laquelle on met aussi tout ce qui est troubles dys dont on parle un petit peu plus maintenant. Il faut savoir qu’il y a des handicaps qui vont directement perturber la capacité à lire et à comprendre. Il faut savoir également que, quand on est handicapé, on est plus vulnérable à la fatigabilité, à la fatigue cognitive et qu’un texte qui est long, un texte qui est difficile, peut aussi devenir un vrai frein, un vrai problème.
Le troisième facteur, c’est l’âge, puisque on va moins mobiliser la lecture au fur et à mesure qu’on avance en âge et aussi parce qu’il y a des enjeux de concentration, de mémorisation, etc.
Et enfin, les inégalités de scolarisation, tout ce qui fait qu’on va avoir une scolarisation qui va être hachée, qui va être un petit peu chaotique, de mauvaise qualité également, voire carrément absente.

Et là si vous voulez bien, en fait vous n’avez pas le choix, on va prendre un petit peu de temps quand même pour zoomer là-dessus et ça a une importance de s’arrêter un petit peu là-dessus, même si ça peut sembler un petit peu rébarbatif.
Les inégalités de scolarisation, à nouveau, ne sont pas distribuées au hasard dans la société, en France en tout cas. Elles recoupent largement les inégalités sociales.
Pour le dire, à nouveau, de manière très schématique : si vous êtes enfant d’ouvrier et enfant de cadre vous n’avez pas la même scolarité, c’est le point de départ. Et après, il y a nous, les Français : on a ce point de départ et, en plus, on a le fait qu’en France l’école vient accentuer les inégalités qu’on a à la base selon la classe sociale à laquelle on appartient et c’est vraiment une particularité, en tout cas dans les pays de l’OCDE, donc les pays plutôt occidentaux du Nord qui nous ressemblent, que d’avoir un système scolaire qui, progressivement, va sortir les classes les plus défavorisées des parcours scolaires.

Maintenant, si on fait le lien entre inégalité de scolarisation et allophonie dont on a parlé tout à l’heure, on n’a pas la même facilité à apprendre le français, dans notre cas, selon le niveau de scolarité qu’on a dans sa langue première. On retrouve à nouveau ce lien entre égalité sociale, scolarisation, le fait d’être primo arrivant dans un pays et puis, même quand on est un petit peu plus âgé, accéder à des cours de français, ça suppose des ressources en temps, en argent, en connexion en réseaux divers et, à nouveau, ce n’est pas accessible de la même manière à tout le monde.

Et enfin, si on fait le lien maintenant entre scolarisation et handicap, en France, toujours, il y a des statistiques là-dessus qui sont assez éclairantes et terrifiantes dans le même temps : les enfants handicapés sont 6 sur 10 à entrer au CP en milieu dit « ordinaire », je mets des guillemets, c’est comme ça qu’on l’école normale ; il n’y en a plus que 4/ 10 qui entrent au collège. Et, en fait, plus on avance dans les études, moins il y a d’enfants handicapés dans le système scolaire et, du coup, en tendance, on a des personnes qui sont moins diplômées que le reste de la population.

Pourquoi, du coup, ai-je pris un petit peu de temps pour rabâcher sur ces variables-là ? Mon point c’est de dire que ce sont des causes qui sont structurelles qui se répartissent à la fois selon qui on est dans l’espace social, ça c’est la première chose, et peut-être aussi ce qui est important d’avoir en tête c’est que ça vient se combiner et se renforcer comme dans le cas scolarisation/inégalités entre les classes sociales qu’on vient d’évoquer à l’instant.

Le Web c’est du « tout écrit » 12’35

En introduction,