Le logiciel libre, une lutte politique pour une société plus juste et plus durable

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Titre : Le logiciel libre, une lutte politique pour une société plus juste et plus durable

Intervenant·es : Magali Garnero - Étienne Gonnu

Lieu : Choisy-le-Roi - Pas Sage en Seine 2024

Date : 30 mai 2024

Durée : 56 min 31

Vidéo

Présentation de la conférence

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : À prévoir

NB : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·es mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Description

Il est impossible de nier que les logiciels libres sont un enjeu politique et social. Depuis 1996, l'April se bat à côté d'autres associations pour les protéger, les défendre et leur donner la priorité. Revenons sur les combats en cours menés par l'équipe salariée et les bénévoles de l'association et ils sont nombreux… sans parler de ce qui va arriver !

Transcription

Magali Garnero : Bonjour à tous.

Étienne Gonnu : Bonjour.

Magali Garnero : Merci d’être là aussi tôt. Comme je disais tout à l’heure ça pique de se lever aussi tôt, en tout cas en ce qui me concerne. On est à Pas Sage en Seine 2024 et on vous propose une conférence : Le logiciel libre, une lutte politique pour une société plus juste et plus durable.

Étienne Gonnu : Je suis Étienne Gonnu, je suis un des salariés de l’April, je m’occupe du plaidoyer politique, je suis chargé de mission affaires publiques, c’est mon titre officiel. Je suis particulièrement heureux, c’est la première fois que je viens Pas Sage en Seine et je suis très heureux de faire cette conférence, notamment avec Booky. Magali, je te laisse te présenter aussi.

Magali Garnero : C’est première fois qu’on fait ça ensemble, donc soyez indulgents !
Magali Garnero, alias Bookynette. Je suis présidente de l’April, je suis au comité directeur de Framasoft, de Parinux, je fais pas mal de choses dans le monde du Libre parce que je m’éclate, et je suis aussi, dans ma vraie vie professionnelle, libraire, donc être dans une médiathèque, vous ne pouvez pas savoir comme ça m’enchante !

L’April

Magali Garnero : On ne s’est pas parlé, pourtant, il y en a des t-shirts à l’April, celui-là est mon préféré, tout le monde le sait. [Magali et Étienne portent le même te-shirt, NdT]
Qu’est-ce que c’est l’April ? L’April est une association qui existe depuis 1996, il y en a qui n’étaient pas nés. On défend et on fait la promotion du logiciel libre depuis pas mal de temps, il ne faut pas que je dise ce qu’on a mis sur les slides d’après.

Étienne Gonnu : Il ne faut pas spoiler, divulgacher.

Magali Garnero : Divulgacher, c’est un beau mot, j’adore inventer des mots. Qu’est-ce qu’on peut dire ? Promotion, défense.

Étienne Gonnu : Déjà, est-ce que tout le monde connaît l’April ici ou pas ?
Donc fondée en 1996. Ce qui me semble important, c’est le mode d’organisation et de financement. On peut parler de mode de financement, parce qu’il garantit aussi notre indépendance et notre pérennité dans le temps, notre pérennité d’action. Comme on vous l’a dit, on a tout un pan de notre action – on vous vous présentera l’autre aussi – qui repose sur le plaidoyer politique, donc le contact notamment avec les pouvoirs publics, typiquement les parlementaires par exemple, donc, il faut qu’on puisse porter une voix indépendante. Pour cela, notre financement est forcément important, la façon dont on se finance. On a fait le choix d’un financement basé sur de la cotisation. La cotisation de nos membres c’est plus de 95 % je pense, 97 %, par là. Notre financement repose sur ces cotisations et, surtout, ce sont des cotisations plafonnées, ce qui nous garantit une liberté de parole parce que n’importe lequel de nos membres peut partir sans grever dangereusement nos finances. On a autant des membres personnes individuelles que des entreprises, on a des collectivités, des universités, un syndicat. On a une grande diversité de membres.

Magali Garnero : On a à peu près 2500 membres à jour de cotisation, ce qui ne correspond pas forcément au nombre total de membres. On a 300 entreprises, administrations, associations et ainsi de suite et on a effectivement zéro subvention de l’État, ce qui nous permet quand même de dire ce qu’on veut. Tu parlais de montant maximum : même si on vous adore, vous ne pourrez pas donner plus de dix mille euros, ce qui est quand même énorme, je le reconnais. Il y a des entreprises qui pourraient effectivement donner plus, mais on se l’interdit, pour ne pas dépendre et surtout pour ne pas être dans la merde si elles arrêtent de nous donner des sous, il ne faut pas se leurrer.

Étienne Gonnu : Ça garantit l’indépendance et ça nous permet de financer quatre postes, quatre salariés.

Magali Garnero : Ne divulgache pas !

Étienne Gonnu : D’accord, on le dit après.

Magali Garnero : Tu as raison, c’est dans la conférence d’Isabella qu’on le dit. Quand on fait tellement de conférences, on ne sait plus ! On a effectivement quatre salariés dont Étienne ; on a aussi Frédéric Couchet, le délégué général et qui est aussi un des fondateurs de l’April.

Étienne Gonnu : Isabella Vanni, la coordinatrice vie associative. Je vous disais qu’on a deux points d’action : je m’occupe du plaidoyer institutionnel et Isabella va plus coordonner tout ce qui touche la sensibilisation grand public, parce que c’est effectivement un point extrêmement important que de sensibiliser l’opinion sur les enjeux du logiciel libre, parce que c’est aussi comme ça, bien sûr, qu’on construit des rapports de force pour faire avancer notre cause.

Magali Garnero : C’est grâce à Isabella qu’on est là aujourd’hui, qu’on a un stand, que les horaires de nos conférences ont été transmis à tous nos adhérents, qu’on a pu mettre l’Expolibre sur les grilles un jour avant ce qui était prévu. C’est elle qui gère toutes ces tâches et elle est vraiment indispensable.
Il y a Elsa.

Étienne Gonnu : Qui s’occupe vraiment de tout ce qui est la charge administrative ; on a 2500 membres, ce qui est loin d’être neutre, ce qui nous permet aussi de libérer du temps pour les autres actions ; et, bien sûr, de très nombreux et nombreuses bénévoles qui font vivre l’association : une association sans bénévoles, c’est une association triste, comme moribonde, je pense. À l’April, on a la chance d’avoir de super bénévoles. Je pense que c’est l’essentiel sur ce qu’est l’April.

Magali Garnero : On peut peut-être parler du CA rapidement, surtout qu’on a un administrateur dans le public [Laurent Costy], donc, si on ne parle pas de nos administrateurs, ils vont râler. On a plusieurs administrateurs et administratrice qui sont un peu partout en France et en Europe puisqu’on a la chance d’en avoir une qui vit en Italie. À une époque, on en a eu une qui vivait au Canada, ce n’est plus le cas maintenant.
Il est composé de plein de gens merveilleux, des bonnes personnes pour ceux qui me connaissent, j’ai tendance à dire ça.

Étienne Gonnu : À parité, pas 50/50, mais pas loin, en tout cas, on a fait cet effort-là, il est important pour nous.

Magali Garnero : Peut-être que l’année prochaine on sera à parité, peut-être, je ne sais pas, en tout cas on essaye.

Logiciel libre, société libre

Étienne Gonnu : On va dire que c’est un de nos slogans, leitmotivs. Je pense que ce n’est pas forcément ici que je vais devoir convaincre, mais c’est toujours bien aussi de se rappeler qu’on est dans une société où l’informatique est omniprésente, qui conditionne nos interactions entre nous, nos interactions avec les pouvoirs publics, l’expression, la manière dont on va utiliser et exprimer nos libertés. Le fait d’avoir une informatique libre conditionne le degré de ces libertés-là, donc le logiciel libre est essentiel et c’est pour cela en fait qu’on le défend. On le défend dans une perspective éthique, politique, et pas simplement sur la notion d’ouverture, c’est aussi important, donc pas seulement pour des questions techniques parce qu’on trouve que c’est pertinent scientifiquement d’avoir accès aux sources et cette logique de libre circulation du savoir ; cela est aussi une perspective politique et c’est vraiment ça qui nous anime ; d’ailleurs, je ne suis pas informaticien.

Magali Garnero : Moi non plus !

Étienne Gonnu : Booky non plus ! Je le dis parce que ce n’est pas une liberté d’informaticien et d’informaticienne, c’est une liberté pour tout le monde. En fait, c’est même d’abord une liberté pour les personnes non expertes qui les protège, quelque part, un petit peu du pouvoir des personnes qui ont cette maîtrise sur les outils informatiques qui sont si omniprésents.
J’aime bien faire ce parallèle : les quatre libertés du logiciel, la liberté d’accès aux sources, de partage, de modification, de redistribution, sont, pour moi, finalement, la traduction des critères fondateurs, fondamentaux, du fonctionnement d’une démocratie.
Excusez-moi, je suis un peu malade du coup j’ai les neurones qui se branchent un peu dans tous les sens.
Une démocratie fonctionne à partir du moment où on a la liberté d’accéder et de connaître les règles qui s’imposent à nous ; la capacité, d’une manière ou d’une autre, d’être en mesure de participer à leur élaboration, à leur construction, à savoir aussi que le processus d’élaboration de ces règles est connu de tous, en fait qu’elles sont faites de la manière qu’on appelle l’État de droit. En fait, c’est la traduction finalement, puisque le code informatique est du droit, quelque part, Code is Lawpour reprendre cette citation célèbre de Lawrence Lessig, un juriste américain. Le code va faire du droit, va imposer sa loi dans la manière dont on va utiliser les réseaux informatiques. Le fait qu’on ait un libre accès à ces sources, à ces règles qui vont conditionner, qu’on peut, d’une manière ou d’une autre, à partir du moment où on le désire développer ces compétences-là, accéder à ces règles-là et être en mesure d’agir sur elles, etc., fait que c’est un peu l’incarnation démocratique.
C’est la Constitution de 1793 qui a posé un petit peu aussi, comme fondatrice, cette idée du devoir même d’insurrection, c’est-à-dire que face à un pouvoir tyrannique, on a presque le devoir de s’insurger et le logiciel libre permet ça, c’est ce qu’on appelle le fork quelque part : si on n’est pas satisfait, si on considère que la manière dont fonctionne un projet ne nous satisfait pas, on a cette liberté fondamentale de faire autrement, de repartir et c’est une garantie essentielle qui fait intrinsèquement du logiciel libre un vecteur, une garantie d’un rapport démocratique aux technologies.
Avançons sur la priorité au logiciel libre.

Promouvoir

Magali Garnero : Qui est indispensable. C’est vraiment LE combat de l’April : imposer le logiciel libre partout pour arrêter de subir des licences privatrices – je dis privatrices, je ne dis pas propriétaires – souvent américaines.

Étienne Gonnu : Tout à fait. Donc priorité au logiciel libre. Bien sûr qu’on invite chacun à donner une priorité au logiciel libre, et c’est toute la partie sensibilisation, dans ses pratiques quotidiennes et aussi dans ses pratiques associatives, dans tous ses espaces d’expression ; ça ne veut pas dire qu’il faut nécessairement utiliser des logiciels libres, mais tant qu’on peut, on doit le faire, parce que dans le système dans lequel on est, tous les besoins ne sont malheureusement pas adressés par des logiciels libres, mais si on peut, on doit essayer de le faire.
On appelle aussi les pouvoirs publics à une priorité, qui est d’autant plus importante parce que les pouvoirs publics ont une mission de service public et on peut considérer que les quatre libertés du logiciel libres répondent, pour les administrations, qu’elles soient centrales ou des collectivités, à des besoins impérieux de service public, c’est-à-dire que par ces licences libres il y a une garantie d’indépendance, une capacité de mutualiser avec d’autres administrations, donc une meilleure gestion du denier public.

Magali Garnero : Et puis surtout, excusez-moi si je l’interromps, c’est inadmissible que notre argent, l’argent de nos impôts, aille à des entreprises américaines alors que ça pourrait aller à des entreprises françaises, des informaticiens qui feraient du logiciel libre, qui pourraient adapter les logiciels.

Étienne Gonnu : Je ne suis pas d’accord !

Magali Garnero : Tu n’es pas d’accord !

Étienne Gonnu : Je préférais une entreprise américaine qui fait du logiciel libre qu’une entreprise française qui fournisse des licences privatrices !

Magali Garnero : Effectivement ! En fait, c’est le genre de débat qu’on peut avoir constamment et j’aime bien le titiller avec ça.

Étienne Gonnu : Ce qu’on défend, c’est une priorité qui doit être exprimée dans la loi, une priorité normative, c’est-à-dire que la loi doit dire qu’il y a une priorité au logiciel libre, ça ne veut pas dire imposer, mais que dès lors qu’une administration a un besoin informatique qui émerge et qu’il est décidé que c’est par l’informatique que ce besoin sera adressé, il faut que ce soit, autant que faire se peut, par du logiciel libre et, si un autre choix est fait, il doit être justifié. En fait, pourquoi une administration se priverait-elle des bénéfices, même des critères d’intérêt général que sont sa liberté d’accès aux sources, sa facilité à mutualiser avec d’autres, à être indépendante de l’éditeur initial ? Si elle se prive de ces libertés, elle doit le justifier.

Magali Garnero : Du coup, pourquoi le font-elles ? J’ai besoin de comprendre.

Étienne Gonnu : Ce sont des systèmes complexes. Elles sont aussi dépendantes de systèmes économiques et, parfois, les questions sont mal posées, mais ça avance. Parfois, on ne se rend pas compte qu’il y a ces besoins-là, mais ça avance notamment dans des rapports parlementaires qu’il faut remettre en perspective, ce n’est pas de la loi, mais ils font que l’idée avance.
On peut citer le rapport Latombe qui a fait un peu de bruit en 2021. Le député Philippe Latombe avait fait un rapport sur la souveraineté numérique, en fait, il disait la même chose : il faut systématiser le recours au logiciel libre et faire du logiciel, lui dit propriétaire, donc le logiciel privateur, une exception dûment justifiée. On ne préconise pas autre chose. Pour le moment, dans la loi, il y a un encouragement, ce qui ne veut rien dire. Bien sûr, nous ne sommes pas naïfs, ce n’est pas la loi qui va tout faire, mais ça constitue un rouage dans une logique de construire des rapports de force. On sait que ça va partir, que ça doit partir des agents qui, au niveau local, poussent pour du logiciel libre. L’idée c’est aussi de leur donner du poids notamment dans les arbitrages politiques qui vont être faits, de les renforcer dans leur capacité à pousser du logiciel libre au sein de leurs administrations.

Magali Garnero : J’ai une super bonne nouvelle pour toi. J’étais aux JdLL cette année, le week-end dernier, et j’ai rencontré Nicolas Vivant, un des membres d’une communauté qui s’appelle Échirolles. Ils se sont amusés à calculer les économies qu’ils peuvent faire en utilisant des logiciels libres. Ils ont mis des logiciels libres partout dans leur communauté de communes ou dans leur ville, je ne sais pas, désolée Nicolas, et ça leur fait faire des économies de 350 000 euros. C’est énorme, pour une ville comme ça, de faire ces économies, donc imaginez, à l’échelle de Paris, ce que ça pourrait faire ! Le logiciel libre permet de faire des économies et permet surtout de maîtriser son matériel et ses logiciels.

Étienne Gonnu : Même sans parler des économies, c’est un bonus et, en fait, c’est de l’investissement parce qu’on ne dépense pas plus, mais on pérennise dans le temps, on peut contribuer à plusieurs.
Cette priorité normative est aussi importante parce qu’on n’est pas dans une situation neutre. Certaines entreprises, notamment américaines comme tu le disais, exercent une grande domination sur certains logiciels. On pense au poste de travail. Si on pense au poste de travail, on pense à Microsoft.

Magali Garnero : Moi non !, je ne pense pas à Microsoft ! Vous pensez à Microsoft ?

Défendre 13‘32

Étienne Gonnu : Peut-être pas dans cette salle,