Vers un futur sous le signe des libertés informatiques

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Titre : Vers un futur sous le signe des libertés informatiques

Intervenant·e·s : Isabella Vanni - Pierre-Yves Gosset - Agnès Crepet - Audrey Neveu

Lieu : Lyon - MiXiT

Date : 30 avril 2024

Durée : 25 min 43

vidéo

Présentation de l'interview

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : À prévoir

NB : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Description

Rejoignez-nous pour une plongée au cœur des initiatives de Framasoft et de l'April, deux acteurs majeurs du logiciel libre, visant à remodeler notre interaction avec la technologie et à promouvoir une inclusivité tangible dans le monde numérique.

Transcription

Audrey Neveu : Bienvenue sur MiXiT on air pour cette nouvelle après-midi d’interviews.
Nous sommes avec deux invités avec qui nous allons parler de logiciels libres, ce qui nous tient beaucoup à cœur. Je vais vous laisser vous présenter.

Isabella Vanni : Moi, c’est Isabella Vanni, je fais partie de l’équipe salariée de l’April qui est l’association de promotion et de défense du logiciel libre dans l’espace francophone.

Pierre-Yves Gosset : Je suis Pierre-Yves Gosset, je suis coordinateur des services numériques d’une association qui s’appelle Framasoft, une association d’éducation populaire aux enjeux du numérique et des communs culturels.

Audrey Neveu : Voilà. On vous a invités tous les deux justement parce que ce sont des thèmes qui sont chers à notre petit cœur, qui sont importants à MiXiT. On voulait discuter un petit peu avec vous parce que toi, Pierre-Yves, tu vas nous parler de cloud, en fait, cet après-midi. Qu’est-ce qui a motivé ce lancement de Framaspace par Framasoft ?

Pierre-Yves Gosset : À Framasoft, ça fait maintenant dix ans cette année qu’on essaye de proposer des alternatives aux Big Tech, notamment aux GAFAM, des alternatives comme Framapad en alternative à Google Docs, Framadate en alternative à Doodle, et plein d’autres. Aujourd’hui on a 16 services alternatifs, on accueille environ deux millions de personnes tous les mois. La difficulté qu’on identifiait, c’était essentiellement la problématique que les associations, nous sommes une association, faisaient appel aux produits de Google, Microsoft ou équivalent, pour travailler entre elles. Or, pour nous qui sommes très attachés à la loi de 1901, c’était quand même très compliqué de dire, en tant qu’association, on n’est pas en capacité de proposer des alternatives éthiques qui permettent finalement de mettre en cohérence les valeurs associatives et les outils que les utilisateurs et les utilisatrices utilisent pour travailler ensemble. On a donc proposé Framaspace dont je peux parler maintenant ou tout à l’heure.

Audrey Neveu : Vas-y.

Pierre-Yves Gosset : Framaspace est un service gratuit, proposé par Framasoft, qui est basé sur le logiciel qui s’appelle Nextcloud, une solution libre, qui permet d’avoir à la fois de la gestion de fichiers, du partage de fichiers, mais aussi de l’agenda, du kanban, des petites cartes à la Trello qu’on peut déplacer pour s’organiser, de la visio, etc.
On propose ça et on s’est dit qu’on allait le proposer gratuitement parce que ce qui nous intéressait, c’était de toucher notamment les petites associations et les collectifs militants qui n’ont pas les moyens, souvent, de se dire, par exemple, « je vais prendre un espace Nextcloud à trois euros par compte et par mois » parce que c’est le collectif LGBT de Mont-de-Marsan qui a, tout simplement, zéro euro sur son compte en banque. On s’est donc dit « on a les capacités techniques de proposer ce service-là, par contre, on va le proposer gratuitement ». Il y a un objectif politique, derrière, qu’on n’a jamais caché, c’est comment « réempouvoir » les associations qui, pour moi, font complètement partie de ce qui nous permet de faire société, c’est-à-dire que quand l’État est défaillant, ce sont souvent les associations qui agissent derrière, elles sont donc à la fois à la pointe de la lance sociale, mais elles sont aussi, souvent, le dernier filet de sécurité avant que vous vous retrouviez en précarité ou autre, je pense, par exemple, aux Restos du cœur, c’est tout de suite ce me qui vient en tête. Du coup, ces associations-là ils ont des valeurs. C’est donc comment on faisait s’articuler ces valeurs, comment rendre cohérente ces valeurs avec les outils qu’elles utilisent.
On propose jusqu’à 10 000 espaces Nextcloud, potentiellement plusieurs centaines de milliers de comptes, gratuitement, à des associations, des collectifs militants, des syndicats en disant « on sait faire de l’hébergement de service ». Aujourd’hui, on héberge 1000 Nextcloud à destination de ces petites associations et collectifs et ça marche plutôt bien, on est donc plutôt contents parce que c’est un vrai pari technique de savoir faire ça. On en a beaucoup discuté avec l’équipe qui édite le logiciel Nextloud, qui est allemande. On nous a dit qu’on était quasiment les premiers à faire ça de cette façon-là, d’habitude, on monte des choses avec du Kubernetes, des choses assez complexes techniquement qui coûtent, du coup, assez cher. Nous, on fait ça pour un coût qui est relativement dérisoire, puisque Framasoft est une petite association, nous sommes 40 adhérentes et adhérents, nous sommes 11 salariés et on va dire que nous sommes trois, essentiellement, à gérer ce projet.

Audrey Neveu : Comment gérez-vous le support parce que, du coup, 10 000, ça commence à faire ?

Pierre-Yves Gosset : À Framasoft, on a plutôt un très bon support qui est proposé sur les différents outils. Sur celui-là on s’est dit « ça va être trop compliqué de s’engager sur le support », on a donc décidé de faire un support communautaire. On dit aux gens : « Si vous avez un problème avec votre espace, sur l’usage de votre espace, posez votre question sur le forum », du coup, ce sont des utilisateurices qui se répondent les uns les autres, ça me va très très bien, ça fait moins de travail ! Et si c’est un problème technique, de fond, à ce moment-là, effectivement, il y a un système où on peut nous écrire et on est on dépanne. Pour l’instant, on a su répondre à peu près à toutes les demandes qui étaient posées. On traite quand même 5 à 6000 messages de support par an sur l’ensemble du réseau Framasoft pour deux millions d’utilisateurices par mois.

Agnès Crepet : Deux millions !

Pierre-Yves Gosset : Tous les services, l’ensemble des services ce sont deux millions de personnes par mois.

Agnès Crepet : Tous les services. Pas que Framaspace.

Pierre-Yves Gosset : Oui. Ça commence à faire du monde. Le plus gros service est essentiellement Framadate qui est massivement utilisé dans tout le secteur associatif, mais aussi en entreprise, qui est une alternative à Doodle pour trouver des dates. Tu as déjà utilisé Framadate.

Audrey Neveu : On se sert effectivement de Framadate, on se sert de Framaforms et j’ai pensé à vous parce que, récemment, j’ai été obligée, parce que quelqu’un m’a envoyé un Doodle, le truc est devenu immonde, il y a de la pub partout, de la pub porno !

Pierre-Yves Gosset : En plus !

Audrey Neveu : J’avais mon petit frère !

Pierre-Yves Gosset : Zéro publicité, zéro exploitation des données, parce que c’est un tout petit logiciel. En fait, il ne coûte vraiment pas grand-chose à maintenir. Du coup, on accueille quasiment un million de personnes par mois sur la suite.

Audrey Neveu : Je peux confirmer que le support est de qualité et répond ultra-vite.

Pierre-Yves Gosset : J’ai noté que MiXiT a utilisé aussi Framaforms pour faire les questionnaires.

Audrey Neveu : Évidemment !

Agnès Crepet : Un million c’est sur toutes les suites, les solutions

Pierre-Yves Gosset : Les deux millions, c’est sur l’ensemble de la suite. Les principaux services qu’on a sont Framadate, ensuite Framaforms ; un service qui est très utilisé, pourtant on a très peu de statistiques, dessus, c’est Framalistes, des listes de discussion, on envoie, en gros, 250 000 mails par jour sur Framalistes, ce qui est quand même assez conséquent et on est le plus gros serveur de listes de discussion « ONG », entre guillemets, de la planète, que je sache. C’est quand même fabuleux !
Framaspace vise, à un moment donné, à dire que les associations doivent pouvoir relever la tête. Pour moi, il y a vraiment une question de dignité derrière, se dire que ce n’est pas parce que nous sommes des associations qu’on doit dépendre d’entreprises pour gérer nos outils numériques. On est capable, grâce au logiciel libre, parce que nous ne développons Nextcloud, de proposer ce logiciel-là à plusieurs milliers d’associations. On espère qu’il y en aura, demain, encore plus. Quand on est un syndicat, mettre ses données chez Google, ça me perturbe un petit peu.
On s’engage à ne faire aucune exploitation des données derrière, aucune exploitation commerciale des données, on ne fait vraiment que de l’exploitation technique et ça marche plutôt bien.
Aujourd’hui, on est à 1000 assos, je pense qu’on atteindra entre 2000 et 3000 à la fin de l’année ; c’est plutôt conséquent.

Audrey Neveu : On vous le souhaite !

Pierre-Yves Gosset : Essayons !

8‘40

Audrey Neveu : Est-ce que tu veux parler un petit peu des projets de l’April ? Je pense que, normalement, pas mal de gens vous connaissent, mais c’est toujours bien de rappeler un petit peu la mission de l’April.

Isabella Vanni : La mission de l’April c’est la promotion des logiciels libres auprès de publics variés – individuels, associations, collectivités – et c’est aussi la seule association dans l’espace francophone qui fait du plaidoyer politique. On va vraiment au contact des décideurs, des responsables politiques qui prennent les décisions. On a un salarié, mon collègue Étienne Gonnu, chargé d’affaires institutionnelles, qui est vraiment sur ces dossiers-là, qui fait une veille juridique, contacte les parlementaires, proposer des amendements, rédige des communiqués de presse, etc.
Moi, je suis plutôt sur la partie vie associative, parce qu’on est aussi une association, d’ailleurs nous comptons 2500 membres dont environ 2250 personnes physiques.
L’association vit aussi grâce aux bénévoles et soutiens actifs, je suis donc plutôt sur cette partie-là de coordination, d’animation, de projets de sensibilisation, participation aux événements, interventions comme aujourd’hui, aussi production de ressources de sensibilisation qu’on met bien évidemment en ligne. Les sources sont en ligne sous licence libre, donc n’importe qui peut en profiter, télécharger, modifier, adapter.
On contribue, nous aussi, à dégafamiser avec nos services libres et loyaux, ce qu’on a appelé Chapril. On a donc 13 services en ligne, nous avons aussi un Date.Chapril, par exemple, pour les [sondages de] dates ; on a un service de visioconférence, etc., qui sont mis à disposition de tout le monde gratuitement.
On a aussi un autre projet phare de l’April, depuis 2018, l’émission de radio Libre à vous !. J’ai j’ai mis un t-shirt au pif aujourd’hui, je l’avais sous la main.

Audrey Neveu : Et il est très beau !

Isabella Vanni : C’est une émission hebdomadaire, consacrée aux libertés informatiques, qui est diffusée sur la radio Cause Commune, une radio associative, 93.1 FM en Île-de-France, mais vous pouvez aussi l’écouter sur Internet et, à chaque fois, vous pouvez écouter les podcasts en différé. On a aussi un groupe de travail Transcriptions qui transcrit assez rapidement toutes les émissions.

Audrey Neveu : Génial !

Agnès Crepet : Tout ce que tu as dit me touche beaucoup. Pour la transcription, je tiens à dire que le travail de Marie-Odile est incroyable.

Isabella Vanni : Elle est merveilleuse. Merci pour elle.

Agnès Crepet : Il y a une personne qui dédie un temps phénoménal à la transcription de plein de conférences, plein de podcasts, c’est une personne. Peut-être que vous avez d’autres bénévoles, mais c’est elle que je vois beaucoup.

Isabella Vanni : On a pas mal de relectrices et de relecteurs, mais effectivement, la plupart du temps, c’est elle qui lance la transcription et, après, d’autres personnes s’ajoutent.

Agnès Crepet : L’effort associatif, l’investissement associatif de personnes comme ça est extrêmement visible, extrêmement nécessaire, donc bravo à elle.
Tu as parlé d’Étienne, qui est salarié, qui fait partie de l’équipe salariée. Il fait aussi un travail incroyable, Étienne fait du plaidoyer politique, comme tu l’as dit. Je l’ai vu sur la loi sur le contrôle parental, sur des choses comme ça, vraiment contacter personne par personne – il a contacté Fairphone –, pour récolter des avis, rédiger des propositions d’amendement, etc., c’est aussi un travail très visible et derrière ce ne sont pas 150 personnes, ce sont très peu de personnes, voire une personne.
Donc bravo à Marie-Odile et à Étienne et aux personnes qui les soutiennent.

Isabella Vanni : Merci pour elle et lui.

Audrey Neveu : Il y a une problématique intéressante, dont on souhaitait discuter ensemble, tu as remarqué que dans le monde du libre, bien évidemment à l’image de notre industrie tout entière, il y a quand un petit problème de diversité.

Isabella Vanni : Même un grand problème de diversité ! On parle de France et d’Occident parce que si on va au Maghreb et en Asie, le pourcentage, la partie de femmes dans l’informatique n’est pas paritaire non plus, mais elle est beaucoup plus conséquente ; tandis qu’en France, en Occident, aux États-Unis c’est effectivement assez écrasant.
J’ai vu que le dernier rapport de l’Insee sur l’emploi parle de 23 % de femmes dans le secteur numérique, c’est donc déjà un quart, et, sur ces 23/24 % de femmes dans le secteur numérique, il n’y en a que 36 % qui sont vraiment sur les métiers purement techniques, donc informatique, systèmes de gestion, c’est donc vraiment une minorité. Bien évidemment, ça se voit aussi dans les grandes écoles, BTS, universités, alors que le logiciel libre, par définition, c’est pour tout le monde.
Même à l’April, nous n’avons que 8 % de membres femmes, je parle des personnes physiques, alors qu’on promeut le logiciel libre, d’ailleurs, on tient vraiment à dire « logiciel libre » et pas open source, je l’ai expliqué..

Audrey Neveu : Tu peux le réexpliquer si tu le souhaites.

Isabella Vanni : Pour nous, c’est vraiment important de parler de logiciel libre, parce que l’open source est plus centré, disons, sur les avantages pratiques de la licence libre, une licence qui, au lieu de restreindre, autorise à faire les choses, donc donne des libertés. L’open source trouve ça très pratique pour améliorer le code, pour avoir un code de qualité, parce que les contributions arrivent très facilement.
Nous, nous mettons l’accent sur le logiciel libre, donc sur les libertés qui sont offertes, autorisées, aux personnes qui utilisent l’informatique, potentiellement tout le monde. Très peu de personnes n’ont pas d’ordinateur ou de téléphone, d’ordiphone, puisque les téléphones, aujourd’hui, sont des ordinateurs, donc, potentiellement, ça touche tout le monde. Comment se fait-il que, finalement, une toute petite partie de femmes se rapprochent de l’April ? Moi-même, je ne suis pas technicienne, j’adhère aux principes, à la philosophie du logiciel libre, d’ailleurs on peut contribuer au logiciel libre de 1000 façons différentes, on n’est pas obligé d’être développeuse/développeur, on peut remonter des bogues, on peut suggérer des fonctionnalités, on peut faire de la traduction, on peut sensibiliser.

Audrey Neveu : On peut apporter ses propres compétences pour contribuer d’une manière ou d’une autre.

Isabella Vanni : Exactement. On peut discuter sur des forums ! Il y a mille et une façons de contribuer. Comment se fait-il qu’on n’y arrive pas ?
Donc, depuis quelques années, à l’April, on essaie de mettre en pratique, de mener des actions pour rendre notre association et, on espère, les communautés libristes en général, plus accueillantes pour les femmes et les minorités de genre. Si ces personnes ne sont pas là, c’est parce que, visiblement, elles ne se sentent pas à l’aise, elles pensent que ce n’est pas pour elles, elles pensent qu’elles n’ont pas la légitimité. Il faut donc faire en sorte qu’elles se sentent accueillies, qu’elles se sentent bien et cela dans la durée.
On a donc commencé à mettre en pratique quelques actions, on a proposé cette conférence avec modestie dans le sens que nous essayons d’améliorer les choses dans notre secteur, dans notre association, mais on est dans un cheminement, c’est-à-dire qu’on peut se remettre en question, on apprend aussi des autres. On s’est dit pourquoi ne pas profiter de cette conférence MiXiT pour présenter ce qu’on a fait jusqu’à présent.

Audrey Neveu : Du coup, concrètement qu’est-ce que vous avez mis en place ?

Isabella Vanni : Déjà c’est hyper-important de dédier, de consacrer du temps, de l’effort et du travail à cette question, c’est-à-dire que décider de faire une association avec plus de diversité, plus d’inclusion, ce n’est pas juste un état d’esprit, il faut vraiment se dire « on y consacre du temps, de l’énergie, de l’effort » et à tous les niveaux : équipe salariée, conseil d’administration.
Au niveau de l’équipe, ça se concrétise par le questionnement, l’autoformation, par la sensibilisation autour de soi, justement envers les collègues, envers le conseil d’administration, envers les membres aussi.
Ça se concrétise aussi par une volonté de recruter ou de favoriser la candidature de femmes dans le recrutement, à nouveau que ce soit dans l’équipe dirigeante, les salariés comme les bénévoles, les stagiaires, etc.
Pour l’organisation d’événements, à chaque fois qu’on publie une annonce d’événement organisés par l’April, on met en avant le code de conduite qui est très concret dans le sens où on met toujours, systématiquement, les noms des personnes référentes qui sont présentes sur l’événement pour qu’une personne qui vit une situation de façon inconfortable puisse trouver un référent, comme vous faites ici. On a d’ailleurs fait évoluer le code de conduite récemment.
On fait attention au langage qui ne doit pas être excluant, c’est important, que ce soit à l’écrit ou à l’oral, parce que, notamment à l’oral, il y a des comportements qui ne sont pas respectueux, par exemple couper la parole, accaparer la parole, rentrer dans les tunnels, etc., donc un langage oral excluant.
Pour l’écriture inclusive, on a choisi de ne pas utiliser le point médian qui est une des différentes façons de faire de l’écriture inclusive. On utilise surtout des mots épicènes ou alors on décline les métiers. Les mots épicènes[1] sont des mots qui sont neutres, par exemple « personnes » au pluriel, « es », ça inclut tout le monde, tout le monde se retrouve dedans ; au lieu de dire enseignant/enseignante, on peut dire « le corps enseignant » ; « les journalistes », c’est valable pour les deux ; ou alors on répète « chères auditrices, chers auditeurs » par exemple dans l’émission.
Je tiens aussi – si je parle trop et tu peux me couper avec une question –, bien évidemment, à trouver des lieux adaptés pour nos réunions, des lieux qui soient perçus comme accueillants. Par exemple quelque chose qui est très récent : on avait un événement mensuel qui s’appelait Apéro April, qui commençait à 19 heures, qui finissait à 22 heures, 23 heures, on annonçait quand même que ça durait longtemps. On s’est dit que ce type d’événement, apéro, ça fait peut-être penser au fait de boire alors que nous voulons centrer ce rendez-vous convivial sur l’échange, sur le fait que c’est une sorte de portes ouvertes de l’April, on se rencontre entre membres, on discute.

Audrey Neveu : Pas sur l’alcool.

Isabella Vanni : Ça semble bête, mais, du coup, on a changé de nom, on a appelé ça « Rencontre April », on commence plus tôt, on finit plus tôt. Mettre des noms justes sur les choses, ça permet aussi aux personnes qui lisent, par exemple dans l’Agenda du Libre, qu’il y a cet événement de se dire « ça a l’air chouette ».

Agnès Crepet : Vous en discutez entre vous ? Par exemple, typiquement, la manière dont vous allez parler, dont vous allez écrire, ce sont des décisions que vous prenez toutes et tous entre vous ?

Isabella Vanni : On fait en sorte d’avoir une écriture inclusive mais aussi très collaborative, c’est-à-dire qu’effectivement, pratiquement tout texte qui est publié par l’April est d’abord écrit soit un pad, un bloc-notes en ligne, d’ailleurs on a aussi le service pad.chapril, ce qui permet d’écrire, de collaborer à plusieurs sur un même texte.

Agnès Crepet : Vous écrivez le texte ensemble, c’est génial.

Isabella Vanni : Et il y a toujours des relectrices, des relecteurs, dont Marie-Odile, merci aussi pour les relectures très précieuses.

Agnès Crepet : Marie-Odile a eu son heure !

Audrey Neveu : Marie-Odile, on t’envoie de l’amour [cœur avec les mains, NdT]

Isabella Vanni : Mais pas que, ma collègue Elsa Pottier, qui est chargée de la relation avec les membres et qui a une plume magnifique, nous aide elle aussi à relire, à tourner les phrases, d’ailleurs elle est aussi experte dans ce sujet, c’est donc génial d’avoir ces compétences dans l’équipe. Donc oui, absolument, on se penche. D’ailleurs, nous sommes aussi en train de réécrire nos statuts parce qu’on s’était rendu compte qu’ils étaient écrits dans un langage masculinisé, donc excluant, on s’est dit « ça ne va pas du tout ».

Agnès Crepet : Vous avez réécrit vos statuts ?

Isabella Vanni : Oui. On est en phase de finalisation. On fera une AG extraordinaire, dans le courant cette année, pour valider les nouveaux statuts qui parlent à tout le monde et pas qu’aux hommes.

Audrey Neveu : C’est intéressant parce que ça rejoint la démarche que MiXiT a depuis des années, c’est la même chose, c’est un cheminement.

Isabella Vanni : C’est pour cela qu’on tenait à proposer ce sujet ici.

Audrey Neveu : Comme tu disais, en fait, c’est un cheminement. On n’est jamais arrivé, on a toujours des progrès à faire.

Isabella Vanni : On a beaucoup de biais. Moi-même, je me suis rendu compte que j’avais des biais sexistes sans le savoir.

Audrey Neveu : Oui, c’est un chemin de déconstruction.

Isabella Vanni : On échange aussi pas mal de ressources sur une liste de travail dédiée qui, pour l’instant, s’appelle Diversité, qui va probablement changer pour devenir « Diversité, inclusivité », on verra bien, en tout cas on échange énormément de ressources aussi là-dessus, podcasts, conférences, bouquins, BD, tout est bon à prendre pour s’auto-questionner et avancer.

22’ 45

Audrey Neveu : Est-ce que ce sont des questions qui se posent aussi chez Framasoft ?

Pierre-Yves Gosset : Oui, bien sûr. Après, je retiens le terme que tu as employé, « cheminement ». Dans le logiciel libre, il y a toujours eu la question de l’accessibilité du logiciel, qui a toujours été aussi relativement présente.
La question, c’est à quelle vitesse on avance sur ce cheminement.
Framasoft n’est pas spécialement un bon élève. On a environ 20 % de femmes adhérentes à l’association, sachant qu’on est 40, et un petit peu plus, on doit être à 30 % de femmes salariées, mais effectivement sur des postes, on va dire, plutôt genrés : communication, secrétariat et, on va dire, chargées de projets pour les femmes et les personnes non-binaires qu’on peut avoir dans l’association.
Par contre, l’écriture inclusive est quelque chose qu’on a pratiqué vraiment depuis des années, depuis 2015/2016, je pense, ça commence à faire maintenant un peu moins de dix ans.
Je perçois une évolution positive et c’est bien aussi partager des choses positives de ce côté-là. On avait une espèce de compteur qui disait combien de jours se passent avant qu’on se fasse insulter, parce qu’on utilisait l’écriture inclusive, notamment sur les blogs. On a toujours un calendrier qui fonctionne, mais, maintenant, on dépasse largement les quinze jours, trois semaines. Fut un temps, on ne dépassait pas trois jours parce qu’on publiait énormément. On est une association qui vient plutôt du milieu de l’écrit et du corps enseignant, Framasoft, c’était français et mathématiques au départ, le « fra » et le « ma », on a plutôt une culture de l’écrit, donc on produit beaucoup de textes. Quand on a fait le choix de promouvoir et d’essayer d’utiliser au maximum l’écriture inclusive, vraiment, il ne se passait pas 48 heures sans qu’on reçoive des commentaires, des mails, etc., des mails d’insultes.

Audrey Neveu : Ne t’inquiète pas. On en a eu aussi, on en a eu des beaux.

Pierre-Yves Gosset : Je perçois que, peut-être, on a usé ces personnes, peut-être que ce sont des personnes qui sont parties parce qu’elles ne supportaient pas de lire de l’écriture inclusive. Dans ce cas-là, j’ai envie dire que ce n’est pas forcément une perte très importante. En tout cas, j’espère que ces personnes trouveront des endroits où elles pourront continuer à apprendre et à partager. C’est effectivement le genre de chose qu’on essaie de mettre en place.

Agnès Crepet : Je crois qu’il faut qu’on arrête. Romain me fait des signes.

Audrey Neveu : En tout cas merci beaucoup à tous les deux d’être venus nous parler de vos initiatives. On va juste rappeler, avant de terminer, parce que c’est important : April et Framasoft, vous ne vivez que des dons, et des adhésions, adhésions et dons. Donc adhérez, donnez à ces deux associations hyper-cool dont on a besoin, intensément besoin. Merci d’être venus.

  1. Isabella n'aurait suivi que le lendemain l'excellent atelier d'écriture inclusive proposé à MiXiT par la collective [Revolution Inclusive->https://www.revolution-inclusive.com/fr/page-daccueil/]. Autrement, elle aurait parlé de « mot englobant » pour le terme « personne » et de « nom collectif » pour l'expression « le corps enseignant ». Les mots épicènes étant ceux qui ont la même forme au féminin et au masculin, comme par exemple « membre », « bénévole », « journaliste ».