Une tech plus inclusive est possible - Chloé Hermary - Trench Tech

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Titre : Sobriété numérique : Quels scénarios ?

Intervenants : Chloé Hermary - Fabienne Billat - Laurent Guérin - Cyrille Chaudoit - Mick Levy - Thibaut le Masne

Lieu : Trench Tech

Date : 10 mai 2023

Durée : 58 min 03

Podcast

Page de présentation du podcast

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : À prévoir

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Mick Levy : Aujourd’hui, on retourne à l’école finalement.

Cyrille Chaudoit : Non, je n’ai pas révisé !

Thibaut le Masne : C’est top. Vous allez voir Chloé est une fille extraordinaire. Elle est toute jeune, mais elle est brillante, évidemment, et puis avec Ada Tech School, elle vient de mettre un grand pavé dans la mare de cette formation.

Cyrille Chaudoit : C’est hyper impressionnant. Elle est jeune ! Avoir une telle vision sur les choses je pense que c’est hyper intéressant..

Mick Levy : Encore quelqu’un qui vient avec un sacré bagage en termes de vision, de convictions et qui arrive à les appliquer pour changer véritablement le monde finalement.

Thibaut le Masne : Et qui vient avec ce bagage dans notre studio et c’est quand même super.

Mick Levy : C’est vrai qu’elle est avec nous dans le studio.

Cyrille Chaudoit : C’est cool.

Voix off : Papa, ces académiciens frileux qui mesurent la poésie comme de la rayonne. Non, nous n’en voulons pas ici, chassons tous les ???. À présent, dans cette classe, vous apprendrez à penser par vous-même. Vous apprendrez à savourer les mots et le langage. Et puis de tout ce qu’on peut vous raconter, les mots et les idées peuvent changer le monde.

Voix off : Trench Tech. Esprits Critiques pour Tech Éthique.

Cyrille Chaudoit : Bienvenue dans Trench Tech, le podcast qui aiguise votre esprit critique sur les impacts de la tech dans notre société. Cyrille Chaudoit pour vous servir, toujours avec les incontournables Mick Lévy et Thibaut le Masne bien sûr. Bonjour Messieurs.

Mick Levy : Salut.

Thibaut le Masne : Salut.

Cyrille Chaudoit : Chloé Hermary, notre invitée, me fait penser au monsieur Keating de cet extrait du Cercle des poètes disparus, « Ô Capitaine ! Mon Capitaine ! ».
Comment briser les carcans, comment s’affranchir de la pensée unique et de tout conformisme imposé par quelques-uns à tous les autres. S’en libérer soi-même est déjà tout un chemin, mais aider les autres à s’en défaire c’est toute une quête.
Ça nous parle, évidemment, car nous avons aussi cela en commun avec Chloé et Keating chez Trench Tech. Cette volonté de transmettre le goût de penser et de faire par vous-même, car tout bon capitaine sait que ce qui compte ce n’est pas l’arrivée, c’est la quête, hein ! Hein !
La tech aussi c’est tout un poème. Songez seulement aux nuits d’été que certains nous préparent entre les lignes de leur code. IA, métavers et autres artefacts dont nous ignorons encore l’existence redessinent les contours de notre perception du monde. Alors poétisons ensemble avec Chloé Hermary en nous demandant d’abord si l’apprentissage du code est un facteur d’épanouissement personnel, puis si, à plus grande échelle, il peut devenir un levier politique avant de nous demander s’il peut même, à terme, tous nous réunir pour une tech plus éthique.
Dans cet épisode également, pour chercher l’inspiration, nous nous rafraîchirons avec le Patch Tech de Fabienne Billat et nous découvrirons un moment d’égarement de Laurent Guérin qui convoite, paraît-il un nouveau poste de plus en plus à la mode. Enfin, nous débrieferons juste entre vous et nous des idées clefs de cet épisode.
Puisque nous avons la chance d’avoir Chloé directement dans notre studio aujourd’hui, sans plus tarder bonjour Chloé.

Chloé Hermary : Bonjour tous les trois.

Mick Levy : Salut Chloé.

Thibaut le Masne : Salut Chloé.

Cyrille Chaudoit : Chloé, nous sommes vraiment ravis de t’accueillir. Tu fondes Ada Tech School en 2019, qui est modèle d’école informatique alternative, dont la mission est de favoriser plus de diversité et d’inclusion dans le secteur de la tech. Tu es une jeune entrepreneure puisque tu crées cette école un an après ton diplôme d’HEC en poche, félicitations !, en 2018, parce tu t’es passionnée très tôt pour les nouveaux modes d’apprentissage. Tu as notamment, je crois, commencé par développer une formation en développement logiciel en deux ans, inspirée de la pédagogie Montessori dont tu es assez fan. On y reviendra peut-être.
Ada Tech School, pour celles et ceux qui ne connaissent pas, celles et ceux d’ailleurs, c’est 70 % de femmes parmi ses élèves, félicitations. Depuis son lancement, d’ailleurs en pleine pandémie, rappelons-le, vous avez levé en 2021 plus de trois millions d’euros pour vous étendre dans toute la France afin de poursuivre cette mission est je cite « de former une nouvelle génération de talents diversifiés à construire une société plus durable et inclusive grâce au code » et ça, on aime, on valide chez Trench Tech, capitaine. Tout est bon ?

Chloé Hermary : Tout est bon.

Cyrille Chaudoit : Super. Alors tu es prête pour notre grand entretien. Commençons par voir ensemble si l’accès au code pour tous est un levier d’épanouissement personnel.

Voix off : Trench Tech. Esprits Critiques pour Tech Éthique.

Thibaut le Masne : Je pense donc je suis ou, du moins, je code donc je suis. On pense souvent que l’herbe est plus verte chez le voisin et, dans la tech, on se dit que si d’autres pays sont plus forts que nous c’est parce que chez eux, ils sont plus nombreux à avoir développé des compétences dans le numérique. Mais ce n'est pas forcément vrai. On a vu dans l’épisode de Luc Julia, sur la Silicon Valley, qu’ils nous présentaient comme un creuset de talents venus du monde entier qui nous permettait d’évoluer différemment. En revanche de façon plus certaine, lorsqu’on maîtrise mal l’outil informatique, on est de plus en plus exclu de la société et si on veut mieux comprendre le monde de demain, il vaut mieux savoir comment il est codé.
Alors Chloé, penses-tu, comme d’autres, qu’il faudrait que tout le monde sache coder pour mieux s’intégrer dans le monde de demain ?

Chloé Hermary : C’est une bonne question. Ma réponse c’est : je ne sais pas s’il faut s’arrêter au code ou s’il faut s’arrêter plutôt à la compréhension. Aujourd’hui, on est dans une société dans laquelle on a un téléphone à la main, on travaille essentiellement sur des ordinateurs, où, en fait la tech et le numérique est partout, il est dans nos vies, il est dans notre quotidien, il est dans notre vie personnelle et dans notre vie professionnelle.
À la question « est-ce que tout le monde devrait coder », je réponds non. Savoir coder c’est savoir écrire, c’est savoir produire les outils, et je pense que c’est à réserver, finalement, aux personnes qui doivent le faire. En revanche, et je pense que c’est quelque chose qu’on doit travailler, qu’on doit travailler massivement dans l’éducation, c’est de pouvoir donner les éléments de compréhension, l’esprit critique sur ces outils-là. On ne peut pas utiliser des outils, des applications, de manière éthique, de manière responsable, si on ne comprend pas les tenants et aboutissants. Ce qui me choque c’est que si vous demandez à des personnes si elles comprennent ce qu’est un ordinateur, si elles comprennent ce qu’est Internet, de vous décrire ce que c’est c’est …

Mick Levy : Ce n’est pas si simple, ça reste assez flou. Quel est le profil des personnes qui sont dans ton école. Quel est le profil des apprenants ?

Chloé Hermary : Pardon. À la question « est-ce que tout le monde doit coder ? ». Est-ce que tout le monde doit savoir coder ?, non. Est-ce que tout le monde doit pouvoir coder ?, oui. Donc quel est le profil des apprenants et des apprenantes ?

Thibaut le Masne : Ça me rappelle l’anglais.

Chloé Hermary : Everyone ou anyone ?

Thibaut le Masne : On ne dit pas ce qu’on veut, on dit ce qu’on peut ! C’est un peu la vision qu’ils nous donnent.

Chloé Hermary : Justement par rapport à l’anglais, c’est anyone ou everyone. Tout le monde ne va pas vouloir coder, mais n’importe qui devrait pouvoir.

Thibaut le Masne : Tu veux donner l’accès à ça à tous ceux qui auront de s’orienter vers ces carrières-là.

Chloé Hermary : Exactement.

Cyrille Chaudoit : C’est quoi ? C’est une question de bases ? C’est une question de fondamentaux à connaître, finalement ?

Chloé Hermary : Je pense que généralement et globalement on doit pouvoir avoir cette base de fondamentaux, cette base de compréhension. La tech devrait être comme la géographie et devrait être enseignée dès les petites classes pour ensuite pouvoir décider si on devient un expert dans ce domaine-là, si on est prêt à prendre ce pouvoir de la production, de la création, et pouvoir ensuite s’y engager.
Le problème de ça c’est qu’aujourd’hui, ces personnes qui ont le pouvoir de la production et de la création, déjà il y en très peu – c'est 0,03 % de personnes dans le monde qui savent véritablement coder, produire – et, en plus, quand on regarde également qui sait faire ça, aujourd’hui dans les équipes techniques en France, on a 10 % de ces producteurs ou créateurs qui sont des créatrices et des productrices, très, très peu de femmes. Au-delà de ça, finalement on a très peu de données sociales, raciales en France, et quand on regarde la photo des équipes, on voit aussi qu’il y a un très grand manque de diversité globale dans ces producteurs, ces créateurs ou ces créatrices.

Thibaut le Masne : Du coup quel est le profil des apprenants, quel est le profil des élèves qui viennent dans ton école ?

Chloé Hermary : Je vais donner encore une réponse de normande. On a des apprenants et des apprenantes, on a déjà 70 % femmes. On a des apprenants et des apprenantes qui ont entre 18 et 52 ans. On a, honnêtement, des personnes qui viennent de toutes les origines sociales, mais aussi académiques. On a un ancien moine, un ancien démineur, on a des anciennes directrices de crèche, des anciens photographes, etc. Bref ! En termes de profils, je ne peux pas répondre précisément à cette question, par contre, ce qui les rassemble c’est de vouloir avoir un métier stimulant intellectuellement, qui leur offre de la liberté, des opportunités de carrière et de développer ces nouvelles compétences, puisque beaucoup, 60 % d’entre eux, ont entre 25 et 35 ans, sont vraiment dans des processus de changement de carrière, reprendre le contrôle de cette vie professionnelle dans un environnement qui soit positif, épanouissant et créatif.

Thibaut le Masne : J’ai une question qui me brûle les lèvres depuis le début. Ton école est ouverte à tout le monde, donc que n’importe qui peut s’inscrire. Dans les statistiques c’est 70 % de femmes. Quelle est ta recette pour les attirer ?

Mick Levy : S’il y a des RH qui nous écoutent ça pourra peut-être aussi être appliqué dans les entreprises. Bonne question Thibaut.

Thibaut le Masne : Merci.

Chloé Hermary : Pour la petite anecdote, quand j’ai voulu créer Ada Tech School, un directeur d’une école d’informatique très connue m’a dit, je prenais des infos, je prenais des conseils de la part de mes pairs, de mes futurs pairs et il m’a dit « créer une école d’informatique à destination des femmes ! Vous recevez ma petite dame ! Ça n’existe pas ! Je fais le métier depuis longtemps.»

Mick Levy : Aucune femme ne peut faire ça.

Chloé Hermary : Aucune femme, c’est bien connu!
Ma perception des choses, et c’est pour cela que je dis réinventer l’éducation de A à Z pour construire une société plus durable et inclusive, je pense que l’éducation est le premier outil pour, justement, façonner cette société qui soit plus durable, plus inclusive, la penser par design plus durable et plus inclusive, ça a été justement la démarche d’Ada : penser l’offre de formation par design de manière plus inclusive.
Comment on arrive à avoir 70 % de femmes ? Ce n’est pas magique, c’est vraiment un travail de repenser la formation dans son sens large, comment on présente les métiers, comment on les raconte, comment on les représente. ; comment on recrute nos apprenants, comment on les forme, comment on travaille avec les entreprises, etc. Finalement ce jeu de reconstruction qui adresse un par un tous les freins sociaux qu’ont les femmes, notamment pour entrer dans la tech, au bout d’un moment c’est ça. On a commencé tout petit, on a commencé avec 10 apprenants, 7 apprenants sur les 10, 70 %! On en a 200 aujourd’hui, on a toujours 70 %. On ne fait pas de quotas. Je crois vraiment aux quotas.

Mick Levy : Qu’est-ce qui attire particulièrement les femmes ? Je reviens à la question de Thibaut : quelle est la recette ? Qu’est-ce qui attire particulièrement les femmes dans ton école pour qu’on arrive naturellement, by design tu sembles dire, à 70 % de femmes.

Chloé Hermary : Il y a deux éléments : il y a l’attraction et il y a la rétention, c’est ça, aujourd’hui, le problème de la féminisation et de la diversité dans la tech. C’est d’abord vraiment un problème de pipeline qui fuit dans tous les sens, qui est très faible en termes d’offre, mais il y a ensuite aussi qu’il se délite, puisque c’est 50 % de femmes qui quittent la tech dans les dix premières années de leur carrière, ce sont les statistiques trouvés par Accenture et l’association ??? [11 min 18]
Qu’est-ce qui fait qu’à Ada on fait ça ? D’abord le sujet de l’attractivité. C’est re-raconter ces métiers autrement. Le sujet de l’orientation est un sujet de représentation, de projection.

Cyrille Chaudoit : Avec les rôles notamment.

Chloé Hermary : Avec les rôles modèles, évidemment. Mais se dire je sais que ce métier est fait pour moi. En fait, on raconte une histoire du code qui est une histoire qui est différente, qui joue un peu aussi avec les constructions sociales : finalement se dire que le métier du code est un métier qui est créatif puisqu’on va résoudre des problèmes, proposer des solutions nouvelles, créer des produits qui répondent également à des usages et des besoins d’utilisateurs et utilisatrices de la vraie vie. C’est également un métier qui a du sens. Et puis, contrairement à ce qu’on pense et justement à cet imaginaire du geek qui est très seul dans sa cave à parler à personne, en fait dans la vraie vie, dans les entreprises, on code à plusieurs.

Cyrille Chaudoit : On collabore.

Chloé Hermary : C’est un métier social.

Thibaut le Masne : Si tu veux y trouver du sens, et que tu fasses des choses pour les autres, il faut bien évidemment que tu ailles vers les autres.

Chloé Hermary : Absolument.

Cyrille Chaudoit : Ça passe par la vie et la contribution avec les autres. On entend aussi cette logique, en tout cas cette ambition de travailler son employabilité, notamment avec ces personnes qui viennent chercher certes un sens, mais probablement aussi une carrière en reconversion. Cette idée que tu défends et que tu nous expliques depuis tout à l’heure qui est le code, en tout cas apprendre à coder, tout le monde devrait savoir ou pouvoir coder éventuellement pour pouvoir mieux s’approprier cette transformation de notre société, in fine, pourquoi est-ce que c’est obligé de passer par le code ? Pourquoi ne pourrait-on pas simplement accompagner les gens avec un peu de pédagogie sur les bons usages au-delà de rentrer vraiment dans le cœur de la machine ? On n'est pas tous mécanos de notre bagnole, par contre, on perçoit deux/trois usages, la comparaison est un peu triviale, je suis désolé.

Chloé Hermary : Je pense qu’elle est bonne. On n’est pas tous mécanos de notre bagnole, mais quand elle tombe en panne on est bien dans la merde sur le bord de la route. Il s’avère que c'est quand même vraiment plus pratique de comprendre comment les choses fonctionnent, ça ne veut pas dire que tout le monde doit comprendre, c’est pour ça que je dis cela, tout le monde ne doit pas comprendre comment les choses fonctionnent. En revanche, il y a aussi de vrais enjeux, pour certains et pour certaines, de joie de comprendre ce qui se passe derrière cette boîte noire qu’on utilise tous les jours, de découvrir, de pouvoir avoir des actions, de pouvoir corriger également justement ; quand ils tombent en panne sur le bord de la route, les gens ont envie de pouvoir résoudre leur problème. Du coup c’est le même sujet. Finalement, je pense que c'est aussi pouvoir avoir cette joie. C’est marrant parce que c’est souvent un exemple qui revient de nos apprenants et de nos apprenantes, ils disent « quand on avait des pannes de wifi dans la maison c’est moi qui allais bidouiller le truc parce que je trouvais ça insupportable et je trouvais ça trop fun. »

Cyrille Chaudoit : Il y a quand même ce petit côté geek finalement.

Chloé Hermary : Vous savez que les personnes qui nous racontent ça ont été orientés dans des études de communication parce que c’était notamment des femmes.

Cyrille Chaudoit : Et voilà ! D’ailleurs peut-être qu’on peut repréciser à ce stade. On a cité Ada Tech School depuis tout à l’heure : Pour celles et ceux qui nous écoutent et qui ne savent pas à qui fait référence Ada, ce n'est pas le loeur de bagnoles, on est d’accord, ni le chanteur Adamo ! C’est donc ?

Chloé Hermary : Ada Lovelace, comtesse Ada Lovelace qui était une mathématicienne de la fin du 18e siècle, qui a inventé le premier algorithme de l’histoire. À l’époque, il n’y avait évidemment pas d’ordinateur, c’était avec une petite machine avec des actes. Ada a cré, en fait, la première suite logique de calcul, qui a donc été, finalement, le premier algorithme de l’histoire. Elle est considérée comme la mère des développeurs ou des développeuses. Elle a été, comme beaucoup de femmes scientifiques, un petit peu oubliée. L’idée c’est de rappeler qu’il y a des grands noms de femmes qui ont marqué l’histoire de l’informatique.

Cyrille Chaudoit : Pour la petite anecdote qui était, je crois, la nièce, en tout cas de la famille de Lord Byron, le poète du Cercle de poètes disparus. La boucle est bouclée.

Thibaut le Masne : La boucle est bouclée et c’est le moment de se rafraîchir avec une petite chronique de Fabienne Billard. C’est le Patch Tech.

15’ 32

Le Patch Tech

Thibaut le Masne : Aujourd’hui, Fabienne, tu reviens sur l’immanquable ChatGPT. Est-ce que tu peux nous dire s’il s’agit bien d’une technologie révolutionnaire ?

Fabienne Billat : Du point de vue technologique pas réellement, car l’intelligence artificielle ce n’est pas nouveau et la communauté scientifique travaille sur ces modèles depuis quelques années. Dès 2018, Google possédait la technologie, mais le projet a été stoppé par peur des répercussions légales. Cependant, le reste de l’équipe a continué de travailler à ce qui donnera naissance à Bard.
Dans cette bataille aux côtés de Microsoft. Google, Amazon, c’est OpenAI le premier à avoir lancé son chatbot. « On a scrapé tout le Web. Après nous avoir laissé remplir Internet durant des années, l’intelligence artificielle est en train de nous restituer toute notre connaissance sous forme de dialogue interactif », observe Cathy Breme. Mais ce qui est fou avec ce chatbot c’est la vitesse de son déploiement, l’accessibilité de l’interface : la tech disparaît, l’expérience est sans couture.
Le chatbot d’OpenAI ce sont 100 millions d’utilisateurs actifs atteints en deux mois, en grillant au poteau TikTok et Bing. ChatGPT attire plus de 100 millions d’utilisateurs par jour en proposant un copilote pour les pros du marketing. Mentionnons rapidement Meta ouvert aux chercheurs avec LlaMA.
Ces chatbots conversationnels ont pour objectif de capturer la sémantique des mots, des phrases, des documents. Il n’y a rien de plus qu’un calcul, qu’une prédiction, les plus fortes probabilités des mots à dérouler et là, ils excellent. Ils rédigent des phrases, effectuent des synthèses, sont parfaits pour des traductions. Soulignons que dans le corpus de données, se trouvent 46 % de contenus en anglais et moins de 5 % en français. Vigilance aussi sur la confidentialité : 3 % d’informations top secret ont été injectés.

ChatGPT connaît beaucoup de sujets, mais peu en profondeur. D’ailleurs, il ne se préoccupe pas le moins du monde de la vérité de ses réponses. Cette intelligence artificielle ne raisonne certes pas, mais elle est en apprentissage constant. Selon le chercheur Philippe Mérieu, le danger de ChatGPT se trouve dans le rapport aux connaissances qu’il promeut plus que dans la fraude.

Néanmoins, ChatGPT est limité puisqu’il s’appuie sur une base de connaissances qui n’a pas été mise à jour depuis septembre 2021. La sortie de ChatGPT-4 fait la promesse d’être 500 fois plus puissant et plus rapide. Il est capable d’améliorer ses performances de 30 % en utilisant un processus d’auto-réflexion consistant à demander au modèle d’apprendre de ses erreurs.

Thibaut le Masne : Quels sont les métiers que l’intelligence artificielle pourrait bouleverser ?

Fabienne Billat : Goldman Sachs prévoit 300 millions d’emplois menacés ; citons le secteur bancaire et financier, le consulting, les avocats. L’examen d’admission américain est passé avec 90 % de succès.
Dans le secteur de la santé, ChatGPT a obtenu un score impressionnant de 52 à 75 % aux tests de connaissance.
Les hackers, mais aussi deux tiers des codeurs, l’utilisent.
Lors d’une compétition sur un test de science comportant plus de 21 000 questions, l’intelligence artificielle d’Amazon a obtenu un score de 91,68 %, battant les humains.
Une autre a rédigé ses premiers articles pour un grand groupe de presse britannique et là, 200 postes ont été supprimés.
En regard, d’autres grands médias critiquent OpenAI pour avoir utilisé leurs articles afin d’entraîner ChatGPT sans autorisation ni compensation financière. À ce sujet, faudra-t-il repenser les droits d’auteur ou alors, ce chatbot sera-t-il le meilleur moyen de ne pas avoir de comptes à rendre sur l’utilisation de données en ne précisant leur origine ? D’autant qu’ils peuvent désormais citer les sources, probables mais non exactes.
Nous sommes sur une autre conception de la connaissance comme l’observe le philosophe Gaspard Koenig. Je pense que la multitude d’apports d’images et de textes amplifiera la dilution et la notion de propriété. Les Américains sont en réflexion. L’équivalent de l’INPI demande aux auteurs qui veulent faire enregistrer leur propriété intellectuelle sur une œuvre de déclarer des éléments intégrés et générés par une intelligence artificielle.

Thibaut le Masne : OK. L’emballement est avéré, mais quid des coûts.

Fabienne Billat : Plus rarement évoquées ce sont les dépenses. La facture est salée pour ChatGPT et les chiffres diffèrent. Mais, pour Forrester, le traitement des requêtes soumises a pu coûter jusqu’à 40 millions de dollars en janvier. Et l’intégration de l’intelligence artificielle aux moteurs de recherche coûterait 10 fois plus cher.
En matière d’énergie, ChatGPT et consorts sont extrêmement gourmands et infligent une empreinte environnementale conséquente. L’apprentissage d’un simple modèle d’IA pourrait consommer l’équivalent de 100 foyers américains sur un an.

Après cette overview, je vous laisse sur cette réflexion de Georges Braque : « Écrire n’est pas décrire, peindre n’est pas dépeindre ». Alors, à votre avis, me suis-je reposée sur ChatGPT pour écrire cette chronique ?

Voix off : Trench Tech. Esprits Critiques pour Tech Éthique.

20’ 42

Cyrille Chaudoit : Startup Nation