« IA et transition écologique : les liaisons dangereuses - Guillaume Pitron » : différence entre les versions

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<b>Sky : </b>Est-ce que plus c’est vert,
<b>Sky : </b>Est-ce que plus c’est vert, c’est-à-dire moins ça produit de carbone, plus, en fait, c’est sale ?
 
<b>Guillaume Pitron : </b>En fait, plus c’est vert, donc plus c’est zéro émissions, plus, paradoxalement, il faut de métaux. Aujourd’hui, on considère qu’une voiture électrique c’est évidemment moins d’émission de CO<sub>2</sub> que lorsqu’on roule en voiture thermique, surtout en France, c’est moins vrai quand vous êtes en Chine, parce que, en Chine, une voiture électrique est rechargée à l’électricité qui a été produite à base de charbon et de pétrole, c’est malheureusement le mix électrique chinois ; pour autant, ça reste un gain, en termes d’émissions de CO<sub>2</sub>, par rapport à la voiture thermique, mais ce n’est pas idéal. En tout cas, disons globalement que la voiture électrique c’est mieux que la voiture thermique en termes d’émissions de CO<sub>2</sub>. Mais une voiture électrique, et c’est un chiffre de l’Agence internationale de l’énergie, nécessite, pendant l’ensemble de son cycle de vie et, évidemment, pour sa fabrication, surtout, six fois plus de ressources que la voiture thermique. Vous avez donc un coût matières, matériaux et métaux qui est plus élevé pour une voiture électrique que pour une voiture thermique. Vous gagnez d’un côté, vous êtes moins sale parce que moins d’émissions de CO<sub>2</sub>, mais vous perdez de l’autre parce que vous avez besoin de plus de métaux par rapport à l’homologue thermique.
 
<b>Sky : </b>Il n’y a pas des puces à base de cellulose, ou d’autres technologies, qui permettraient de baisser notre impact, notre pression sur le biotope ?
 
<b>Guillaume Pitron : </b>Des puces, je ne sais pas, mais des batteries oui. Donc tout l’enjeu, aujourd’hui, c’est une course de vitesse puisque la technologie dit, notamment les chimistes, qu’on est au-devant et nous accompagnons une révolution de la chimie parce que les voitures électriques sont faites aujourd’hui avec des batteries nickel/manganèse/cobalt, avec un coût matière important, un coût énergétique et un coût écologique, mais on développe de nouvelles technologies de stockage, notamment la grande technologie qui, aujourd’hui, fait rêver les Chinois et va peut-être faire rêver les Européens, c’est la technologie LFP, lithium-fer-phosphate, et d’autres technologies dont on peut reparler.<br/>
Le LFP, c’est l’idée qu’on va se passer du nickel et du cobalt et qu’on va substituer certains matériaux qui sont plus rares que d’autres, plus dilués dans l’écorce terrestre, plus compliqués à extraire, avec un coût écologique plus élevé, par d’autres matériaux plus abondants, typiquement le fer qui est plutôt très abondant, ce qui va permettre un coût écologie de la voiture électrique, de la batterie, qui va être moindre. Donc, il y a une course de vitesse.
 
<b>Sky : </b>Dans quelles proportions ? Est-ce quantifiable ? Est-ce que c’est « moindre » pour dire « cosmétique » ou est-ce réellement moindre et ça va permettre de diminuer notre impact ?
 
<b>Guillaume Pitron : </b>C’est très compliqué comme question. Oui c’est quantifiable, et là je suis obligé de citer Stephen Hawking, « L’avenir est une course entre la puissance croissante de nos technologies et la sagesse avec laquelle on va être capable de les utiliser ». En gros, je peux toujours faire des batteries plus efficientes, l’avenir est à des batteries toujours plus efficientes et c’est une très bonne nouvelle. Pour autant, immédiatement émerge ce qu’on appelle un effet rebond : puisque je pollue moins par kilomètre émis, puisque c’est moins cher, puisque, comme j’ai regardé une publicité à 19 heures 55 sur une grande chaîne qui m’a gavé de ma voiture propre, zéro émission, responsable, durable, tout ce que vous voulez, du coup je vais pouvoir rouler encore un peu plus, puisque j’ai l’illusion – je ne parle pas d’une illusion –, de ne pas polluer, alors qu’évidemment on pollue, simplement on ne pollue pas quand on roule : quelqu’un doit polluer chez lui chez lui pour qu’on puisse être responsable envers les générations futures, être propre et dire « il y a zéro émission chez nous » ; puisque j’ai cette illusion-là, en fait je vais surconsommer. L’effet rebond, c’est l’effet boomerang de l’amélioration technologique. Je m’améliore technologiquement, mais, du coup, mes voitures électriques sont plus lourdes, je vais davantage les utiliser.<br/>
On arrive à un effet rebond où, concrètement, je boucle sur cette idée, je ne suis pas complètement certain – et ça vaut pour le numérique et c’est là que c’est schizophrène – que l’amélioration technologique et la rapidité de l’amélioration technologique en termes de gains matière, d’efficience CO<sub>2</sub> aussi rapide que l’explosion des nouveaux modes de consommation que cela génère.<br/>
C’est là, pour répondre votre question, que tout cela est complément schizophrène et c’est là que le numérique est schizophrène : le numérique promet une dématérialisation là où, en fait, il re-matérialise pour partie et c’est là que le numérique génère un surplus de consommation, cf. ChatGPT. Jusqu’à maintenant, j’allais sur Google pour faire une recherche et, maintenant, je pose la question à ChatGPT avec un coût, en terme environnemental, qui est plus élevé sur ChatGPT pour une recherche.
 
<b>Sky : </b>Ça a été quantifié par qui ? Quelle est la source ?
 
<b>Guillaume Pitron : </b>Ça a été quantifié, j’ai juste immédiatement le trou du rapport que j’ai regardé cinq minutes avant d’arriver sur ce plateau, qui quantifie l’impact environnemental de ChatGPT, on l’évoquera à nouveau. ChatGPT c’est phase d’entraînement, phase d’inférence c’est-à-dire d’utilisation, on parle du 3, tout cela a été calculé, on sait que c’est, en gros, des centaines ou des milliers de tonnes, je peux vous citer les chiffres très précisément si vous voulez, d’émissions de CO<sub>2</sub> pour la phase d’inférence, la phase d’entraînement et la phase d’utilisation, et ChatGPT 4 est encore plus élevé que cela. En gros, c’est moins bien d’aller sur ChatGPT si vous êtes soucieux de l’environnement que faire une recherche sur Google. C’est un effet rebond permanent qui fait je ne suis pas sûr que les gains ne soient pas contrebalancés par les pertes dues à mes consommations aggravées de ces matériaux par ces outils.
 
<b>Sky : </b>Le fait d’aller sur ChatGPT, les gens font ce qu’ils veulent, mais il y a quand même cette pression sur le biotope. Ce type de boîte, ce type d’entreprise, travaille pour diminuer sa consommation énergétique. Avez-vous suivi cela ?
 
<b>Guillaume Pitron : </b>Le rapport c’est Data for Good. Data for Good est un rapport qui a été publié, je ne sais plus exactement la date ; pour être vraiment auprès de ceux qui nous écoutent et nous regardent, les chiffres sont très précisément évoqués : 552 tonnes d’émissions de CO<sub>2</sub> équivalent pour la phase d’entraînement et 220 fois plus pour la phase d’utilisation de ChatGPT 3. On ne connaît pas les coûts de ChatGPT 4, parce que OpenAI ne communique pas sur ces coûts, mails ils seraient au moins 10 fois supérieurs, sinon 100 fois supérieurs.<br/>
Face à cela, que font les entreprises ? Évidemment qu’elles ont conscience de ces sujets-là et, pour elles, ça devient un vrai sujet parce que, d’abord, pour commencer, c’est un coût énergétique, donc on va éviter de dépenser plus d’énergie, donc de payer plus à la fin du mois : si j’ai un numérique plus sobre, il est moins énergivore, du coup je vais faire des économies. C’est un coût réputationnel. On commence à comprendre ces impacts-là, le public commence à percevoir la réalité de ces impacts écologiques-là, notamment en France, on est assez en avance en France. Je ne dis pas cela parce que nous sommes Français, mais parce que les Français, les Allemands et les Scandinaves ont une perception beaucoup plus fine et claire des impacts environnementaux du numérique. Je reviens des États-Unis, ils sont largués ! Déjà qu’aux États-Unis on n’est pas sûr que le climat se réchauffe, parce que, malheureusement, pour une partie d’entre eux, c’est tristement la réalité, quant à leur dire qu’un e-mail pollue, c’est vertigineux comme démonstration.<br/>
En France, on est quand même plus avancés sur ces sujets-là, donc les entreprises sont conscientes de ces enjeux-là, sont conscientes que, demain, ça va être un enjeu réputationnel pour elles, notamment pour les grandes entreprises de centres de stockage de données et puis c’est un enjeu aussi de ressources humaines : vous voulez embaucher des jeunes de la génération Greta, qui ont une conscience écologique plus affinée que celle de la génération précédente – je sens que vous allez me relancer là-dessus – vous avez envie d’avoir une communication des actions qui soit cohérente avec les valeurs de cette génération-là. Il faut donc pouvoir avoir une politique de réduction des impacts. Donc, lorsque vous êtes dans les entreprises de la tech, vous allez avoir tout un discours qui, clairement, est aussi et largement empreint de <em>green washing</em> total, aussi mais pas que, qui consiste effectivement à dire qu’on va baisser les impacts du numérique. Et ça passe par toutes sortes de réorganisation de l’architecture de votre centre de stockage de données et ça passe, Sky, par le fait de déplacer le <em>cloud</em> dans le Grand Nord.<br/>
On a dit, tout à l’heure, que le <em>cloud</em> c’est de la consommation d’électricité, ça veut dire que vous allez devoir le refroidir. Pour refroidir les serveurs à 20/25/27 degrés, on utilise des systèmes de climatisation énergivores. Mais si je déplace mes vidéos de chats, mes e-mails, mes likes, mes photos de vacances dans le Grand Nord européen, si je les déplace en Laponie là où il fait naturellement froid, là où il y a du froid gratuit, du <em>free cooling</em>, je simplifie, que j’ouvre la porte de mon centre de stockage de données et je laisse le blizzard à moins 40 degrés rentrer et rafraîchir naturellement mes vidéos de chats, en fait, la clim est naturelle, je fais du froid gratuit, je profite du froid gratuit.
 
<b>Sky : </b>Pour chauffer l’extérieur.
 
<b>Guillaume Pitron : </b>Peut-être que je chauffe l’extérieur, en tout cas, sans consommation d’électricité je refroidis mes données, mon <em>cloud</em>, le nuage, du coup je gagne, il y a ici un gain écologique qui peut être réel.
 
<b>Sky : </b>Il y a aussi un gain monétaire.
 
<b>Guillaume Pitron : </b>Il y a un gain monétaire, évidemment, puisque vous avez moins besoin d’électricité.
 
<b>Sky : </b>Question internet : est-ce que Guillaume s’est intéressé aux questions de calcul haute performance pour les <em>datacenters</em> à température cryogénique. ?
 
<b>Guillaume Pitron : </b>Je ne vais pas rentrer là-dedans et je ne sais pas comment on stockerait les données à une telle température. En tout cas, ce qui est sûr c’est qu’on fait des calculs de performance, on connaît un ratio, dans l’industrie des centres de données, qui s’appelle le PUE, <em>Power Unit Efficiency</em>, qui consiste à calculer la performance énergétique du stockage d’une quantité x de données. Les centres de stockage de données courent après ce type de PUE qui était très élevé il y a les quelques années, qui baisse progressivement, on atteint 1,3/1,2, qui montre les efforts qu’ils font pour, finalement, maximiser l’utilisation d’électricité proportionnellement à la quantité de données consommée. Mais, encore une fois, on va consommer toujours plus de données.
 
<b>Sky : </b>On va revenir là-dessus. Juste une question : vous êtes-vous intéressé aux <em>datacenters</em> dans les pays producteurs de gaz ? Pas du tout ?
 
<b>Guillaume Pitron : </b>Pays producteurs de gaz, je pense au Qatar.
 
<b>Sky : </b>À l’Algérie.
 
<b>Guillaume Pitron : </b>Je ne me suis pas spécialement intéressé aux centres de stockage de données en Algérie. J’ai regardé ça à côté marocain, pour tout vous dire. Après je me suis intéressé aux <em>datacenters</em> dans les pays où l’électricité provient du charbon.<br/>
En fait, vous avez un grand hub de stockage de données qui se trouve aux États-Unis, au sud de Washington, donc sur la côte est américaine, dans une ville qui s’appelle Auburn. Pour des raisons historiques qu’on peut expliquer, Auburn s’est muée ces dernières années, même ces dernières décennies, en Silicon Valley des centres de stockage de données, parce que l’électricité n’est pas chère, parce qu’elle est abondante, parce que le foncier est lui-même accessible. Auburn est devenue ce qu’on appelle une cité nuage, <em>a cloud city</em>. En fait, c’est un rassemblement physique de tas d’industriels, parce que je les considère comme des industriels, du stockage de données – Amazon Web Services, Microsoft Azure pour ne citer qu’eux – qui se rassemblent dans cette ville-là. Or, une partie de l’électricité qui est fournie par les fournisseurs d’électricité locaux à ces industriels est une électricité qui provient du charbon des Appalaches. Les Appalaches, c’est une chaîne de montagnes qui descend, file vers le sud des États-Unis depuis le sud du Canada, à 700 km dans les terres. Il faut donc se rendre dans les mines de charbon où on fait péter de la dynamite sur les sommets des montagnes, pour en récupérer le charbon qui, lui-même, sert ensuite pour partie, dans le mix, dans le bouquet électrique de la production d’électricité américaine, qui, elle-même, termine pour les systèmes de refroidissement des centres de stockage de données de cette ville, qui est l’une des plus grandes villes de stockage de données de la planète. Là, on prend conscience du lien entre l’immatériel qui est ma vidéo de chats stockée sur un serveur et la réalité qui est que tout cela réchauffe la planète, puisque le charbon a été préalablement brûlé pour produire l’électricité du stockage de données.
 
<b>Sky : </b>Question Internet : il est maintenant possible de faire tourner des IA sur des équipements personnels à des coûts abordables. Un GPU avec 12 gigas de NVRAM, 300 euros, donne de bons résultats. Va-t-on avoir une explosion d’acquisition de matériel HW personnels plutôt que centralisé dans des <em>datacenters</em> à la CHATGPT ?
 
<b>Guillaume Pitron : </b>C’est une question de DSI, de directeur des services informatiques ou d’informaticiens, je précise que j’ai fait un bac L, donc, là, je vais pas être capable de répondre.
 
<b>Sky : </b>Journaliste, c’est ça ?
 
<b>Guillaume Pitron : </b>Je suis journaliste et je fouille extrêmement les faits, mais je ne suis pas rentré dans ce détail précis.<br/>
Ce que je peux répondre à votre question c’est que nous sommes avec une technologie, nous sommes en possession d’une technologie qui se démocratise. Aujourd’hui, combien avons-nous d’écrans et comparons ce nombre d’écrans au nombre d’écrans dont nous disposions il y a encore quelques années de cela. Et nous allons toujours davantage vers ce type d’évolution-là. Mon Google Drive a une capacité de stockage qui n’a rien à voir avec celle qui m’était offerte par Google Drive il y a encore cinq ou dix ans. Je ne répondrai pas à votre question qui est extrêmement pointue, je n’ai pas la réponse, je ne sais pas. Mais pour vous dire qu’il est logique que nous allions vers davantage d’acquisition de ces technologies-là à titre personnel et, peut-être, des systèmes qui soient aussi plus décentralisés
 
<b>Sky : </b>Là c’est une question très importante, d’ailleurs qui va nous faire rebondir sur tout un tas de sujets de cette interview. Question pour l’invité : « Bonsoir. J’ai été créateur de contenu pour une entreprise internationale spécialisée dans l’intelligence artificielle. Je me suis rendu compte que les clients de la boîte en question n’étaient pas du genre vertueux – entre parenthèses une liste de boîtes longue comme le bras – jusqu’à des agences de surveillance des frontières. J’ai l’impression d’avoir nourri un monstre au-delà du coût écologique d’une société technologique à l’extrême. Pensez-vous que l’IA sert majoritairement les intérêts d’entreprises ou d’États très éloignés du bien commun ? ». Je la repose : j’ai l’impression d’avoir nourri un monstre. Au-delà du coût écologique d’une société « technologisée » à l’extrême, pensez-vous que l’intelligence artificielle sert majoritairement des intérêts d’entreprises ou d’États très éloignés du bien commun ?
 
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<b>Guillaume Pitron : </b>Vous posez une question

Version du 2 septembre 2024 à 09:11


Titre : IA et transition écologique : les liaisons dangereuses ?

Intervenants : Guillaume Pitron

Lieu : Chaine Thinkerview

Date : 12 juin 2024

Durée : 1 h 48 min 54

Vidéo

Présentation de l'épisode

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : À prévoir

NB : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·es mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Sky : Guillaume Pitron, bonsoir.

Guillaume Pitron : Bonsoir.

Sky : Nous vous recevons pour une chaîne internet qui s’appelle Thinkerview. Nous sommes en direct. Est-ce que vous pouvez vous présenter succinctement ?

Guillaume Pitron : Je m’appelle Guillaume Pitron. Je suis journaliste, je suis réalisateur de documentaires, je suis chercheur associé à l’IRIS, l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques. Je suis également l’auteur de plusieurs livres, un premier pour lequel vous m’aviez reçu il y a quelques années de cela La guerre des métaux rares : La face cachée de la transition énergétique et numérique, aux éditions Les Liens Qui Libèrent et, plus récemment, auteur d’un autre livre L’enfer numérique Voyage au bout d’un like.

Sky : Ce soir, on va parler transition écologique, coûts en termes énergétiques, coûts en termes de consommation de matières, de métaux, des répercussions que ça peut avoir sur nos sociétés, sur l’écologie, la planète, quelles sont les préconisations, les perspectives et les possibilités et les liaisons dangereuses que ça peut avoir sur une société. Par quoi commence-t-on, Guillaume ? On commence par l’intelligence artificielle ? Allez, open bar.

Guillaume Pitron : Puisque vous me donnez la parole et que j’ai open bar, comme vous dites, lorsque vous m’avez reçu la fois dernière, c’était en 2019, on avait parlé de métaux pour la transition énergétique. On avait évoqué le coût matériel de réaliser une transition vers le monde bas carbone. Or, le monde bas carbone est un monde aux métaux, c’est-à-dire qu’il va falloir plus de métaux et plus de minerais pour pouvoir fabriquer les technologies vertes grâce auxquelles nous allons aller vers un monde bas carbone. Je m’explique.
Les éoliennes, les panneaux solaires, les voitures électriques, les batteries des véhicules électriques, tout cela c’est de la matière, je parle de la partie transition énergétique. C’est du cuivre, c’est du nickel, c’est du graphite qui est un minerai important pour les batteries, ce sont des terres rares pour les moteurs de la plupart des véhicules électriques, c’est de l’aluminium, c’est du fer, c’est du phosphate pour les batteries d’aujourd’hui et de demain. Il y a un coût matériel à cela, un coût matériaux que l’on n’avait pas vu venir jusqu’à maintenant. À telle enseigne que des études ont été produites, ces dernières années, notamment une étude de l’OCDE, qui est très intéressante, qui nous dit que nos besoins tous confondus en matières premières, seront deux fois et demie plus élevés, en 2060, que les besoins de l’humanité en 2011.

Sky : Concrètement, ça représente quoi ?

Guillaume Pitron : Ça veut dire que nous allons consommer deux fois et demie plus de ressources alimentaires, deux fois et demie plus de métaux et de minerais notamment, et la transition énergétique, qui est une transition du pétrole vers les matières premières minérales et métalliques, est une transition qui accélère cette consommation de métaux et de minéraux. La transition énergétique est une transition qui, d’un, côté est une bonne nouvelle puisque nous allons y mettre moins de CO2, et on souhaite tous la transition énergétique, et de l’autre côté, en fait, je reprends d’une main ce que j’ai donné de l’autre, parce qu’il va bien falloir aller chercher ces métaux quelque part, avec un coût absolument colossal.
Je vous avais laissé en 2019 avec un chiffre qui est toujours d’actualité, qui est que pour tous nos besoins le BTP, la défense, mais aussi la transition énergétique, l’humanité va consommer dans les 30 prochaines années plus de métaux et minéraux que tout ce qu’elle a consommé depuis 70 000 ans. Et dans le même temps, ces dernières années, on a vu surgir dans le débat, dans le discours public, des mots fascinants : dématérialisation, cloud, « je vais mettre ma fiche de paye dans le cloud », virtualisation, avatar. Que des mots qui, au contraire, laissent à penser que, parce que nous déployons des technologies numériques et l’intelligence artificielle, l’âge est à la disparition du matériel, puisque tout cela est, quelque part, dans un monde éthéré, qu’on appelle le cloud et cela participe de la dématérialisation.
Je suis allé voir mon éditeur, aux Liens Qui Libèrent, et je lui ai dit « il y a quand même un paradoxe entre la réalité d’un monde toujours plus matériel – on va être dans un monde peut-être plus bas carbone, ce que je souhaite, mais plus haut métaux et haut minéraux et peut-être d’autres matières –, et les mots qui viennent accompagner nos diverses transitions actuelles, qui sont des mots qui laissent à penser que nous allons dématérialiser. Et si l’on s’attaquait à ce paradoxe de la dématérialisation ? Y a-t-il réellement une dématérialisation qui est un discours très agréable, on a tous envie d’entendre parler de dématérialisation, parce que c’est cette promesse que nous allons pouvoir continuer à croître tout en ayant un impact moindre sur la planète, donc faire entrer des ronds dans des carrés. C’est-à-dire, finalement, faire de la croissance verte, de la croissance dématérialisée. Et si on s’attaquait ce paradoxe-là ?

Sky : Qu’avez-vous découvert en cherchant, en creusant, en vous déplaçant sur ce paradoxe ?

Guillaume Pitron : « En me déplaçant sur ce paradoxe », c’est très beau, parce qu’il faut se déplacer. D’abord je suis parti d’un like, mais ça pourrait être une photo de vacances, un e-mail, un SMS. Là, Sky, vous êtes derrière une caméra, à 2,50 mètres de moi, à supposer que vous receviez un SMS pour vous dire « j’arrive, tout va bien, merci », où va ce like, où va ce SMS, où va cette donnée ?

Sky : Par où ça passe ?

Guillaume Pitron : En fait, où va la donnée, littéralement ? Elle va à votre téléphone, ça c’est sûr, mais par où passe-t-elle ? Est-ce que, littéralement, elle traverse cette pièce ou est-ce qu’elle passe par un autre chemin, un itinéraire bis ? En l’occurrence, l’itinéraire bis, c’est le véritable trajet de cette donnée, puisque cette donnée va d’abord rejoindre une antenne 4G qui se trouve, peut-être, sur le toit de cet immeuble, elle va redescendre, ensuite, via la fibre optique, dans les parties communes, sous le trottoir de la ville dans laquelle nous nous trouvons, à 80 cm de profondeur sous le trottoir, dans la fibre optique, mais aussi des câbles en cuivre qui vont progressivement disparaître mais qui sont encore existants. Cette donnée va rejoindre d’autres données, une espèce de boîte à likes que sont les locaux techniques de l’opérateur et puis ce like, cette donnée, va aller jusqu’à l’océan Atlantique, la côte Atlantique française, la Vendée, Bordeaux ou peut-être plus au nord, vers Brest, et elle va traverser l’océan Atlantique parce que cette donnée a été probablement produite sur un réseau social américain type, par exemple, WhatsApp ou un autre réseau social. Elle va traverser l’océan Atlantique dans des câbles sous-marins, elle va arriver dans les centres de stockage de données qui se trouvent éparpillés sur le territoire américain, notamment sur la côte Est américaine, on pourra y revenir, et, une fois arrivée sur place, elle va être démultipliée en plusieurs centres de données parce que, si jamais un centre de données tombe en panne, on veut pouvoir quand même disposer de la donnée en temps réel.

Sky : Tu as oublié un passage : quand la donnée arrive aux États-Unis, elle passe dans les mains et les oreilles de quelques mouchards.

Guillaume Pitron : Je ne suis pas trop rentré dedans, mais je pourrai parler, tout à l’heure, si vous le voulez, de tout l’impact de la surveillance, le coût écologique de la surveillance de masse, parce qu’on a des chiffres, notamment via un centre de données de la NSA qui se trouve dans l’état de l’Utah.
Toujours est-il que cette donnée est répliquée dans plusieurs centres de données, on redonde les infrastructures, pour les sécuriser, pour sécuriser nos vies connectées en temps réel, et la donnée va repartir en sens inverse à travers l’océan Atlantique, retraverser la Vendée, les côtes de Vendée, arriver jusqu’à votre téléphone.
Donc la distance entre vous, Sky, et moi, ce n’est pas 2,50 mètres, la distance c’est 10 000 kilomètre ; entre vous et moi, la distance actuelle est de 10 000 kilomètres. On ne s’en rend pas compte parce que la donnée voyage à la vitesse de la lumière, ou quasi la vitesse de la lumière, 200 000 km/seconde, c’est la vitesse de la transmission de l’information dans les câbles optiques. La donnée va arriver à votre téléphone dans la seconde parce qu’elle voyage très rapidement et, pour autant, on ignore la réalité matérielle du voyage de cette donnée, ce fameux voyage d’un like et on ignore toute l’infrastructure qui se trame derrière tout cela pour vivre des vies censément dématérialisées.
Et si on enquêtait pendant quelques années le long de cette route ? Si on suivait littéralement point par point le voyage du like. J’adore les matières premières, je fais ce métier de journaliste depuis 15 ans, 17 ans et j’adore suivre les matières premières, le pétrole, la route d’une tomate, d’une terre rare, mais j’adore aussi suivre la route des migrants, ce sont, concrètement, des hommes, des femmes, c’est très physique, c’est très concret, que l’on suit à travers l’Afrique jusqu’aux rivages européens et quelquefois, d’ailleurs, beaucoup de migrants restent en Afrique.
J’utilise ce paradoxe, cette explication-là, pour vous dire qu’on peut aussi suivre la route d’une donnée, de quelque chose qui paraît aussi immatériel, aussi impalpable, aussi irréel, aussi intangible qu’un like. En fait, c’est très tangible, c’est très matériel, c’est très concret.
Donc, en remontant la route de cette donnée, de toutes ces données, on touche à l’infrastructure internet. L’infrastructure internet, dit Greenpeace, est en passe de devenir l’une des choses les plus immenses, les plus vastes, que l’homme n’a jamais construite pour vivre nos vies connectées. C’est une infrastructure qui est souterraine, qui est sous-marine, qui est extra-atmosphérique, on ne l’appelle pas forcément suprastructure, on l’appelle infra, elle est sous nous, on ne la voit pas. Et pourtant c’est grâce à cela que nos vies sont connectées et il y a un coût matériel à cet immatériel ; notre monde dématérialisé est un monde, finalement, qui est très matériel. C’est donc tout ce paradoxe que j’essaie de toucher.

Sky : On essaiera, durant cet entretien, de parler aussi des risques géopolitiques de cette infrastructure, en termes de géopolitique des câbles, en termes de dissuasion nucléaire nord-coréenne, qui veut faire péter tous les satellites avec ionisation par armes nucléaires et d’autres petits détails que nos politiques ont l’air de sous-estimer. On voit que, concrètement, ils n’ont pas l’air très au fait de la situation.
Quand vous avez découvert le coût énergétique, le coût matériel de ces data, quelle a été votre déduction et quels sont les chemins que ça va nous obliger à prendre en termes d’exploitation, d’ouverture de mines, d’ouverture d’infrastructures, éthiquement parlant aussi, on reviendra sur l’éthique de la data et de l’intelligence artificielle, qu’est-ce que vous en avez fait immerger ? C’est viable, ce n’est pas viable ? Est-ce que c’est une vraie transition écologique ? Est-ce que la dématérialisation de la data nous télétransporte dans un monde vert, avec des bullshit words à tous les coins de rue ou, réellement, est-ce que ça va fonctionner ?

Guillaume Pitron : D’abord, il faut savoir que le numérique et l’IA, l’intelligence artificielle au sens large, peuvent être mis au service de l’environnement, c’est une réalité. Nous passons aujourd’hui notre vie à avoir des réunions sur Zoom, Teams ou Google Meet avec des gens qui se trouvent à l’autre bout du monde, qu’on aurait pu, concrètement, aller voir en nous déplaçant et en prenant un avion avec un coût carbone que l’on sait. Pour autant, le lien physique et la connexion humaine entre ces personnes, moi la première, se fait par la grâce de ces infrastructures numériques qui ne m’obligent plus à me déplacer. Il y a donc un gain réel et je peux mentionner des tas d’autres gains tout à fait réels. J’aime bien citer cette application, je leur fais un peu de pub ce soir, c’est Too Good To Go. Too Good To Go est une application qui est très connue, qui met en relation des vendeurs et des consommateurs de produits périssables. Vous avez une tomate qui est concrètement pourrie dans 24 heures et puis vous avez un acheteur.

Sky : Comment s’appelle la fondatrice de ça ?

Guillaume Pitron : Vous avez raison, c’est une fondatrice, elle est française et je n’ai pas son nom l’instant et vous l’avez ! Je vois qu’il y a déjà des réponses en direct.

Sky : On la connaît. Elle est allemande. Lucie Basch.

Guillaume Pitron : Globalement, des gens vont se rencontrer. Ce qui est très intéressant c’est que là, tout d’un coup, c’est un gain écologique évident : à partir du moment où vous gaspillez moins, ça veut dire que vous avez moins besoin de produire de nouvelles tomates, qui dit moins de production alimentaire, agricole, veut dire moins de déforestation, moins d’entrants, moins de pesticides, moins de transport. C’est typiquement un exemple très intéressant du gain que le numérique peut générer sur l’environnement.
Un véritable discours s’est construit ces dernières années, porté par des études dont on peut d’ailleurs discuter la viabilité, le sérieux, tendant à montrer le coût numérique sur l’environnement réel, certes, mais que les gains sont contrebalancent largement, dépassent largement les coûts écologiques. C’est la bonne nouvelle et il faut insister là-dessus : la transition énergétique sans numérique ne peut pas être faite. La transition énergétique, ce sont les énergies intermittentes : vous avez du soleil qui ne rayonne pas tout le temps et du vent qui ne souffle pas tout le temps. Comment est-ce qu’on gère l’intermittence ? Seul le pilotage informatique des réseaux énergétiques peut permettre de faire se rencontrer, en temps réel, l’offre et la demande. Donc le numérique est absolument indispensable, la transition énergétique est une transition qui doit s’appuyer sur le numérique, c’est donc un gain.

Sky : Et sur le nucléaire.

Guillaume Pitron : Et sur le nucléaire qui a l’avantage de ne pas être une énergie intermittente, puisque vous pouvez décider quand vous éteignez la centrale ou quand vous l’allumez. C’est un avantage, de même que, par exemple, l’hydroélectricité est une énergie dont la production peut être davantage organisée pour limiter l’intermittence.
Mais si nous allons vers un monde plus vert, au sens des technologies éolienne et solaire, nous allons vers un monde avec plus d’énergies intermittentes et le numérique doit être au service de ces sources d’électricité-là.

Sky : N’y a-t-il pas un peu de schizophrénie entre tout ça ?

Guillaume Pitron : C’est là qu’il y a une schizophrénie que l’on touche du doigt. D’abord, tout cela a un coût qui est matériel ; le premier coût du numérique est un coût matériel. Par ailleurs, il y a un coût énergétique, parce qu’il faut de l’électricité pour faire tourner les centres de stockage des données, il faut de l’électricité pour la mine.

Sky : Pour refroidir les stockages de données.

Guillaume Pitron : Les refroidir grâce à des systèmes de climatisation qui sont énergivores et qui représentent, ça dépend des centres de données, entre 30, 40, 50 % de la consommation du centre de données. Tout cela, c’est d’abord un coût électrique et on considère que le numérique, au sens large du terme, de la mine jusqu’aux centres stockage de données en passant par le recyclage du métal de votre téléphone, c’est environ 10 % de la consommation d’électricité mondiale et c’est un coût qui serait susceptible d’augmenter avec la numérisation de nos sociétés. C’est un coût matériel, c’est-à-dire qu’il faut de la matière pour produire le monde censément immatériel, qu’on appelle peut-être le métavers si on décide d’y aller, en tout cas le numérique, Internet.
Très concrètement, vous avez dans votre poche un téléphone et, dans ce téléphone, vous avez des matières premières et vous en avez beaucoup, vous avez 50, 60, 70 matières premières dans un téléphone. Chacune de ces matières, c’est un approvisionnement et, souvent, un approvisionnement issu d’une mine. Par exemple, vous avez dans votre téléphone une batterie qui est faite de lithium, de cobalt, de nickel, de cuivre, de graphite. Vous avez un aimant permanent qui est lui-même fait de néodyme, une terre rare, et cet aimant permanent vibre quand vous êtes en mode vibreur ; quand vous téléphone vibre, pensez que c’est grâce à un aimant de terre rare.
Vous avez un écran qui, aujourd’hui, est tactile. Comment est-il tactile ? Parce que, en fait, on l’a recouvert d’un oxyde, une poudre qui confère à vos écrans leur qualité tactile.

Sky : Pas facile à recycler, d’ailleurs !

Guillaume Pitron : Non, très difficile à recycler, parce que l’oxyde est littéralement fondu dans l’écran, on ne va donc pas recycler ça.
Sky, est-ce que vous vous souvenez de l’âge d’avant l’indium ? Est-ce que vous vous souvenez de l’âge d’avant cet oxyde, qu’on appelle l’indium, qui rend vos écrans tactiles ?
Je me souviens très bien, c’était l’âge et téléphone à 12 touches et il fallait trois minutes pour écrire « j’arrive » avec un correcteur de texte T9. Personne n’a envie de revenir à l’âge d’avant l’indium. Tout le monde est très heureux d’avoir de l’indium dans sa poche qui rend nos vies tellement plus fluides.

Sky : Est-ce que vous êtes réellement sûr de cela ? Est-ce qu’une machine à remonter le temps, nous rendant à l’époque des tam-tams, des be-bop et des dictionnaires T9… N’était-ce pas une meilleure époque ?

Guillaume Pitron : J’ai pensé, ces dernières semaines, revenir à un Nokia. J’y ai vraiment pensé, un 33 ou un 63.10, j’ai vraiment pensé l’acheter. Il y en a chez Darty, ils ont été complètement re-designés, ils sont tout beaux, et je me suis dit « je vais me passer de mon téléphone sur lequel je vais tout le temps et je vais essayer de me déshabituer de cette technologie-là.

Sky : Désintoxiquer.

Guillaume Pitron : Désintoxiquer, complètement, et je n’ai pas réussi à faire le chemin parce que je me suis rendu compte que j’en ai besoin, pas forcément pour aller sur TikTok, je ne suis pas sur TikTok, mais j’ai besoin de la base du téléphone dit smartphone, à savoir partage de connexion, Internet, quelques applications d’information, je ne peux donc pas m’en passer. Donc je ne reviendrai pas, je pense à ces téléphones du monde d’avant, donc, je ne reviendrai pas au monde d’avant indium, je pense que je n’y reviendrai pas. Néanmoins, je pense que c’est un progrès et vous me voyez plutôt m’adapter ou épouser certains progrès numériques, évidemment.
Tout ça pour vous dire qu’il y a de la matière et, cette matière, il faut bien aller la chercher quelque part. Donc, derrière toutes les matières de votre téléphone, il y a des mines. Il ne faut pas oublier que tout ce qui est immatériel, le nuage, naît d’une entaille dans le sol, une mine. J’ai passé des années et des années, d’ailleurs je continue, d’aller dans les mines, de me rendre dans ces zones grises dont on n’est jamais freer ??? [17 min 51], même les mines les plus respectueuses des standards internationaux, c’est toujours une entaille dans le sol et ça reste un impact qui va durer dans le temps, quelquefois un impact qui va rester ad vitam æternam, parce qu’on ne va pas faire de la post-mining, on ne va pas réparer ces impacts après la fin de la mise en production de la mine et il faut bien avoir conscience de cela.
Pour insister dans ce sens-là, parce que c’est votre question matérielle, des chercheurs allemands d’un institut de recherche qui s’appelle le Wuppertal Institut, dans la ville éponyme, ont mis au point, il y a quelques années de cela, un ratio qu’on appelle le sac à dos écologique ou, en termes plus complexes, le MIPS, le Material input per unit of service. Ça consiste à faire le ratio entre le poids final d’un produit et de toute la matière qui a été nécessaire pour le produire. En gros, il faut plus de ressources que ma chemise pour produire le poids final de ma chemise. Ma chemise est faite en coton et, pour du coton, il faut de l’irrigation, il a peut-être fallu déforester, il a fallu transporter donc il faut un peu de pétrole dans je ne sais quel tracteur et après, il va falloir transformer la balle de coton en tissu, ce tissu va être assemblé et, ensuite, la chemise va être transportée jusqu’au magasin où je l’ai achetée. Tout cela c’est un ensemble de coûts matériels. Le MIPS, c’est donc le ratio entre le poids final de ma chemise, quelques centaines de grammes, et toute la ressource, depuis le champ de coton jusqu’au magasin – je ne parle pas, encore après, du recyclage –, qui va être nécessaire pour pouvoir fabriquer cette chemise. Et on arrive à un ratio qui est de 30, 40 pour 1, 50 pour 1, 100 pour, c’est assez classique. Il faut des dizaines de fois plus de matière que le poids final de mon produit, parce qu’il y a un coût en eau de ma chemise.
Si je pousse cela à des produits connectés, qui sont des produits excessivement complexes, qui sont des produits qui contiennent, comme on l’a vu, des dizaines de matériaux, qui sont des produits souvent très dilués dans l’écorce terrestre – le néodyme, une terre rare qui fait vibrer votre téléphone, est un matériau pour lequel il faut un vrai effort extractif, un vrai effort énergétique pour pouvoir le raffiner et le mettre dans votre téléphone. Si on multiplie tout ça par les dizaines de matériaux qui se trouvent dans votre téléphone, on aboutit à un MIPS, un sac à dos écologique, qui n’est pas de 40 pour 1 ou de 50 pour 1 ou de 100 pour 1, pour un téléphone il est de 1200 pour 1. Donc il faut 1200 fois plus de matière que le poids final de votre téléphone. Votre téléphone ne pèse pas 150 grammes, il pèse 182 ou 183 kilos. Et c’est encore plus vrai pour une puce électronique qui est le cerveau de votre téléphone. La puce électronique, c’est l’emblème de la mondialisation, c’est un objet d’une complexité folle. Il y a 50 matières premières dans une puce électronique, c’est absolument incroyable. Cette puce électronique peut avoir un ratio qui va jusqu’à 16 000 pour 1. Il faut 16 000 fois plus de ressources que le poids final de la puce. Si votre puce pèse deux grammes, il faut jusqu’à 32 kilos de ressources.
Ça nous dit quoi tout ça ? Ça nous dit, en fait, que plus c’est léger dans la poche, plus c’est lourd. Plus c’est petit dans la poche – merci la miniaturisation –, plus, paradoxalement, l’impact est gros. Et ça nous dit que plus c’est virtuel, est-ce que ce n’est pas, paradoxalement, davantage matériel ? Plus nous allons vers des objets qui sont la porte d’entrée dans le monde virtuel, ces objets sont des interfaces – les téléphones, les tablettes, les ordinateurs –, plus il y a une complexification, plus il y a de ressources et plus il y a un coût matière qui est élevé. Je pose la question : plus c’est virtuel, n’est-ce pas, paradoxalement, plus matériel ?

21’ 36

Sky : Est-ce que plus c’est vert, c’est-à-dire moins ça produit de carbone, plus, en fait, c’est sale ?

Guillaume Pitron : En fait, plus c’est vert, donc plus c’est zéro émissions, plus, paradoxalement, il faut de métaux. Aujourd’hui, on considère qu’une voiture électrique c’est évidemment moins d’émission de CO2 que lorsqu’on roule en voiture thermique, surtout en France, c’est moins vrai quand vous êtes en Chine, parce que, en Chine, une voiture électrique est rechargée à l’électricité qui a été produite à base de charbon et de pétrole, c’est malheureusement le mix électrique chinois ; pour autant, ça reste un gain, en termes d’émissions de CO2, par rapport à la voiture thermique, mais ce n’est pas idéal. En tout cas, disons globalement que la voiture électrique c’est mieux que la voiture thermique en termes d’émissions de CO2. Mais une voiture électrique, et c’est un chiffre de l’Agence internationale de l’énergie, nécessite, pendant l’ensemble de son cycle de vie et, évidemment, pour sa fabrication, surtout, six fois plus de ressources que la voiture thermique. Vous avez donc un coût matières, matériaux et métaux qui est plus élevé pour une voiture électrique que pour une voiture thermique. Vous gagnez d’un côté, vous êtes moins sale parce que moins d’émissions de CO2, mais vous perdez de l’autre parce que vous avez besoin de plus de métaux par rapport à l’homologue thermique.

Sky : Il n’y a pas des puces à base de cellulose, ou d’autres technologies, qui permettraient de baisser notre impact, notre pression sur le biotope ?

Guillaume Pitron : Des puces, je ne sais pas, mais des batteries oui. Donc tout l’enjeu, aujourd’hui, c’est une course de vitesse puisque la technologie dit, notamment les chimistes, qu’on est au-devant et nous accompagnons une révolution de la chimie parce que les voitures électriques sont faites aujourd’hui avec des batteries nickel/manganèse/cobalt, avec un coût matière important, un coût énergétique et un coût écologique, mais on développe de nouvelles technologies de stockage, notamment la grande technologie qui, aujourd’hui, fait rêver les Chinois et va peut-être faire rêver les Européens, c’est la technologie LFP, lithium-fer-phosphate, et d’autres technologies dont on peut reparler.
Le LFP, c’est l’idée qu’on va se passer du nickel et du cobalt et qu’on va substituer certains matériaux qui sont plus rares que d’autres, plus dilués dans l’écorce terrestre, plus compliqués à extraire, avec un coût écologique plus élevé, par d’autres matériaux plus abondants, typiquement le fer qui est plutôt très abondant, ce qui va permettre un coût écologie de la voiture électrique, de la batterie, qui va être moindre. Donc, il y a une course de vitesse.

Sky : Dans quelles proportions ? Est-ce quantifiable ? Est-ce que c’est « moindre » pour dire « cosmétique » ou est-ce réellement moindre et ça va permettre de diminuer notre impact ?

Guillaume Pitron : C’est très compliqué comme question. Oui c’est quantifiable, et là je suis obligé de citer Stephen Hawking, « L’avenir est une course entre la puissance croissante de nos technologies et la sagesse avec laquelle on va être capable de les utiliser ». En gros, je peux toujours faire des batteries plus efficientes, l’avenir est à des batteries toujours plus efficientes et c’est une très bonne nouvelle. Pour autant, immédiatement émerge ce qu’on appelle un effet rebond : puisque je pollue moins par kilomètre émis, puisque c’est moins cher, puisque, comme j’ai regardé une publicité à 19 heures 55 sur une grande chaîne qui m’a gavé de ma voiture propre, zéro émission, responsable, durable, tout ce que vous voulez, du coup je vais pouvoir rouler encore un peu plus, puisque j’ai l’illusion – je ne parle pas d’une illusion –, de ne pas polluer, alors qu’évidemment on pollue, simplement on ne pollue pas quand on roule : quelqu’un doit polluer chez lui chez lui pour qu’on puisse être responsable envers les générations futures, être propre et dire « il y a zéro émission chez nous » ; puisque j’ai cette illusion-là, en fait je vais surconsommer. L’effet rebond, c’est l’effet boomerang de l’amélioration technologique. Je m’améliore technologiquement, mais, du coup, mes voitures électriques sont plus lourdes, je vais davantage les utiliser.
On arrive à un effet rebond où, concrètement, je boucle sur cette idée, je ne suis pas complètement certain – et ça vaut pour le numérique et c’est là que c’est schizophrène – que l’amélioration technologique et la rapidité de l’amélioration technologique en termes de gains matière, d’efficience CO2 aussi rapide que l’explosion des nouveaux modes de consommation que cela génère.
C’est là, pour répondre votre question, que tout cela est complément schizophrène et c’est là que le numérique est schizophrène : le numérique promet une dématérialisation là où, en fait, il re-matérialise pour partie et c’est là que le numérique génère un surplus de consommation, cf. ChatGPT. Jusqu’à maintenant, j’allais sur Google pour faire une recherche et, maintenant, je pose la question à ChatGPT avec un coût, en terme environnemental, qui est plus élevé sur ChatGPT pour une recherche.

Sky : Ça a été quantifié par qui ? Quelle est la source ?

Guillaume Pitron : Ça a été quantifié, j’ai juste immédiatement le trou du rapport que j’ai regardé cinq minutes avant d’arriver sur ce plateau, qui quantifie l’impact environnemental de ChatGPT, on l’évoquera à nouveau. ChatGPT c’est phase d’entraînement, phase d’inférence c’est-à-dire d’utilisation, on parle du 3, tout cela a été calculé, on sait que c’est, en gros, des centaines ou des milliers de tonnes, je peux vous citer les chiffres très précisément si vous voulez, d’émissions de CO2 pour la phase d’inférence, la phase d’entraînement et la phase d’utilisation, et ChatGPT 4 est encore plus élevé que cela. En gros, c’est moins bien d’aller sur ChatGPT si vous êtes soucieux de l’environnement que faire une recherche sur Google. C’est un effet rebond permanent qui fait je ne suis pas sûr que les gains ne soient pas contrebalancés par les pertes dues à mes consommations aggravées de ces matériaux par ces outils.

Sky : Le fait d’aller sur ChatGPT, les gens font ce qu’ils veulent, mais il y a quand même cette pression sur le biotope. Ce type de boîte, ce type d’entreprise, travaille pour diminuer sa consommation énergétique. Avez-vous suivi cela ?

Guillaume Pitron : Le rapport c’est Data for Good. Data for Good est un rapport qui a été publié, je ne sais plus exactement la date ; pour être vraiment auprès de ceux qui nous écoutent et nous regardent, les chiffres sont très précisément évoqués : 552 tonnes d’émissions de CO2 équivalent pour la phase d’entraînement et 220 fois plus pour la phase d’utilisation de ChatGPT 3. On ne connaît pas les coûts de ChatGPT 4, parce que OpenAI ne communique pas sur ces coûts, mails ils seraient au moins 10 fois supérieurs, sinon 100 fois supérieurs.
Face à cela, que font les entreprises ? Évidemment qu’elles ont conscience de ces sujets-là et, pour elles, ça devient un vrai sujet parce que, d’abord, pour commencer, c’est un coût énergétique, donc on va éviter de dépenser plus d’énergie, donc de payer plus à la fin du mois : si j’ai un numérique plus sobre, il est moins énergivore, du coup je vais faire des économies. C’est un coût réputationnel. On commence à comprendre ces impacts-là, le public commence à percevoir la réalité de ces impacts écologiques-là, notamment en France, on est assez en avance en France. Je ne dis pas cela parce que nous sommes Français, mais parce que les Français, les Allemands et les Scandinaves ont une perception beaucoup plus fine et claire des impacts environnementaux du numérique. Je reviens des États-Unis, ils sont largués ! Déjà qu’aux États-Unis on n’est pas sûr que le climat se réchauffe, parce que, malheureusement, pour une partie d’entre eux, c’est tristement la réalité, quant à leur dire qu’un e-mail pollue, c’est vertigineux comme démonstration.
En France, on est quand même plus avancés sur ces sujets-là, donc les entreprises sont conscientes de ces enjeux-là, sont conscientes que, demain, ça va être un enjeu réputationnel pour elles, notamment pour les grandes entreprises de centres de stockage de données et puis c’est un enjeu aussi de ressources humaines : vous voulez embaucher des jeunes de la génération Greta, qui ont une conscience écologique plus affinée que celle de la génération précédente – je sens que vous allez me relancer là-dessus – vous avez envie d’avoir une communication des actions qui soit cohérente avec les valeurs de cette génération-là. Il faut donc pouvoir avoir une politique de réduction des impacts. Donc, lorsque vous êtes dans les entreprises de la tech, vous allez avoir tout un discours qui, clairement, est aussi et largement empreint de green washing total, aussi mais pas que, qui consiste effectivement à dire qu’on va baisser les impacts du numérique. Et ça passe par toutes sortes de réorganisation de l’architecture de votre centre de stockage de données et ça passe, Sky, par le fait de déplacer le cloud dans le Grand Nord.
On a dit, tout à l’heure, que le cloud c’est de la consommation d’électricité, ça veut dire que vous allez devoir le refroidir. Pour refroidir les serveurs à 20/25/27 degrés, on utilise des systèmes de climatisation énergivores. Mais si je déplace mes vidéos de chats, mes e-mails, mes likes, mes photos de vacances dans le Grand Nord européen, si je les déplace en Laponie là où il fait naturellement froid, là où il y a du froid gratuit, du free cooling, je simplifie, que j’ouvre la porte de mon centre de stockage de données et je laisse le blizzard à moins 40 degrés rentrer et rafraîchir naturellement mes vidéos de chats, en fait, la clim est naturelle, je fais du froid gratuit, je profite du froid gratuit.

Sky : Pour chauffer l’extérieur.

Guillaume Pitron : Peut-être que je chauffe l’extérieur, en tout cas, sans consommation d’électricité je refroidis mes données, mon cloud, le nuage, du coup je gagne, il y a ici un gain écologique qui peut être réel.

Sky : Il y a aussi un gain monétaire.

Guillaume Pitron : Il y a un gain monétaire, évidemment, puisque vous avez moins besoin d’électricité.

Sky : Question internet : est-ce que Guillaume s’est intéressé aux questions de calcul haute performance pour les datacenters à température cryogénique. ?

Guillaume Pitron : Je ne vais pas rentrer là-dedans et je ne sais pas comment on stockerait les données à une telle température. En tout cas, ce qui est sûr c’est qu’on fait des calculs de performance, on connaît un ratio, dans l’industrie des centres de données, qui s’appelle le PUE, Power Unit Efficiency, qui consiste à calculer la performance énergétique du stockage d’une quantité x de données. Les centres de stockage de données courent après ce type de PUE qui était très élevé il y a les quelques années, qui baisse progressivement, on atteint 1,3/1,2, qui montre les efforts qu’ils font pour, finalement, maximiser l’utilisation d’électricité proportionnellement à la quantité de données consommée. Mais, encore une fois, on va consommer toujours plus de données.

Sky : On va revenir là-dessus. Juste une question : vous êtes-vous intéressé aux datacenters dans les pays producteurs de gaz ? Pas du tout ?

Guillaume Pitron : Pays producteurs de gaz, je pense au Qatar.

Sky : À l’Algérie.

Guillaume Pitron : Je ne me suis pas spécialement intéressé aux centres de stockage de données en Algérie. J’ai regardé ça à côté marocain, pour tout vous dire. Après je me suis intéressé aux datacenters dans les pays où l’électricité provient du charbon.
En fait, vous avez un grand hub de stockage de données qui se trouve aux États-Unis, au sud de Washington, donc sur la côte est américaine, dans une ville qui s’appelle Auburn. Pour des raisons historiques qu’on peut expliquer, Auburn s’est muée ces dernières années, même ces dernières décennies, en Silicon Valley des centres de stockage de données, parce que l’électricité n’est pas chère, parce qu’elle est abondante, parce que le foncier est lui-même accessible. Auburn est devenue ce qu’on appelle une cité nuage, a cloud city. En fait, c’est un rassemblement physique de tas d’industriels, parce que je les considère comme des industriels, du stockage de données – Amazon Web Services, Microsoft Azure pour ne citer qu’eux – qui se rassemblent dans cette ville-là. Or, une partie de l’électricité qui est fournie par les fournisseurs d’électricité locaux à ces industriels est une électricité qui provient du charbon des Appalaches. Les Appalaches, c’est une chaîne de montagnes qui descend, file vers le sud des États-Unis depuis le sud du Canada, à 700 km dans les terres. Il faut donc se rendre dans les mines de charbon où on fait péter de la dynamite sur les sommets des montagnes, pour en récupérer le charbon qui, lui-même, sert ensuite pour partie, dans le mix, dans le bouquet électrique de la production d’électricité américaine, qui, elle-même, termine pour les systèmes de refroidissement des centres de stockage de données de cette ville, qui est l’une des plus grandes villes de stockage de données de la planète. Là, on prend conscience du lien entre l’immatériel qui est ma vidéo de chats stockée sur un serveur et la réalité qui est que tout cela réchauffe la planète, puisque le charbon a été préalablement brûlé pour produire l’électricité du stockage de données.

Sky : Question Internet : il est maintenant possible de faire tourner des IA sur des équipements personnels à des coûts abordables. Un GPU avec 12 gigas de NVRAM, 300 euros, donne de bons résultats. Va-t-on avoir une explosion d’acquisition de matériel HW personnels plutôt que centralisé dans des datacenters à la CHATGPT ?

Guillaume Pitron : C’est une question de DSI, de directeur des services informatiques ou d’informaticiens, je précise que j’ai fait un bac L, donc, là, je vais pas être capable de répondre.

Sky : Journaliste, c’est ça ?

Guillaume Pitron : Je suis journaliste et je fouille extrêmement les faits, mais je ne suis pas rentré dans ce détail précis.
Ce que je peux répondre à votre question c’est que nous sommes avec une technologie, nous sommes en possession d’une technologie qui se démocratise. Aujourd’hui, combien avons-nous d’écrans et comparons ce nombre d’écrans au nombre d’écrans dont nous disposions il y a encore quelques années de cela. Et nous allons toujours davantage vers ce type d’évolution-là. Mon Google Drive a une capacité de stockage qui n’a rien à voir avec celle qui m’était offerte par Google Drive il y a encore cinq ou dix ans. Je ne répondrai pas à votre question qui est extrêmement pointue, je n’ai pas la réponse, je ne sais pas. Mais pour vous dire qu’il est logique que nous allions vers davantage d’acquisition de ces technologies-là à titre personnel et, peut-être, des systèmes qui soient aussi plus décentralisés

Sky : Là c’est une question très importante, d’ailleurs qui va nous faire rebondir sur tout un tas de sujets de cette interview. Question pour l’invité : « Bonsoir. J’ai été créateur de contenu pour une entreprise internationale spécialisée dans l’intelligence artificielle. Je me suis rendu compte que les clients de la boîte en question n’étaient pas du genre vertueux – entre parenthèses une liste de boîtes longue comme le bras – jusqu’à des agences de surveillance des frontières. J’ai l’impression d’avoir nourri un monstre au-delà du coût écologique d’une société technologique à l’extrême. Pensez-vous que l’IA sert majoritairement les intérêts d’entreprises ou d’États très éloignés du bien commun ? ». Je la repose : j’ai l’impression d’avoir nourri un monstre. Au-delà du coût écologique d’une société « technologisée » à l’extrême, pensez-vous que l’intelligence artificielle sert majoritairement des intérêts d’entreprises ou d’États très éloignés du bien commun ?

37’ 08

Guillaume Pitron : Vous posez une question