« Émission Libre à vous ! diffusée mardi 11 juin 2024 sur radio Cause Commune » : différence entre les versions

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==Deuxième partie 43’ 44==
==Deuxième partie 43’ 44==


<b>Frédéric Couchet : </b>Nous allons poursuivre notre sujet
<b>Frédéric Couchet : </b>Nous allons poursuivre notre sujet sur le recrutement et la diversité de genre dans l’informatique avec nos deux invitées, Florence Chabanois, qui est avec moi au studio, et Marcy Ericka Charollois qui était à distance.<br/>
Avant d’aborder la question, on va dire sur le long terme, pour entretenir les bonnes pratiques, on pourra quand même reparler de la partie recrutement, si vous le voulez, je voulais qu’on revienne, pour ne pas oublier, sur la partie qui précède le recrutement, qui est l’offre d’emploi, le profil de poste : qu’y a-t-il à faire pour qu’en fait, avant même l’entretien, que vous ayez des personnes autres que des hommes qui répondent à ces appels d’offres ? Est-ce qu’il y a des bonnes pratiques ? Est-ce qu’il y a des choses, au contraire, à ne pas faire ? On va commencer par Marcy sur cette partie offres d’emploi.
 
<b>Marcy Ericka Charollois : </b>Il y a pas mal de choses à faire. Déjà, pour commencer, il y a la capacité de féminiser le poste ou alors de mettre la mention « F/H/X » pour « Femme/Homme/Non-binaire », par exemple.<br/>
Disons qu’il y a pas mal de réflexion autour du point médian, sur le fait qu’il manque d’accessibilité suivant les troubles dys et aussi sur les liseuses pour les personnes qui sont en situation de déficit visuel. J’ai envie de dire que c’est à vous de voir, sentez-vous libres de l’utiliser ou pas. Personnellement, je ne l’utilise plus du tout, justement pour ne plus poser de problèmes aux personnes à qui ça en pose, je pense que c’est aussi important de le voir comme ça.<br/>
Dans le contenu de la fiche de poste, ce qui est recommandé, c’est de constater parfois à quel point on peut mettre en avant des process qui peuvent être trop longs, beaucoup trop fastidieux, qui ne sont pas compatibles avec des rythmes de vie de femme, notamment si elles sont parent en plus de ça. Il y a quand même des gros enjeux là-dessus et également tout ce qu’on va laisser transparaître en termes de culture d’entreprise. Florence l’a super bien mentionné tout à l’heure quand elle parlait de toute cette culture masculinisée – pizza, baby-foot. On peut aller plus loin, notamment proposer plutôt des activités qui seraient plus intéressantes, en fait, pour le développement de sa carrière. Aujourd’hui, je pense qu’en tant que femme dans le numérique, on a plus envie de savoir comment on va pouvoir développer ses compétences justement, qu’elles soient techniques mais aussi tout le reste, tout ce que ça englobe : comment négocier correctement son salaire ; comment prendre la parole lors de présentations en équipe ; développer ses compétences de leadership, de management, tout ce qui va jouer sur l’intelligence collective, etc. Ça peut être beaucoup plus pertinent de mettre ça en avant et de mettre en avant plus de souplesse et, comment dire, moins de paraître et plus de dur, si je peux dire ça comme ça.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord. Juste avant de passer par la parole à Florence avec une question, on va rappeler aux gens qu’on peut faire de l’écriture inclusive sans le point médian, ça prend peut-être un peu plus de travail en termes de rédaction. Beaucoup de gens poussent des cris d’orfraie sur l’écriture inclusive parce qu’ils le réduisent ou au point médian, qui pose les problèmes que tu as évoqués, mais on peut évidemment faire sans. Florence, je voulais te laisser réagir là-dessus, mais je voulais aussi, éventuellement, t’orienter sur des questions. J’avais lu, par exemple, deux points :<br/>
que, dans les offres d’emploi, il ne fallait pas mettre de trop nombreuses demandes de compétences, parce que, souvent, les hommes pouvaient répondre à une offre d’emploi même s’ils pensaient ne maîtriser que 50 % des compétences alors que les femmes considèrent qu’il faut qu’elles maitrisent au moins 80 à 90 % des compétences ;<br/>
deuxième point sur le vocabulaire : traditionnellement, dans l’informatique on voit beaucoup de vocabulaire qui est un peu compétitif, esprit d’équipe comme tu l’as dit, esprit masculin, plutôt Ninja, des termes comme ça, qui sont plutôt des termes repoussoirs pour les femmes.<br/>
Est-ce que, sur ces deux points-là, tu as des retours ?
 
<b>Florence Chabanois : </b>Oui, complètement. J’ai vraiment grandi dans un milieu d’hommes, en fait, en termes de dessins animés, de tout. Du coup, tout ce qui est guerrier est quelque chose que j’incorpore assez vite et qui me paraît intéressant. Je me suis rendu compte, après coup, que pas mal de mes fiches de poste avaient ce genre de vocabulaire.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Mais ça ne te dérange pas !
 
<b>Florence Chabanois : </b>Je n’arrive même pas à le dire, en fait. Je pense que je suis trop dedans, on pourrait dire. Par contre, entre une offre d’emploi où il y a ça et une offre d’emploi qui me parle d’un chemin de carrière, d’une progression, il n’y a pas photo, je vais plutôt aller là. Je pense que j’ai donné ça en pensant que c’était ce que les gens recherchaient. Du coup, ça nourrit quand même quelque chose d’assez bizarre, parce que je veux recruter des gens qui ont l’esprit d’équipe plus que des gens qui veulent battre les autres.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Ça veut dire qu’il faut mettre plus de terminologie en termes de coopération plutôt que de compétition.
 
<b>Florence Chabanois : </b>En tout cas, là c’est personnel. Ce qui est sûr c’est que sur le côté compétitif, en termes de socialisation encore une fois, nous sommes élevés très différemment : les filles, les jeunes filles sont plus élevées sur des jeux à jouer toutes seules ou côte à côte, alors que les garçons, c’est plus des jeux d’opposition. Du coup, ça arrive sur l’affinité, on va plus, en réalité, parler à des futurs garçons, donc des hommes, qu’à des femmes.<br/>
Il y a aussi, effectivement, un facteur au stress qui est un peu différent : les femmes vont quand même plus hésiter avant de postuler par rapport à la correspondance de ces critères ; le syndrome de la bonne élève peut jouer. Je donne un exemple que j’avais sur une fiche de poste : on était deux à postuler, je ne savais pas que c’était un de mes potes. J’ai mis une semaine avant de postuler, à me dire « j’y vais, je n’y vais pas », j’ai donc lu l’annonce en long, en large, ce que je croyais que la plupart des gens faisaient, mais visiblement non. Lui s’est arrêté aux deux premières lignes, en disant « oui, ça passe » et il a postulé. Rien que ça m’a fait délirer, je l’ai su des mois après. Après 20 ans d’expérience, je me rends compte que même moi je ne suis pas protégée.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Tu parles d’un exemple récent ?
 
<b>Florence Chabanois : </b>Relativement récent. Notre cerveau dit qu’il faut postuler même si on ne correspond pas partout, mais on est aussi moins entraînée à avoir des non, des échecs, alors que, encore une fois, de par les jeux qui sont joués par les garçons, c’est OK d’échouer, de perdre, on recommence, ce n’est pas tout un drame, alors que pour les filles c’est plus dur ; avec une corde à sauter, on ne peut vraiment tomber !<br/>
Cela fait qu’il y a plusieurs facteurs qui vont dans le même sens. Effectivement, adopter un langage qui est plus universel ou plus orienté femme, ça peut, parfois, contrebalancer, en tout cas rétablir un peu plus d’équilibre par rapport aux candidatures qu’on peut avoir.<br/>
Sur l’écriture inclusive, donc au sens large, je sais que j’avais zéro candidature quand je ne l’utilisais pas et quand je l’ai utilisée, j’ai eu quelques candidatures, ce n’était pas foufou. TO2 [51 min 06] avait utilisé un terme un peu moins genré, <em>software engineer</em> plutôt que « développeur », qui avait augmenté le taux de candidatures de 30 %, quelque chose comme ça. Ça peut donc jouer. Maintenant, c’est vrai que je regarde. Ce n’est pas tant que les femmes vont se précipiter sur une offre d’emploi, je pense aussi qu’elles changent moins souvent, c’est plutôt est-ce qu’on voit des loups, est-ce qu’on a des warnings. Du coup, ça va au moins enlever des barrières par rapport à ça.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Quels genres de loups par rapport aux offres d’emploi ?
 
<b>Florence Chabanois : </b>La question c’est que si on est qu’entre gars, ce n’est pas quelque chose pour lequel on a envie de prendre le risque en fait.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Peut-être une question : est-ce que, par exemple, si vous candidatez pour une offre d’emploi sur une entreprise, une collectivité ou autre, une association, est-ce que vous allez voir les sites des entreprises pour voir si vous trouvez des photos des personnes ?
 
<b>Florence Chabanois : </b>Clairement. Pas que ça que ! Tout, en fait : les conférences, les réunions, non, pas les réunions non parce que je dois y aller, mais les dîners, les associations sportives, tout ! Je regarde avant s’il n’y a pas des warnings au moins sur l’image publique. C’est d’ailleurs aussi une bonne pratique sur l’image <em>corporate</em> de l’entreprise.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Marcy, conseilles-tu aussi ce genre de chose ? C’est vraiment nécessaire d’aller dans ce niveau de détail aujourd’hui ?
 
<b>Marcy Ericka Charollois : </b>Oui complètement, je rejoins totalement Florence sujet. En fait, aujourd’hui, on a besoin de pouvoir se projeter sur le long terme dans les équipes qu’on a envie de rejoindre et, forcément, faites le test. Vous allez sur – je ne sais pas si je peux les citer, je vais les citer quand même, ce n’est pas grave – Welcome to the Jungle, c’est un petit sujet qui est assez amusant dans la démonstration de ce qu’on dit. En fait, souvent, vous pouvez passer d’entreprise en entreprise, regarder les photos, ce sont toujours des personnes blanches en très grande majorité, généralement que des hommes et tout le monde porte des sweats bleu marine ; en ce moment ce n’est que ça. De fait, ça créée beaucoup d’interrogations : quelle image, quelle culture on en train de fonder surtout sur des environnements de start-ups, parce que je pense que ça se lisse un petit peu plus, quand même, quand on est sur des licornes ou des institutions plus variées. On parlait d’associations, on parlait de collectivités autres, clairement ça se lise davantage.<br/>
C’est vrai que sur la culture start-up, on voit quand même qu’il y a une espèce de réassurance du code vestimentaire, de la présentation, du type de pose aussi, des endroits dans lesquels on pose, comment on va poser, est-ce qu’on se met de trois quarts face à la face à la caméra, est-ce qu’on est plutôt sur un non-verbal de conquérant ou plutôt passif, est-ce qu’on est plutôt tous autour d’un tableau blanc en train de coller des post-it ou, plutôt, dans une posture plus individualiste ? Tout cela, ce sont vraiment des choses qui sont très épiées par les femmes et les minorités de la tech pour savoir si elles vont pouvoir résister à tous les biais qui vont s’abattre du coup sur elles après cette prise de poste.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord. C’est bien de parler de ça, ça nous permet d’enchaîner, en tout cas d’aller sur le travail sur le long terme, notamment la culture d’entreprise. Je précise que Welcome to the Jungle est un site qui permet de découvrir les coulisses des entreprises qui recrutent, etc. C’est bien ça ?
 
<b>Marcy Ericka Charollois : </b>C’est ça, exactement.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord. Donc, là, on a effectivement parlé de l’offre d’emploi, du recrutement. Donc une personne, une femme est recrutée, l’enjeu, après, c’est quand même qu’elle reste en poste, en tout cas tant qu’elle le veut. Je n’ai pas les chiffres en tête, peut-être que l’une de vous les a, on assiste, dans l’informatique, à des départs « assez rapides » entre guillemets : beaucoup de femmes partent assez rapidement de l’entreprise parce que, tout simplement, elles se rendent compte que le milieu ne correspond pas à ce qu’elles pensaient y trouver. Je sais pas si l’une de vous a les chiffres en tête.
 
<b>Florence Chabanois : </b>C’est la moitié au bout de dix ans, en général, à plus de 35 ans d’après des études françaises et américaines qui convergent à peu près sur les données, je ne sais pas si Marcy a ça.
 
<b>Marcy Ericka Charollois : </b>C’est exactement ce chiffre-là aussi j’avais en tête : une femme sur deux quitte la tech après 35 ans, en général, ça glisse sur les dix ans de carrière. Il y a des vraies remises en question à ce moment pivot.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord. Ça suppose donc que la structure, quelle qu’elle soit, pour éviter cela, doit travailler sur sa culture d’entreprise, notamment sa culture d’inclusion sur la diversité de genre et, encore une fois, sur toutes les diversités, même si, aujourd’hui, on parle beaucoup de diversité de genre. Que faut-il qu’elles mettent en place ? Quelles sont les choses qu’il faut absolument qu’elles mettent en place ? Je suppose, par exemple, qu’il y a des choses à faire sur les horaires des réunions qui peuvent être le soir. Qu’est-ce qui peut être mis en place sur le travail autour du sexisme ambiant, voire plus, dans le monde de l’informatique ? Florence.
 
<b>Florence Chabanois : </b>Sur les horaires, c’est un exemple qui est un peu sexiste. On associe souvent ça à la maternité, alors que tous les parents ont, à priori, des enfants, tous les parents les emmènent, enfin pas tous.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Historiquement, on sait bien que les femmes s’occupent plus d’aller chercher… Je suis un homme, parent, donc j’assume parfaitement de dire ça.
 
<b>Florence Chabanois : </b>Oui complètement. C’est vrai, tu as raison de le mentionner. On entend aussi le contraire, donc ce n’est plus un sujet.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Non, je pense que c’est toujours un sujet.
 
<b>Florence Chabanois : </b>C’est toujours un sujet, très clairement, on est d’accord, surtout pour récupérer les enfants ! Les déposer ça va, parce que c’est vite fait, ça prend cinq minutes le matin – si, je m’en occupe, je les dépose –, c’est exactement ça. En fait, ça me fait penser à autre chose. Par rapport au recrutement, je crois que j’ai mis six mois ou un an avant de recruter des femmes compétentes, les gens aiment bien dire ça. On est d’accord que je ne suis pas à but non-lucratif quand je travaille, l’idée c’est de trouver des bons collaborateurs et collaboratrices. Ce qui est intéressant, en tout cas l’une des conclusions que j’ai eues après toute cette démarche, c’est que, d’une part, j’ai recruté plus de femmes, mais, surtout, j’ai amélioré le processus de recrutement global, pour tout le monde. Du coup, ces sujets de réunion pas trop tard le soir, en fait ça profite à tout le monde, les mères, les pères et puis les gens aussi, en fait : quand on a sept ou huit heures dans les jambes on est un peu moins frais pour une réunion, donc, en fait, on y gagne, ça permet d’avoir aussi du temps focus, c’est donc une des pratiques. Quelle était la question, j’ai loupé ?
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Les bonnes pratiques pour conserver ces femmes, tout simplement, qui ont été recrutées.
 
<b>Florence Chabanois : </b>Pour moi, c’est tout ce qui est sexisme ordinaire auquel il faut remédier et, comme disait Marcy tout à l’heure, personne n’est protégé de ses propres biais, déjà, à la base, c’est les reconnaître franchement. On a tous des biais, on en a sûrement plus qu’on croit, c’est même sûr, donc, l’enjeu, c’est de ne pas enterrer le problème en disant « dans notre entreprise, chez nous, il n’y a pas de sexisme », ce n’est pas vrai, ce n’est pas possible, il y a du racisme, il y a du sexisme et tout, parce que c’est la société, il n’y a pas de raison qu’on soit hermétique à tout ça. La question c’est : qu’est-ce qu’on fait, au quotidien, pour que, quand ça va se produire, ce soit géré ? Une des pratiques, déjà, c’est de soutenir les communautés qui sont moins représentées, en développant, justement, des communautés, pour que ces personnes soient pas isolées. Ça peut être des slacks, enfin des canaux slacks, je donne du jargon, des espaces de discussion virtuels, en ligne ; ça peut être des réunions récurrentes où les gens peuvent remonter leur expérience ; ça peut aussi programmer des échanges entre différents types de population pour que chacun, chacune, ne soit pas dans sa bulle et connaisse aussi les réalités des autres ; ça peut être des sensibilisations à tous les niveaux d’échelle de l’entreprise, y compris la direction, pour avoir connaissance des biais dont on peut être sujet ; ça peut être appliquer la loi, ce n’est pas mal aussi, dans le sens réagir en tant qu’entreprise, en tant que collègue, en tant que témoin, quand on entend quelque chose qui n’est pas OK, que ce soit raciste, sexiste, validiste, qui, en réalité, met quelqu’un mal à l’aise. Ce n’est pas OK dans le milieu l’entreprise et il faut le dire, parce que je pense que le plus dur c’est le silence, c’est le fait que ça se passe sans conséquence, et ça donne juste l’impression d’être toute seule, parce que personne n’ose rien dire.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Justement, j’ai une question. Tu parlais tout à l’heure de sexisme ordinaire. Historiquement, dans le sexisme ordinaire, il y a les blagues sexistes que font les hommes. Est-ce que, aujourd’hui, il y a de plus en plus d’hommes, notamment, qui, quand il y a une blague sexiste, disent « attention, c’est une blague sexiste ».
 
<b>Florence Chabanois : </b>Oui, il y en a plus. Après, moi je n’ai pas vécu il y a 50 ans, donc je ne peux pas vraiment comparer. Quand je t’entends, je me pose l’intention de ta question. Ce que j’entends, c’est qu’on a souvent envie d’être rassuré, en disant « aujourd’hui c’est mieux qu’avant. »
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Non, ce n’était ma question. Je parlais par rapport ma pratique professionnelle. Depuis 20 ans, j’ai vu les choses évoluer. Je suis un peu plus vieux que toi, mais il n’y a quand même pas 50 ans, mais il y a quelques années il y a des choses qui, entre guillemets, « ne me choquaient pas », alors qu’elles étaient choquantes et, aujourd’hui, je vois des choses que je fais remarquer ou que beaucoup d’autres font remarquer. Je me dis donc qu’il y a une évolution et que, dans d’autres structures, ça doit être le cas, sans que ce soit parfait.
 
<b>Florence Chabanois : </b>Je n’en ai pas vu beaucoup en entreprise. Je vois plus des hommes se prononcer, vraiment en tant qu’avis, dans le public, on va dire dans l’espace public, sur les réseaux sociaux, des choses comme ça. Je vois des choses, j’en vois un petit peu, j’en vois qui disent qu’ils sont favorables et qu’ils vont mettre en place des initiatives, mais quand il y a un souci, honnêtement je n’en entends pas beaucoup.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Le traitement d’un vrai incident ?
 
<b>Florence Chabanois : </b>Un vrai incident, un incident, en tout cas. Souvent, ce sont les femmes qui vont prendre la charge ou alors quand il y aura une espèce de malaise. Le plus que j’ai vu, c’est juste que les gars ne vont pas rire en plus, ils vont peut-être faire une petite moue, genre « bon, là », mais de là à dire « non, ça ce n’est pas OK, c’est sexiste », je n’ai jamais vu.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Marcy, peut-être, en a vu.
 
<b>Marcy Ericka Charollois : </b>Oui, j’ai vu.
 
<b>Florence Chabanois : </b>Tant mieux, merci.
 
<b>Marcy Ericka Charollois : </b>Carrément. J’étais en train de me poser la question en même temps. Je pense aussi que suivant les secteurs ou les postes occupés dans la tech on n’a pas du tout les mêmes degrés de sensibilité aux enjeux sociaux. Je pense que dans le <em>cloud</em> on est quand même un peu un peu loin de ces prises de position d’allié, elles ne sont pas aussi ouvertes que chez, je ne sais pas, j’essaie de réfléchir à d’autres sous-secteurs de la tech. En tout cas, ce qui est certain, c’est qu’il y a tout de même une bascule claire et nette sur la mise en avant des femmes dans le numérique en France, notamment dans tous les espaces de conférence, de convention et autres. Je pense que ça a aussi beaucoup chamboulé la prise de conscience de tous ces types de comportements qui ne sont pas du tout bénéfiques, comme le disait Florence, pour le global. C’est-à-dire qu’en faisant évoluer progressivement vers le bien la condition des femmes et des minorités, on améliore la condition de tout le monde et ça joue énormément. J’ai pu voir, constater et discuter, parce que je fais partie de certains, comme tu disais, espaces de discussion en ligne, virtuels, où quand même, aujourd’hui, on a vraiment des personnes hommes ou identifiées hommes qui ne vont pas hésiter à prendre position et à défendre leurs collègues femmes lorsqu’il y a un conflit et ça peut aller assez loin. J’ai déjà vu des situations comme ça, prud’homales, où, justement, des hommes ont fait front ensemble pour soutenir leur collègue femme qui a vécu des situations sexistes, dangereuses, qui sont tout à fait sérieuses, puisqu’on parle quand même de situations prud’homales.<br/>
J’ai pu avoir la chance de constater qu’il y avait quand même une vraie prise de conscience là-dessus, ça ne veut pas dire que les comportements sexistes ne subsistent pas. Pour tout ce qui est blague, je pense qu’aujourd’hui, dans notre société, on a quand même sensiblement une grande remise en question de l’humour, avec qui on peut rire et de quoi on peut rire. Il y a donc quand même, je pense, une espèce de temporisation là-dessus.<br/>
Là où je tiens à appuyer quand même quelque chose, où je pense qu’on a énormément d’améliorations à apporter, c’est sur tout ce qui va être effet Matilda, en fait le déni des travaux des femmes, la minimisation qui est quand même récurrente des travaux des femmes ou des femmes qui vont s’exprimer. Je ne sais pas, je donne un chiffre au hasard : dix fois, sur la même idée, en itération, à différents points dans leurs équipes et puis il suffit qu’il y ait un homme, au dernier moment, qui dise exactement la même chose que celle que la femme a répétée pendant dix fois pour que ça y est, le manager ait une espèce d’illumination, d’épiphanie, et dise « mais oui, évidemment, c’est une idée extraordinaire ! ». C’est l’un des leviers qui fait que les femmes se découragent et finissent par s’en aller : le manque de reconnaissance et l’appropriation complète de leurs travaux et de leur participation active à la vie de l’équipe.<br/>
Il y a ce sujet sensible qui en découle forcément qui est : comment peut-on rendre légitime, palpable, entendable, visible, une dose de travail et d’idéation qui nous a été complètement spoliée lors de l’entretien annuel et ça joue sur tout ! Ça joue sur la négociation salariale, ça joue sur les augmentations, ça joue sur la prise en compte de la participation des femmes et après, un beau jour, on se demande pourquoi la femme est partie de l’équipe, alors qu’en fait on avait tous les signes avant !
 
<b>Florence Chabanois : </b>Ça me fait penser aussi à tout ce qui est à rendre service dans l’entreprise, ce qui est travail gratuit. Ça va être les pots de départ, ça va prendre soin des autres.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Pour les pots de départ, ce sont les femmes qui les préparent, qui installent la salle, qui rangent.
 
<b>Florence Chabanois : </b>Exactement, qui réfléchissent à comment donner une bonne ambiance. Elles vont gérer la charge relationnelle de l’équipe qui est super importante, l’homme a juste à travailler sur les tâches qui lui sont conférées, du coup, il investit dans sa carrière. Ça ne me dérange pas en soi parce que je pense que c’est important, aussi, d’avoir du relationnel. Ce qui est problématique, c’est : est-ce que c’est un choix de tout le monde et est-ce que c’est valorisé de la même façon ? Et, aujourd’hui, ce n’est pas le cas. Du coup, ça fait que c’est un des facteurs qui font que les femmes quittent la tech parce qu’il y a trop d’inégalités, il y a du de sexisme.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>À vous entendre, est-ce que dans toutes les structures qui recrutent, les structures où il y a des êtres humains, il faut que des formations soient organisées autour de ça et quasiment obligatoire ; comme les formations annuelles, techniques, on doit faire une formation pour que, par exemple, les gens entendent ce qu’est l’effet Matilda, sachent ce que c’est. Je pense que beaucoup de gens qui écoutent l’émission aujourd’hui n’ont sans doute jamais entendu parler de cet effet-là. Est-ce que ça devrait être une obligation et quelle forme peut prendre ce genre de formation ? Je crois que c’est un peu ce que tu fais Marcy, si j’ai bien compris.
 
<b>Marcy Ericka Charollois : </b>Tout à fait. On m’appelle dans les équipes à la suite de discussions internes, notamment sur des problématiques de marque employeur et de communication interne, sur comment rajouter des blocs dans les démarches qui sont réalisées soit par le pôle recrutement RH, communication et marketing, pour consolider toutes ces démarches qui visent, notamment, à plus d’inclusion. On m’appelle souvent soit pour refaire uniquement mes conférences ou alors faire mes conférences et des ateliers, soit faire mes conférences, des ateliers et des débats. Je garantis de livrer une infographie qui résume à peu près tout ce qui a été dit, les problématiques de chacun des clients qui ont fait appel à moi et un livrable complet, d’à peu près une vingtaine de pages, dans lequel je vais bien resituer quel est le contexte, pourquoi on fait cette démarche-là, quels sont les chiffres à suivre et quelles sont les démarches qui vont amener à beaucoup plus de compréhension de l’intérêt de toutes ces problématiques qu’on ose adresser beaucoup plus facilement aujourd’hui. Comme tu disais, on sait pas ce qu’est l’effet Matilda jusqu’à temps qu’on comprenne et qu’on voie la démonstration complète de ce que ça engendre. Quand j’arrive en entreprise et que, d’un seul coup, la parole est libérée, ça fait un avant et un après qui fait tout drôle à certaines personnes. Un point sur lequel je veux insister, c’est que les gens ne le font pas nécessairement pour faire du mal, c’est parce que, culturellement, il est complètement admis qu’on puisse avoir ce type de comportement-là.<br/>
Florence, quand tu disais « appliquer la loi », c’est aussi refaire le focus là-dessus. J’aime redire que tout ce qui est discrimination correspond quand même à des textes de loi, c’est-à-dire qu’on ne peut pas s’amuser à faire tout et n’importe quoi sur la dignité des gens et leur capacité à avoir une carrière tout à fait convenable en entreprise. Je vous en parlais tout à l’heure, il y a aussi le Pacte Parité pour l’égalité femme-homme qui existe dans la tech, qui a été signé par un grand nombre de licornes il y a quelques années maintenant. L’objectif de celui-ci c’est quand même de former les managers aux enjeux de la diversité, il y a la lutte contre le harcèlement, les discriminations, d’ici la fin de l’année il y a, il me semble, la signature de ce pacte-là. L’objectif c’était quand même aussi d’atteindre un seuil minimum de 20 % de femmes en 2025 dans les équipes puis 40 % en 2028, je pense qu’on a encore une très grande marge pour faire évoluer ces chiffres.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Merci Marcy. Élise me fait signe qu’on arrive à la fin. On a un sujet enregistré juste après, donc on ne peut pas dépasser.<br/>
Je vais vous proposer le mot de la fin, chacune deux minutes max soit pour faire un résumé de ce que vous avez envie, soit pour mettre l’accent sur un autre point. On va commencer par Florence Chabanois.
 
<b>Florence Chabanois : </b>En deux minutes, ça marche. Je pense qu’un bon point de départ c’est de mesurer où on en est aujourd’hui, pour être sûr d’avancer, c’est la base, c’est ce qui permet de mesurer les progrès, d’être sûr se donner les moyens pour ça et de changer un peu nos habitudes qu’on va tout le temps reproduire.<br/>
Par rapport à la culture, attention aussi aux mots : on va souvent dire « les gars », on va parler au masculin. On peut parler en doublement, dire « les gars et les femmes, les gens, les membres » et aussi à être conscient du temps de parole dans les réunions parce que, aujourd’hui, c’est 70 % du temps qui est occupé par les hommes.<br/>
Je dirais qu’il faut déjà observer, aujourd’hui, on en est de façon qualitative et quantitative, et vraiment ne pas se précipiter sur des actions. Voir comment les femmes réagissent par rapport aux hommes, comment les hommes réagissent par rapport aux femmes, avant de vraiment pouvoir commencer à adresser le sujet de la culture. C’est bon ?
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Très bien, tu as même fait en moins de deux minutes. Marcy.
 
<b>Marcy Ericka Charollois : </b>Ce que je pourrais rajouter aussi c’est vraiment faire attention à toutes les dérives de ce qu’on appelle le <em>boys' club</em>, tu parlais de ça, tout à l’heure, Florence, tout ce qui est culture bro. Ça va assez vite aujourd’hui, on défend tous ces sujets-là, on a fait évoluer pas mal de points en discutant, en mettant en place certaines choses à travers différents collectifs, mais il ne faut pas perdre de vue que le <em>boys' club</em> que nos générations ont vu par le passé ou vivent actuellement est en train de vivre des chamboulements de nouvelles générations entrantes et c’est un point de vigilance que j’aimerais apporter. Mine de rien, toutes les prévisions qu’on a sur les générations à venir quant au sexisme qui est véhiculé, je n’ai plus le chiffre en tête, malheureusement, mais il me semble que la génération Z et Alpha à venir est encore plus sexiste que notre génération et les précédentes, ce qui veut dire qu’il va falloir faire vraiment très attention.<br/>
On parlait de sororité, on parlait de fraternité, je pense que les hommes de nos générations et des générations précédentes, qui ont corrigé leurs actions, qui ont pu davantage participer à tous les enjeux liés notamment à la féminisation de la tech, vont devoir prendre très au sérieux leur rôle de mentor vis-à-vis des hommes qui vont rentrer. Si on ne travaille pas tous ensemble, qu’on ne collabore pas et que les hommes ne se mettent pas en exemple, en fait on va faire reposer toute cette nouvelle charge d’une nouvelle génération, du coup sur la nôtre, la génération de femmes qu’on occupe, les précédentes et puis celle qui est en train d’arriver.<br/>
J’ai envie de dire, de faire un petit appel aux hommes de la tech de vraiment être très conscients de ça, pour qu’on se retrouve pas encore dans des situations complexes à rebâtir, à déconstruire à nouveau en tant que femmes et que cette charge-là ne repose pas, encore une fois, que sur les femmes.<br/>
Donc vraiment soyez investis en tant qu’hommes, justement, portez ces sujets-là et sensibilisez les jeunes hommes au fait qu’on ne peut pas faire tout et n’importe quoi, surtout avec les dérives que l’usage d’Internet, le scrolling, les likes, il y a pas mal de dérives qu’on n’avait pas avant, on a quand même grandi dans une génération plutôt avec un seul ordinateur par foyer, ce n’est plus le cas aujourd’hui, l’accès à Internet est complètement différent. Il faudra donc vraiment faire attention à ça et s’investir du fait que la jeune génération est aussi à surveiller de près et, surtout, à éduquer.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Merci. Merci à toutes les deux pour ce beau sujet. Nos invitées étaient Florence Chananois et Marcy Ericka Charollois. On mettra quelques références, notamment de ce dont vous avez parlé, sur les méthodes, etc., dans l’émission du jour. Je vous souhaite une belle fin de journée.
 
<b>Florence Chabanois : </b>Merci Fred.
 
<b>Marcy Ericka Charollois : </b>Merci.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Élise on va enchaîner directement par le sujet d’après, je pense
 
==Chronique de Laurent et Lorette Costy – « L’ANSSI et les pâtés Legroin »==
 
[Virgule sonore]
 
<b>Lorette Costy : </b>Et bonjour Papa, comment tu vas ?

Version du 12 juin 2024 à 12:54


Titre : Émission Libre à vous ! diffusée mardi 11 juin 2024 sur radio Cause Commune

Intervenant·e·s : Isabelle Carrère - Florence Chabanois - Marcy Ericka Charollois - Lorette Costy - Laurent Costy - Frédéric Couchet - Élise à la régie

Lieu : Radio Cause Commune

Date : 11 juin 2024

Durée : 1 h 30 min

Podcast PROVISOIRE

Page de présentation de l'émission

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : Déjà prévue

NB : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous.
C’est le moment que vous avez choisi pour vous offrir une heure trente d’informations et d’échanges sur le logiciel libre, les libertés informatiques et également de la musique libre.

Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April.

Recrutement et diversité de genre dans l’informatique ou pourquoi et comment recruter des femmes dans un milieu d’hommes, ce sera le sujet principal de l’émission du jour. Avec également au programme, en début d’émission, la chronique d’Antanak dont on découvrira ensemble le sujet. Et, en fin d’émission la chronique de Laurent et Lorette intitulée « L’ANSSI et les pâtés Legroin », l’ANSSI étant l’Agence nationale de la sécurité et des systèmes d’information.

Le site web de l’émission est libreavous.org. Vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour avec tous les liens et références utiles

Nous sommes mardi 11 juin 2024, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

À la réalisation de l’émission aujourd’hui Élise. Bonjour Élise.

Élise : Bonjour à tous. Bonne émission.

Frédéric Couchet : Merci. Nous vous souhaitons une excellente écoute.

[Jingle]

Chronique « Que libérer d’autre que du logiciel » avec Antanak

Frédéric Couchet : « Que libérer d’autre que du logiciel »,









[Virgule musicale]

Recrutement et diversité de genre dans l’informatique avec Marcy Ericka Charollois et Florence Chabanois

Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui porte sur le recrutement et la diversité de genre dans l'informatique, ou pourquoi et comment recruter des femmes dans un milieu d'hommes, avec nos deux invitées Marcy Ericka Charollois et Florence Chabanois que je vais laisser se présenter juste après.
N’hésitez pas à participer à notre conversation sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat », salon #libreavous.
On va déjà commencer par une petite présentation. On va commencer par Marcy qui est à distance. Bonjour Marcy.

Marcy Ericka Charollois : Bonjour à tous et à toutes. En effet, moi c'est Marcy, je suis consultante en inclusion numérique pour les minorités et les expériences inclusives.

Frédéric Couchet : D'accord. Florence Chabanois.

Florence Chanìbanois : Bonjour à toutes. Bonjour à tous. Bonjour Marcy. Je suis très contente d'être parmi vous. Je suis un Head of Engineering et aussi cofondatrice de l'association La Place Des Grenouilles qui est antisexiste.

Frédéric Couchet : Head of Engineering, c’est responsable ingénierie dans l'informatique. Je sais que tu as plus l'habitude des podcasts internationaux, mais ici, effectivement, on essaye un petit peu de traduire. Aujourd’hui, on ne va pas parler technique, en tout cas pas trop je pense.
Pour introduire le sujet, j'ai envie de commencer par une question un peu provocatrice – excusez-moi pour la provocation – pour déterminer un peu pourquoi on fait cette émission, la question c'est : pourquoi chercher plus de mixité dans les équipes d'informatique ? Une structure, qu'elle soit entreprise ou autre, recrute la personne la plus compétente quel que soit son genre ! Qui veut répondre à cette question parfaitement assumée provocatrice, qui veut commence ?r Marcy peut-être.

Marcy Ericka Charollois : J'allais dire « si tu veux, Florence, tu peux commencer ».

Florence Chanìbanois : Je pense que tu as la matière.

Frédéric Couchet : Vas-y Marcy. Faites comme vous voulez !

Marcy Ericka Charollois : C'est une question intéressante dans le sens où, en effet, on pourrait tout à fait se demander pourquoi on a un intérêt à avoir des démarches inclusives dans un milieu qui est, aujourd'hui, très masculin. Déjà, parce qu'on a un historique de la tech qui est, en réalité, plus féminin qu'il n'y paraît, avec des novatrices qui ont lourdement participé à la performance numérique et technologique. Pour toutes les innovations qu'on connaît aujourd'hui, en général, il y a une grande femme derrière qui est citée comme une femme, en réalité on connaît beaucoup de noms, je pense notamment à Hedy Lamarr qui change un petit peu d'Ada Lovelace, qu'on identifie comme la pionnière de l'informatique, mais il y en a d'autres, on a Grace Hopper et notamment toutes les femmes afro-américaines qui ont participé aux calculs d'Apollo. Tout cet historique-là fait, qu'aujourd'hui, on ne peut pas permettre encore ce storytelling, cette narration qui existe, qui est que le secteur est uniquement masculin, qu'il l'a toujours été et que c'est comme ça. Non !
En plus, on est dans un secteur qui est attractif d'un point de vue économique. Il faut savoir qu'aujourd'hui, rien que sur le marché de l'IA en 2024, on est quand même à une estimation de quasiment, oui, c'est ça, 16 milliards d'euros et il faut aussi se dire qu’avec toutes ces opportunités-là, qu’on a, que les femmes et les minorités de tout type puissent y avoir une place, participer et être représentées correctement dans ce qu'elles peuvent amener à la diversité à la fois des équipes, donc on parle de recrutement, mais aussi de conception. Si on continue à avoir un milieu qui est 100 % homogène, nous allons, finalement, foncer droit dans le mur avec des reproductions de biais qui seront évidentes et qui ont déjà été lourdement pointées du doigt.

Frédéric Couchet : D'accord Marcy. Florence

Florence Chanìbanois : Globalement, je suis complètement d'accord avec ce que Marcy a dit. Je rajouterai la partie conception, c'est plus un prolongement de son propos.
Déjà, nous sommes majoritaires, rien que le terme « minorité de genre » est étrange vu que les femmes sont 52 % de la population. Du coup, les produits qui sont conçus ne prennent pas en compte les femmes. C’est un biais humain, on va s'occuper déjà des besoins qu’on a, que sa catégorie de population a, sans parler du fait que les hommes sont aussi moins socialisés à se mettre à la place des autres du point de vue leur éducation. Du coup, ça fait qu’il y a la moitié de la population qui est écartée des inventions et on ne parle pas d’inventions luxueuses, ce sont vraiment des besoins primaires, sociaux, à satisfaire qui font que la santé des femmes, par exemple, est moins bien prise en compte ; les produits numériques sont aussi conçus uniquement par des hommes cis.

Frédéric Couchet : OK. Je vais juste préciser que le sujet du jour c'est la diversité de genre, ce n'est, évidemment, qu'une partie de la diversité, donc, sentez-vous libres d'aborder aussi d'autres sujets même si, aujourd'hui, on axe effectivement principalement sur cette thématique-là.
Donc, là c'était introduction qui explique pourquoi il faut agir et, pour éviter d'entretenir, quelque part, ce statu quo, il faut agir. On va faire deux grandes parties dans l'émission : la première, on va plutôt parler de la partie recrutement, c'est-à-dire comment on recrute, et, dans la deuxième partie, comment on arrive à « fidéliser », entre guillemets, en tout cas à faire que les gens ne partent pas, parce qu'il y a aussi des statistiques et vous en parlerez sans doute, concernant le nombre de départs, assez rapides, des femmes au bout de quelques années.
On va d’abord parler des actions sur le recrutement. Marcy, je crois que tu voulais notamment parler de méthodes de recrutement scientifique. J'avoue que je ne vois pas du tout ce que c’est, donc, si tu peux nous expliquer.

Marcy Ericka Charollois : Oui, bien sûr. Ce que dit « méthode de recrutement scientifique », c'est une méthode de recrutement qui ne s'appuie pas sur le feeling et j'insiste là-dessus parce que c'est important : au final, plus on va recruter au feeling, plus on va s'appuyer uniquement sur ses biais, ses perceptions plus, de fait, on va reproduire une culture dont, parfois, on n'a pas conscience, et c'est quelque chose qu’il est important de souligner. Malgré nous, suivant nos histoires personnelles, notre éducation, les écoles fréquentées, les cercles socio-économiques dans lesquels on a évolué, on est plus à même de reproduire les mêmes comportements de tous ces cercles dans lesquels on a grandi et dans lesquels on évolue chaque jour. Donc, si je me base uniquement sur du recrutement au feeling, je vais forcément m'appuyer sur des préconceptions et des biais qui vont valoriser une prise de décision qui, en fait, n'aura pas fait preuve d'objectivité et c'est tout le problème et c'est tout l'enjeu.
Quand on parle de méthodes de recrutement dite scientifique on va avoir des méthodes de recrutement qui font appel à ce qu'on appelle du scoring, donc, suivant des critères qui sont préétablis, on va pouvoir mettre un score sur des questions bien précises et, quand je dis bien précises, c'est justement ne pas tomber dans : quel est votre type d'écriture ? Suivant votre écriture, je peux déduire que vous êtes une personnalité plutôt vive ou une personnalité plutôt lente ; ou alors, suivant votre signe astrologique, je peux dérouler une préconception de qui vous êtes ; ou alors, par rapport à votre genre, par rapport à votre nom, par rapport à votre adresse, je peux déduire plein d'informations qui ne sont pas vraies et j'insiste là-dessus. En fait, toutes ces méthodes dites scientifiques vont vraiment reposer sur des questions qu'on appelle comportementales, qui vont donc s'appuyer sur le comportement de la personne suivant des questions qui seront rédigées en ce sens et ce sont des questions qui sont aussi situationnelles. Je vais faire un exemple assez typique. Un entretien qui s'appuie sur une méthode scientifique, ce serait : avez-vous déjà rencontré une situation dans laquelle vous avez dû faire preuve de leadership ? Qu'avez-vous fait suivant les enjeux que vous avez rencontrés ? C'est beaucoup plus cadré que, je ne sais pas, quels sont vos trois défauts et vos trois qualités ? En fait, je n'en sais strictement rien moi-même, j’ai mon propre baromètre d'évaluation quand je pose une question aussi vague que trois qualités et trois défauts.
En fait, il faut vraiment s'appuyer là-dessus pour dé-biaiser au maximum et arriver à un résultat qui sera objectif et évalué.

Frédéric Couchet : D'accord. Ce sont donc des questions où il y a plus de mises en situation concrètes plutôt que les fameuses questions vos trois défauts, vos trois forces, etc., si je comprends bien.

Marcy Ericka Charollois : Exactement. Il y a aussi une méthodologie qui s'appelle du coup STAR, qui n’est pas mal, que je donne à toute personne qui fait passer des entretiens.
C'est faire la mise en situation, expliquer la situation donc, en gros, la mise en contexte de ce qui s'est passé au regard de la question ;
ensuite, il y a quelles ont été les tâches qui ont été mises en place pour parvenir à l'objectif ;
ensuite, pour le « A », ce sera l'action, quels sont les types d'actions qui ont été mis en place, ça peut être en équipe, ça peut être individuel, peu importe la question qu'on vous pose, mais reposez-vous toujours là-dessus pour bien valoriser ce que vous savez faire et, justement, sortir du persona que vous pouvez évoquer par vous-même si vous êtes une femme ou toute autre minorité ; pour le « R » de la méthode STAR, c'est le résultat, quels sont les résultats obtenus, par exemple « j'ai mis en place telle feature, le résultat c'est une hausse de 10 % de clics à cet endroit. »

Frédéric Couchet : D'accord. Je précise que là tu parles déjà de l'entretien, on reviendra peut-être, juste après, sur les offres d'emploi, est-ce qu'il y a des choses à faire aussi sur les offres d’emploi ? On va quand même poursuivre cette partie-là. Florence, tu voulais réagir ?

Florence Chanìbanois : Je plussoie, encore une fois, Marcy, en réalité. Du coup, il y a ce mythe que tu as évoqué tout à l'heure en introduction, en disant qu’on ne recrute pas uniquement sur la compétence, comme si c’était ce qu’on disait.

Frédéric Couchet : C'est souvent ce qu'on entend, les gens qui critiquent ça, qui disent « finalement on ne recrute pas un homme ou une femme, on recrute une compétence ».

Florence Chanìbanois : Exactement et je pense que c'est très naïf de croire qu'on est imperméable aux biais. L’avantage de ces types de méthodes, qu'on applique déjà plusieurs personnes, ce qui fait qu'on a des éléments à peu près comparables, en tout cas plus comparables, qui sont aussi orientés sur un besoin concret, plus que sur un jugement de valeur, sur des affinités qu'on peut avoir avec quelqu'un ou pas, ça permet déjà d'enlever ces problématiques-là, en fait de discrimination dont on n'a pas conscience. Ne serait-ce que quand on parle de compétences, de quelles compétences parle-t-on ? J'ai vu tellement d'entretiens, y compris les miens, qui ont recours à des usages, en entretien, qu'on n'utilise pas du tout en situation. Concrètement, on va faire du Live coding : on va donner un exercice à quelqu'un, complètement un cas d'école qui ne ressemble pas à une vraie situation, parce que, en vraie situation, on arrive sur un code qui existe déjà, on va apporter une amélioration. C’est la première différence et pourtant, c'est ce qu'on fait !
La deuxième chose, c'est qu'on va regarder par-dessus son épaule comment ça se passe, pendant qu’on code. Rien que ça, ça rajoute encore quelque chose.
Cela provoque des effets. En réalité, la personne ne va pas rencontrer ça si on l'intègre dans l'entreprise, mais c'est comme cela qu'on va évaluer la personne. Du coup, ça déclenche un plein de mécanismes très personnels et aussi sociaux : qu'est-ce que ça nous fait d’être regardée si on a le biais du stéréotype qui s'enclenche disant que les femmes sont moins fortes en informatique. Les effets sont aussi différents selon les genres sur ce type de situation : les personnes qui sont très extraverties vont être plus à l'aise.
Un autre sujet sur la compétence qu'on brandit vraiment. Encore une fois, j'ai une conviction : on ne recrute pas du tout d'emblée sur les compétences, en fait, c'est un travail, c'est un processus qu'il faut mettre en place et ce n'est pas du tout si naturel et si fréquent que ça.
L'autre point, c'est la capacité à se mettre en avant. J'ai rencontré plein de femmes que j’avais énormément de mal à évaluer quand je n'avais pas de structure dans mes questions, parce que, justement, il y a plein de facteurs. On dit aussi aux femmes qu’elles doivent moins se vanter, moins se mettre en avant, du coup, en entretien, si elles se vantent, si elles se mettent en avant, en fait elles montrent leurs compétences, elles peuvent aussi être pénalisées sur ça, en disant « cette personne ne va sûrement pas bien s'intégrer, elle se vante trop, elle se met trop en avant. » Ce sont aussi des choses dont les femmes ont conscience et elles vont se ralentir par rapport.
Il y a plein d'injonctions contradictoires qui font qu’on n’est pas du tout sur un pied d'égalité dans les entretiens dans les processus de recrutement.
Donc, il y a tous ces processus à mettre en place, notamment la méthode STAR et plein d'autres. Déjà, c'est se dire qu’on définit ce dont on a besoin réellement, au quotidien, dans l’emploi qu'on cherche – ce ne sont pas juste des questions gratuites, ce sont des questions pour savoir quelque chose. Ensuite, on met en place un processus qui se répète, qui permet de comparer des éléments comparables.

Frédéric Couchet : D’accord. Tout à l'heure, je ne sais plus laquelle de vous, en introduction, parlait des biais. Quels sont, aujourd'hui, les principaux biais de recrutement par rapport au genre, j’entends ? Marcy.

Marcy Ericka Charollois : Il y en a plusieurs. Je pense notamment à tout ce qui est biais de confirmation, mais je vais surtout penser au biais de halo, qui joue énormément en recrutement. Le biais qui s'appelle l'effet de halo, c'est la façon d'utiliser sa première impression pour tirer des conclusions sur un portrait global. Si j'arrive très souriante, comme disait Florence, qu'en même temps je me mets en avant, mais pas trop, on va se dire « OK, super, elle est douce et, en même temps, elle peut bien se vendre, donc elle risque de bien s'intégrer, de ne pas prendre le dessus dans l'équipe. » Si j'arrive vraiment avec tout un tas de codes non-verbaux, il me semble que c'est à hauteur de 70 % que les codes non verbaux rentrent en jeu dans notre façon de nous évaluer, nous autres en tant qu'êtres humains, ça va avoir un poids vraiment considérable dans la préconception qu’on va déjà apposer sur moi et qui va confirmer, ou pas, je ne sais pas comment dire ça, un certain persona qu'on va déduire de moi et qui sera peut-être complètement à l'opposé. C'est aussi pour cela qu'on se retrouve, à l'inverse, avec des personnes qui sont d'excellents candidats, mais pas les bonnes personnes pour le poste. C'est important à souligner parce que, parfois, on a des gens qui savent vraiment très bien passer les entretiens d'embauche, notamment des hommes qui peuvent avoir tous les codes du milieu tech, si, en plus, ils ont grandi dans une culture geek, dans une culture vraiment numérique, beaucoup plus accrue qu'une femme. Je prends l'exemple inverse : une femme qui aurait fait plutôt un bootcamp, qui aurait entendu, sur le tard, la possibilité de rentrer dans ce type de carrière, en fait elle n’est vraiment pas du tout sur le même pied d'égalité. L'effet de halo peut donc être très violent à ce niveau-là. Et ça ne veut pas dire, si on prend cette femme-là, dont je parle on en guise d'exemple, versus l'homme qui est un très bon candidat, que, dans les faits, la femme ne pourra pas être une meilleure employée sur le long terme.
En fait, ce sont tous ces points-là qui sont de vrais points de friction. Je ne sais pas si tu as une autre idée de biais, Florence.

Frédéric Couchet : Juste avant qu'elle réponde, comme ça elle va éventuellement réfléchir, ce que tu viens de dire me fait penser que j'ai vu une excellente conférence que vous avez peut-être vue à MiXiT, une conférence autour de la tech et de l'inclusion, Anaïs Huet a fait une conférence « La douceur est-elle un avantage ou inconvénient dans ce monde de brutes ? ». À un moment, elle explique que pour une mission où elle cochait vraiment toutes les cases de compétences, qualité, etc., en fait le client ne l'avait pas prise parce qu'elle avait une voix trop douce et il lui avait dit « vous n'arriverez pas à vous imposer dans l'équipe ». Quand j’ai entendu ça, je me suis dit « c'est hallucinant d’entendre ça ! ». Donc, vous confirmez, Marcy ou Florence, que cette voix trop douce peut être un problème bloquant pour des femmes.

Florence Chanìbanois : Oui. Même pour la façon d’avoir accès à des financements, il faut savoir que les femmes, qui ont des voix plus aiguës, se voient perdre des points considérables à l'accès au financement de leurs entreprises, leurs start-ups, etc. Je n’ai plus les chiffres en tête, mais c'est assez effarant. En fait, il y a pas mal de mimétisme aussi de la part des femmes à parler dans des octaves bien plus basses pour paraître plus sérieuses et plus crédibles.

Frédéric Couchet : D'accord. Dans sa présentation, elle expliquait aussi que Margaret Thatcher, par exemple, avait visiblement fait un travail, justement pour parler dans une octave un peu plus grave, un peu plus bas.
Je vais laisser Florence revenir sur les autres biais de recrutement qu’elle a pu identifier.

Florence Chanìbanois : Carrément, je me permets des digressions aussi. Marcy, par rapport à ce que tu disais, j'avais vu un même texte, par rapport à des investisseurs et investisseuses, qui était lu par des femmes ou des hommes, pour voir qui était plus convaincant ou pas. Il me semble que c'était deux fois, rien que sur la hauteur de la voix.
Par rapport à Anaïs, ce que tu évoquais Frédéric, encore une fois sur le fameux mythe de la compétence, une étude de ??? [33 min 03] est sortie il n’y a pas très longtemps, qui confirme une intuition qu'on est beaucoup à avoir, je pense, que les femmes sont évaluées pas que sur la technique : elles vont être évaluées beaucoup sur la technique, beaucoup plus, en fait, que les hommes, mais aussi sur le relationnel, du coup la douceur, ce que tu dis. Par exemple si la personne, la femme pour le coup, n'est pas assez souriante et n'a pas, en plus, des traits de relation, ça va être pénalisant, alors que, pour un homme, on considère que la technique toute seule suffit.

Frédéric Couchet : Pour préciser la question : est-ce que ça peut être aussi, éventuellement, un avantage en fonction du poste recherché ?

Florence Chanìbanois : Non ! Jamais ! Jamais sur un poste tech, parce que ce ne sera toujours un bonus, en fait. On va toujours mettre, en tout à date 2024, le niveau technique, la compétence technique plus importante que le relationnel. Pour un homme ce sera un bonus, ça peut être un critère si on utilise la méthode STAR, mais c'est quand même moins souvent un critère que le côté technique, alors que pour la femme ce sera indispensable, si elle n’a pas les deux, ça ne marche pas.
Sur le côté douceur, c'est quand même terrible. Je ne sais pas si on s’en rend compte. J'ai déjà eu des feed-back me disant « je ne sais pas si tu pourras t’imposer et tout ! — Ça va, je gère une dizaine de personnes et je n'ai même pas cherché à argumenter ! » Si tu savais tout ce qu'on se prend dès qu'on commence sa carrière !
À l'inverse, si quelqu'un ne te voit pas douce, si une femme a une voix plus affirmée, ça peut aussi être pénalisant.

Frédéric Couchet : En fait, vous êtes perdantes tout le temps !

Florence Chanìbanois : C'est ça ! En fait, on a un très petit spectre, si on tape dedans ça marche, mais, si on fait un petit glissement, on peut être pénalisée, tout simplement.
Du coup sur les biais, puisque c’était ta question à l’origine. Pour moi, c'est le biais de similarité qui est un peu la petite sœur du halo, je pense, qui fait qu’on ne se rend pas compte de combien on aime bien les gens qui nous ressemblent, encore plus dans une culture tech où il y a quand même pas mal de culture bro et tout ça, entre frères. On va mettre en avant du baby foot, de la bière, tout ce qui est fraternité, ce sont des choses très mises en avant dans les médias, dans la politique, c'est une valeur qui est universelle, n'est-ce pas ?, alors qu’on entend moins la sororité. Du coup, il y a ce côté « je vois quelqu'un qui me ressemble, qui a les mêmes centres d'intérêt », du coup, on plonge très vite dedans. Avec ce biais-là, on peut très vite oublier tout le reste : le côté «  suis-je en train d'évaluer le reste, d’évaluer quelqu'un », et on oublie de poser toutes les questions qui sont importantes. Je pense que c’est comme cela qu'on peut se retrouver à faire des recrutements ratés parce qu'on s'est un peu laissé entraîner dans un petit effet narcissique, en disant  « je m'entends bien avec cette personne » parce qu'on cherche surtout des collègues, en réalité, quand on recrute.

Frédéric Couchet : J’ai une question : inclure une femme dans le processus de recrutement, au niveau entretien, est-ce que c’est pratiqué ? Est-ce que c'est positif ? Négatif ? Est-ce que ça permet de tester, par exemple, les hommes aussi ? Voir, par exemple, si l'homme en recrutement va plus parler à l'homme recruteur ou la femme recruteuse ? Est-ce que l'implication d'une femme dans le processus de recrutement c’est pratiqué ?. Marcy.

Marcy Ericka Charollois : Je pense que ça se pratique de plus en plus, en tout cas de ce que j'ai comme discussions. Il est évident qu’on a aussi des prises de position politiques, quant au numérique, ne serait-ce que le Pacte Parité pour l'égalité femme-homme ; ça implique pas mal de choses en termes d’évolution des rôles des femmes dans la tech, notamment le fait de les inclure dans les processus de recrutement.
Est-ce que c'est un une garantie de réussite ? En rien du tout ! S'il y a bien une chose sur laquelle on est complètement égaux en tant que femmes et en tant qu'hommes c'est notre capacité à être totalement absorbés par nos propres biais dans ce qu'on va chercher à déterminer comme confirmation, ou non.
On peut avoir aussi des effets qui sont bien réels, c'est tout ce qu'on va appeler la misogynie intériorisée, comme on peut avoir du racisme intériorisé, du validisme – ça c'est plutôt par rapport au spectre du handicap et de l'accessibilité qui va être intériorisé –, on peut parler de grossophobie, etc., ce serait totalement expansif. En fait, les femmes ne sont pas du tout étrangères au fait d'avoir intériorisé tout un tas de biais pour, en plus, survivre.
Si on est la seule femme dans une équipe complètement masculine, qu’on a suivi des études, je donne un exemple comme ça, d'ingénieur où, déjà, on a été sociabilisée comme étant l'une des seules femmes de sa promo pendant des années, il faut bien prendre en compte qu'on a aussi intériorisé tout un tas de biais en tant que femme. Du coup, il faut vraiment faire tout un travail de déconstruction, ça c'est vraiment le pied d'égalité des hommes et des femmes dans notre industrie, comme dans bien d'autres, et tant qu'on ne fera pas cette démarche-là on ne pourra pas garantir la maximisation des effets positifs des recrutements dits inclusifs et objectifs.

Frédéric Couchet : Avant de faire une pause musicale, sur ce que tu viens de dire, je pose une question à Florence. Je ne me souviens pas si tu as fait des écoles d'ingénieur.

Florence Chanìbanois : J'étais à la fac, j’ai fait de l'informatique.

Frédéric Couchet : C’était dans l’informatique, donc, probablement, dans un milieu très masculin.

Florence Chanìbanois : Nous n’étions pas beaucoup.

Frédéric Couchet : As-tu vécu ce que vient de décrire Marcy ? Et est-ce que dans ton travail de recruteuse, parce que tu as aussi fait du recrutement, ça a évolué par rapport à il y a quelques années, par exemple ?

Florence Chanìbanois : Oui complètement. On avait justement fait presse ??? [37 min 13] avec Marcy où on en parlait un peu. Je suis complètement dans ça, « le féminin c'était moins bien » et ce n'est vraiment pas quelque chose dans lequel je voulais être associée. C'est ça qui est compliqué. On vit dans la même société, en réalité, qu'on soit homme ou femme, et quand on arrive, justement, à survivre dans ce système, malgré nous, sans nous en rendre compte vraiment, donc je n'allais pas mépriser les femmes ou quoi que ce soit, mais ce n'est pas quelque chose auquel je voulais être associée. C'est relativement récemment que je me suis rendu compte de ça, au niveau du recrutement en tout cas. Une fois qu'on en a conscience et qu'on commence à prendre des actions, c'est là qu'on voit des choses très différentes et surtout qu’on a tort.

Frédéric Couchet : D’accord. On va y revenir après la pause musicale. On va faire une pause musicale.
La pause musicale est proposée par Joseph Garcia de l'équipe musique de Libre à vous!. Il est également membre de l'équipe de l'émission Les contes, c’est du Sérieux. Je pense que la musique devrait vous plaire. Je vais le faire en anglais puis en français, le titre c'est Burn The Whole Thing Down, en gros c'est « Tout cramer » de Momma Swift. On se retrouve dans trois minutes. Belle journée à l'écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Burn The Whole Thing Down par Momma Swift.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Burn The Whole Thing Down par Momma Swift – je vous encourage vraiment à écouter tout l'album, surtout en cette période un peu troublée. Ce titre est disponible sous licence libre Creative Commons Attribution, CC By 3.0.

[Jingle]

Deuxième partie 43’ 44

Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre notre sujet sur le recrutement et la diversité de genre dans l’informatique avec nos deux invitées, Florence Chabanois, qui est avec moi au studio, et Marcy Ericka Charollois qui était à distance.
Avant d’aborder la question, on va dire sur le long terme, pour entretenir les bonnes pratiques, on pourra quand même reparler de la partie recrutement, si vous le voulez, je voulais qu’on revienne, pour ne pas oublier, sur la partie qui précède le recrutement, qui est l’offre d’emploi, le profil de poste : qu’y a-t-il à faire pour qu’en fait, avant même l’entretien, que vous ayez des personnes autres que des hommes qui répondent à ces appels d’offres ? Est-ce qu’il y a des bonnes pratiques ? Est-ce qu’il y a des choses, au contraire, à ne pas faire ? On va commencer par Marcy sur cette partie offres d’emploi.

Marcy Ericka Charollois : Il y a pas mal de choses à faire. Déjà, pour commencer, il y a la capacité de féminiser le poste ou alors de mettre la mention « F/H/X » pour « Femme/Homme/Non-binaire », par exemple.
Disons qu’il y a pas mal de réflexion autour du point médian, sur le fait qu’il manque d’accessibilité suivant les troubles dys et aussi sur les liseuses pour les personnes qui sont en situation de déficit visuel. J’ai envie de dire que c’est à vous de voir, sentez-vous libres de l’utiliser ou pas. Personnellement, je ne l’utilise plus du tout, justement pour ne plus poser de problèmes aux personnes à qui ça en pose, je pense que c’est aussi important de le voir comme ça.
Dans le contenu de la fiche de poste, ce qui est recommandé, c’est de constater parfois à quel point on peut mettre en avant des process qui peuvent être trop longs, beaucoup trop fastidieux, qui ne sont pas compatibles avec des rythmes de vie de femme, notamment si elles sont parent en plus de ça. Il y a quand même des gros enjeux là-dessus et également tout ce qu’on va laisser transparaître en termes de culture d’entreprise. Florence l’a super bien mentionné tout à l’heure quand elle parlait de toute cette culture masculinisée – pizza, baby-foot. On peut aller plus loin, notamment proposer plutôt des activités qui seraient plus intéressantes, en fait, pour le développement de sa carrière. Aujourd’hui, je pense qu’en tant que femme dans le numérique, on a plus envie de savoir comment on va pouvoir développer ses compétences justement, qu’elles soient techniques mais aussi tout le reste, tout ce que ça englobe : comment négocier correctement son salaire ; comment prendre la parole lors de présentations en équipe ; développer ses compétences de leadership, de management, tout ce qui va jouer sur l’intelligence collective, etc. Ça peut être beaucoup plus pertinent de mettre ça en avant et de mettre en avant plus de souplesse et, comment dire, moins de paraître et plus de dur, si je peux dire ça comme ça.

Frédéric Couchet : D’accord. Juste avant de passer par la parole à Florence avec une question, on va rappeler aux gens qu’on peut faire de l’écriture inclusive sans le point médian, ça prend peut-être un peu plus de travail en termes de rédaction. Beaucoup de gens poussent des cris d’orfraie sur l’écriture inclusive parce qu’ils le réduisent ou au point médian, qui pose les problèmes que tu as évoqués, mais on peut évidemment faire sans. Florence, je voulais te laisser réagir là-dessus, mais je voulais aussi, éventuellement, t’orienter sur des questions. J’avais lu, par exemple, deux points :
que, dans les offres d’emploi, il ne fallait pas mettre de trop nombreuses demandes de compétences, parce que, souvent, les hommes pouvaient répondre à une offre d’emploi même s’ils pensaient ne maîtriser que 50 % des compétences alors que les femmes considèrent qu’il faut qu’elles maitrisent au moins 80 à 90 % des compétences ;
deuxième point sur le vocabulaire : traditionnellement, dans l’informatique on voit beaucoup de vocabulaire qui est un peu compétitif, esprit d’équipe comme tu l’as dit, esprit masculin, plutôt Ninja, des termes comme ça, qui sont plutôt des termes repoussoirs pour les femmes.
Est-ce que, sur ces deux points-là, tu as des retours ?

Florence Chabanois : Oui, complètement. J’ai vraiment grandi dans un milieu d’hommes, en fait, en termes de dessins animés, de tout. Du coup, tout ce qui est guerrier est quelque chose que j’incorpore assez vite et qui me paraît intéressant. Je me suis rendu compte, après coup, que pas mal de mes fiches de poste avaient ce genre de vocabulaire.

Frédéric Couchet : Mais ça ne te dérange pas !

Florence Chabanois : Je n’arrive même pas à le dire, en fait. Je pense que je suis trop dedans, on pourrait dire. Par contre, entre une offre d’emploi où il y a ça et une offre d’emploi qui me parle d’un chemin de carrière, d’une progression, il n’y a pas photo, je vais plutôt aller là. Je pense que j’ai donné ça en pensant que c’était ce que les gens recherchaient. Du coup, ça nourrit quand même quelque chose d’assez bizarre, parce que je veux recruter des gens qui ont l’esprit d’équipe plus que des gens qui veulent battre les autres.

Frédéric Couchet : Ça veut dire qu’il faut mettre plus de terminologie en termes de coopération plutôt que de compétition.

Florence Chabanois : En tout cas, là c’est personnel. Ce qui est sûr c’est que sur le côté compétitif, en termes de socialisation encore une fois, nous sommes élevés très différemment : les filles, les jeunes filles sont plus élevées sur des jeux à jouer toutes seules ou côte à côte, alors que les garçons, c’est plus des jeux d’opposition. Du coup, ça arrive sur l’affinité, on va plus, en réalité, parler à des futurs garçons, donc des hommes, qu’à des femmes.
Il y a aussi, effectivement, un facteur au stress qui est un peu différent : les femmes vont quand même plus hésiter avant de postuler par rapport à la correspondance de ces critères ; le syndrome de la bonne élève peut jouer. Je donne un exemple que j’avais sur une fiche de poste : on était deux à postuler, je ne savais pas que c’était un de mes potes. J’ai mis une semaine avant de postuler, à me dire « j’y vais, je n’y vais pas », j’ai donc lu l’annonce en long, en large, ce que je croyais que la plupart des gens faisaient, mais visiblement non. Lui s’est arrêté aux deux premières lignes, en disant « oui, ça passe » et il a postulé. Rien que ça m’a fait délirer, je l’ai su des mois après. Après 20 ans d’expérience, je me rends compte que même moi je ne suis pas protégée.

Frédéric Couchet : Tu parles d’un exemple récent ?

Florence Chabanois : Relativement récent. Notre cerveau dit qu’il faut postuler même si on ne correspond pas partout, mais on est aussi moins entraînée à avoir des non, des échecs, alors que, encore une fois, de par les jeux qui sont joués par les garçons, c’est OK d’échouer, de perdre, on recommence, ce n’est pas tout un drame, alors que pour les filles c’est plus dur ; avec une corde à sauter, on ne peut vraiment tomber !
Cela fait qu’il y a plusieurs facteurs qui vont dans le même sens. Effectivement, adopter un langage qui est plus universel ou plus orienté femme, ça peut, parfois, contrebalancer, en tout cas rétablir un peu plus d’équilibre par rapport aux candidatures qu’on peut avoir.
Sur l’écriture inclusive, donc au sens large, je sais que j’avais zéro candidature quand je ne l’utilisais pas et quand je l’ai utilisée, j’ai eu quelques candidatures, ce n’était pas foufou. TO2 [51 min 06] avait utilisé un terme un peu moins genré, software engineer plutôt que « développeur », qui avait augmenté le taux de candidatures de 30 %, quelque chose comme ça. Ça peut donc jouer. Maintenant, c’est vrai que je regarde. Ce n’est pas tant que les femmes vont se précipiter sur une offre d’emploi, je pense aussi qu’elles changent moins souvent, c’est plutôt est-ce qu’on voit des loups, est-ce qu’on a des warnings. Du coup, ça va au moins enlever des barrières par rapport à ça.

Frédéric Couchet : Quels genres de loups par rapport aux offres d’emploi ?

Florence Chabanois : La question c’est que si on est qu’entre gars, ce n’est pas quelque chose pour lequel on a envie de prendre le risque en fait.

Frédéric Couchet : Peut-être une question : est-ce que, par exemple, si vous candidatez pour une offre d’emploi sur une entreprise, une collectivité ou autre, une association, est-ce que vous allez voir les sites des entreprises pour voir si vous trouvez des photos des personnes ?

Florence Chabanois : Clairement. Pas que ça que ! Tout, en fait : les conférences, les réunions, non, pas les réunions non parce que je dois y aller, mais les dîners, les associations sportives, tout ! Je regarde avant s’il n’y a pas des warnings au moins sur l’image publique. C’est d’ailleurs aussi une bonne pratique sur l’image corporate de l’entreprise.

Frédéric Couchet : Marcy, conseilles-tu aussi ce genre de chose ? C’est vraiment nécessaire d’aller dans ce niveau de détail aujourd’hui ?

Marcy Ericka Charollois : Oui complètement, je rejoins totalement Florence sujet. En fait, aujourd’hui, on a besoin de pouvoir se projeter sur le long terme dans les équipes qu’on a envie de rejoindre et, forcément, faites le test. Vous allez sur – je ne sais pas si je peux les citer, je vais les citer quand même, ce n’est pas grave – Welcome to the Jungle, c’est un petit sujet qui est assez amusant dans la démonstration de ce qu’on dit. En fait, souvent, vous pouvez passer d’entreprise en entreprise, regarder les photos, ce sont toujours des personnes blanches en très grande majorité, généralement que des hommes et tout le monde porte des sweats bleu marine ; en ce moment ce n’est que ça. De fait, ça créée beaucoup d’interrogations : quelle image, quelle culture on en train de fonder surtout sur des environnements de start-ups, parce que je pense que ça se lisse un petit peu plus, quand même, quand on est sur des licornes ou des institutions plus variées. On parlait d’associations, on parlait de collectivités autres, clairement ça se lise davantage.
C’est vrai que sur la culture start-up, on voit quand même qu’il y a une espèce de réassurance du code vestimentaire, de la présentation, du type de pose aussi, des endroits dans lesquels on pose, comment on va poser, est-ce qu’on se met de trois quarts face à la face à la caméra, est-ce qu’on est plutôt sur un non-verbal de conquérant ou plutôt passif, est-ce qu’on est plutôt tous autour d’un tableau blanc en train de coller des post-it ou, plutôt, dans une posture plus individualiste ? Tout cela, ce sont vraiment des choses qui sont très épiées par les femmes et les minorités de la tech pour savoir si elles vont pouvoir résister à tous les biais qui vont s’abattre du coup sur elles après cette prise de poste.

Frédéric Couchet : D’accord. C’est bien de parler de ça, ça nous permet d’enchaîner, en tout cas d’aller sur le travail sur le long terme, notamment la culture d’entreprise. Je précise que Welcome to the Jungle est un site qui permet de découvrir les coulisses des entreprises qui recrutent, etc. C’est bien ça ?

Marcy Ericka Charollois : C’est ça, exactement.

Frédéric Couchet : D’accord. Donc, là, on a effectivement parlé de l’offre d’emploi, du recrutement. Donc une personne, une femme est recrutée, l’enjeu, après, c’est quand même qu’elle reste en poste, en tout cas tant qu’elle le veut. Je n’ai pas les chiffres en tête, peut-être que l’une de vous les a, on assiste, dans l’informatique, à des départs « assez rapides » entre guillemets : beaucoup de femmes partent assez rapidement de l’entreprise parce que, tout simplement, elles se rendent compte que le milieu ne correspond pas à ce qu’elles pensaient y trouver. Je sais pas si l’une de vous a les chiffres en tête.

Florence Chabanois : C’est la moitié au bout de dix ans, en général, à plus de 35 ans d’après des études françaises et américaines qui convergent à peu près sur les données, je ne sais pas si Marcy a ça.

Marcy Ericka Charollois : C’est exactement ce chiffre-là aussi j’avais en tête : une femme sur deux quitte la tech après 35 ans, en général, ça glisse sur les dix ans de carrière. Il y a des vraies remises en question à ce moment pivot.

Frédéric Couchet : D’accord. Ça suppose donc que la structure, quelle qu’elle soit, pour éviter cela, doit travailler sur sa culture d’entreprise, notamment sa culture d’inclusion sur la diversité de genre et, encore une fois, sur toutes les diversités, même si, aujourd’hui, on parle beaucoup de diversité de genre. Que faut-il qu’elles mettent en place ? Quelles sont les choses qu’il faut absolument qu’elles mettent en place ? Je suppose, par exemple, qu’il y a des choses à faire sur les horaires des réunions qui peuvent être le soir. Qu’est-ce qui peut être mis en place sur le travail autour du sexisme ambiant, voire plus, dans le monde de l’informatique ? Florence.

Florence Chabanois : Sur les horaires, c’est un exemple qui est un peu sexiste. On associe souvent ça à la maternité, alors que tous les parents ont, à priori, des enfants, tous les parents les emmènent, enfin pas tous.

Frédéric Couchet : Historiquement, on sait bien que les femmes s’occupent plus d’aller chercher… Je suis un homme, parent, donc j’assume parfaitement de dire ça.

Florence Chabanois : Oui complètement. C’est vrai, tu as raison de le mentionner. On entend aussi le contraire, donc ce n’est plus un sujet.

Frédéric Couchet : Non, je pense que c’est toujours un sujet.

Florence Chabanois : C’est toujours un sujet, très clairement, on est d’accord, surtout pour récupérer les enfants ! Les déposer ça va, parce que c’est vite fait, ça prend cinq minutes le matin – si, je m’en occupe, je les dépose –, c’est exactement ça. En fait, ça me fait penser à autre chose. Par rapport au recrutement, je crois que j’ai mis six mois ou un an avant de recruter des femmes compétentes, les gens aiment bien dire ça. On est d’accord que je ne suis pas à but non-lucratif quand je travaille, l’idée c’est de trouver des bons collaborateurs et collaboratrices. Ce qui est intéressant, en tout cas l’une des conclusions que j’ai eues après toute cette démarche, c’est que, d’une part, j’ai recruté plus de femmes, mais, surtout, j’ai amélioré le processus de recrutement global, pour tout le monde. Du coup, ces sujets de réunion pas trop tard le soir, en fait ça profite à tout le monde, les mères, les pères et puis les gens aussi, en fait : quand on a sept ou huit heures dans les jambes on est un peu moins frais pour une réunion, donc, en fait, on y gagne, ça permet d’avoir aussi du temps focus, c’est donc une des pratiques. Quelle était la question, j’ai loupé ?

Frédéric Couchet : Les bonnes pratiques pour conserver ces femmes, tout simplement, qui ont été recrutées.

Florence Chabanois : Pour moi, c’est tout ce qui est sexisme ordinaire auquel il faut remédier et, comme disait Marcy tout à l’heure, personne n’est protégé de ses propres biais, déjà, à la base, c’est les reconnaître franchement. On a tous des biais, on en a sûrement plus qu’on croit, c’est même sûr, donc, l’enjeu, c’est de ne pas enterrer le problème en disant « dans notre entreprise, chez nous, il n’y a pas de sexisme », ce n’est pas vrai, ce n’est pas possible, il y a du racisme, il y a du sexisme et tout, parce que c’est la société, il n’y a pas de raison qu’on soit hermétique à tout ça. La question c’est : qu’est-ce qu’on fait, au quotidien, pour que, quand ça va se produire, ce soit géré ? Une des pratiques, déjà, c’est de soutenir les communautés qui sont moins représentées, en développant, justement, des communautés, pour que ces personnes soient pas isolées. Ça peut être des slacks, enfin des canaux slacks, je donne du jargon, des espaces de discussion virtuels, en ligne ; ça peut être des réunions récurrentes où les gens peuvent remonter leur expérience ; ça peut aussi programmer des échanges entre différents types de population pour que chacun, chacune, ne soit pas dans sa bulle et connaisse aussi les réalités des autres ; ça peut être des sensibilisations à tous les niveaux d’échelle de l’entreprise, y compris la direction, pour avoir connaissance des biais dont on peut être sujet ; ça peut être appliquer la loi, ce n’est pas mal aussi, dans le sens réagir en tant qu’entreprise, en tant que collègue, en tant que témoin, quand on entend quelque chose qui n’est pas OK, que ce soit raciste, sexiste, validiste, qui, en réalité, met quelqu’un mal à l’aise. Ce n’est pas OK dans le milieu l’entreprise et il faut le dire, parce que je pense que le plus dur c’est le silence, c’est le fait que ça se passe sans conséquence, et ça donne juste l’impression d’être toute seule, parce que personne n’ose rien dire.

Frédéric Couchet : Justement, j’ai une question. Tu parlais tout à l’heure de sexisme ordinaire. Historiquement, dans le sexisme ordinaire, il y a les blagues sexistes que font les hommes. Est-ce que, aujourd’hui, il y a de plus en plus d’hommes, notamment, qui, quand il y a une blague sexiste, disent « attention, c’est une blague sexiste ».

Florence Chabanois : Oui, il y en a plus. Après, moi je n’ai pas vécu il y a 50 ans, donc je ne peux pas vraiment comparer. Quand je t’entends, je me pose l’intention de ta question. Ce que j’entends, c’est qu’on a souvent envie d’être rassuré, en disant « aujourd’hui c’est mieux qu’avant. »

Frédéric Couchet : Non, ce n’était ma question. Je parlais par rapport ma pratique professionnelle. Depuis 20 ans, j’ai vu les choses évoluer. Je suis un peu plus vieux que toi, mais il n’y a quand même pas 50 ans, mais il y a quelques années il y a des choses qui, entre guillemets, « ne me choquaient pas », alors qu’elles étaient choquantes et, aujourd’hui, je vois des choses que je fais remarquer ou que beaucoup d’autres font remarquer. Je me dis donc qu’il y a une évolution et que, dans d’autres structures, ça doit être le cas, sans que ce soit parfait.

Florence Chabanois : Je n’en ai pas vu beaucoup en entreprise. Je vois plus des hommes se prononcer, vraiment en tant qu’avis, dans le public, on va dire dans l’espace public, sur les réseaux sociaux, des choses comme ça. Je vois des choses, j’en vois un petit peu, j’en vois qui disent qu’ils sont favorables et qu’ils vont mettre en place des initiatives, mais quand il y a un souci, honnêtement je n’en entends pas beaucoup.

Frédéric Couchet : Le traitement d’un vrai incident ?

Florence Chabanois : Un vrai incident, un incident, en tout cas. Souvent, ce sont les femmes qui vont prendre la charge ou alors quand il y aura une espèce de malaise. Le plus que j’ai vu, c’est juste que les gars ne vont pas rire en plus, ils vont peut-être faire une petite moue, genre « bon, là », mais de là à dire « non, ça ce n’est pas OK, c’est sexiste », je n’ai jamais vu.

Frédéric Couchet : Marcy, peut-être, en a vu.

Marcy Ericka Charollois : Oui, j’ai vu.

Florence Chabanois : Tant mieux, merci.

Marcy Ericka Charollois : Carrément. J’étais en train de me poser la question en même temps. Je pense aussi que suivant les secteurs ou les postes occupés dans la tech on n’a pas du tout les mêmes degrés de sensibilité aux enjeux sociaux. Je pense que dans le cloud on est quand même un peu un peu loin de ces prises de position d’allié, elles ne sont pas aussi ouvertes que chez, je ne sais pas, j’essaie de réfléchir à d’autres sous-secteurs de la tech. En tout cas, ce qui est certain, c’est qu’il y a tout de même une bascule claire et nette sur la mise en avant des femmes dans le numérique en France, notamment dans tous les espaces de conférence, de convention et autres. Je pense que ça a aussi beaucoup chamboulé la prise de conscience de tous ces types de comportements qui ne sont pas du tout bénéfiques, comme le disait Florence, pour le global. C’est-à-dire qu’en faisant évoluer progressivement vers le bien la condition des femmes et des minorités, on améliore la condition de tout le monde et ça joue énormément. J’ai pu voir, constater et discuter, parce que je fais partie de certains, comme tu disais, espaces de discussion en ligne, virtuels, où quand même, aujourd’hui, on a vraiment des personnes hommes ou identifiées hommes qui ne vont pas hésiter à prendre position et à défendre leurs collègues femmes lorsqu’il y a un conflit et ça peut aller assez loin. J’ai déjà vu des situations comme ça, prud’homales, où, justement, des hommes ont fait front ensemble pour soutenir leur collègue femme qui a vécu des situations sexistes, dangereuses, qui sont tout à fait sérieuses, puisqu’on parle quand même de situations prud’homales.
J’ai pu avoir la chance de constater qu’il y avait quand même une vraie prise de conscience là-dessus, ça ne veut pas dire que les comportements sexistes ne subsistent pas. Pour tout ce qui est blague, je pense qu’aujourd’hui, dans notre société, on a quand même sensiblement une grande remise en question de l’humour, avec qui on peut rire et de quoi on peut rire. Il y a donc quand même, je pense, une espèce de temporisation là-dessus.
Là où je tiens à appuyer quand même quelque chose, où je pense qu’on a énormément d’améliorations à apporter, c’est sur tout ce qui va être effet Matilda, en fait le déni des travaux des femmes, la minimisation qui est quand même récurrente des travaux des femmes ou des femmes qui vont s’exprimer. Je ne sais pas, je donne un chiffre au hasard : dix fois, sur la même idée, en itération, à différents points dans leurs équipes et puis il suffit qu’il y ait un homme, au dernier moment, qui dise exactement la même chose que celle que la femme a répétée pendant dix fois pour que ça y est, le manager ait une espèce d’illumination, d’épiphanie, et dise « mais oui, évidemment, c’est une idée extraordinaire ! ». C’est l’un des leviers qui fait que les femmes se découragent et finissent par s’en aller : le manque de reconnaissance et l’appropriation complète de leurs travaux et de leur participation active à la vie de l’équipe.
Il y a ce sujet sensible qui en découle forcément qui est : comment peut-on rendre légitime, palpable, entendable, visible, une dose de travail et d’idéation qui nous a été complètement spoliée lors de l’entretien annuel et ça joue sur tout ! Ça joue sur la négociation salariale, ça joue sur les augmentations, ça joue sur la prise en compte de la participation des femmes et après, un beau jour, on se demande pourquoi la femme est partie de l’équipe, alors qu’en fait on avait tous les signes avant !

Florence Chabanois : Ça me fait penser aussi à tout ce qui est à rendre service dans l’entreprise, ce qui est travail gratuit. Ça va être les pots de départ, ça va prendre soin des autres.

Frédéric Couchet : Pour les pots de départ, ce sont les femmes qui les préparent, qui installent la salle, qui rangent.

Florence Chabanois : Exactement, qui réfléchissent à comment donner une bonne ambiance. Elles vont gérer la charge relationnelle de l’équipe qui est super importante, l’homme a juste à travailler sur les tâches qui lui sont conférées, du coup, il investit dans sa carrière. Ça ne me dérange pas en soi parce que je pense que c’est important, aussi, d’avoir du relationnel. Ce qui est problématique, c’est : est-ce que c’est un choix de tout le monde et est-ce que c’est valorisé de la même façon ? Et, aujourd’hui, ce n’est pas le cas. Du coup, ça fait que c’est un des facteurs qui font que les femmes quittent la tech parce qu’il y a trop d’inégalités, il y a du de sexisme.

Frédéric Couchet : À vous entendre, est-ce que dans toutes les structures qui recrutent, les structures où il y a des êtres humains, il faut que des formations soient organisées autour de ça et quasiment obligatoire ; comme les formations annuelles, techniques, on doit faire une formation pour que, par exemple, les gens entendent ce qu’est l’effet Matilda, sachent ce que c’est. Je pense que beaucoup de gens qui écoutent l’émission aujourd’hui n’ont sans doute jamais entendu parler de cet effet-là. Est-ce que ça devrait être une obligation et quelle forme peut prendre ce genre de formation ? Je crois que c’est un peu ce que tu fais Marcy, si j’ai bien compris.

Marcy Ericka Charollois : Tout à fait. On m’appelle dans les équipes à la suite de discussions internes, notamment sur des problématiques de marque employeur et de communication interne, sur comment rajouter des blocs dans les démarches qui sont réalisées soit par le pôle recrutement RH, communication et marketing, pour consolider toutes ces démarches qui visent, notamment, à plus d’inclusion. On m’appelle souvent soit pour refaire uniquement mes conférences ou alors faire mes conférences et des ateliers, soit faire mes conférences, des ateliers et des débats. Je garantis de livrer une infographie qui résume à peu près tout ce qui a été dit, les problématiques de chacun des clients qui ont fait appel à moi et un livrable complet, d’à peu près une vingtaine de pages, dans lequel je vais bien resituer quel est le contexte, pourquoi on fait cette démarche-là, quels sont les chiffres à suivre et quelles sont les démarches qui vont amener à beaucoup plus de compréhension de l’intérêt de toutes ces problématiques qu’on ose adresser beaucoup plus facilement aujourd’hui. Comme tu disais, on sait pas ce qu’est l’effet Matilda jusqu’à temps qu’on comprenne et qu’on voie la démonstration complète de ce que ça engendre. Quand j’arrive en entreprise et que, d’un seul coup, la parole est libérée, ça fait un avant et un après qui fait tout drôle à certaines personnes. Un point sur lequel je veux insister, c’est que les gens ne le font pas nécessairement pour faire du mal, c’est parce que, culturellement, il est complètement admis qu’on puisse avoir ce type de comportement-là.
Florence, quand tu disais « appliquer la loi », c’est aussi refaire le focus là-dessus. J’aime redire que tout ce qui est discrimination correspond quand même à des textes de loi, c’est-à-dire qu’on ne peut pas s’amuser à faire tout et n’importe quoi sur la dignité des gens et leur capacité à avoir une carrière tout à fait convenable en entreprise. Je vous en parlais tout à l’heure, il y a aussi le Pacte Parité pour l’égalité femme-homme qui existe dans la tech, qui a été signé par un grand nombre de licornes il y a quelques années maintenant. L’objectif de celui-ci c’est quand même de former les managers aux enjeux de la diversité, il y a la lutte contre le harcèlement, les discriminations, d’ici la fin de l’année il y a, il me semble, la signature de ce pacte-là. L’objectif c’était quand même aussi d’atteindre un seuil minimum de 20 % de femmes en 2025 dans les équipes puis 40 % en 2028, je pense qu’on a encore une très grande marge pour faire évoluer ces chiffres.

Frédéric Couchet : Merci Marcy. Élise me fait signe qu’on arrive à la fin. On a un sujet enregistré juste après, donc on ne peut pas dépasser.
Je vais vous proposer le mot de la fin, chacune deux minutes max soit pour faire un résumé de ce que vous avez envie, soit pour mettre l’accent sur un autre point. On va commencer par Florence Chabanois.

Florence Chabanois : En deux minutes, ça marche. Je pense qu’un bon point de départ c’est de mesurer où on en est aujourd’hui, pour être sûr d’avancer, c’est la base, c’est ce qui permet de mesurer les progrès, d’être sûr se donner les moyens pour ça et de changer un peu nos habitudes qu’on va tout le temps reproduire.
Par rapport à la culture, attention aussi aux mots : on va souvent dire « les gars », on va parler au masculin. On peut parler en doublement, dire « les gars et les femmes, les gens, les membres » et aussi à être conscient du temps de parole dans les réunions parce que, aujourd’hui, c’est 70 % du temps qui est occupé par les hommes.
Je dirais qu’il faut déjà observer, aujourd’hui, on en est de façon qualitative et quantitative, et vraiment ne pas se précipiter sur des actions. Voir comment les femmes réagissent par rapport aux hommes, comment les hommes réagissent par rapport aux femmes, avant de vraiment pouvoir commencer à adresser le sujet de la culture. C’est bon ?

Frédéric Couchet : Très bien, tu as même fait en moins de deux minutes. Marcy.

Marcy Ericka Charollois : Ce que je pourrais rajouter aussi c’est vraiment faire attention à toutes les dérives de ce qu’on appelle le boys' club, tu parlais de ça, tout à l’heure, Florence, tout ce qui est culture bro. Ça va assez vite aujourd’hui, on défend tous ces sujets-là, on a fait évoluer pas mal de points en discutant, en mettant en place certaines choses à travers différents collectifs, mais il ne faut pas perdre de vue que le boys' club que nos générations ont vu par le passé ou vivent actuellement est en train de vivre des chamboulements de nouvelles générations entrantes et c’est un point de vigilance que j’aimerais apporter. Mine de rien, toutes les prévisions qu’on a sur les générations à venir quant au sexisme qui est véhiculé, je n’ai plus le chiffre en tête, malheureusement, mais il me semble que la génération Z et Alpha à venir est encore plus sexiste que notre génération et les précédentes, ce qui veut dire qu’il va falloir faire vraiment très attention.
On parlait de sororité, on parlait de fraternité, je pense que les hommes de nos générations et des générations précédentes, qui ont corrigé leurs actions, qui ont pu davantage participer à tous les enjeux liés notamment à la féminisation de la tech, vont devoir prendre très au sérieux leur rôle de mentor vis-à-vis des hommes qui vont rentrer. Si on ne travaille pas tous ensemble, qu’on ne collabore pas et que les hommes ne se mettent pas en exemple, en fait on va faire reposer toute cette nouvelle charge d’une nouvelle génération, du coup sur la nôtre, la génération de femmes qu’on occupe, les précédentes et puis celle qui est en train d’arriver.
J’ai envie de dire, de faire un petit appel aux hommes de la tech de vraiment être très conscients de ça, pour qu’on se retrouve pas encore dans des situations complexes à rebâtir, à déconstruire à nouveau en tant que femmes et que cette charge-là ne repose pas, encore une fois, que sur les femmes.
Donc vraiment soyez investis en tant qu’hommes, justement, portez ces sujets-là et sensibilisez les jeunes hommes au fait qu’on ne peut pas faire tout et n’importe quoi, surtout avec les dérives que l’usage d’Internet, le scrolling, les likes, il y a pas mal de dérives qu’on n’avait pas avant, on a quand même grandi dans une génération plutôt avec un seul ordinateur par foyer, ce n’est plus le cas aujourd’hui, l’accès à Internet est complètement différent. Il faudra donc vraiment faire attention à ça et s’investir du fait que la jeune génération est aussi à surveiller de près et, surtout, à éduquer.

Frédéric Couchet : Merci. Merci à toutes les deux pour ce beau sujet. Nos invitées étaient Florence Chananois et Marcy Ericka Charollois. On mettra quelques références, notamment de ce dont vous avez parlé, sur les méthodes, etc., dans l’émission du jour. Je vous souhaite une belle fin de journée.

Florence Chabanois : Merci Fred.

Marcy Ericka Charollois : Merci.

Frédéric Couchet : Élise on va enchaîner directement par le sujet d’après, je pense

Chronique de Laurent et Lorette Costy – « L’ANSSI et les pâtés Legroin »

[Virgule sonore]

Lorette Costy : Et bonjour Papa, comment tu vas ?