« Libre à vous ! Radio Cause Commune - Transcription de l'émission du 22 juin 2021 » : différence entre les versions

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==L'analyse d'audience de sites web et Matomo avec Alexandre Bulté directeur technique d'Etalab et Ronan Chardonneau, formateur indépendant sur Matomo==
==L'analyse d'audience de sites web et Matomo avec Alexandre Bulté directeur technique d'Etalab et Ronan Chardonneau, formateur indépendant sur Matomo==


<b>Frédéric Couchet : </b>Nous allons poursuivre avec notre sujet principal
<b>Frédéric Couchet : </b>Nous allons donc poursuivre avec notre sujet principal qui va porter sur l'analyse d'audience de site web et le logiciel libre Matomo avec nos deux invités en studio, ce qui est assez exceptionnel vu les conditions. La dernière fois que nous avons eu des personnes en studio pour le sujet long ça date du 10 mars 2020 c’est-à-dire une semaine avant la date du premier confinement, donc c’est un grand plaisir de vous avoir avec nous en studio, donc Alexandre Bulté directeur technique d'Etalab. Bonjour Alexandre.


<b>Alexandre Bulté : </b>Bonjour. Bonjour à toutes et tous.


<b>Frédéric Couchet : </b>Ronan Chardonneau, consultant formateur indépendant sur Matomo. Bonjour Ronan.


<b>Ronan Chardonneau : </b>Bonjour Frédéric. Bonjour à tous.


<b>Frédéric Couchet : </b>Nous allons parler d’analyse d’audience de site web et du logiciel libre Matomo. Avant de commencer le sujet, on va commencer par une présentation personnelle rapide. Je vais vous demande de vous présenter. On va commencer par Alexandre Bulté.


<b>Alexandre Bulté : </b>Déjà merci beaucoup de me donner cette occasion de m’exprimer en studio ; c’est (???) historique. Je suis ravi.<br/>
Alexandre Bulté. Je suis directeur technique d’Etalab. Etalab est un département de la DINUM et notre mission c’est d’ouvrir, partager et valoriser les données publiques. On fait ça au niveau interministériel, puisque la DINUM c’est la Direction interministérielle du numérique, ça veut dire que nous ne faisons pas tout à la place des ministères, mais on essaye d’insuffler, de montrer la voie, de mettre à disposition des outils pour tout ce qui est, on va dire, politique de la donnée dans l’État français.<br/>
Historiquement notre produit le plus connu, et encore aujourd’hui, c’est data.gouv.fr, donc la plateforme ouverte des données publiques, l’<em>open data</em> comme on dit en mauvais français.<br/>
Je suis arrivé chez Etalab il y a quatre ans après un parcours assez classique, on dit ESM maintenant je crois.


<b>Frédéric Couchet : </b>Entreprise de services du numérique.


<b>Alexandre Bulté : </b>On disait Société de services informatiques à l’époque. J’ai toujours trempé depuis ma première Red Hat 9, donc il y a un petit moment maintenant, dans l’<em>open source</em>, ça a toujours été important pour moi d’utiliser des logiciels <em>open source</em> notamment dans mon travail. Donc quelque part j’ai trouvé une certaine continuité chez Etalab et je suis ravi de pouvoir échanger ici, aujourd’hui, sur un logiciel libre tel que Matomo.


<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord. Le site d’Etalab c’est etalab.gouv.fr, sur lequel on trouve toutes les informations.<br/>
Ronan Chardonneau.


<b>Ronan Chardonneau : </b>Bonjour à tous. Merci beaucoup pour cette invitation.<br/>
En ce qui me concerne, je suis formateur indépendant, consultant sur Matomo Analytics quasiment à temps plein, en tout cas 70 % depuis maintenant 2015, année à laquelle, on va dire, j’ai décidé de prendre ce pari un petit peu fou de développer mon activité autour de Matomo exclusivement.<br/>
Je suis également maître conférences associé à l’IAE [École universitaire de management] d’Angers, que je salue, depuis 2012, ça va bientôt faire 10 ans que j’enseigne le <em>marketing digital</em> là-bas. J’ai eu la chance de travailler au sein de l’équipe de Matomo de 2017 à 2019. J’ai été vraiment le premier employé de leur équipe, en tout cas de la nouvelle structure que Matthieu Aubry a créée en 2016. J’ai travaillé pendant deux ans pour eux avec un décalage de 12 heures avec la Nouvelle-Zélande puisqu’ils sont situés en Nouvelle-Zélande. J’ai la chance d’être, en tout cas dans cette spécialité que j’ai développée, un marketeur mais qui fait vraiment du marketing avec du logiciel libre, ce qui n’est pas courant justement quand l’univers du <em>marketing digital</em> est surtout dominé par des solutions telles que Google, Microsoft et autres.


<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord. C’est vrai qu’on entend rarement ici <em>marketing digital</em> ; on va y revenir. Ton site web, je précise, c’est ronan-chardonneau.fr et je précise que pour toutes les références qu’on citera au cours de l’émission, on mettra les liens sur la page consacrée à l’émission sur les sites april.org et causecommune.fm, comme ça vous n’aurez pas à tout noter.<br/>
Avant de parler de Matomo qui est l’outil logiciel libre dont on va parler aujourd’hui, on va commencer au fond par la question : pourquoi utiliser un outil d’analyse d’audience ou de marketing de site web, on va commencer par ça. Ensuite on parlera du plus connu, en tout cas de celui que les gens connaissent sans doute le plus, et des problématiques qu’il peut poser et on finira évidemment par une grosse partie sur Matomo.<br/>
Déjà la première question : pourquoi faire de l’analyse d’audience, du marketing de site web dont tu as parlé, tu as utilisé plusieurs fois le terme marketing. Qu’est-ce qu’on cherche à mesurer ? Pourquoi on fait ça ? Ronan Chardonneau.


<b>Ronan Chardonneau : </b>La base dans l’analyse d’audience c’est qu’on ne peut pas améliorer quelque chose qu’on ne peut pas mesurer, c’est vraiment le point fondamental. Donc on est sur des logiciels qui sont là pour analyser ce qui se passe à l’intérieur du système d’information dans lequel on l’a embarqué, que ce soit un logiciel, que ce soit un site internet, que ce soit une application mobile, que ce soit même, on va dire, un objet connecté, bref, tout système d’information. Le but, d’ailleurs, c’est d’analyser plusieurs choses.<br/>
Généralement, avec des solutions d’analyse d’audience grand public, comme Matomo Analytics, on veut vraiment analyser les caractéristiques de l’utilisateur ; ça répond à la question de qui.<br/>
Ensuite on va analyser ce qu’il fait, c’est plus la partie comportementale c’est-à-dire ce qu’il fait lorsqu’il utilise l’application, quel l’écran il regarde, quelles actions il effectue, ce qu’il est en train de scroller, où est-ce qu’il a appuyé, où est-ce qu’il a cliqué. Cette deuxième partie, la partie comportementale et souvent la troisième partie qu’on va mentionner ça va être comment il est venu, comment, il a connu cette application ou le site internet qui est la partie acquisition. Après, en fonction du logiciel qu’on a, on a différentes briques qui peuvent venir se rajouter. Typiquement, avec Matomo, on a ce qu’on appelle la <em>market place</em>, le concept de plugin, qui va permettre de rajouter plein de fonctionnalités en plus. Typiquement, on peut imaginer des cartes qui vous montrent comment la souris de l’utilisateur se balade sur l’écran ou, au contraire, les informations qu’il enverrait par l’intermédiaire d’un formulaire, ce genre de choses.


<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord. Je vois une remarque sur le salon web de la radio, ça me fait penser que j’ai honteusement oublié de dire que vous pouvez participer à notre échange en posant des questions ou en faisant des remarques. Sur le salon web dédié à l’émission, le site causecommune.fm, bouton « chat », salon #libreavous, je vois une première remarque de Marie-Odile, c’est Marie-Odile Morandi, notre célèbre « transcripteuse », d’ailleurs je ne sais pas si ça se dit « transcripteuse », en tout cas qui fait de très nombreuses transcriptions pour le site librealire.org et qui nous dit « c’est un peu indiscret tout ça ». Effectivement Ronan, tu as parlé parcours de visite, etc., est-ce que ça veut dire qu’on surveille ce que fait la personne qui va sur notre site web ?


<b>Ronan Chardonneau : </b>Cette notion de « on surveille qui », il faut savoir qu’elle est quand même aujourd’hui bien résolue, puisqu’avec tout ce qui RGPD mais aussi tout ce qui était, on va dire, les lois avant, la loi sur le paquet télécom, ce genre de choses. De plus en plus rentrent les critères d’anonymisation font qu’on ne peut pas réellement savoir au final – enfin si, on peut savoir techniquement savoir ce qui se passe, mais on est un petit peu dans l’illégalité. Quand on regarde, justement, les dernières lignes directrices qui ont été édictées par la CNIL et qui datent de mars de cette année, là on est clairement sur « on n’a pas le droit de descendre à un niveau plus bas que l’utilisateur, on n’a pas le droit, justement, de récupérer des données qui concernent l’utilisateur, ça doit être uniquement des données agrégées ». À partir de là, on va dire qu’on est sur du global, sur des tendances, on n’est pas au niveau de l’utilisateur, à moins, naturellement, qu’on ait son consentement, mais là on passe dans une autre partie qui est qu’on a eu l’accord de l’utilisateur pour justement analyser ce qui passe.<br/>
Il faut bien garder en tête que la finalité c’est améliorer son expérience. C’est le fait qu’on a développé un système d’information, mais on ne sait toujours pas ce qui marche et ce qui ne marche pas, et le fait de s’en tenir simplement à son ressenti personnel, sur ce qu’on pense, qui est vrai ou pas, ça ne suffit pas. À un moment donné il faut se mettre à la place de l’utilisateur, savoir ce qu’il est réellement en mesure de faire et, en fait, on va découvrir le décalage entre ce qu’on pensait qu’il réalise sur le site et ce qu’il réalise en réalité.


<b>Frédéric Couchet : </b>Finalement, c’est pour améliorer le parcours de la personne qui utilise.


<b>Ronan Chardonneau : </b>Exactement.


<b>Frédéric Couchet : </b>Je vais juste préciser que RGPD c’est le Règlement général sur la protection des données qui date de 2018 et la CNIL c’est la Commission nationale informatique et libertés, bien connue, à qui il manque, on va le préciser encore une fois, beaucoup de moyens humains pour faire appliquer les règles ; je me permets de le dire.<br/>
On va revenir évidemment sur le marketing, sur les raisons de l’analyse d’audience, Ronan<br/>
Alexandre Bulté, tu es directeur technique d’Etalab, finalement pourquoi Etalab a choisi de faire de l’analyse d’audience de sites web et d’ailleurs de quels sites web faites-vous de l’analyse d’audience ?


<b>Alexandre Bulté : </b>Le projet dont on parle c’est stats.data.gouv.fr, mais pareil, on mettra l’URL en référence, ce sera plus simple, c’est en fait au départ, en 2013 je crois, donc au lancement de data.gouv.fr tel qu’on le connaît aujourd’hui en gros, c’est-à-dire une plateforme ouverte, participative avec pas mal de fonctionnalités de type social, eh bien on veut savoir, comme le disait Ronan, ce qui marche, ce qui ne marche pas, où vont les gens, que font-ils, que se passe-t-il. À ce moment-là on monte cette instance stats.data.gouv.fr pour commencer à recueillir quelques métriques sur ce qui se passe sur le site. Il y a eu, comment dire, une espèce de mayonnaise qui a pris à la DINUM, notamment avec nos cousins de beta.goiuv.fr, l’incubateur des startups d’État, qui ont trouvé cet outil très pratique, l’installation qu’on avait faite très pratique aussi et aujourd’hui on en est à plus d’une centaine de sites, j’ai même noté combien, 108.


<b>Frédéric Couchet : </b>108 sites institutionnels.


<b>Alexandre Bulté : </b>108 sites institutionnels qui sont trackés sur cette instance. En fait on mutualise les efforts d’hébergement, de maintenance, de backups, de ce qu’on veut, de surveillance, de monitoring, de cette instance pour plein d’usages différents. Je pense qu’on est une des plus grosses, Ronan le sait peut-être mieux que moi, mais à mon avis on est une des plus grandes instances Matomo <em>ever</em> ???, en tout cas elle est assez costaude.<br/>
Pour répondre à la question initiale, comme Ronan le disait, c’était savoir un petit peu ce qui se passe sur le site. Aujourd’hui ça nous sert même de référentiel par exemple combien de fois ce jeu de données a été téléchargé, combien de fois il a été visité. C’est comme ça qu’on connaît les jeux de données les plus populaires, c’est comme ça qu’on connaît les attentes des usagers et les usages que peuvent faire les ré-utilisateurs des données ouvertes qui sont sur data.gouv.fr. Pour nous ce sont plein de points d’éclairage qui sont hyper-intéressants à la fois pour le site web en lui-même mais aussi pour les politiques publiques, parce que si on se rend compte, je ne sais, que le jeu de données de telle administration est hyper-visité, on peut dire « on va essayer de travailler un peu plus en profondeur avec cette administration-là parce que visiblement ses données intéressent beaucoup de gens, donc il y a peut-être d’autres choses à ouvrir, d’autres choses dans les tiroirs qu’on peut sortir » . Ça nous aide beaucoup pour ça.
<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord. J’ai une question justement là-dessus, sur cette visibilité et transparence de l’action publique. Ce qui m’a « étonné », entre guillemets, c’est que le site est accessible publiquement. Pourquoi avoir fait ce choix-là ?, parce que je suppose que c’est volontaire.
<b>Alexandre Bulté : </b>Tout à fait. C’est volontaire, c’est même, je ne sais pas s’il y a un truc au-dessus de volontaire.
<b>Frédéric Couchet : </b>C’est assumé.
<b>Alexandre Bulté : </b>Voilà, c’est assumé, c’est encouragé. Tous les sites qui sont hébergés sur stats.gouv.fr ne sont pas forcément publics, leur fréquentation n’est pas forcément publique. En revanche nous c’est quelque chose qu’on encourage – quand je dis « nous » c’est l’équipe de data.gouv.etalab – parce qu’on pense que c’est quelque chose d’important d’être transparent vis-à-vis de nos usagers qui sont les citoyens français, qui payent des impôts ; l’État fait des choses et quelle utilité ont ces choses, comment les gens s’en servent, on pense que c’est vraiment intéressant. En plus on baigne, on va dire que notre métier de base c’est l’<em>open data</em>, les données ouvertes, quelque part stats.data.gouv.fr ce sont des données ouvertes qui sont mises à la disposition du public. C’est peut-être aujourd’hui notre jeu de données le plus riche, ce n’est peut-être pas le plus exploité en tout cas c’est le plus riche, parce que, mine de rien, on a des données qui remontent à 2013 sur la fréquentation de data.gouv.fr. Cette transparence des données et des impacts des différents produits, des différents sites qui peuvent être construits, on trouve ça vertueux de « pousser », entre guillemets, on ne va pas dire qu’on pousse les gens à ouvrir leurs données en tout cas on les incite à les rendre publiques. Encore une fois c’est quelque chose chez nos cousins de beta.gouv.fr, la startup d’État, qui correspond aussi assez bien à leur philosophie, justement, de produit par l’impact avec une certaine transparence. ???
<b>Frédéric Couchet : </b>Et par une évaluation, justement ce que tu disais tout à l’heure.
<b>Alexandre Bulté : </b>Et une évaluation permanente.<br/>
Par exemple, dans le manifeste data.gouv.fr, il y a l’obligation d’avoir une page /stats publiques avec quel est l’impact de mon produit et ça peut s’appuyer sur Matomo, ou pas, en tout cas c’est vraiment quelque chose dans l’ADN des startups d’État.
<b>Frédéric Couchet : </b>On reviendra tout à l’heure sur la raison du choix de Matomo. Pour l’instant on reste sur la partie générale de la question analyse d’audience.<br/>
Comme je l’ai dit en introduction, Ronan, tu es donc consultant et formateur Matomo, tu as dit qu’à peu près 70 % de ton temps tu travailles là-dessus. Quels types de clients as-tu ? Pourquoi, finalement, viennent-ils te voir ? Est-ce qu’ils ont tous la même problématique ou as-tu des profils différents ?
<b>Ronan Chardonneau : </b>Très bonne question.
<b>Frédéric Couchet : </b>Merci !
<b>Ronan Chardonneau : </b>Je ne vais pas dire que j’ai un petit peu de tout, je dirais que les clients avec qui je vais principalement travailler ça va être vraiment les grandes administrations, les grands comptes, donc ça va être par exemple des régions, ça peut être des villes, ça va être aussi des institutions européennes, ça va être aussi des très grandes entreprises, mais pas forcément liées à l’e-commerce. En fait il faut imaginer, contrairement à d’autres solutions bien connues que tu évoqueras peut-être un petit peu plus tard, qu’il y a tout un univers, parce que c’est un logiciel libre, qui est ouvert pour Matomo qui est notamment la partie intranet, en gros celle qu’on ne peut jamais voir de l’extérieur. En fait c’est un marché qui est énorme pour Matomo, ce sont souvent des entreprises pharmaceutiques, par exemple, qui viennent me voir, qui ont des intranets, qui ont développé des applications qui coûtent des fortunes et elles ne savent toujours pas, au final, si les personnes, les utilisateurs qui, du coup, ne sont pas le grand public, qui sont vraiment leurs clients à elles, utilisent l’application qu’elles ont développée.
<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord. C’est, comme tu le disais un peu en introduction, utilisé pour améliorer l’expérience des personnes qui utilisent le produit, pas simplement pour les surveiller, mais effectivement pour correspondre à ce que le produit corresponde à leurs attentes, pour corriger éventuellement par exemple des parcours de visites qui seraient bizarres. On sait très bien qu’on prévoit une application, une interface, et les gens font souvent autre chose. Dans ce sens-là c’est utilisé en interne dans des structures.
<b>Ronan Chardonneau : </b>Pour dédiaboliser un petit peu tout cas, pour vous donner une idée des clients que j’ai, en tout cas des prospects au téléphone qui veulent vraiment faire du <en>tracking</em> très intrusif, je crois que je n’en ai eu qu’un seul dans ma vie où vraiment la personne voulait le numéro de sécurité sociale, elle voulait en plus le croiser avec l’âge, le genre de la personne, bref, tout un paquet de données, c’était d’ailleurs du côté américain, le client était américain. En gros, en tout cas, je n’ai jamais eu de client qui vraiment veuille savoir si c’est Pierre, Paul qui s’est connecté, à quelle heure il s’est connecté, pourquoi il l’a fait ; ça a toujours été encadré, même il y a des années de ça. Je me souviens qu’à un moment donné j’avais eu un client qui a dit « tiens, sur le site il y a des pages qui sont liées au syndicat par exemple. – Non, là, dans ce qu’on appelle un plan de marquage, en gros une implémentation du code de Matomo, surtout tu ne traques pas ça » ; en gros ça c’est une zone qui est un petit peu <em>touchy</em> j’ai envie de dire.<br/>
Du coup, pour répondre à ta question, ça va être principalement les très grandes organisations et les très grands comptes que je vais former et après, derrière, en effet je vais avoir des clients un petit peu plus modestes. Ça peut être je ne vais pas dire monsieur et madame Tout-le-monde. Monsieur et madame Tout-le-monde ce sont vraiment des personnes que je ne vais pas considérer comme des clients, je vais les aider sur mon temps libre ; je vais principalement travailler sur les très grands. Vu que maintenant il y a beaucoup de demande, je travaille aussi pas mal avec de sous-traitants, en fait mon rôle c’est d’arriver à former, notamment à l’étranger, des agences ou des indépendants qui sont eux capables de pouvoir aussi former et fournir de la prestation de service sur Matomo à l’étranger.
<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord. Quand on reparlera tout à l’heure en détail de Matomo, on voit quand même déjà que Matomo est un outil qui est très largement utilisé et sur lequel, en plus, il y a des gens qui en vivent par du service, par de la formation et autres, par du <em>consulting</em>, on reviendra en détail là-dessus. Par contre, je reviens juste sur une expression que tu as employée qui est « le plan de marquage », tu l’as un petit peu expliqué aussi. Je suppose que le plan de marquage c’est l’idée de lister les besoins de collecte des données avant de réfléchir à installer et configurer un outil. C’est ça ?
<b>Ronan Chardonneau : </b>Ce qui se passe c’est que souvent, dans leur tête des personnes, un logiciel d’analyse d’audience c’est juste un logiciel que j’installe, je déploie du coup le code pour mesurer ce qui se passe sur le site et ça s’arrête là. Non ! En fait il faut imaginer que pour un logiciel d’audience il y a une partie développement exactement comme pour la création d’un site web où il faut implémenter des fonctionnalités qui permettent de pouvoir collecter des données dont on a besoin. Par défaut pour Matomo, ou pour tout autre logiciel d’analyse d’audience, on n’est pas dedans en fait. On ne sait pas si ton site c’est un réseau social, on ne sait pas si ton site est un site marchand, on ne sait pas si c’est un petit site vitrine, un petit blog. En fait il faut nous expliquer tout ça et ça passe par ce que j’appelle un plan de marquage mais, en réalité, c’est un cahier des charges qui définit, au final, ce dont tu as besoin en termes de collecte de données pour analyser, derrière, les scénarios que tu imaginais, par exemple les personnes n’utilisent pas le menu déroulant, par défaut l’utilisation d’un menu déroulant n’est pas mesurée par des solutions d’analyse d’audience, donc il faut que tu ajoutes des petits bouts de code et ces petits bouts de code c’est ce que tu définis dans cette fameuse documentation qu’on appelle, nous analystes, un plan de marquage.
<b>Frédéric Couchet : </b>Justement côté Etalab, Alexandre Bulté, tu as dit tout à l’heure qu’il y a plus d’une centaine de sites sur lesquels Matomo est installé, est-ce que tu as aussi ce genre de mise en place, c’est-à-dire des demandes un peu spécifiques par rapport à tel ou tel site ou, finalement, est-ce que c’est une installation « générique », entre guillemets.
<b>Alexandre Bulté : </b>Ce qu’on propose à travers Etalab et data-gouv.fr c’est vraiment l’infrastructure, on n’est pas du tout comme Ronan, des experts de l’Analytics. Déjà on n’en a pas la capacité, de toute façon on n’a pas le temps, notre cœur de métier reste quand même d’opérer notamment data.gouv.fr. Non. On se borne à fournir l’infrastructure la plus saine possible, on va dire, notamment certains réglages par défaut qui sont plutôt respectueux de la vie privée, parce que, par défaut, on pense qu’il vaut mieux être respectueux de la vie privée. Ensuite, après, à chaque startup, à chaque site de mettre en place son plan de marquage, son besoin de <em>tracking</em> plus ou moins évolué. Nous on n’intervient pas sur la partie métier.
<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord. Dernière question avant qu’on aborde le fameux logiciel qu’on a évoqué tout à l’heure.<br/>
Ronan, tu as parlé de grands comptes, j’ai vu sur le site de Matomo – on ne l’a même pas cité c’est matomo.org et si vous voulez aller directement à la version française c’est fr.matomo.org – qu’il y a effectivement des grandes entreprises qui utilisent Matomo, mais je me souviens aussi qu’à un moment tu as dit que tu faisais de la formation bénévole, notamment dans le cadre de Webassos qu’on a reçue dans l’émission du 11 mai 2021, une association qui regroupe des bénévoles experts du Web pour venir en aide aux associations. Je suppose qu’il y a des associations de toutes tailles, notamment des petites ou autres, qui utilisent Matomo pour leurs besoins d’analyse de site web. Ce type d’associations quelles informations recherchent-elles ? La même que les autres ou est-ce qu’il y a des choses spécifiques ?
<b>Ronan Chardonneau : </b>C’est à peu près pareil. Il faut imaginer que oui, il y a aussi beaucoup de demandes. J’ai fait des ateliers avec Webassos, c’était une fois par mois, il y avait à peu près chaque fois cinq associations ce qui est quand même pas mal parce que ça veut qu’il y a aussi un désir, du côté des associations, de ne pas simplement mettre à disposition un site web mais également un site web qui marche et aussi d’arriver à rendre vertueux ce cercle qui tourne autour du socle libre.<br/>
Après, en termes de demandes, bizarrement je dois dire que c’est peut-être même plus au sein des associations que je trouve cette notion d’e-commerce. Au final j’ai assez peu de sites purs d’e-commerce qui viennent me voir pour justement du Matomo, en revanche, je vais justement avoir des associations qui, elles, sont intéressées pour mesurer ce qui se passe sur toute la partie « faire un don ». Je dirais même que les associations sont plus intéressées, justement, sur cette partie e-commerce, on va dire que les entre prises classiques que j’ai l’habitude d’avoir.<br/>
Sinon, pour le reste, le besoin est le même et surtout ce qui m’étonne c’est que les questions qu’elles me posent, surtout en termes d’expertise, sont vraiment du même niveau. Au premier abord je m’étais attendu à ce que, à chaque fois qu’une association va venir me voir, ça va être le truc classique, il faut juste expliquer ce qu’est Matomo, on met Matomo sur le site et ça s’arrête là. Non, souvent les associations ont déjà des besoins bien pointus et oui, on doit en effet parler de plan de marquage et de nécessité de déployer du code pour pouvoir aller plus loin dans la collecte de données.
<b>Frédéric Couchet : </b>Si je comprends bien, l’un des objectifs principaux c’est comment on s’arrange pour qu’une personne qui arrive sur le site web de l’association finisse par arriver sur la page de don ou d’adhésion et convertisse en faisant un don ou une adhésion. Je rappelle que l’April est une association, donc on a également cette problématique-là. Je précise d’ailleurs qu’on utilise Matomo, on l’a installé, mais jusqu’à maintenant on n’a pas réfléchi à un plan de marquage ou autre.<br/>
Par contre, par curiosité, tout à l’heure je suis allé voir le Matomo de librealire.org, ça permet de voir les pages populaires. Actuellement une des pages les plus populaires c’est celle autour du vote électronique parce que, évidemment, il y a une actualité, il y a encore des gens qui veulent croire que le vote électronique, pour les institutions, c’est une bonne chose. Je vous encourage à aller sur librealire.org, il y a des articles notamment de Chantal Enguehard ; c’était un petit peu un hors-sujet, je suis allé voir tout à l’heure et c’est une des pages les plus visitées.<br/>
Quand on parle d’analyse de site web, il y a forcément un nom qui apparaît, ce n’est pas forcément le seul, d’ailleurs quand on parle d’Internet il y a aussi un nom qui revient souvent, malheureusement, c’est Google et là en l’occurrence c’est Google Analytics. Je suppose que de très nombreuses personnes, de très nombreux sites utilisent Google Analytics. Pourquoi, d’après vous, déjà ces gens-là l’utilisent? Deuxième question ensuite : pourquoi ne faudrait-il pas l’utiliser ? Quels problèmes pose Google Analytics ? Qui veut commencer ? Alexandre Bulté.
<b>Alexandre Bulté : </b>Je peux commencer.<br/>
Déjà sur les chiffres, je suis tombé en préparent l’interview sur une étude de W3Techs assez intéressante, pareil je mettrai le lien. À priori c’est 85 % de parts de marché, 84/85 % de parts de marché de Google Analytics sur le marché des trackers d’audience. J’ai aussi remarqué que Matomo est dans le top 10, donc ça m’a fait plaisir, ils sont très loin derrière.
<b>Frédéric Couchet : </b>Ils sont à quoi ? 4/5 % ?
<b>Alexandre Bulté : </b>Même pas, à 1 virgule quelque chose. Bref ! 85 % de parts de marché. Ça dit déjà des choses, ça dit quasi-monopole. Après c’est un outil qui marche, c’est un peu le <em>go to</em> par défaut des gens, ce que je peux comprendre quand on ne s’est pas renseigné sur les impacts, si on n’a pas écouté cette émission qu’on est en train de faire, là où on va aller par défaut c’est sur Google Analytics, parce que c’est gratuit, parce que ça marche tout seul, parce qu’on clique. Après, on se retrouve quand même dans une interface dans laquelle, personnellement, je ne me suis jamais vraiment bien sorti.
<b>Frédéric Couchet : </b>Tu veux dire l’interface graphique.
<b>Alexandre Bulté : </b>Je trouve que l’ergonomie de Google Analytics est particulièrement ardue. Bref ! C’est un peu le choix par défaut. À mon avis, ça ne va pas plus loin que ça pour le choix. Je vais peut-être laisser Ronan élaborer sur les problèmes, c’est pour ça que j’ai commencé, pour pouvoir lui refiler la patate chaude.
<b>Frédéric Couchet : </b>C’est un échange.<br/>
Ronan. Quels problèmes, finalement, pose Google Analytics ?
<b>Ronan Chardonneau : </b>Je vais peut-être d’abord rebondir, enfin compléter ce qu’a dit Alexandre. Déjà je confirme les parts de marché, les sources également qu’on consulte, ça va être ???, ça va être W3Techs Après, ces parts de marché ont quand même bien changé, je crois que pour la France, récemment, quand j’ai regardé, c’était 3 % là où l’année dernière ça devait être 2 %. Il faut imaginer que 1 % c’est quand même phénoménal. Ensuite, ce qu’il faut relativiser justement par rapport à ce top 10, c’est qu’en gros toutes les solutions qui sont devant ce sont des solutions qui ne nécessitent pas d’effort pour la mise en place. C’est énormissime. En réalité, si on avait aujourd’hui, j’ai envie de dire un parrain, en tout cas un gros hébergeur qui viendrait se placer, qui dirait « OK, en deux clics tu peux disposer d’une solution d’analyse d’audience », à mon avis la donne serait complètement différente.
<b>Frédéric Couchet : </b>C’est un appel à OVH, à Free, à tout ça quoi !
<b>Ronan Chardonneau : </b>Exactement ! En gros c’est vraiment ça l’idée aujourd’hui : qu’est-ce que tu as avec Google ? Tu as une solution avec laquelle tu fais deux clics ou, si tu as déjà ton compte Google, tac !, tu as déjà ton bout de code, tu le mets directement sur ton site internet et tu commences à collecter des données, là où avec Matomo, eh bien en fait les gens ne comprennent pas trop : tu cliques et tu as un fichier zip. Super, mais je fais quoi avec mon fichier zip ? En fait, il faut mettre ça sur un serveur. Mais je n’ai pas de serveur ! Un serveur ça un coût. Je ne savais pas qu’il y avait un coût. Directement c’est difficile, en effet, de pouvoir faire de la compétition avec d’autres.<br/>
À noter d’ailleurs plutôt une excellente nouvelle, depuis maintenant un petit plus d’un an, pour tous les utilisateurs de WordPress, l’équipe de Matomo a bossé extrêmement dur pour développer un plugin spécifiquement pour WordPress. Tu l’installes en un clic, ça utilise la même base de données que WordPress et tu as déjà ton Matomo. En réalité, si vous êtes sur WordPress vous pouvez d’ores et déjà migrer sur Matomo Analytics, ça ne va pas vous coûter beaucoup de temps, ça ne va pas vous coûter d’argent. Il vous suffit d’installer ce plugin-là et c’est parti.
<b>Alexandre Bulté : </b>Est-ce que c’est Jetpack ou c’est autre chose ?
<b>Ronan Chardonneau : </b>Non, ce n’est pas Jetpack. Je crois que ça s’appelle Matomo Ethical Analytics, quelque chose comme ça, tu vas dans WordPress, tu cherches le plugin et tu le trouves. Attention il y a deux plugins, il y a WP-Matomo et il y a un autre plugin et c’est justement l’autre plugin qu’il faut prendre, de toute façon c’est plutôt bien indiqué. C’est vraiment génial, ça utilise la même base et c’est l’idéal pour démarrer sur Matomo sans avoir à passer par l’étape installation.
<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord.<br/>
Rapidement, c’est quoi le problème posé par Google ? Je dis rapidement parce que je pense que la plupart des gens en a conscience mais autant le rappeler, dans le cas de Google Analytics.
<b>Ronan Chardonneau : </b>Déjà tout dépend de quelle branche on veut prendre. Je dirais que le problème qui me vient surtout à l’esprit, s’il y en a un, c’est un logiciel propriétaire et l’autre c’est un logiciel libre. Donc pour moi tout démarre simplement dans la lecture des conditions générales d’utilisation de Google Analytics, rien que ça en réalité. Quand j’ai des clients qui viennent me voir c’est parce que, en gros, leur service juridique a eu la curiosité de lire les conditions générales d’utilisation. À partir de là, de toute façon, Google Analytics c’est <em>niet</em>. Du coup j’invite tous ceux qui ne les ont pas encore lues à les lire puisque ça dit clairement les choses : en gros, Google ne prend aucune responsabilité. S’il se passe quelque chose, vous prenez tout en pleine figure, vous êtes engagé via ces conditions générales d’utilisation à protéger Google à vos propres frais si jamais quelqu’un l’attaquait ; si jamais vous utilisez des services de Google, type Google AdWords, en fait c’est cette carte bancaire-là qui sera débitée. Tout ça c’est écrit noir sur blanc. Pareil, si jamais vous faites l’erreur de collecter des données personnelles, clairement vous enfreignez les conditions générales d’utilisation.<br/>
En gros vous en prenez plein la figure si jamais il se passe quelque chose. Après, d’ailleurs, se pose plus la question éthique de dire « mais attends mon gars, moi je viens sur tel site, je viens pour visiter tel site, je viens pour visiter telle entreprise, d’où est-ce que tu prends mes données, c’est-à-dire mon comportement et que tu l’envoies à un tiers qui, plus est, est Google qui lui a déjà tout un paquet de données, qu’il peut déjà croiser avec tout un paquet de choses. »<br/>
C’est pour ça que c’est intéressant ces fameux bandeaux d’acceptation dont on parle très souvent et qu’on a vu fleurir. Il est clair et net que tu viens voir telle entreprise, tu viens voir tel site internet, tu t’attends à ce que tes données ne soient collectées que par eux et pas par un tiers. En fait c’est complètement fou cette histoire d’embarquer des trucs qui envoient des données à des tiers alors que tu viens voir un de tes amis, tu ne veux pas en plus que ce que tu dis à ton ami parte à un tiers que tu ne connais pas ; ça n’a pas de sens ! Avec Matomo c’est complètement différent puisque le logiciel est installé sur votre propre serveur donc au final c’est le même serveur qui, probablement, héberge votre site internet, donc il n’y a pas cette ambiguïté de où est-ce que sont parties ces données.
<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord. Justement on va revenir sur Matomo juste après la pause musicale.<br/>
On va continuer notre voyage avec Darren Curtis. Nous allons écouter <em>The Death March</em> par Darren Curtis. On se retrouve dans deux minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
<b>Pause musicale : </b><em>The Death March</em> par Darren Curtis.
<b>Voix off : </b>Cause Commune, 93.1.
==Deuxième partie==


==Chronique « Partager est bon » de Véronique Bonnet, professeur de philosophie et présidente de l'April sur le thème « Développement durable et logiciel libre »==
==Chronique « Partager est bon » de Véronique Bonnet, professeur de philosophie et présidente de l'April sur le thème « Développement durable et logiciel libre »==

Version du 24 juin 2021 à 09:36


Titre : Émission Libre à vous ! diffusée mardi 22 juin 2021 sur radio Cause Commune

Intervenants : Éric Fraudain - Alexandre Bulté - Ronan Chardonneau - Véronique Bonnet - Frédéric Couchet - Étienne Gonnu à la régie

Lieu : Radio Cause Commune

Date : 22 juin 2021

Durée : 1 h 30 min

Podcast provisoire

Page des références utiles concernant cette émission

Licence de la transcription : Verbatim

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous.
L’analyse d’audience de sites web, les enjeux et la présentation du logiciel libre Matomo, c’est le sujet principal de l’émission du jour. Avec également au programme la chronique musicale d’Éric Fraudain sur l’artiste Darren Curtis et aussi la chronique de Véronique sur le thème « Développement durable et logiciel libre ».

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April.

Le site web de l’April est april.org, vous pouvez y trouver une page consacrée à cette émission avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours ou nous poser toute question.

Nous sommes mardi 22 juin 2021, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

À la réalisation de l’émission aujourd’hui mon collègue Étienne Gonnu. Bonjour Étienne.

Étienne Gonnu : Salut Fred.

Frédéric Couchet : Nous vous souhaitons une excellente écoute.

[jingle]

Chronique « Le fil rouge de la musique libre » par Éric Fraudain, créateur du site Au Bout Du Fil, présentation de l'artiste Darren Curtis

Frédéric Couchet : « Le fil rouge de la musique libre », dans cette chronique Éric Fraudain, créateur du site Au Bout Du Fil, nous fait découvrir des artistes ayant opté pour la libre diffusion de leurs œuvres musicales. Aujourd’hui, Éric nous fait découvrir l’artiste Darren Curtis.
Je précise que c’est la rediffusion d’une chronique déjà diffusée le 15 décembre 2020. On se retrouve dans sept minutes.

[Virgule sonore]

cf : https://www.librealire.org/emission-libre-a-vous-diffusee-mardi-15-decembre-2020-sur-radio-cause-commune?var_mode=calcul#Chronique-lt-lt-Le-fil-rouge-de-la-musique-libre-par-Eric-Fraudain-nbsp

[Virgule sonore]

Frédéric Couchet : Nous sommes de retour en direct. C‘était la chronique musicale Éric Fraudain, consacrée à l’artiste Darren Curtis. Nous allons d’ailleurs faire une pause musicale.

[Virgule musicale]

Frédéric Couchet : Après la pause musicale, nous parlerons d’analyse d’audience de site web, des enjeux et la présentation du logiciel libre Matomo.
L’artiste qui va nous accompagner musicalement dans l’émission du jour est donc Darren Curtis. Nous allons écouter A time forgotten par Darren Curtis. On se retrouve dans deux minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : A time forgotten par Darren Curtis.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Frédéric Couchet : Comme l’a dit Éric Fraudain dans sa chronique, ça se coupe brutalement.
Nous venons d’écouter A time forgotten par Darren Curtis, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution, CC By. Le site de l’artiste c’est darrencurtismusic.com et vous trouverez également une présentation de l’artiste sur le site d’Éric Fraudain auboutdufil.com.

[Jingle]

Frédéric Couchet : Nous allons passer à notre sujet principal.

[Virgule musicale]

L'analyse d'audience de sites web et Matomo avec Alexandre Bulté directeur technique d'Etalab et Ronan Chardonneau, formateur indépendant sur Matomo

Frédéric Couchet : Nous allons donc poursuivre avec notre sujet principal qui va porter sur l'analyse d'audience de site web et le logiciel libre Matomo avec nos deux invités en studio, ce qui est assez exceptionnel vu les conditions. La dernière fois que nous avons eu des personnes en studio pour le sujet long ça date du 10 mars 2020 c’est-à-dire une semaine avant la date du premier confinement, donc c’est un grand plaisir de vous avoir avec nous en studio, donc Alexandre Bulté directeur technique d'Etalab. Bonjour Alexandre.

Alexandre Bulté : Bonjour. Bonjour à toutes et tous.

Frédéric Couchet : Ronan Chardonneau, consultant formateur indépendant sur Matomo. Bonjour Ronan.

Ronan Chardonneau : Bonjour Frédéric. Bonjour à tous.

Frédéric Couchet : Nous allons parler d’analyse d’audience de site web et du logiciel libre Matomo. Avant de commencer le sujet, on va commencer par une présentation personnelle rapide. Je vais vous demande de vous présenter. On va commencer par Alexandre Bulté.

Alexandre Bulté : Déjà merci beaucoup de me donner cette occasion de m’exprimer en studio ; c’est (???) historique. Je suis ravi.
Alexandre Bulté. Je suis directeur technique d’Etalab. Etalab est un département de la DINUM et notre mission c’est d’ouvrir, partager et valoriser les données publiques. On fait ça au niveau interministériel, puisque la DINUM c’est la Direction interministérielle du numérique, ça veut dire que nous ne faisons pas tout à la place des ministères, mais on essaye d’insuffler, de montrer la voie, de mettre à disposition des outils pour tout ce qui est, on va dire, politique de la donnée dans l’État français.
Historiquement notre produit le plus connu, et encore aujourd’hui, c’est data.gouv.fr, donc la plateforme ouverte des données publiques, l’open data comme on dit en mauvais français.
Je suis arrivé chez Etalab il y a quatre ans après un parcours assez classique, on dit ESM maintenant je crois.

Frédéric Couchet : Entreprise de services du numérique.

Alexandre Bulté : On disait Société de services informatiques à l’époque. J’ai toujours trempé depuis ma première Red Hat 9, donc il y a un petit moment maintenant, dans l’open source, ça a toujours été important pour moi d’utiliser des logiciels open source notamment dans mon travail. Donc quelque part j’ai trouvé une certaine continuité chez Etalab et je suis ravi de pouvoir échanger ici, aujourd’hui, sur un logiciel libre tel que Matomo.

Frédéric Couchet : D’accord. Le site d’Etalab c’est etalab.gouv.fr, sur lequel on trouve toutes les informations.
Ronan Chardonneau.

Ronan Chardonneau : Bonjour à tous. Merci beaucoup pour cette invitation.
En ce qui me concerne, je suis formateur indépendant, consultant sur Matomo Analytics quasiment à temps plein, en tout cas 70 % depuis maintenant 2015, année à laquelle, on va dire, j’ai décidé de prendre ce pari un petit peu fou de développer mon activité autour de Matomo exclusivement.
Je suis également maître conférences associé à l’IAE [École universitaire de management] d’Angers, que je salue, depuis 2012, ça va bientôt faire 10 ans que j’enseigne le marketing digital là-bas. J’ai eu la chance de travailler au sein de l’équipe de Matomo de 2017 à 2019. J’ai été vraiment le premier employé de leur équipe, en tout cas de la nouvelle structure que Matthieu Aubry a créée en 2016. J’ai travaillé pendant deux ans pour eux avec un décalage de 12 heures avec la Nouvelle-Zélande puisqu’ils sont situés en Nouvelle-Zélande. J’ai la chance d’être, en tout cas dans cette spécialité que j’ai développée, un marketeur mais qui fait vraiment du marketing avec du logiciel libre, ce qui n’est pas courant justement quand l’univers du marketing digital est surtout dominé par des solutions telles que Google, Microsoft et autres.

Frédéric Couchet : D’accord. C’est vrai qu’on entend rarement ici marketing digital ; on va y revenir. Ton site web, je précise, c’est ronan-chardonneau.fr et je précise que pour toutes les références qu’on citera au cours de l’émission, on mettra les liens sur la page consacrée à l’émission sur les sites april.org et causecommune.fm, comme ça vous n’aurez pas à tout noter.
Avant de parler de Matomo qui est l’outil logiciel libre dont on va parler aujourd’hui, on va commencer au fond par la question : pourquoi utiliser un outil d’analyse d’audience ou de marketing de site web, on va commencer par ça. Ensuite on parlera du plus connu, en tout cas de celui que les gens connaissent sans doute le plus, et des problématiques qu’il peut poser et on finira évidemment par une grosse partie sur Matomo.
Déjà la première question : pourquoi faire de l’analyse d’audience, du marketing de site web dont tu as parlé, tu as utilisé plusieurs fois le terme marketing. Qu’est-ce qu’on cherche à mesurer ? Pourquoi on fait ça ? Ronan Chardonneau.

Ronan Chardonneau : La base dans l’analyse d’audience c’est qu’on ne peut pas améliorer quelque chose qu’on ne peut pas mesurer, c’est vraiment le point fondamental. Donc on est sur des logiciels qui sont là pour analyser ce qui se passe à l’intérieur du système d’information dans lequel on l’a embarqué, que ce soit un logiciel, que ce soit un site internet, que ce soit une application mobile, que ce soit même, on va dire, un objet connecté, bref, tout système d’information. Le but, d’ailleurs, c’est d’analyser plusieurs choses.
Généralement, avec des solutions d’analyse d’audience grand public, comme Matomo Analytics, on veut vraiment analyser les caractéristiques de l’utilisateur ; ça répond à la question de qui.
Ensuite on va analyser ce qu’il fait, c’est plus la partie comportementale c’est-à-dire ce qu’il fait lorsqu’il utilise l’application, quel l’écran il regarde, quelles actions il effectue, ce qu’il est en train de scroller, où est-ce qu’il a appuyé, où est-ce qu’il a cliqué. Cette deuxième partie, la partie comportementale et souvent la troisième partie qu’on va mentionner ça va être comment il est venu, comment, il a connu cette application ou le site internet qui est la partie acquisition. Après, en fonction du logiciel qu’on a, on a différentes briques qui peuvent venir se rajouter. Typiquement, avec Matomo, on a ce qu’on appelle la market place, le concept de plugin, qui va permettre de rajouter plein de fonctionnalités en plus. Typiquement, on peut imaginer des cartes qui vous montrent comment la souris de l’utilisateur se balade sur l’écran ou, au contraire, les informations qu’il enverrait par l’intermédiaire d’un formulaire, ce genre de choses.

Frédéric Couchet : D’accord. Je vois une remarque sur le salon web de la radio, ça me fait penser que j’ai honteusement oublié de dire que vous pouvez participer à notre échange en posant des questions ou en faisant des remarques. Sur le salon web dédié à l’émission, le site causecommune.fm, bouton « chat », salon #libreavous, je vois une première remarque de Marie-Odile, c’est Marie-Odile Morandi, notre célèbre « transcripteuse », d’ailleurs je ne sais pas si ça se dit « transcripteuse », en tout cas qui fait de très nombreuses transcriptions pour le site librealire.org et qui nous dit « c’est un peu indiscret tout ça ». Effectivement Ronan, tu as parlé parcours de visite, etc., est-ce que ça veut dire qu’on surveille ce que fait la personne qui va sur notre site web ?

Ronan Chardonneau : Cette notion de « on surveille qui », il faut savoir qu’elle est quand même aujourd’hui bien résolue, puisqu’avec tout ce qui RGPD mais aussi tout ce qui était, on va dire, les lois avant, la loi sur le paquet télécom, ce genre de choses. De plus en plus rentrent les critères d’anonymisation font qu’on ne peut pas réellement savoir au final – enfin si, on peut savoir techniquement savoir ce qui se passe, mais on est un petit peu dans l’illégalité. Quand on regarde, justement, les dernières lignes directrices qui ont été édictées par la CNIL et qui datent de mars de cette année, là on est clairement sur « on n’a pas le droit de descendre à un niveau plus bas que l’utilisateur, on n’a pas le droit, justement, de récupérer des données qui concernent l’utilisateur, ça doit être uniquement des données agrégées ». À partir de là, on va dire qu’on est sur du global, sur des tendances, on n’est pas au niveau de l’utilisateur, à moins, naturellement, qu’on ait son consentement, mais là on passe dans une autre partie qui est qu’on a eu l’accord de l’utilisateur pour justement analyser ce qui passe.
Il faut bien garder en tête que la finalité c’est améliorer son expérience. C’est le fait qu’on a développé un système d’information, mais on ne sait toujours pas ce qui marche et ce qui ne marche pas, et le fait de s’en tenir simplement à son ressenti personnel, sur ce qu’on pense, qui est vrai ou pas, ça ne suffit pas. À un moment donné il faut se mettre à la place de l’utilisateur, savoir ce qu’il est réellement en mesure de faire et, en fait, on va découvrir le décalage entre ce qu’on pensait qu’il réalise sur le site et ce qu’il réalise en réalité.

Frédéric Couchet : Finalement, c’est pour améliorer le parcours de la personne qui utilise.

Ronan Chardonneau : Exactement.

Frédéric Couchet : Je vais juste préciser que RGPD c’est le Règlement général sur la protection des données qui date de 2018 et la CNIL c’est la Commission nationale informatique et libertés, bien connue, à qui il manque, on va le préciser encore une fois, beaucoup de moyens humains pour faire appliquer les règles ; je me permets de le dire.
On va revenir évidemment sur le marketing, sur les raisons de l’analyse d’audience, Ronan
Alexandre Bulté, tu es directeur technique d’Etalab, finalement pourquoi Etalab a choisi de faire de l’analyse d’audience de sites web et d’ailleurs de quels sites web faites-vous de l’analyse d’audience ?

Alexandre Bulté : Le projet dont on parle c’est stats.data.gouv.fr, mais pareil, on mettra l’URL en référence, ce sera plus simple, c’est en fait au départ, en 2013 je crois, donc au lancement de data.gouv.fr tel qu’on le connaît aujourd’hui en gros, c’est-à-dire une plateforme ouverte, participative avec pas mal de fonctionnalités de type social, eh bien on veut savoir, comme le disait Ronan, ce qui marche, ce qui ne marche pas, où vont les gens, que font-ils, que se passe-t-il. À ce moment-là on monte cette instance stats.data.gouv.fr pour commencer à recueillir quelques métriques sur ce qui se passe sur le site. Il y a eu, comment dire, une espèce de mayonnaise qui a pris à la DINUM, notamment avec nos cousins de beta.goiuv.fr, l’incubateur des startups d’État, qui ont trouvé cet outil très pratique, l’installation qu’on avait faite très pratique aussi et aujourd’hui on en est à plus d’une centaine de sites, j’ai même noté combien, 108.

Frédéric Couchet : 108 sites institutionnels.

Alexandre Bulté : 108 sites institutionnels qui sont trackés sur cette instance. En fait on mutualise les efforts d’hébergement, de maintenance, de backups, de ce qu’on veut, de surveillance, de monitoring, de cette instance pour plein d’usages différents. Je pense qu’on est une des plus grosses, Ronan le sait peut-être mieux que moi, mais à mon avis on est une des plus grandes instances Matomo ever ???, en tout cas elle est assez costaude.
Pour répondre à la question initiale, comme Ronan le disait, c’était savoir un petit peu ce qui se passe sur le site. Aujourd’hui ça nous sert même de référentiel par exemple combien de fois ce jeu de données a été téléchargé, combien de fois il a été visité. C’est comme ça qu’on connaît les jeux de données les plus populaires, c’est comme ça qu’on connaît les attentes des usagers et les usages que peuvent faire les ré-utilisateurs des données ouvertes qui sont sur data.gouv.fr. Pour nous ce sont plein de points d’éclairage qui sont hyper-intéressants à la fois pour le site web en lui-même mais aussi pour les politiques publiques, parce que si on se rend compte, je ne sais, que le jeu de données de telle administration est hyper-visité, on peut dire « on va essayer de travailler un peu plus en profondeur avec cette administration-là parce que visiblement ses données intéressent beaucoup de gens, donc il y a peut-être d’autres choses à ouvrir, d’autres choses dans les tiroirs qu’on peut sortir » . Ça nous aide beaucoup pour ça.

Frédéric Couchet : D’accord. J’ai une question justement là-dessus, sur cette visibilité et transparence de l’action publique. Ce qui m’a « étonné », entre guillemets, c’est que le site est accessible publiquement. Pourquoi avoir fait ce choix-là ?, parce que je suppose que c’est volontaire.

Alexandre Bulté : Tout à fait. C’est volontaire, c’est même, je ne sais pas s’il y a un truc au-dessus de volontaire.

Frédéric Couchet : C’est assumé.

Alexandre Bulté : Voilà, c’est assumé, c’est encouragé. Tous les sites qui sont hébergés sur stats.gouv.fr ne sont pas forcément publics, leur fréquentation n’est pas forcément publique. En revanche nous c’est quelque chose qu’on encourage – quand je dis « nous » c’est l’équipe de data.gouv.etalab – parce qu’on pense que c’est quelque chose d’important d’être transparent vis-à-vis de nos usagers qui sont les citoyens français, qui payent des impôts ; l’État fait des choses et quelle utilité ont ces choses, comment les gens s’en servent, on pense que c’est vraiment intéressant. En plus on baigne, on va dire que notre métier de base c’est l’open data, les données ouvertes, quelque part stats.data.gouv.fr ce sont des données ouvertes qui sont mises à la disposition du public. C’est peut-être aujourd’hui notre jeu de données le plus riche, ce n’est peut-être pas le plus exploité en tout cas c’est le plus riche, parce que, mine de rien, on a des données qui remontent à 2013 sur la fréquentation de data.gouv.fr. Cette transparence des données et des impacts des différents produits, des différents sites qui peuvent être construits, on trouve ça vertueux de « pousser », entre guillemets, on ne va pas dire qu’on pousse les gens à ouvrir leurs données en tout cas on les incite à les rendre publiques. Encore une fois c’est quelque chose chez nos cousins de beta.gouv.fr, la startup d’État, qui correspond aussi assez bien à leur philosophie, justement, de produit par l’impact avec une certaine transparence. ???

Frédéric Couchet : Et par une évaluation, justement ce que tu disais tout à l’heure.

Alexandre Bulté : Et une évaluation permanente.
Par exemple, dans le manifeste data.gouv.fr, il y a l’obligation d’avoir une page /stats publiques avec quel est l’impact de mon produit et ça peut s’appuyer sur Matomo, ou pas, en tout cas c’est vraiment quelque chose dans l’ADN des startups d’État.

Frédéric Couchet : On reviendra tout à l’heure sur la raison du choix de Matomo. Pour l’instant on reste sur la partie générale de la question analyse d’audience.
Comme je l’ai dit en introduction, Ronan, tu es donc consultant et formateur Matomo, tu as dit qu’à peu près 70 % de ton temps tu travailles là-dessus. Quels types de clients as-tu ? Pourquoi, finalement, viennent-ils te voir ? Est-ce qu’ils ont tous la même problématique ou as-tu des profils différents ?

Ronan Chardonneau : Très bonne question.

Frédéric Couchet : Merci !

Ronan Chardonneau : Je ne vais pas dire que j’ai un petit peu de tout, je dirais que les clients avec qui je vais principalement travailler ça va être vraiment les grandes administrations, les grands comptes, donc ça va être par exemple des régions, ça peut être des villes, ça va être aussi des institutions européennes, ça va être aussi des très grandes entreprises, mais pas forcément liées à l’e-commerce. En fait il faut imaginer, contrairement à d’autres solutions bien connues que tu évoqueras peut-être un petit peu plus tard, qu’il y a tout un univers, parce que c’est un logiciel libre, qui est ouvert pour Matomo qui est notamment la partie intranet, en gros celle qu’on ne peut jamais voir de l’extérieur. En fait c’est un marché qui est énorme pour Matomo, ce sont souvent des entreprises pharmaceutiques, par exemple, qui viennent me voir, qui ont des intranets, qui ont développé des applications qui coûtent des fortunes et elles ne savent toujours pas, au final, si les personnes, les utilisateurs qui, du coup, ne sont pas le grand public, qui sont vraiment leurs clients à elles, utilisent l’application qu’elles ont développée.

Frédéric Couchet : D’accord. C’est, comme tu le disais un peu en introduction, utilisé pour améliorer l’expérience des personnes qui utilisent le produit, pas simplement pour les surveiller, mais effectivement pour correspondre à ce que le produit corresponde à leurs attentes, pour corriger éventuellement par exemple des parcours de visites qui seraient bizarres. On sait très bien qu’on prévoit une application, une interface, et les gens font souvent autre chose. Dans ce sens-là c’est utilisé en interne dans des structures.

Ronan Chardonneau : Pour dédiaboliser un petit peu tout cas, pour vous donner une idée des clients que j’ai, en tout cas des prospects au téléphone qui veulent vraiment faire du <en>tracking très intrusif, je crois que je n’en ai eu qu’un seul dans ma vie où vraiment la personne voulait le numéro de sécurité sociale, elle voulait en plus le croiser avec l’âge, le genre de la personne, bref, tout un paquet de données, c’était d’ailleurs du côté américain, le client était américain. En gros, en tout cas, je n’ai jamais eu de client qui vraiment veuille savoir si c’est Pierre, Paul qui s’est connecté, à quelle heure il s’est connecté, pourquoi il l’a fait ; ça a toujours été encadré, même il y a des années de ça. Je me souviens qu’à un moment donné j’avais eu un client qui a dit « tiens, sur le site il y a des pages qui sont liées au syndicat par exemple. – Non, là, dans ce qu’on appelle un plan de marquage, en gros une implémentation du code de Matomo, surtout tu ne traques pas ça » ; en gros ça c’est une zone qui est un petit peu touchy j’ai envie de dire.
Du coup, pour répondre à ta question, ça va être principalement les très grandes organisations et les très grands comptes que je vais former et après, derrière, en effet je vais avoir des clients un petit peu plus modestes. Ça peut être je ne vais pas dire monsieur et madame Tout-le-monde. Monsieur et madame Tout-le-monde ce sont vraiment des personnes que je ne vais pas considérer comme des clients, je vais les aider sur mon temps libre ; je vais principalement travailler sur les très grands. Vu que maintenant il y a beaucoup de demande, je travaille aussi pas mal avec de sous-traitants, en fait mon rôle c’est d’arriver à former, notamment à l’étranger, des agences ou des indépendants qui sont eux capables de pouvoir aussi former et fournir de la prestation de service sur Matomo à l’étranger.

Frédéric Couchet : D’accord. Quand on reparlera tout à l’heure en détail de Matomo, on voit quand même déjà que Matomo est un outil qui est très largement utilisé et sur lequel, en plus, il y a des gens qui en vivent par du service, par de la formation et autres, par du consulting, on reviendra en détail là-dessus. Par contre, je reviens juste sur une expression que tu as employée qui est « le plan de marquage », tu l’as un petit peu expliqué aussi. Je suppose que le plan de marquage c’est l’idée de lister les besoins de collecte des données avant de réfléchir à installer et configurer un outil. C’est ça ?

Ronan Chardonneau : Ce qui se passe c’est que souvent, dans leur tête des personnes, un logiciel d’analyse d’audience c’est juste un logiciel que j’installe, je déploie du coup le code pour mesurer ce qui se passe sur le site et ça s’arrête là. Non ! En fait il faut imaginer que pour un logiciel d’audience il y a une partie développement exactement comme pour la création d’un site web où il faut implémenter des fonctionnalités qui permettent de pouvoir collecter des données dont on a besoin. Par défaut pour Matomo, ou pour tout autre logiciel d’analyse d’audience, on n’est pas dedans en fait. On ne sait pas si ton site c’est un réseau social, on ne sait pas si ton site est un site marchand, on ne sait pas si c’est un petit site vitrine, un petit blog. En fait il faut nous expliquer tout ça et ça passe par ce que j’appelle un plan de marquage mais, en réalité, c’est un cahier des charges qui définit, au final, ce dont tu as besoin en termes de collecte de données pour analyser, derrière, les scénarios que tu imaginais, par exemple les personnes n’utilisent pas le menu déroulant, par défaut l’utilisation d’un menu déroulant n’est pas mesurée par des solutions d’analyse d’audience, donc il faut que tu ajoutes des petits bouts de code et ces petits bouts de code c’est ce que tu définis dans cette fameuse documentation qu’on appelle, nous analystes, un plan de marquage.

Frédéric Couchet : Justement côté Etalab, Alexandre Bulté, tu as dit tout à l’heure qu’il y a plus d’une centaine de sites sur lesquels Matomo est installé, est-ce que tu as aussi ce genre de mise en place, c’est-à-dire des demandes un peu spécifiques par rapport à tel ou tel site ou, finalement, est-ce que c’est une installation « générique », entre guillemets.

Alexandre Bulté : Ce qu’on propose à travers Etalab et data-gouv.fr c’est vraiment l’infrastructure, on n’est pas du tout comme Ronan, des experts de l’Analytics. Déjà on n’en a pas la capacité, de toute façon on n’a pas le temps, notre cœur de métier reste quand même d’opérer notamment data.gouv.fr. Non. On se borne à fournir l’infrastructure la plus saine possible, on va dire, notamment certains réglages par défaut qui sont plutôt respectueux de la vie privée, parce que, par défaut, on pense qu’il vaut mieux être respectueux de la vie privée. Ensuite, après, à chaque startup, à chaque site de mettre en place son plan de marquage, son besoin de tracking plus ou moins évolué. Nous on n’intervient pas sur la partie métier.

Frédéric Couchet : D’accord. Dernière question avant qu’on aborde le fameux logiciel qu’on a évoqué tout à l’heure.
Ronan, tu as parlé de grands comptes, j’ai vu sur le site de Matomo – on ne l’a même pas cité c’est matomo.org et si vous voulez aller directement à la version française c’est fr.matomo.org – qu’il y a effectivement des grandes entreprises qui utilisent Matomo, mais je me souviens aussi qu’à un moment tu as dit que tu faisais de la formation bénévole, notamment dans le cadre de Webassos qu’on a reçue dans l’émission du 11 mai 2021, une association qui regroupe des bénévoles experts du Web pour venir en aide aux associations. Je suppose qu’il y a des associations de toutes tailles, notamment des petites ou autres, qui utilisent Matomo pour leurs besoins d’analyse de site web. Ce type d’associations quelles informations recherchent-elles ? La même que les autres ou est-ce qu’il y a des choses spécifiques ?

Ronan Chardonneau : C’est à peu près pareil. Il faut imaginer que oui, il y a aussi beaucoup de demandes. J’ai fait des ateliers avec Webassos, c’était une fois par mois, il y avait à peu près chaque fois cinq associations ce qui est quand même pas mal parce que ça veut qu’il y a aussi un désir, du côté des associations, de ne pas simplement mettre à disposition un site web mais également un site web qui marche et aussi d’arriver à rendre vertueux ce cercle qui tourne autour du socle libre.
Après, en termes de demandes, bizarrement je dois dire que c’est peut-être même plus au sein des associations que je trouve cette notion d’e-commerce. Au final j’ai assez peu de sites purs d’e-commerce qui viennent me voir pour justement du Matomo, en revanche, je vais justement avoir des associations qui, elles, sont intéressées pour mesurer ce qui se passe sur toute la partie « faire un don ». Je dirais même que les associations sont plus intéressées, justement, sur cette partie e-commerce, on va dire que les entre prises classiques que j’ai l’habitude d’avoir.
Sinon, pour le reste, le besoin est le même et surtout ce qui m’étonne c’est que les questions qu’elles me posent, surtout en termes d’expertise, sont vraiment du même niveau. Au premier abord je m’étais attendu à ce que, à chaque fois qu’une association va venir me voir, ça va être le truc classique, il faut juste expliquer ce qu’est Matomo, on met Matomo sur le site et ça s’arrête là. Non, souvent les associations ont déjà des besoins bien pointus et oui, on doit en effet parler de plan de marquage et de nécessité de déployer du code pour pouvoir aller plus loin dans la collecte de données.

Frédéric Couchet : Si je comprends bien, l’un des objectifs principaux c’est comment on s’arrange pour qu’une personne qui arrive sur le site web de l’association finisse par arriver sur la page de don ou d’adhésion et convertisse en faisant un don ou une adhésion. Je rappelle que l’April est une association, donc on a également cette problématique-là. Je précise d’ailleurs qu’on utilise Matomo, on l’a installé, mais jusqu’à maintenant on n’a pas réfléchi à un plan de marquage ou autre.
Par contre, par curiosité, tout à l’heure je suis allé voir le Matomo de librealire.org, ça permet de voir les pages populaires. Actuellement une des pages les plus populaires c’est celle autour du vote électronique parce que, évidemment, il y a une actualité, il y a encore des gens qui veulent croire que le vote électronique, pour les institutions, c’est une bonne chose. Je vous encourage à aller sur librealire.org, il y a des articles notamment de Chantal Enguehard ; c’était un petit peu un hors-sujet, je suis allé voir tout à l’heure et c’est une des pages les plus visitées.
Quand on parle d’analyse de site web, il y a forcément un nom qui apparaît, ce n’est pas forcément le seul, d’ailleurs quand on parle d’Internet il y a aussi un nom qui revient souvent, malheureusement, c’est Google et là en l’occurrence c’est Google Analytics. Je suppose que de très nombreuses personnes, de très nombreux sites utilisent Google Analytics. Pourquoi, d’après vous, déjà ces gens-là l’utilisent? Deuxième question ensuite : pourquoi ne faudrait-il pas l’utiliser ? Quels problèmes pose Google Analytics ? Qui veut commencer ? Alexandre Bulté.

Alexandre Bulté : Je peux commencer.
Déjà sur les chiffres, je suis tombé en préparent l’interview sur une étude de W3Techs assez intéressante, pareil je mettrai le lien. À priori c’est 85 % de parts de marché, 84/85 % de parts de marché de Google Analytics sur le marché des trackers d’audience. J’ai aussi remarqué que Matomo est dans le top 10, donc ça m’a fait plaisir, ils sont très loin derrière.

Frédéric Couchet : Ils sont à quoi ? 4/5 % ?

Alexandre Bulté : Même pas, à 1 virgule quelque chose. Bref ! 85 % de parts de marché. Ça dit déjà des choses, ça dit quasi-monopole. Après c’est un outil qui marche, c’est un peu le go to par défaut des gens, ce que je peux comprendre quand on ne s’est pas renseigné sur les impacts, si on n’a pas écouté cette émission qu’on est en train de faire, là où on va aller par défaut c’est sur Google Analytics, parce que c’est gratuit, parce que ça marche tout seul, parce qu’on clique. Après, on se retrouve quand même dans une interface dans laquelle, personnellement, je ne me suis jamais vraiment bien sorti.

Frédéric Couchet : Tu veux dire l’interface graphique.

Alexandre Bulté : Je trouve que l’ergonomie de Google Analytics est particulièrement ardue. Bref ! C’est un peu le choix par défaut. À mon avis, ça ne va pas plus loin que ça pour le choix. Je vais peut-être laisser Ronan élaborer sur les problèmes, c’est pour ça que j’ai commencé, pour pouvoir lui refiler la patate chaude.

Frédéric Couchet : C’est un échange.
Ronan. Quels problèmes, finalement, pose Google Analytics ?

Ronan Chardonneau : Je vais peut-être d’abord rebondir, enfin compléter ce qu’a dit Alexandre. Déjà je confirme les parts de marché, les sources également qu’on consulte, ça va être ???, ça va être W3Techs Après, ces parts de marché ont quand même bien changé, je crois que pour la France, récemment, quand j’ai regardé, c’était 3 % là où l’année dernière ça devait être 2 %. Il faut imaginer que 1 % c’est quand même phénoménal. Ensuite, ce qu’il faut relativiser justement par rapport à ce top 10, c’est qu’en gros toutes les solutions qui sont devant ce sont des solutions qui ne nécessitent pas d’effort pour la mise en place. C’est énormissime. En réalité, si on avait aujourd’hui, j’ai envie de dire un parrain, en tout cas un gros hébergeur qui viendrait se placer, qui dirait « OK, en deux clics tu peux disposer d’une solution d’analyse d’audience », à mon avis la donne serait complètement différente.

Frédéric Couchet : C’est un appel à OVH, à Free, à tout ça quoi !

Ronan Chardonneau : Exactement ! En gros c’est vraiment ça l’idée aujourd’hui : qu’est-ce que tu as avec Google ? Tu as une solution avec laquelle tu fais deux clics ou, si tu as déjà ton compte Google, tac !, tu as déjà ton bout de code, tu le mets directement sur ton site internet et tu commences à collecter des données, là où avec Matomo, eh bien en fait les gens ne comprennent pas trop : tu cliques et tu as un fichier zip. Super, mais je fais quoi avec mon fichier zip ? En fait, il faut mettre ça sur un serveur. Mais je n’ai pas de serveur ! Un serveur ça un coût. Je ne savais pas qu’il y avait un coût. Directement c’est difficile, en effet, de pouvoir faire de la compétition avec d’autres.
À noter d’ailleurs plutôt une excellente nouvelle, depuis maintenant un petit plus d’un an, pour tous les utilisateurs de WordPress, l’équipe de Matomo a bossé extrêmement dur pour développer un plugin spécifiquement pour WordPress. Tu l’installes en un clic, ça utilise la même base de données que WordPress et tu as déjà ton Matomo. En réalité, si vous êtes sur WordPress vous pouvez d’ores et déjà migrer sur Matomo Analytics, ça ne va pas vous coûter beaucoup de temps, ça ne va pas vous coûter d’argent. Il vous suffit d’installer ce plugin-là et c’est parti.

Alexandre Bulté : Est-ce que c’est Jetpack ou c’est autre chose ?

Ronan Chardonneau : Non, ce n’est pas Jetpack. Je crois que ça s’appelle Matomo Ethical Analytics, quelque chose comme ça, tu vas dans WordPress, tu cherches le plugin et tu le trouves. Attention il y a deux plugins, il y a WP-Matomo et il y a un autre plugin et c’est justement l’autre plugin qu’il faut prendre, de toute façon c’est plutôt bien indiqué. C’est vraiment génial, ça utilise la même base et c’est l’idéal pour démarrer sur Matomo sans avoir à passer par l’étape installation.

Frédéric Couchet : D’accord.
Rapidement, c’est quoi le problème posé par Google ? Je dis rapidement parce que je pense que la plupart des gens en a conscience mais autant le rappeler, dans le cas de Google Analytics.

Ronan Chardonneau : Déjà tout dépend de quelle branche on veut prendre. Je dirais que le problème qui me vient surtout à l’esprit, s’il y en a un, c’est un logiciel propriétaire et l’autre c’est un logiciel libre. Donc pour moi tout démarre simplement dans la lecture des conditions générales d’utilisation de Google Analytics, rien que ça en réalité. Quand j’ai des clients qui viennent me voir c’est parce que, en gros, leur service juridique a eu la curiosité de lire les conditions générales d’utilisation. À partir de là, de toute façon, Google Analytics c’est niet. Du coup j’invite tous ceux qui ne les ont pas encore lues à les lire puisque ça dit clairement les choses : en gros, Google ne prend aucune responsabilité. S’il se passe quelque chose, vous prenez tout en pleine figure, vous êtes engagé via ces conditions générales d’utilisation à protéger Google à vos propres frais si jamais quelqu’un l’attaquait ; si jamais vous utilisez des services de Google, type Google AdWords, en fait c’est cette carte bancaire-là qui sera débitée. Tout ça c’est écrit noir sur blanc. Pareil, si jamais vous faites l’erreur de collecter des données personnelles, clairement vous enfreignez les conditions générales d’utilisation.
En gros vous en prenez plein la figure si jamais il se passe quelque chose. Après, d’ailleurs, se pose plus la question éthique de dire « mais attends mon gars, moi je viens sur tel site, je viens pour visiter tel site, je viens pour visiter telle entreprise, d’où est-ce que tu prends mes données, c’est-à-dire mon comportement et que tu l’envoies à un tiers qui, plus est, est Google qui lui a déjà tout un paquet de données, qu’il peut déjà croiser avec tout un paquet de choses. »
C’est pour ça que c’est intéressant ces fameux bandeaux d’acceptation dont on parle très souvent et qu’on a vu fleurir. Il est clair et net que tu viens voir telle entreprise, tu viens voir tel site internet, tu t’attends à ce que tes données ne soient collectées que par eux et pas par un tiers. En fait c’est complètement fou cette histoire d’embarquer des trucs qui envoient des données à des tiers alors que tu viens voir un de tes amis, tu ne veux pas en plus que ce que tu dis à ton ami parte à un tiers que tu ne connais pas ; ça n’a pas de sens ! Avec Matomo c’est complètement différent puisque le logiciel est installé sur votre propre serveur donc au final c’est le même serveur qui, probablement, héberge votre site internet, donc il n’y a pas cette ambiguïté de où est-ce que sont parties ces données.

Frédéric Couchet : D’accord. Justement on va revenir sur Matomo juste après la pause musicale.
On va continuer notre voyage avec Darren Curtis. Nous allons écouter The Death March par Darren Curtis. On se retrouve dans deux minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : The Death March par Darren Curtis.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Deuxième partie

Chronique « Partager est bon » de Véronique Bonnet, professeur de philosophie et présidente de l'April sur le thème « Développement durable et logiciel libre »

Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre avec la chronique de Véronique Bonnet, présidente de l’April et professeur de philosophie. Dans ce nouveau format de chronique Véronique va nous proposer une lecture philosophique de certains thèmes. La chronique a été enregistrée il y a quelques jours. Le thème est développement durable et logiciel libre. On se retrouve d’ici 13 minutes.

[Virgule sonore]

Frédéric Couchet : Soyez les bienvenus pour cette nouvelle chronique de Véronique Bonnet. Véronique est présidente de l’April. Sa chronique est intitulée « Partager est bon ».
Bonjour Véronique.

Véronique Bonnet : Bonjour Fred.

Frédéric Couchet : Le thème de cette chronique c’est « Logiciel libre et développement durable. » Nous t’écoutons.

Véronique Bonnet : En effet et là vraiment tant mieux pour nous le logiciel libre est améliorable, il est réparable, il remédie à l’obsolescence programmée, il permet de continuer à utiliser un ordinateur lorsque le programme non libre qu’il contient ne peut plus être mis à jour. Donc au lieu de changer d’ordinateur, l’utilisateur peut changer de distribution et de logiciel et ceci a un impact considérable sur l’environnement. Ceci permet par exemple d’économiser des matériaux, de l’énergie, d’optimiser ce que l’humain a réalisé.

La notion de développement durable. L’esprit de cette chronique c’est faire le lien avec l’histoire de la philosophie. La notion de développement durable apparaît au début des années 70. C’est un juriste, un certain John Rawls, fondateur de la philosophie cosmopolitique, qui fait paraître en 1971 sa théorie de la justice. C’est un texte extrêmement important parce qu’à partir de ce texte non seulement on va penser le développement durable, on va penser le droit d’ingérence, on va penser la subsidiarité, c’est-à-dire toutes les notions qui peuplent actuellement notre réflexion.
D’abord je commence par une opposition. Avant John Rawls, on parlait de philosophie politique. Qu’est-ce que la philosophie politique ? On part d’un être humain. On se demande comment il évolue dans une famille. On passe ensuite de la famille au village, du village à la cité. On se demande quel est le rapport des cités entre elles et, progressivement, on arrive à la planète.
Par contre, ce qui va apparaître avec John Raws, c’est ce qu’on appelle la philosophie cosmopolitique. On inverse. C’est-à-dire qu’on part de la planète, on se dit qu’un humain ne choisit pas quand il va naître et où il va naître, donc on se demande comment il faudrait que la planète soit configurée pour que venir au monde soit à peu près acceptable étant donné qu’on ne sait pas à quel moment on va le faire et où on va le faire. Et ça donne quoi ?ça donne qu’à partir d’une réflexion sur la planète on va se dire qu’il est préférable que, de toute façon, cette planète fasse attention au développement durable, il ne faut pas que toutes les ressources aient été dépensées. Il faut que sur cette planète, quand un pays se comporte d’une manière éthiquement un peu douteuse, il soit possible qu’il y ait un droit d’ingérence, il soit possible qu’il y ait une subsidiarité de façon à ce que naître soit le plus humanisant possible, le moins risqué possible étant donné qu’on ne sait pas dans quel pays on le fera et quand on le fera.

Par exemple, pour le développement durable, ça consiste à dire qu’il serait bien d’emprunter à la terre le moins de ressources possible, dans l’idée de les lui rendre de la façon la plus adéquate sans qu’il y ait des déperditions. Je pars d’un exemple : pour produire un jeans, 10 000 lires d’eau sont nécessaires : il faut faire pousser le coton, il faut le préparer pour pouvoir le tisser, le teindre, le laver et parfois même le délaver. Donc on peut s’arranger pour limiter l’utilisation de l’eau, pour éviter d’aggraver le stress hydrique qui concerne même des humains. Peut-être que, plutôt que de produire du coton, on va aller vers du chanvre, on va aller vers de l’ortie ou alors on va réutiliser le jeans – pour ça il y a des ressourceries, il y a des brocantes – ou alors, s’il est abîmé, on va réutiliser seulement les fibres pour faire un nouveau jean.

L’analogie est la suivante. Dans le registre informatique lui-même, on peut aussi bien dégager à partir de l’existant, c’est-à-dire du parc des ordinateurs et des téléphones portables, un potentiel important. En effet, dans le registre de l’écologie de la réduction de la fracture numérique, dans le registre de la ville inclusive, on peut faire avec des ordinateurs, avec des portables, beaucoup d’économies si on utilise le logiciel libre pour reconditionner ce qui ne peut pas être mis à jour dans un contexte de logiciel non libre. Et là on est dans le partage des savoirs, dans l’équipement de personnes défavorisées, donc vers une réduction de la fracture aussi bien numérique que sociale.

Je vais prendre trois exemples qui illustrent le lien entre logiciel libre et développement durable.
Premier exemple : on peut reconfigurer son matériel avec du logiciel libre. C’est par exemple ce qui se passe au Carrefour numérique2 de la Cité des sciences et de l’industrie de la Villette les premiers samedis de 14 heures à 18 heures- Il y a des install-parties et là, les utilisateurs qui ne peuvent plus faire de mises à jour du logiciel non libre de leur ordinateur ou de leur téléphone portable, après avoir fait une sauvegarde de leurs données, peuvent installer ou faire installer des distributions libres qui vont permettre de réutiliser, de reconditionner au lieu de jeter. Pourça évidemment il ne faut pas qu’il y ait de blocage du boot qui empêche toute nouvelle installation.
Ces install-parties sont corrélées à des ateliers d’aide à l’utilisation, à des conférences de sensibilisation, à une dimension qui est écologique, qui est éthique.
Par exemple, pour les ordinateurs on peut utiliser la distribution Debian, Ubuntu, Fedora, Mageia pour GNU/Linux. Pour les portables on peut utiliser Replicant, LineageOS, F-Droid pour Android.

Deuxième exemple : on peut faire intervenir des associations de récupération et de reconfiguration. Par exemple sur cette antenne s’est exprimée Antanak, une association qui d’ailleurs n’est pas loin de la radio, rue Bernard Dimey, une association loi 1901 sans but lucratif. Le matériel informatique récupéré est donc reconfiguré avec GNU/Linux et préparé avec des logiciels libres en vue d’une nouvelle utilisation, puisque le don, le partage sont des axes puissants du free software.

Un troisième et dernier exemple : on peut se tourner vers un collectif ayant développé une vocation cosmopolitique et tiers-mondiste. Je pense en particulier à Emmabuntüs qui s’est constitué en 2011. Le nom Emmabuntüs est une synthèse d’Emmaüs, association humanitaire de l’Abbé Pierre et de Ubuntu qui signifie « humanité » dans la langue originelle de l’Afrique du Sud. Le but est de donner aux personnes ayant peu de moyens financiers la possibilité de posséder du matériel informatique, ce qui amène à solliciter tous les organismes privés et publics pour partager un projet social, solidaire, environnemental.
En effet, on sait bien que trop d’ordinateurs jonchent les rues parce que l’obsolescence programmée est parfois vécue comme une fatalité. Et là il y a pollution visuelle, gâchis écologique de métaux rares, irrespect de l’investissement en termes d’énergie et d’inventivité humaine. Y remédier grâce au logiciel libre constitue un gisement d’emplois. On va récupérer, on va réparer. Ceci ouvre des projets mobilisateurs, porteurs de synergie pour les bénévoles. Opérer un reconditionnement logiciel en agissant en amont, avant la décision de jeter, est à porter au crédit du logiciel libre. Et ce n’est pas pour rien que l’April est actrice pour sensibiliser aux risques d’une informatique de court terme et ça n’est pas pour rien que l’April veut privilégier l’économie circulaire.

À ce propos, il serait intéressant que l’indice de réparabilité nouvellement instauré fort heureusement prenne en compte ce qu’on appelle la couche logicielle de la carte mère des ordinateurs parce qu’il y a des couches logicielles qui peuvent bloquer le boot alors qu’il faut laisser aux utilisateurs la liberté de changer de logiciel plutôt que de changer de matériel.
La liberté, encore et toujours, Fred, la liberté nous caractérise et elle nous emporte.

Frédéric Couchet : Tout à fait Véronique. Comme tu le dis on est mobilisé sur ces sujets, d’ailleurs actuellement il y a à l’Assemblée nationale la proposition de loi visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France. Il y a eu notamment des amendements qui ont été déposés suite à notre travail et aussi celui de Halte à l'Obsolescence Programmée de Green IT dont l’un, par exemple justement, vise à interdire ce dont tu parlais à l’instant c’est-à-dire les techniques y compris logicielles dont l’objet est de restreindre d’une personne pour installer des logiciels et des systèmes d’exploitation de son choix. C’est ce dont tu parlais à l’instant. C’est un amendement qui a d’ailleurs été voté avec une petite modification qui tient compte de la durée de garantie, en tout cas les débats ne sont pas finis. C’est effectivement un sujet très important.
Tu citais Antanak. Je vais juste rappeler que Antanak ce sont les voisins et les voisines de Cause Commune au 18 rue Bernard Dimey et le site c’est antanak.com.
Tu parlais des téléphones mobiles. Je précise qu’à la rentrée de septembre 2021, nous devrions avoir un sujet avec une invitée qui parlera notamment du Fairphone. Le Fairphone c’est le téléphone réparable, c’est un téléphone dont les éléments essentiels comme la batterie et l’écran sont facilement démontables et réparables alors qu’aujourd’hui la plupart des téléphones ne sont pas du tout réparables et dès qu’une pièce tombe en panne les personnes sont quasiment contraintes de racheter un nouveau téléphone.
Juste pour finir sur l’indice de réparabilité qui provient effectivement d’une loi qui a été votée récemment, il y a, je crois, un groupe de travail au niveau du ministère de l’Environnement qui a été créé et qui va intégrer un certain nombre d’éléments et on espère qu’il intégrera les éléments dont tu viens de parler. Est-ce que tu souhaites ajouter quelque chose en conclusion de cette chronique ?

Véronique Bonnet : Très bien. Je crois qu’il y a un mot clé c’est liberté. Si les couches logicielles bloquent cette possibilité de réutiliser, là on est, en effet, dans le contresens.

Frédéric Couchet : Nous sommes bien d’accord.
C’était la chronique Partager est bon de Véronique Bonnet, présidente de l’April, sur « Logiciel libre et développement durable ».
Véronique je te souhaite une belle fin de journée.

Véronique Bonnet : Très belle fin de journée à toi Fred.

[Virgule sonore]

Frédéric Couchet : Nous sommes de retour en direct.
Par rapport à la proposition de loi dont je vous parlais, sur le site de l’April, april.org, nous avons mis un point d’étape et la proposition de loi va passer maintenant au Sénat.
Concernant l’émission sur le Fairphone ça sera le 21 septembre 2021 et il y aura également /e/, je ne sais pas trop comment ça se prononce, avec Agnès Crépet et Gaël Duval,

Nous approchons de la fin de l’émission, nous allons terminer par quelques annonces.

[Virgule musicale]

Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l'April et le monde du Libre

Frédéric Couchet : Dans les annonces.