Différences entre les versions de « Libre à vous ! Radio Cause Commune - Transcription de l'émission du 27 avril 2021 »

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==Chronique « À cœur vaillant, la voie est libre » de Laurent Costy, vice-président de l'April, et de sa fille Lorette. Épisode 2, les DNS, <em>Domain Name System</em>, qu'on peut traduire en « système de noms de domaine »==
 
==Chronique « À cœur vaillant, la voie est libre » de Laurent Costy, vice-président de l'April, et de sa fille Lorette. Épisode 2, les DNS, <em>Domain Name System</em>, qu'on peut traduire en « système de noms de domaine »==
  
<b>Étienne Gonnu : </b>Nous allons commencer aujourd’hui par la chronique
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<b>Étienne Gonnu : </b>Nous allons commencer aujourd’hui par la chronique « À cœur vaillant, la voie est libre », la nouvelle chronique proposée par Laurent Costy et Lorette. Après un premier épisode portant… Laurent, quel était le sujet du premier épisode ?
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<b>Laurent Costy : </b>Les adresses IP.
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<b>Étienne Gonnu : </b>Les adresses IP. Merci du rappel. Voici aujourd’hui l’épisode 2, les DNS. Laurent, à toi la parole.
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<b>Laurent Costy : </b>Plutôt à Lorette, d’ailleurs.
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<b>Lorette Costy : </b>Allô, Papa-Potam ? C’est ta fille à 4 cœurs qui veut maîtriser les DNS, car je soupçonne cet acronyme de receler de terribles secrets.
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<b>Laurent Costy : </b>Aïe, tu tombes mal ! En fait, je suis en direct d’une émission radio ! Attends, je demande à Étienne et à Patrick de mettre un interlude. En fait non ! Comme on va parler de DNS et qu’on est plutôt raccord avec le thème de l’émission, on va en faire profiter les auditeurs !
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<b>Lorette Costy : </b>Tu es un papa-malin en plus d’être un Papa-Potam !
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<b>Laurent Costy : </b>Oui, j’ai plusieurs casquettes et même un t-shirt de l’émission <em>Libre à vous !</em> désormais. Bref !, comme disait presque Mme De Lafayette, trêve de princesse, parlons DNS !
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<b>Lorette Costy : </b>Oui, parlons du système de noms de domaine ou plutôt, puisque j’excelle en anglais, du <em>Domain Name System</em>, soit DNS.
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<b>Laurent Costy : </b>On ne dit pas de gros mots à table donc, on ne dit pas « j’excelle » mais plutôt je « LibreOffice ».
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<b>Lorette Costy : </b>D’abord, on n’est pas à table et, si on avait le temps, on pourrait s’interroger sur le pourquoi de ton humour discutable. Un peu comme si tu avais subi un traumatisme plus jeune. Tu t’es battu à l’époque avec une imprimante ?
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<b>Laurent Costy : </b>Non, c’était plutôt avec un logiciel propriétaire de comptabilité pour association. J’en suis encore tout retourné ! Revenons au DNS. C’est le truc qui fait le lien entre des adresses IP, forme d’identité préférée par les machines, et les noms de domaine plus intelligibles pour les humains.
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<b>Lorette Costy : </b>Ce n’est pas un peu claqué ton bidule ? Pendant des décennies on retenait bien des numéros de téléphone !
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<b>Laurent Costy : </b>C’était pour tester ta sagacité. Et ça marche ! Le principal intérêt, en effet, c’est finalement de permettre de conserver une forme de stabilité du nom dans le temps alors qu’une adresse IP peut changer. Par exemple, si tu changes de Fournisseur d’Accès à Internet, ton FAI.
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<b>Lorette Costy : </b>Donc, si je comprends bien, le DNS, c’est une sorte de grande base de données ou un bottin, pour utiliser des mots de ton époque, dans lequel on trouve la correspondance entre une adresse IP unique et un nom de domaine
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<b>Laurent Costy : </b>Au moins, avec un bottin ou un annuaire, on pouvait démarrer un barbecue. Essaie de brûler un serveur qui contient une base de données, ce n’est pas gagné avec deux silex. Sinon, c’est quand même une bonne analogie que celle de l’annuaire, mais quelques précisions sont néanmoins nécessaires. Il faut distinguer deux types d’annuaire : ceux qui font « autorité » et ceux, intermédiaires, que l’on appelle plutôt résolveurs DNS.
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<b>Lorette Costy : </b>J’aurais tendance à penser que tu préfères les résolveurs, car tu as un problème avec l’autorité !
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<b>Laurent Costy : </b>Petite impertinente, je vais user de mon autorité pour t’envoyer au coin si tu continues ! Mais en fait non, je préfère te gaver de connaissances à la place. Et Bing, un sale moteur de recherche dans ta face !<br/>
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Donc, alors que les serveurs faisant autorité contiennent, en quelque sorte, la vraie correspondance entre IP et nom de domaine, ils ne sont pratiquement jamais interrogés par les machines des utilisateurs, mais questionnés directement par les serveurs « intermédiaires » de l'autre catégorie, les résolveurs.
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<b>Lorette Costy : </b>Pourquoi donc cette logique à deux étages, mon cher papa, même si je me demande si je ne préférerais pas aller directement au coin !
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<b>Laurent Costy : </b>En fait, les résolveurs servent uniquement de relais et de stockage temporaire de données pour faire gagner du temps, limiter le nombre d’échanges et éviter de saturer de requêtes les serveurs faisant autorité. Par exemple, ces résolveurs sont ceux des FAI ou ceux du service informatique d’une entreprise. Leur gestion est généralement privée et c’est aussi un nœud d’Internet qui est une bonne cible lorsque l’on veut détourner ou masquer des résultats de requêtes.
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<b>Lorette Costy : </b>Hum ! C’est à cet endroit que l’on peut modifier le bottin et faire que l’utilisateur final n’arrive pas à l’endroit souhaité ? Les serveurs faisant autorité, comme tu dis, seraient par exemple une imprimerie qui produit les bottins et, les bottins ainsi produits, les résolveurs DNS ? Alors que j’aurais plus de mal à aller dans l’imprimerie pour faire des modifications directement à la source, sur la rotative, je peux remplacer une page dans le bottin que je t’offre gracieusement ! Et là paf !, tu arrives sur un site qui vend des toilettes connectées alors que tu voulais consulter café-vie-privée.fr !
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<b>Laurent Costy : </b>Pas mal du tout cette analogie filée ! Je me demande vraiment d’où te vient toute cette intelligence ! J’aurais tendance à penser qu’elle vient plus de ton papa, mais je reconnais une légère subjectivité égocentrée.
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<b>Lorette Costy : </b>Raconte-moi donc plutôt qui modifie les bottins et ce qu’ils cherchent à atteindre en faisant ça, au lieu de t’auto-congratuler.
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<b>Laurent Costy : </b>OK, OK, blague à part de Toto, cette technique de réécriture de bottin est appelée filtrage ou censure, c’est selon ! Si si, allitération remarquable en « s », tu noteras. Bref, le filtrage DNS consiste donc à substituer aux réponses vraies des serveurs faisant autorité, des mensonges pour empêcher un utilisateur de communiquer avec les serveurs du domaine filtré. C’est par exemple utilisé en entreprise pour empêcher les employés de regarder les pages Facebook.
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<b>Lorette Costy : </b>Oh !, mais je connais ça ! C’est pour ça qu’on peut pas aller sur des sites de cul au lycée ! Tout s’explique à présent…
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<b>Laurent Costy : </b>Oui, je serais curieux que tu essaies une recherche sur le mot cul-de-sac la prochaine fois au lycée ! Au-delà du lycée, c’est aussi une technique utilisée par les États qui contraignent les FAI à faire mentir leur résolveur DNS pour que des sites appelant à la haine, par exemple, ne puissent pas être consultés.
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<b>Lorette Costy : </b>Ouais, donc c’est quand même un peu une mesure cool, pour protéger des gens. Je pense surtout aux enfants d’ailleurs. C’est plutôt pas mal au final, non ?
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<b>Laurent Costy : </b>C’est là que ça se complique. D’abord, c’est toujours très délicat sur le plan des libertés que de décider pour les autres. C’est infantilisant, ça ne responsabilise pas. D’autant que consulter un site Web ne veut pas dire cautionner son contenu ! Et puis, on risque surtout l’<em>over censure</em>, tout ça sans réelle décision de justice, avec parfois des blocages de contenus plus graves que de ne pas trouver la définition de cul-de-sac ! Enfin, toutes ces manipulations sont toujours des occasions de collecter des données et de surveiller. Les FAI conservent sans doute l’historique des toutes nos connexions qui passent par leur résolveur DNS.
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<b>Lorette Costy : </b>Mais, s’ils les gardent, ils font quoi de toutes ces données ? Des conserves à cornichons ?
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<b>Laurent Costy : </b>Presque. L’historique de nos connexions, que les informaticiens appellent les logs, sont le socle de ce que l’on appelle le capitalisme de surveillance. Lorsque l’on surveille, on peut prédire les comportements. Lorsque l’on se sait surveillé, on modifie ses comportements. On alimente donc nous-même la possibilité de manipuler et d’orienter le comportement des gens.
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<b>Lorette Costy : </b>Mais alors, le plus simple c’est de rester dans l’ignorance de ces pratiques ! Autrement dit on ne fait pas des pâtes à caisse pour chat de Schrödinger de ces questions et tout va bien ! En disant ça, j’ai bien conscience que c’est à la fois intelligent et stupide !
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<b>Laurent Costy : </b>Et tout est fait pour soi-disant faciliter la vie des gens et faire qu’ils se posent le moins de questions possible. Si ça se trouve, la prochaine étape sera la suppression de l’école pour apprendre très tôt à ne plus réfléchir ! En attendant, ces pratiques de filtrage sont des atteintes à la neutralité du Net. On n’obtient plus les mêmes réponses à une requête quand on change de résolveur DNS !
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<b>Lorette Costy : </b>Et après il n’y a plus de limites aux bornes du sommet des abysses ! Aïe, aïe, aïe ! Bon, je n’ai pas encore choisi si j’avais envie de prendre en main ma destinée informatique ou ignorer tout ça en auto-détruisant cette chronique à sa fin ! Supposons un instant qu’on veuille ne pas ignorer. Genre toi, à ma place, comment tu ferais pour avoir accès à la définition de cul-de-sac au lycée ?
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<b>Laurent Costy : </b>Bah, Je demande à Mamie son dictionnaire, tiens ! Sinon, c’est une voie courageuse que tu choisirais là petite Padawan ! Il n’y a pas de solutions faciles à mettre en œuvre. Elles nécessitent souvent quelques connaissances techniques qui ne sont pas triviales. La première étape peut consister à passer par un autre résolveur DNS que celui fourni par ton FAI. Si tu veux, je peux t’aider en échange de ton argent de poche mensuel, que je ne te donnerai pas. Ça te va ?
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<b>Lorette Costy : </b>Première règle, on ne touche pas à l’argent de poche. Deuxième règle, on ne touche pas à l’argent de poche ! Et sinon, penser ou ne pas penser, je n’ai toujours pas choisi.
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<b>Laurent Costy : </b>Bon, on va laisser reposer tout ça et il est de toute façon difficile d’expliquer oralement comment mettre en place les choses pour reprendre un peu de contrôle sur tout ça. S’il fallait retenir un truc, ce serait de chercher à se faire aider par des vrais gens physiques qui ont quelques compétences et avec qui la confiance s’est construite.
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<b>Lorette Costy : </b>Comme toi par exemple, j’imagine ! En tous cas, par rapport au début de notre conversation, j’en sais désormais beaucoup plus sur les DNS. Par contre, je ne sais pas comment je vais pouvoir glisser ça dans les conversations avec mes potes ! Tu m’imagines vraiment, au lycée, balancer entre deux conversations sur les salsifis de la cantine et notre devoir de philo un truc du style « Hé les filles vous pensez quoi des résolveurs DNS et du fait, qu’à cause d’eux, on ne puisse pas mater de porno depuis les PC du lycée ? »
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<b>Laurent Costy : </b>Il y a des salsifis à la cantine des fois ? Waouh !, c’est cool. De toute façon je te laisse réfléchir, j’ai un résolveur DNS sur le feu ! Je t’envoie un Doux Neutrino Soyeux.
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<b>Lorette Costy : </b>Moi aussi, DNS papa !
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<b>Voix off : </b>Cette chronique s’autodétruira dans dix secondes, ou pas. Cette chronique s’autodétruira dans dix secondes, ou pas.
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<b>Étienne Gonnu : </b>C’est bon ! Pas d’explosion.<br/>
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Merci Laurent et Lorette. Une très belle introduction, je pense, pour notre sujet long à suivre.<br/>
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Une idée sur l’épisode 3 ?
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<b>Laurent Costy : </b>Ce sera l’e-mail ou la navigation internet. On est en train de réfléchir.
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<b>Étienne Gonnu : </b>D’accord. Affaire à suivre. Merci Laurent.
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Nous allons faire une pause musicale.
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[Virgule musicale]
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<b>Étienne Gonnu : </b>Une fois n’est pas coutume. Nous allons écouter un style musical qui me semble assez rare sous licence libre. Une chanson pour enfant, dans un style plutôt folk que j’ai personnellement trouvé très plaisant. Nous allons écouter <em>1, 2, 3, petits pois ! </em> par Ciboulette Cie. On se retrouve dans trois minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
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<b>Pause musicale : </b><em>1, 2, 3, petits pois ! </em> par Ciboulette Cie.
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<b>Voix off : </b>Cause Commune, 93.1.
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<b>Étienne Gonnu : </b>Nous venons d’écouter <em>1, 2, 3, petits pois! </em> par Ciboulette Cie, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution, CC By.
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==La campagne Technopolice de La Quadrature du Net==
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<b>Étienne Gonnu : </b>Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui porte

Version du 27 avril 2021 à 18:48


Titre : Émission Libre à vous ! diffusée mardi 27 avril 2021 sur radio Cause Commune

Intervenant·e·s : Laurent Costy - Lorette Costy - Alouette - Eda Nano - Luk - Étienne Gonnu - Patrick Creusot à la régie

Lieu : Radio Cause Commune

Date : 27 avril 2021

Durée : 1 h 30 min

[ Podcast Provisoire]

Page des références utiles concernant cette émission

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration :

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Étienne Gonnu : Bonjour à toutes. Bonjour à tous.
Nous parlerons aujourd’hui de Technopolice, la campagne coordonnée par La Quadrature du Net contre les technologies de surveillance. Luk nous dira pourquoi lui il aime la technopolice et Laurent et Lorette nous parlerons de DNS. Voilà le programme du jour.

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Étienne Gonnu, chargé affaires publiques pour l’April.

Le site web de l’April est april.org, vous pouvez y trouver une page consacrée à cette émission avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire tout retour utile ou à nous poser toute question.

Nous sommes le 27 avril, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être un podcast ou une rediffusion.

À la réalisation de l’émission aujourd’hui Patrick. Salut Patrick.

Patrick Creusot : Bonjour. Bonne émission.

Étienne Gonnu : Nous vous souhaitons une excellente écoute.

[Virgule musicale]

Chronique « À cœur vaillant, la voie est libre » de Laurent Costy, vice-président de l'April, et de sa fille Lorette. Épisode 2, les DNS, Domain Name System, qu'on peut traduire en « système de noms de domaine »

Étienne Gonnu : Nous allons commencer aujourd’hui par la chronique « À cœur vaillant, la voie est libre », la nouvelle chronique proposée par Laurent Costy et Lorette. Après un premier épisode portant… Laurent, quel était le sujet du premier épisode ?

Laurent Costy : Les adresses IP.

Étienne Gonnu : Les adresses IP. Merci du rappel. Voici aujourd’hui l’épisode 2, les DNS. Laurent, à toi la parole.

Laurent Costy : Plutôt à Lorette, d’ailleurs.

Lorette Costy : Allô, Papa-Potam ? C’est ta fille à 4 cœurs qui veut maîtriser les DNS, car je soupçonne cet acronyme de receler de terribles secrets.

Laurent Costy : Aïe, tu tombes mal ! En fait, je suis en direct d’une émission radio ! Attends, je demande à Étienne et à Patrick de mettre un interlude. En fait non ! Comme on va parler de DNS et qu’on est plutôt raccord avec le thème de l’émission, on va en faire profiter les auditeurs !

Lorette Costy : Tu es un papa-malin en plus d’être un Papa-Potam !

Laurent Costy : Oui, j’ai plusieurs casquettes et même un t-shirt de l’émission Libre à vous ! désormais. Bref !, comme disait presque Mme De Lafayette, trêve de princesse, parlons DNS !

Lorette Costy : Oui, parlons du système de noms de domaine ou plutôt, puisque j’excelle en anglais, du Domain Name System, soit DNS.

Laurent Costy : On ne dit pas de gros mots à table donc, on ne dit pas « j’excelle » mais plutôt je « LibreOffice ».

Lorette Costy : D’abord, on n’est pas à table et, si on avait le temps, on pourrait s’interroger sur le pourquoi de ton humour discutable. Un peu comme si tu avais subi un traumatisme plus jeune. Tu t’es battu à l’époque avec une imprimante ?

Laurent Costy : Non, c’était plutôt avec un logiciel propriétaire de comptabilité pour association. J’en suis encore tout retourné ! Revenons au DNS. C’est le truc qui fait le lien entre des adresses IP, forme d’identité préférée par les machines, et les noms de domaine plus intelligibles pour les humains.

Lorette Costy : Ce n’est pas un peu claqué ton bidule ? Pendant des décennies on retenait bien des numéros de téléphone !

Laurent Costy : C’était pour tester ta sagacité. Et ça marche ! Le principal intérêt, en effet, c’est finalement de permettre de conserver une forme de stabilité du nom dans le temps alors qu’une adresse IP peut changer. Par exemple, si tu changes de Fournisseur d’Accès à Internet, ton FAI.

Lorette Costy : Donc, si je comprends bien, le DNS, c’est une sorte de grande base de données ou un bottin, pour utiliser des mots de ton époque, dans lequel on trouve la correspondance entre une adresse IP unique et un nom de domaine

Laurent Costy : Au moins, avec un bottin ou un annuaire, on pouvait démarrer un barbecue. Essaie de brûler un serveur qui contient une base de données, ce n’est pas gagné avec deux silex. Sinon, c’est quand même une bonne analogie que celle de l’annuaire, mais quelques précisions sont néanmoins nécessaires. Il faut distinguer deux types d’annuaire : ceux qui font « autorité » et ceux, intermédiaires, que l’on appelle plutôt résolveurs DNS.

Lorette Costy : J’aurais tendance à penser que tu préfères les résolveurs, car tu as un problème avec l’autorité !

Laurent Costy : Petite impertinente, je vais user de mon autorité pour t’envoyer au coin si tu continues ! Mais en fait non, je préfère te gaver de connaissances à la place. Et Bing, un sale moteur de recherche dans ta face !
Donc, alors que les serveurs faisant autorité contiennent, en quelque sorte, la vraie correspondance entre IP et nom de domaine, ils ne sont pratiquement jamais interrogés par les machines des utilisateurs, mais questionnés directement par les serveurs « intermédiaires » de l'autre catégorie, les résolveurs.

Lorette Costy : Pourquoi donc cette logique à deux étages, mon cher papa, même si je me demande si je ne préférerais pas aller directement au coin !

Laurent Costy : En fait, les résolveurs servent uniquement de relais et de stockage temporaire de données pour faire gagner du temps, limiter le nombre d’échanges et éviter de saturer de requêtes les serveurs faisant autorité. Par exemple, ces résolveurs sont ceux des FAI ou ceux du service informatique d’une entreprise. Leur gestion est généralement privée et c’est aussi un nœud d’Internet qui est une bonne cible lorsque l’on veut détourner ou masquer des résultats de requêtes.

Lorette Costy : Hum ! C’est à cet endroit que l’on peut modifier le bottin et faire que l’utilisateur final n’arrive pas à l’endroit souhaité ? Les serveurs faisant autorité, comme tu dis, seraient par exemple une imprimerie qui produit les bottins et, les bottins ainsi produits, les résolveurs DNS ? Alors que j’aurais plus de mal à aller dans l’imprimerie pour faire des modifications directement à la source, sur la rotative, je peux remplacer une page dans le bottin que je t’offre gracieusement ! Et là paf !, tu arrives sur un site qui vend des toilettes connectées alors que tu voulais consulter café-vie-privée.fr !

Laurent Costy : Pas mal du tout cette analogie filée ! Je me demande vraiment d’où te vient toute cette intelligence ! J’aurais tendance à penser qu’elle vient plus de ton papa, mais je reconnais une légère subjectivité égocentrée.

Lorette Costy : Raconte-moi donc plutôt qui modifie les bottins et ce qu’ils cherchent à atteindre en faisant ça, au lieu de t’auto-congratuler.

Laurent Costy : OK, OK, blague à part de Toto, cette technique de réécriture de bottin est appelée filtrage ou censure, c’est selon ! Si si, allitération remarquable en « s », tu noteras. Bref, le filtrage DNS consiste donc à substituer aux réponses vraies des serveurs faisant autorité, des mensonges pour empêcher un utilisateur de communiquer avec les serveurs du domaine filtré. C’est par exemple utilisé en entreprise pour empêcher les employés de regarder les pages Facebook.

Lorette Costy : Oh !, mais je connais ça ! C’est pour ça qu’on peut pas aller sur des sites de cul au lycée ! Tout s’explique à présent…

Laurent Costy : Oui, je serais curieux que tu essaies une recherche sur le mot cul-de-sac la prochaine fois au lycée ! Au-delà du lycée, c’est aussi une technique utilisée par les États qui contraignent les FAI à faire mentir leur résolveur DNS pour que des sites appelant à la haine, par exemple, ne puissent pas être consultés.

Lorette Costy : Ouais, donc c’est quand même un peu une mesure cool, pour protéger des gens. Je pense surtout aux enfants d’ailleurs. C’est plutôt pas mal au final, non ?

Laurent Costy : C’est là que ça se complique. D’abord, c’est toujours très délicat sur le plan des libertés que de décider pour les autres. C’est infantilisant, ça ne responsabilise pas. D’autant que consulter un site Web ne veut pas dire cautionner son contenu ! Et puis, on risque surtout l’over censure, tout ça sans réelle décision de justice, avec parfois des blocages de contenus plus graves que de ne pas trouver la définition de cul-de-sac ! Enfin, toutes ces manipulations sont toujours des occasions de collecter des données et de surveiller. Les FAI conservent sans doute l’historique des toutes nos connexions qui passent par leur résolveur DNS.

Lorette Costy : Mais, s’ils les gardent, ils font quoi de toutes ces données ? Des conserves à cornichons ?

Laurent Costy : Presque. L’historique de nos connexions, que les informaticiens appellent les logs, sont le socle de ce que l’on appelle le capitalisme de surveillance. Lorsque l’on surveille, on peut prédire les comportements. Lorsque l’on se sait surveillé, on modifie ses comportements. On alimente donc nous-même la possibilité de manipuler et d’orienter le comportement des gens.

Lorette Costy : Mais alors, le plus simple c’est de rester dans l’ignorance de ces pratiques ! Autrement dit on ne fait pas des pâtes à caisse pour chat de Schrödinger de ces questions et tout va bien ! En disant ça, j’ai bien conscience que c’est à la fois intelligent et stupide !

Laurent Costy : Et tout est fait pour soi-disant faciliter la vie des gens et faire qu’ils se posent le moins de questions possible. Si ça se trouve, la prochaine étape sera la suppression de l’école pour apprendre très tôt à ne plus réfléchir ! En attendant, ces pratiques de filtrage sont des atteintes à la neutralité du Net. On n’obtient plus les mêmes réponses à une requête quand on change de résolveur DNS !

Lorette Costy : Et après il n’y a plus de limites aux bornes du sommet des abysses ! Aïe, aïe, aïe ! Bon, je n’ai pas encore choisi si j’avais envie de prendre en main ma destinée informatique ou ignorer tout ça en auto-détruisant cette chronique à sa fin ! Supposons un instant qu’on veuille ne pas ignorer. Genre toi, à ma place, comment tu ferais pour avoir accès à la définition de cul-de-sac au lycée ?

Laurent Costy : Bah, Je demande à Mamie son dictionnaire, tiens ! Sinon, c’est une voie courageuse que tu choisirais là petite Padawan ! Il n’y a pas de solutions faciles à mettre en œuvre. Elles nécessitent souvent quelques connaissances techniques qui ne sont pas triviales. La première étape peut consister à passer par un autre résolveur DNS que celui fourni par ton FAI. Si tu veux, je peux t’aider en échange de ton argent de poche mensuel, que je ne te donnerai pas. Ça te va ?

Lorette Costy : Première règle, on ne touche pas à l’argent de poche. Deuxième règle, on ne touche pas à l’argent de poche ! Et sinon, penser ou ne pas penser, je n’ai toujours pas choisi.

Laurent Costy : Bon, on va laisser reposer tout ça et il est de toute façon difficile d’expliquer oralement comment mettre en place les choses pour reprendre un peu de contrôle sur tout ça. S’il fallait retenir un truc, ce serait de chercher à se faire aider par des vrais gens physiques qui ont quelques compétences et avec qui la confiance s’est construite.

Lorette Costy : Comme toi par exemple, j’imagine ! En tous cas, par rapport au début de notre conversation, j’en sais désormais beaucoup plus sur les DNS. Par contre, je ne sais pas comment je vais pouvoir glisser ça dans les conversations avec mes potes ! Tu m’imagines vraiment, au lycée, balancer entre deux conversations sur les salsifis de la cantine et notre devoir de philo un truc du style « Hé les filles vous pensez quoi des résolveurs DNS et du fait, qu’à cause d’eux, on ne puisse pas mater de porno depuis les PC du lycée ? »

Laurent Costy : Il y a des salsifis à la cantine des fois ? Waouh !, c’est cool. De toute façon je te laisse réfléchir, j’ai un résolveur DNS sur le feu ! Je t’envoie un Doux Neutrino Soyeux.

Lorette Costy : Moi aussi, DNS papa !

Voix off : Cette chronique s’autodétruira dans dix secondes, ou pas. Cette chronique s’autodétruira dans dix secondes, ou pas.

Étienne Gonnu : C’est bon ! Pas d’explosion.
Merci Laurent et Lorette. Une très belle introduction, je pense, pour notre sujet long à suivre.
Une idée sur l’épisode 3 ?

Laurent Costy : Ce sera l’e-mail ou la navigation internet. On est en train de réfléchir.

Étienne Gonnu : D’accord. Affaire à suivre. Merci Laurent. Nous allons faire une pause musicale.

[Virgule musicale]

Étienne Gonnu : Une fois n’est pas coutume. Nous allons écouter un style musical qui me semble assez rare sous licence libre. Une chanson pour enfant, dans un style plutôt folk que j’ai personnellement trouvé très plaisant. Nous allons écouter 1, 2, 3, petits pois ! par Ciboulette Cie. On se retrouve dans trois minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : 1, 2, 3, petits pois ! par Ciboulette Cie.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter 1, 2, 3, petits pois! par Ciboulette Cie, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution, CC By.

[Jingle]

La campagne Technopolice de La Quadrature du Net

Étienne Gonnu : Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui porte