« Parlons-en Framasoft et le libre avec Pouhiou » : différence entre les versions
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<b>Journaliste Parlons-en : </b>Dis-nous déjà, dans un premier temps, qui tu es ? | <b>Journaliste Parlons-en : </b>Dis-nous déjà, dans un premier temps, qui tu es ? | ||
<b>Pouhiou : </b> | <b>Pouhiou : </b>À l’origine j’étais comédien et puis, à un moment donné, l’envie d’écrire a pris le dessus sur l'envie de scène, donc je suis devenu auteur. C’est en tant qu’auteur que j’ai rejoint Framasoft puisque, après avoir publié mon premier roman sur un blog, je l’ai versé dans le domaine public grâce à la licence libre CC0<ref>[https://creativecommons.org/publicdomain/zero/1.0/deed.fr Licence libre CC0]</ref>. J’ai contacté Framasoft qui a voulu l’éditer en tant que Framabook<ref>[https://fr.wikipedia.org/wiki/Framabook Framabook]</ref>, parce que c’est un des multiples projets de Framasoft, on en reparlera. Et c’est comme ça que j’ai rejoint la bande de Framasoft. Après quelques années de bénévolat, j’ai été embauché, en janvier 2015, en tant que médiateur chez Framasoft. C’est-à-dire que je fais un peu de communication médias-presse, de la communication grand public aussi avec le blog et les réseaux sociaux. Et puis, à l’intérieur de l’association Framasoft, je vais animer certains projets notamment en accueillant des énergies bénévoles et en les dirigeant vers les personnes qui dirigent des projets. Voilà, si toi tu as envie de faire plus de ceci que de cela, je saurai te diriger vers la bonne personne. | ||
<b>Journaliste Parlons-en : </b>Donc effectivement, tu fais partie de ce groupe Framasoft qui défend un peu le monde libre. | <b>Journaliste Parlons-en : </b>D'accord. Donc effectivement, tu fais partie de ce groupe Framasoft qui défend un peu le monde libre. Framasoft, dans sa globalité, c’est quoi comme institution ? | ||
<b>Pouhiou : </b>C’est une association 1901 et l’association, en | <b>Pouhiou : </b>C’est une association 1901 et l’association est là, en gros, pour maintenir les murs de la maison afin que des gens, des contributeurs et des contributrices, viennent y développer des projets. Il y a à la fois une association et une communauté et le but de tout ce monde-là c’est de créer et de maintenir un réseau de projets pour amener du Libre chez monsieur et madame Tout-le-monde. L’idée c’est qu’on ne fait pas énormément de créations de l’esprit libre — de logiciels ou de culture libre — par contre, on essaie de le promouvoir auprès du grand public, de faire ces derniers pas qui manquent souvent entre « j’ai fait mon bon produit – mon logiciel, ma production, mon livre, ma musique » et puis « comment est-ce que je l’amène vers le grand public ? ». Voilà. L’idée c’est de se dire « nous on ne sait pas forcément faire ce que vous faites, mais on peut essayer de l’amener vers les gens ». | ||
<b>Journaliste Parlons-en : </b>Effectivement, c’est déjà un énorme travail et le sujet principal de tout ça, c’est le monde libre. | <b>Journaliste Parlons-en : </b>Effectivement, c’est déjà un énorme travail et le sujet principal de tout ça, c’est le monde libre. Effectivement, quand on parle du monde libre à des gens, à n’importe qui, parfois c’est relativement abstrait. Et pour ceux qui ont été à peu près sensibilisés, imaginons, par exemple, que je parle à quelqu’un de Linux, pour les trois quarts des personnes qui ont pseudo-approché ce sont des lignes de code, encore quelque chose de très austère bien que l’interface graphique existe depuis belle lurette. | ||
<b>Pouhiou : </b> | <b>Pouhiou : </b>On a déjà un petit souci, c’est qu’on parle souvent de logiciel qui est libre. Or un logiciel, qu’il soit libre ou esclave, ce n'est pas que je m’en fous, c'est que ce n'est même pas possible ! Il n’a pas de jambes auxquelles je peux attacher un petit boulet d’esclave. Tu vois, ça ne marche pas ! En fait, c’est juste une métonymie ; en rhétorique, on appelle ça métonymie. Ce n’est pas le logiciel qui est libre, c’est toi ! C’est-à-dire qu’un logiciel, ou toute autre création de l’esprit, libre, respecte tes libertés fondamentales d’utilisateur. | ||
<b>Journaliste Parlons-en : </b>Donc c’est ça l’idée. Le monde actuel est tel que la plupart de ce qui est commercialisé, de ce qui circule, ce sont des choses qui sont | <b>Journaliste Parlons-en : </b>Donc c’est ça l’idée. Le monde actuel est tel que la plupart de ce qui est commercialisé, de ce qui circule, ce sont des choses qui ne sont pas ò constitution, pas à vocation libres. | ||
<b>Pouhiou : </b>Pas libres | <b>Pouhiou : </b>Pas libres. On appelle ça « propriétaire » quand on est poli et, chez nous, on appelle ça même « privateur » parce que ça nous prive de nos libertés fondamentales. Si je télécharge une application sur un iPhone et que je ne peux pas prendre cette application et la mettre sur mon iPad, je ne suis pas libre de l’utiliser comme je veux. Si je n’ai pas le code source, la recette de cuisine du logiciel derrière mon Gmail, je ne suis pas libre d’étudier le logiciel comme je veux. Si je ne peux pas modifier mon navigateur pour qu’il m’écrive en violet plutôt qu’en noir, je n’ai pas la possibilité de modifier le logiciel comme je veux. Et si je ne peux pas redistribuer le roman que j’ai acheté sur fnac.com avec plein de DRM [<em>Digital rights management</em>], je ne suis pas libre donc de diffuser mon e-book comme je veux. Voilà ! ce sont les quatre libertés. Je te les ai faites ! | ||
<b>Journaliste Parlons-en : </b>Le problème étant, et tu vas me dire comment tu appréhendes cet aspect-là, c’est que, pour ceux qui sont bien sensibilisés | <b>Journaliste Parlons-en : </b>Le problème étant, et tu vas me dire comment tu appréhendes cet aspect-là, c’est que, pour ceux qui sont bien sensibilisés qui sont passés à l’étape supérieure, le Libre c’est aussi symbole de contrainte. Par exemple quelqu’un qui est sous Windows, qui passe par Chrome et qui utilise des logiciels comme Microsoft Word et cie, verra quelqu’un qui est sous Linux, qui écrit avec LibreOffice<ref>[https://fr.wikipedia.org/wiki/LibreOffice LibreOffice]</ref> et qui fait ses activités, comme quelque chose de très limitant parce qu’il y a des compatibilités qui ne sont pas là. Certains logiciels comme Microsoft Word pour les installer sous Linux, on peut toujours essayer de les gruger avec Wine<ref>[https://fr.wikipedia.org/wiki/Wine Wine]</ref>, mais... | ||
<b>Pouhiou : </b>C’est compliqué | <b>Pouhiou : </b>C’est compliqué ! Ce dont il faut bien se rendre compte c’est que l’incompatibilité vient justement du côté propriétaire. Ils font tout pour que tu restes chez eux, quitte à t’enfermer. Alors que, en général, si tu utilises LibreOffice, les formats de fichier que tu vas avoir ce sont des formats de fichier que tu pourras utiliser sur tous les autres logiciels, que ce soit Word de la suite Microsoft, que ce soit Writer de chez Apple. C’est un format de texte ouvert, c’est-à-dire que tout le monde peut utiliser ce format dans son logiciel, ce qui n’est pas du tout le cas du format .docx, par exemple, utilisé par Word de Microsoft. Donc l’incompatibilité vient de leur part à eux.<br/> | ||
Après, il faut bien se rendre compte que le Libre, clairement, a encore cette image de ligne de code, incompatible, difficile, alors que pas du tout. Ça n’est plus le cas. Je ne dis pas que tout est rose et tout est meilleur | Après, il faut bien se rendre compte que le Libre, clairement, a encore cette image de ligne de code, incompatible, difficile, alors que pas du tout. Ça n’est plus le cas. Je ne dis pas que tout est rose et tout est meilleur, ne me fais pas dire ce que je n’ai pas dit. Moi qui suis un gros noob qui ne <em>broke</em> pas une ligne de code dans ma vie, eh bien j’utilise du Libre tous les jours et sans aucun souci. Vous en utilisez tous les jours sans même le savoir quand vous utilisez par exemple VLC<ref>[https://www.videolan.org/vlc/ VLC]</ref>, quand vous utilisez Wikipédia, quand vous utilisez Firefox<ref>[https://www.mozilla.org/fr/firefox/new/ Firefox]</ref>, la liste est longue ! Il faut bien se rendre compte aussi qu’entre 75 et 80 % des sites Web sur lesquels nous allons sont sur des serveurs, des ordinateurs en permanence branchés au Net, qui tournent sous GNU/Linux. Il y a du Libre partout dans nos vies, mais on ne s’en rend pas forcément compte. | ||
<b>Journaliste Parlons-en : </b>Il y a aussi l’aspect de la synergie quand on a un soft. Je prends l’exemple de Google Drive et de tout ce qui lui est associé. Si le Libre a une synergie avec le reste du Libre, les logiciels propriétaires ont quand même une certaine synergie entre eux. | <b>Journaliste Parlons-en : </b>Il y a aussi l’aspect de la synergie quand on a un soft. Je prends l’exemple de Google Drive et de tout ce qui lui est associé. Si le Libre a une synergie avec le reste du Libre, les logiciels propriétaires ont quand même une certaine synergie entre eux. | ||
<b>Pouhiou : </b>Sauf que, imagine que tu utilises Apple avec ton e-mail Apple, ton calendrier Apple, ton iCloud pour tes photos, tes documents, etc., le jour où tu veux arrêter Apple et passer à Google ou à Microsoft – passer de Charybde en Scylla – eh bien tu perds tout et c’est l’enfer sur terre ! Tandis que passer du Libre à n’importe quoi d’autre, c’est possible. C’est la grande différence. Après, le Libre a encore du travail à faire sur la synergie mais ce sont des choses qui arrivent. Aujourd’hui, même pour auto-héberger ses données, pas pour aller chez les services des autres mais pour les mettre chez soi, il y a des solutions « tout en | <b>Pouhiou : </b>Sauf que, imagine que tu utilises Apple avec ton e-mail Apple, ton calendrier Apple, ton iCloud pour tes photos, tes documents, etc., le jour où tu veux arrêter Apple et passer à Google ou à Microsoft – passer de Charybde en Scylla – eh bien tu perds tout et c’est l’enfer sur terre ! Tout simplement ! Tandis que passer du Libre à n’importe quoi d’autre, c’est possible. C’est la grande différence. Après, le Libre a encore du travail à faire sur la synergie mais ce sont des choses qui arrivent. Aujourd’hui, même pour auto-héberger ses données, pas pour aller chez les services des autres mais pour les mettre chez soi, il y a des solutions « tout en main » qui commencent à émerger comme YunoHost<ref>[https://fr.wikipedia.org/wiki/YunoHost YunoHost]</ref> ou Cozy Cloud<ref>[https://cozy.io/fr/ Cozy Cloud]</ref> et qui sont hyper-efficaces. Du coup, tes données ne sont pas espionnées par quiconque, elles sont juste chez toi, dans ta maison, branchées à ta box internet. | ||
<b>Journaliste Parlons-en : </b>Effectivement, c’est très intéressant. Il faudrait que je regarde ça. | <b>Journaliste Parlons-en : </b>Effectivement, c’est très intéressant. Il faudrait que je regarde ça. | ||
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<b>Pouhiou : </b>Ça se développe et ce n’est pas encore totalement mûr, mais ce n’est déjà pas mal ! | <b>Pouhiou : </b>Ça se développe et ce n’est pas encore totalement mûr, mais ce n’est déjà pas mal ! | ||
<b>Journaliste Parlons-en : </b>Un aspect fondamental, du coup, | <b>Journaliste Parlons-en : </b>Un aspect fondamental ce sont les droits, du coup, effectivemnet, c'est basé sur les droits d’auteur. Ceux qui vendent du propriétaire vendent des choses et se font de l’argent sur cette vente. Du fait que ce n’est pas partageable, ils font de l’argent à chaque vente de leur produit. Couramment enore une fois, quand on parle du Libre, se pose le problème qu’on peut le vendre peut-être une fois à quelqu’un, puis ce quelqu’un, s’il le partage aux autres, eh bien il n’y a plus d’argent qui rentre. | ||
<b>Pouhiou : </b> | <b>Pouhiou : </b>Comment est-ce qu'on nourrit les créateur de contenu ? | ||
<b>Journaliste Parlons- | <b>Journaliste Parlons-en : </b>Souvent le Libre est présenté comme privant le créateur de contenu de son revenu. | ||
<b> | <b>Pouhiou : </b>Alors qu’en fait, je pense que le Libre est un modèle économique beaucoup plus performant à l’ère du numérique que le propriétaire. D’ailleurs, on s’en est rendu compte parce que le modèle économique dont tu parles, l’accès à la vente – je te vends mon Windows ou mon Microsoft Office – ça n’est quasiment plus le cas aujourd’hui. Ça n’est quasiment plus ce qui se passe aujourd’hui chez les géants du Web, on en reparlera ensuite.<br/> | ||
Le modèle du Libre est simple. Le logiciel, ou mes romans par exemple, en effet ils sont libres : tu peux les télécharger gratuitement, tu peux les diffuser, tu peux les vendre si tu veux, parfois, ça dépend des objets libres. Tu peux le faire avec Wikipédia sans problème : tu peux prendre des articles Wikipédia, en faire un livre et le vendre ; tu as le droit, il n'y a pas de problème tant que ton livre reste sous la même licence que Wikipédia. Bref ! Mais le modèle économique n’est pas là. Le modèle économique est ailleurs. Il y a des entreprises qui font beaucoup d’argent avec le Libre : Canonical, Red Hat, il y en a plein. Et comment font-elles ? Elles vont te vendre de la formation aux outils libres, parvce que quitte à se faire former autant se faire former par les gens qui ont fait le logiciel ! Elles vont te vendre des services : si tu as besoin d’une fonctionnalité en plus sur tel logiciel, tu vas préférer que ce soit l’équipe de développement originelle qui la développe et tu vas préférer payer à elle. Tout un tas de choses comme ça. Dans la culture, il y a l’économie du don. Très honnêtement, juste avec mes bouquins, je touche beaucoup plus de dons que si je les vendais sous droit d’auteur. C’est tellement évident pour un petit auteur pas connu, c’est totalement gagnant. Tu peux aussi vendre des choses autour. Du coup, on va t'acheter des livres plus pour soutenir ta démarche en tant qu’auteur ; vendre du livre dédicacé où il y a un petit plus. Comme tu laisses ton œuvre au public, tu peux aussi proposer des démarches un peu plus participatives comme j'ai pu faire, que ce soit du financement participatif donc un <em>crowdfunding</em> ou que ce soit dire aux gens : « Pour écrire mon prochain livre, invitez-moi chez vous. Je viens avec mon sac à dos. J’irai écrire chez vous ». J’ai fait un petit tour de France comme ça. | |||
<b>Journaliste Parlons-en : </b> | <b>Journaliste Parlons-en : </b>Et dans son statut, où se situe Framasoft par rapport à tout ce gloubiboulga. Dans ce gloubiboulga il y a effectivement les grosses entreprises : Google, Microsoft, Amazon, Facebook et Apple. De l’autre côté on a présenté tous les Libres. On a un petit peu deux côtés d’une pièce, deux grosses phases. Où se situe Framasoft entre ces deux grosses phases ? Framasoft, si je suis ce que tu as présenté, est une sorte de palier entre les deux, quelque chose qui invitrait, qui aiderait ceux qui veulent faire le dernier pas ? | ||
<b>Pouhiou : </b>Malheureusement non ! Les cinq grands méchants, enfin les grands géants du Web, | <b>Pouhiou : </b>C’est ça l’idée. Ce qui nous dérange, ce n’est pas tant qu’ils se fassent du fric d’un côté ou de l’autre ; il y a beaucoup de fric à se faire dans le milieu du Libre, il y a des entreprises et des fondations florissantes, je tiens vraiment à le dire, mais ce n’est pas une question de fric. Ce qui nous dérange, c’est qu’ils se fassent du fric sur le dos de nos libertés. L’idée des libristes, c’est que l’humain soit maître de la machine et non l’inverse. C’est ce qui se passe quand tu ne peux pas gérer toi-même ton iPhone, ton Windows ou ton Gmail. Quand tu ne peux pas maîtriser ça, eh bien tu n’es pas maître de ta machine. C’est aussi simple que ça ! C’est vraiment ça qui nous intéresse. L’idée, chez Framasoft, c’est d’être une porte d’entrée en disant : «Viens, gouttes-y. Viens, on est bien ! ». On n’a pas des tonnes d’argent. Framasoft vit à 90 % de dons. On a à peu près 2000 donateurs et donatrices, ce qui nous permet de servir un million de visites par mois sur l’ensemble de nos sites. Ce n’est quand même pas mal pour juste 2000 donateurs et donatrices. On vit principalement de dons et ces dons permettent des services. On ne juge pas les gens. Typiquement, Framapack<ref>[https://framapack.org/ Framapack]</ref> te permet de choisir des logiciels libres que tu aimerais installer sur ton Windows, de générer un petit fichier exécutable qui va automatiquement télécharger les dernières versions et te les installer. Ça c’est pour les « windowsiens » et les « windowsiennes ». Tu arrives et tu dis : « Je suis sous Windows et je veux y rester ». On te dit : « Ce n’est pas grave, mais goutte à Firefox, à LibreOffice, à VLC, à Audacity<ref>[https://fr.wikipedia.org/wiki/Audacity Audacity]</ref>, à de choses comme ça, et tu vas voir, au bout d’un moment, tu vas venir à Linux ». On le sait qu'on prend goût à la liberté! | ||
<b>Journaliste Parlons-en : </b>Pour l'instant, on a parlé du fait qu’ils se font de l’argent sur notre dos, sur nos libertés, mais est-ce que c’est le seul danger ? | |||
<b>Pouhiou : </b>Malheureusement, non ! Les cinq grands méchants, enfin les grands géants du Web, GAFAM… | |||
<b>Journaliste Parlons-en : </b>Les grands méchants, certains ont déjà fait de sales coups, mais ce n’est pas aussi manichéen. C’est plus hétérogène que ça quand même. | <b>Journaliste Parlons-en : </b>Les grands méchants, certains ont déjà fait de sales coups, mais ce n’est pas aussi manichéen. C’est plus hétérogène que ça quand même. |
Version du 3 janvier 2021 à 16:46
Titre : Framasoft et le libre avec Pouhiou
Intervenant·e·s : Pouhiou - Journaliste
Lieu : Chaîne YouTube Centre-Actu, Parlons-en !
Date : mai 2016
Durée : 31 min
Licence de la transcription : Verbatim
Illustration :
NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.
Statut ; Transcrit gropoilu
Transcription
Journaliste Parlons-en : On se retrouve avec Pouhiou qui vient en tant que représentant du groupe Framasoft.
Pouhiou : Bonjour.
Journaliste Parlons-en : Dis-nous déjà, dans un premier temps, qui tu es ?
Pouhiou : À l’origine j’étais comédien et puis, à un moment donné, l’envie d’écrire a pris le dessus sur l'envie de scène, donc je suis devenu auteur. C’est en tant qu’auteur que j’ai rejoint Framasoft puisque, après avoir publié mon premier roman sur un blog, je l’ai versé dans le domaine public grâce à la licence libre CC0[1]. J’ai contacté Framasoft qui a voulu l’éditer en tant que Framabook[2], parce que c’est un des multiples projets de Framasoft, on en reparlera. Et c’est comme ça que j’ai rejoint la bande de Framasoft. Après quelques années de bénévolat, j’ai été embauché, en janvier 2015, en tant que médiateur chez Framasoft. C’est-à-dire que je fais un peu de communication médias-presse, de la communication grand public aussi avec le blog et les réseaux sociaux. Et puis, à l’intérieur de l’association Framasoft, je vais animer certains projets notamment en accueillant des énergies bénévoles et en les dirigeant vers les personnes qui dirigent des projets. Voilà, si toi tu as envie de faire plus de ceci que de cela, je saurai te diriger vers la bonne personne.
Journaliste Parlons-en : D'accord. Donc effectivement, tu fais partie de ce groupe Framasoft qui défend un peu le monde libre. Framasoft, dans sa globalité, c’est quoi comme institution ?
Pouhiou : C’est une association 1901 et l’association est là, en gros, pour maintenir les murs de la maison afin que des gens, des contributeurs et des contributrices, viennent y développer des projets. Il y a à la fois une association et une communauté et le but de tout ce monde-là c’est de créer et de maintenir un réseau de projets pour amener du Libre chez monsieur et madame Tout-le-monde. L’idée c’est qu’on ne fait pas énormément de créations de l’esprit libre — de logiciels ou de culture libre — par contre, on essaie de le promouvoir auprès du grand public, de faire ces derniers pas qui manquent souvent entre « j’ai fait mon bon produit – mon logiciel, ma production, mon livre, ma musique » et puis « comment est-ce que je l’amène vers le grand public ? ». Voilà. L’idée c’est de se dire « nous on ne sait pas forcément faire ce que vous faites, mais on peut essayer de l’amener vers les gens ».
Journaliste Parlons-en : Effectivement, c’est déjà un énorme travail et le sujet principal de tout ça, c’est le monde libre. Effectivement, quand on parle du monde libre à des gens, à n’importe qui, parfois c’est relativement abstrait. Et pour ceux qui ont été à peu près sensibilisés, imaginons, par exemple, que je parle à quelqu’un de Linux, pour les trois quarts des personnes qui ont pseudo-approché ce sont des lignes de code, encore quelque chose de très austère bien que l’interface graphique existe depuis belle lurette.
Pouhiou : On a déjà un petit souci, c’est qu’on parle souvent de logiciel qui est libre. Or un logiciel, qu’il soit libre ou esclave, ce n'est pas que je m’en fous, c'est que ce n'est même pas possible ! Il n’a pas de jambes auxquelles je peux attacher un petit boulet d’esclave. Tu vois, ça ne marche pas ! En fait, c’est juste une métonymie ; en rhétorique, on appelle ça métonymie. Ce n’est pas le logiciel qui est libre, c’est toi ! C’est-à-dire qu’un logiciel, ou toute autre création de l’esprit, libre, respecte tes libertés fondamentales d’utilisateur.
Journaliste Parlons-en : Donc c’est ça l’idée. Le monde actuel est tel que la plupart de ce qui est commercialisé, de ce qui circule, ce sont des choses qui ne sont pas ò constitution, pas à vocation libres.
Pouhiou : Pas libres. On appelle ça « propriétaire » quand on est poli et, chez nous, on appelle ça même « privateur » parce que ça nous prive de nos libertés fondamentales. Si je télécharge une application sur un iPhone et que je ne peux pas prendre cette application et la mettre sur mon iPad, je ne suis pas libre de l’utiliser comme je veux. Si je n’ai pas le code source, la recette de cuisine du logiciel derrière mon Gmail, je ne suis pas libre d’étudier le logiciel comme je veux. Si je ne peux pas modifier mon navigateur pour qu’il m’écrive en violet plutôt qu’en noir, je n’ai pas la possibilité de modifier le logiciel comme je veux. Et si je ne peux pas redistribuer le roman que j’ai acheté sur fnac.com avec plein de DRM [Digital rights management], je ne suis pas libre donc de diffuser mon e-book comme je veux. Voilà ! ce sont les quatre libertés. Je te les ai faites !
Journaliste Parlons-en : Le problème étant, et tu vas me dire comment tu appréhendes cet aspect-là, c’est que, pour ceux qui sont bien sensibilisés qui sont passés à l’étape supérieure, le Libre c’est aussi symbole de contrainte. Par exemple quelqu’un qui est sous Windows, qui passe par Chrome et qui utilise des logiciels comme Microsoft Word et cie, verra quelqu’un qui est sous Linux, qui écrit avec LibreOffice[3] et qui fait ses activités, comme quelque chose de très limitant parce qu’il y a des compatibilités qui ne sont pas là. Certains logiciels comme Microsoft Word pour les installer sous Linux, on peut toujours essayer de les gruger avec Wine[4], mais...
Pouhiou : C’est compliqué ! Ce dont il faut bien se rendre compte c’est que l’incompatibilité vient justement du côté propriétaire. Ils font tout pour que tu restes chez eux, quitte à t’enfermer. Alors que, en général, si tu utilises LibreOffice, les formats de fichier que tu vas avoir ce sont des formats de fichier que tu pourras utiliser sur tous les autres logiciels, que ce soit Word de la suite Microsoft, que ce soit Writer de chez Apple. C’est un format de texte ouvert, c’est-à-dire que tout le monde peut utiliser ce format dans son logiciel, ce qui n’est pas du tout le cas du format .docx, par exemple, utilisé par Word de Microsoft. Donc l’incompatibilité vient de leur part à eux.
Après, il faut bien se rendre compte que le Libre, clairement, a encore cette image de ligne de code, incompatible, difficile, alors que pas du tout. Ça n’est plus le cas. Je ne dis pas que tout est rose et tout est meilleur, ne me fais pas dire ce que je n’ai pas dit. Moi qui suis un gros noob qui ne broke pas une ligne de code dans ma vie, eh bien j’utilise du Libre tous les jours et sans aucun souci. Vous en utilisez tous les jours sans même le savoir quand vous utilisez par exemple VLC[5], quand vous utilisez Wikipédia, quand vous utilisez Firefox[6], la liste est longue ! Il faut bien se rendre compte aussi qu’entre 75 et 80 % des sites Web sur lesquels nous allons sont sur des serveurs, des ordinateurs en permanence branchés au Net, qui tournent sous GNU/Linux. Il y a du Libre partout dans nos vies, mais on ne s’en rend pas forcément compte.
Journaliste Parlons-en : Il y a aussi l’aspect de la synergie quand on a un soft. Je prends l’exemple de Google Drive et de tout ce qui lui est associé. Si le Libre a une synergie avec le reste du Libre, les logiciels propriétaires ont quand même une certaine synergie entre eux.
Pouhiou : Sauf que, imagine que tu utilises Apple avec ton e-mail Apple, ton calendrier Apple, ton iCloud pour tes photos, tes documents, etc., le jour où tu veux arrêter Apple et passer à Google ou à Microsoft – passer de Charybde en Scylla – eh bien tu perds tout et c’est l’enfer sur terre ! Tout simplement ! Tandis que passer du Libre à n’importe quoi d’autre, c’est possible. C’est la grande différence. Après, le Libre a encore du travail à faire sur la synergie mais ce sont des choses qui arrivent. Aujourd’hui, même pour auto-héberger ses données, pas pour aller chez les services des autres mais pour les mettre chez soi, il y a des solutions « tout en main » qui commencent à émerger comme YunoHost[7] ou Cozy Cloud[8] et qui sont hyper-efficaces. Du coup, tes données ne sont pas espionnées par quiconque, elles sont juste chez toi, dans ta maison, branchées à ta box internet.
Journaliste Parlons-en : Effectivement, c’est très intéressant. Il faudrait que je regarde ça.
Pouhiou : Ça se développe et ce n’est pas encore totalement mûr, mais ce n’est déjà pas mal !
Journaliste Parlons-en : Un aspect fondamental ce sont les droits, du coup, effectivemnet, c'est basé sur les droits d’auteur. Ceux qui vendent du propriétaire vendent des choses et se font de l’argent sur cette vente. Du fait que ce n’est pas partageable, ils font de l’argent à chaque vente de leur produit. Couramment enore une fois, quand on parle du Libre, se pose le problème qu’on peut le vendre peut-être une fois à quelqu’un, puis ce quelqu’un, s’il le partage aux autres, eh bien il n’y a plus d’argent qui rentre.
Pouhiou : Comment est-ce qu'on nourrit les créateur de contenu ?
Journaliste Parlons-en : Souvent le Libre est présenté comme privant le créateur de contenu de son revenu.
Pouhiou : Alors qu’en fait, je pense que le Libre est un modèle économique beaucoup plus performant à l’ère du numérique que le propriétaire. D’ailleurs, on s’en est rendu compte parce que le modèle économique dont tu parles, l’accès à la vente – je te vends mon Windows ou mon Microsoft Office – ça n’est quasiment plus le cas aujourd’hui. Ça n’est quasiment plus ce qui se passe aujourd’hui chez les géants du Web, on en reparlera ensuite.
Le modèle du Libre est simple. Le logiciel, ou mes romans par exemple, en effet ils sont libres : tu peux les télécharger gratuitement, tu peux les diffuser, tu peux les vendre si tu veux, parfois, ça dépend des objets libres. Tu peux le faire avec Wikipédia sans problème : tu peux prendre des articles Wikipédia, en faire un livre et le vendre ; tu as le droit, il n'y a pas de problème tant que ton livre reste sous la même licence que Wikipédia. Bref ! Mais le modèle économique n’est pas là. Le modèle économique est ailleurs. Il y a des entreprises qui font beaucoup d’argent avec le Libre : Canonical, Red Hat, il y en a plein. Et comment font-elles ? Elles vont te vendre de la formation aux outils libres, parvce que quitte à se faire former autant se faire former par les gens qui ont fait le logiciel ! Elles vont te vendre des services : si tu as besoin d’une fonctionnalité en plus sur tel logiciel, tu vas préférer que ce soit l’équipe de développement originelle qui la développe et tu vas préférer payer à elle. Tout un tas de choses comme ça. Dans la culture, il y a l’économie du don. Très honnêtement, juste avec mes bouquins, je touche beaucoup plus de dons que si je les vendais sous droit d’auteur. C’est tellement évident pour un petit auteur pas connu, c’est totalement gagnant. Tu peux aussi vendre des choses autour. Du coup, on va t'acheter des livres plus pour soutenir ta démarche en tant qu’auteur ; vendre du livre dédicacé où il y a un petit plus. Comme tu laisses ton œuvre au public, tu peux aussi proposer des démarches un peu plus participatives comme j'ai pu faire, que ce soit du financement participatif donc un crowdfunding ou que ce soit dire aux gens : « Pour écrire mon prochain livre, invitez-moi chez vous. Je viens avec mon sac à dos. J’irai écrire chez vous ». J’ai fait un petit tour de France comme ça.
Journaliste Parlons-en : Et dans son statut, où se situe Framasoft par rapport à tout ce gloubiboulga. Dans ce gloubiboulga il y a effectivement les grosses entreprises : Google, Microsoft, Amazon, Facebook et Apple. De l’autre côté on a présenté tous les Libres. On a un petit peu deux côtés d’une pièce, deux grosses phases. Où se situe Framasoft entre ces deux grosses phases ? Framasoft, si je suis ce que tu as présenté, est une sorte de palier entre les deux, quelque chose qui invitrait, qui aiderait ceux qui veulent faire le dernier pas ?
Pouhiou : C’est ça l’idée. Ce qui nous dérange, ce n’est pas tant qu’ils se fassent du fric d’un côté ou de l’autre ; il y a beaucoup de fric à se faire dans le milieu du Libre, il y a des entreprises et des fondations florissantes, je tiens vraiment à le dire, mais ce n’est pas une question de fric. Ce qui nous dérange, c’est qu’ils se fassent du fric sur le dos de nos libertés. L’idée des libristes, c’est que l’humain soit maître de la machine et non l’inverse. C’est ce qui se passe quand tu ne peux pas gérer toi-même ton iPhone, ton Windows ou ton Gmail. Quand tu ne peux pas maîtriser ça, eh bien tu n’es pas maître de ta machine. C’est aussi simple que ça ! C’est vraiment ça qui nous intéresse. L’idée, chez Framasoft, c’est d’être une porte d’entrée en disant : «Viens, gouttes-y. Viens, on est bien ! ». On n’a pas des tonnes d’argent. Framasoft vit à 90 % de dons. On a à peu près 2000 donateurs et donatrices, ce qui nous permet de servir un million de visites par mois sur l’ensemble de nos sites. Ce n’est quand même pas mal pour juste 2000 donateurs et donatrices. On vit principalement de dons et ces dons permettent des services. On ne juge pas les gens. Typiquement, Framapack[9] te permet de choisir des logiciels libres que tu aimerais installer sur ton Windows, de générer un petit fichier exécutable qui va automatiquement télécharger les dernières versions et te les installer. Ça c’est pour les « windowsiens » et les « windowsiennes ». Tu arrives et tu dis : « Je suis sous Windows et je veux y rester ». On te dit : « Ce n’est pas grave, mais goutte à Firefox, à LibreOffice, à VLC, à Audacity[10], à de choses comme ça, et tu vas voir, au bout d’un moment, tu vas venir à Linux ». On le sait qu'on prend goût à la liberté!
Journaliste Parlons-en : Pour l'instant, on a parlé du fait qu’ils se font de l’argent sur notre dos, sur nos libertés, mais est-ce que c’est le seul danger ?
Pouhiou : Malheureusement, non ! Les cinq grands méchants, enfin les grands géants du Web, GAFAM…
Journaliste Parlons-en : Les grands méchants, certains ont déjà fait de sales coups, mais ce n’est pas aussi manichéen. C’est plus hétérogène que ça quand même.
Pouhiou : Non, c’est pas manichéen. Le modèle évolue. Quand je parlais tout à l’heure de la vente de Windows, c’est fini. Windows 10, c’est gratuit enfin tout le monde quasiment l’a eu gratuitement.
Journaliste Parlons-en : Ceux qu’ils ont piraté ont de grosses restrictions…
Pouhiou : Vu que tu as déjà de la vente forcée, c’est-à-dire que si tu as un PC qui n’est pas Apple tu as Windows. Et si tu avais un Windows 7, 8 ou 8.1, tu passais direct à 10 gratuitement. Avant tu étais obligé d’acheter [la nouvelle version]. Pourquoi Microsoft fait ça ? Parce qu’ils ont changé de modèle économique ! Ils ne vendent plus le logiciel aujourd’hui. Ils veulent que le Windows t’offre une expérience utilisateur la plus proche de toi. Et pour ça, il leur faut bien te connaître. C’est pour ça que Windows récupère des tonnes et des tonnes d’informations sur toi, sur ce que tu fais, où tu navigues, quels logiciels tu utilises, quand et comment, etc., et les envoie à Microsoft. Il a fallu quand même que la CNIL fasse un guide d’utilisation de Windows 10 pour expliquer aux gens comment protéger leurs données. C’est incroyable ! L’idée c’est de récupérer tes données, de faire du profilage publicitaire parce qu’aujourd’hui l’argent vient des régies pub. Aujourd’hui, ça n’est plus toi le client. Ça n’est plus toi qui achètes un produit et qui peux avoir des exigences. Regarde Google, c’est la première capitalisation boursière au monde, ou la deuxième puisqu’ils se tirent la bourre avec Apple régulièrement, mais l’entreprise la plus riche du monde. Et pourtant, tu ne paies rien de ce que tu utilises chez Google ! D’où vient l’argent ? Il vient des profils publicitaires qu’ils vendent à des régies pub, donc tu n’es pas leur client, tu es leur produit : si c’est gratuit, c’est toi le produit.
Journaliste Parlons-en : C’est compréhensible et il y a peut-être un problème que l’on peut soulever qui est l’impact qu’ils peuvent avoir du fait de leur monopole. Par exemple, dans un article paru récemment, on parle d’effet « presse citron » puisque Google ferait pression maintenant sur les constructeurs de produits avec un système de notation de placement des marques pour les inciter à faire les mises à jour. S’ils ne font pas les mises à jour, ils seront mal notés, baisseront dans le classement. Et effectivement, au vu de la puissance de Google, ça peut être une énorme « force de frappe ».
Pouhiou : On a des milliers d’exemples. On a un compte Twitter qui s’appelle « Dégooglisons », pour « Dégooglisons internet » où, chaque jour, on publie des articles comme ça. Le plus frappant : Facebook a fait une expérience sociale sans prévenir ses utilisateurs en prenant deux groupes tests. Je crois que c’était sur des centaines de milliers de personnes. Tu sais sur le mur, ils ont un algorithme qui fait remonter ce que Facebook choisi. Sur un groupe, ils se sont dit « on ne va faire remonter que des infos plutôt positives » : j’ai eu un bébé, je suis heureuse, je suis en vacances… Et sur un autre groupe, que des infos plutôt négatives, pour voir si tes statuts, tes infos, tes photos changeaient au fil du temps, si tu étais dans un des deux groupes. Ils se sont rendu compte qu’ils avaient le pouvoir de rendre les gens plutôt heureux ou de rendre les gens plutôt déprimés et que les gens plutôt heureux étaient plus réactifs à la publicité, cliquaient plus et achetaient plus. Ils se sont permis de faire une expérience psychologique sur des centaines de milliers de personnes. C’est gravissime !
Journaliste Parlons-en : C’est gravissime d’autant qu’ils n’ont pas été prévenus, enfin pas réellement puisqu’on peut toujours parler des conditions générales de vente. Mais ce sont des trucs que personne ne lit.
Pouhiou : C’est ça, il y a toujours les fameuses conditions générales d’utilisation, chez Facebook comme chez les autres. Le comique Eddy Izzard (???) disait que Apple pourrait mettre l’intégralité de Mein Kampf dans les CGU de l’iTunes, on cliquerait quand même sur « je suis d’accord » ! C’est une blague affreuse. Un point Godwin pour moi. Gagné ! C’est la réalité. On a fait un test. Je te livre une info en exclu, nous n’avons pas encore les statistiques du 1er avril au 15 avril. Pour le 1er avril, chez Framasoft, on a changé nos conditions générales d’utilisation des services Framasoft en rajoutant à un dernier paragraphe où nous disions que toute personne qui utilisait nos services nous cédait gracieusement son âme. Personne, en quinze jours, ne nous l’a dit ! On avait juste envie de faire la blague évidemment. Il faut encore qu’on fasse un article en remerciant les personnes qui nous ont cédé gracieusement leur âme. On va donner le nombre des personnes, je ne peux pas te dire exactement combien.
Journaliste Parlons-en : Il faut juste voir comment ça se revend.
Pouhiou : C’est ça ! Ce sont des expériences qui ont été faites ailleurs. Un groupe scientifique qui avait mis un wifi gratuit en plein milieu de Londres. Si tu acceptais le wifi gratuit, tu acceptais de donner ton premier né à ce groupe de scientifiques. Personne ne l’a lu ! Donc bien sûr que nous lisons pas les conditions générales d’utilisation et pourtant ce sont des contrats que nous signons numériquement avec ces entreprises à qui on confie nos vies numériques.
À chaque fois, il faut bien se rendre compte de deux choses. Un, le cloud, c’est l’ordinateur de quelqu’un d’autre. C’est un ordinateur qui appartient à Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft. Le cloud c’est l’ordinateur de quelqu’un d’autre et, quand tu confies tes données, tu fais confiance à quelqu’un. En quel point as-tu confiance en une entreprise dont le seul but est de revendre une partie de ta vie numérique pour des raisons publicitaires et qui permet, du coup, à des agences gouvernementales de les forcer à te donner ta vie numérique ? Voilà le danger et les enjeux de la centralisation du Web.
Journaliste Parlons-en : Est-ce que Framasoft propose des sensibilisations ? J’ai vu qu’il y avait des conférences ? Elle est active, comme ça, à différents niveaux. Vous proposez également des exécutables, quelques tutoriels pour initier au passage au Libre puisque, même si c’est devenu beaucoup plus simple aujourd’hui que ça ne l’était il y a dix ans, le fait est que, quand on vient d’un monde Windows, il faut quand même s’habituer.
Pouhiou : C’est juste quand on change de logiciel ! Quand des gens sont passés de Outlook ou Thunderbird à Gmail ou Outlook.com, il a fallu se réhabituer. De toutes façons, on sait très bien que nul logiciel ou nul service en ligne n’est éternel. Qui se rappelle de Myspace, de Yahoo ou de Caramail ? Aucun service n’est éternel donc votre Gmail mourra, c’est juste une certitude, il suffit d’attendre une échelle de temps assez longue, tout simplement.
Souvent, il faut des tutoriels pour s‘habituer un nouveau logiciel, donc on propose ça.
Notre idée, c’est une grande campagne qui a commencé depuis octobre 2014 qui s’appelle « Dégooglisons internet », où on essaie de sensibiliser les gens aux enjeux de la centralisation du Web : le vol de données et de nos vies numériques, la surveillance gouvernementale… Il y a aussi le frein à l’innovation qui est absolument affreux. Ça concerne plus les startups et les entrepreneurs mais aujourd’hui, dès qu’une start-up a un peu de succès, elle se fait automatiquement avaler par un GAFAM. Waze qui est un GPS communautaire où l’on s’indique où sont les flics, où sont les bouchons, etc., a été racheté par Google. Instagram appartient à Facebook, YouTube à Google. Microsoft a racheté Minecraft. Ils vont s’en servir pour rentrer dans les écoles avec Minecraft for Education. L’Oculus Rift [1] qui devait être un jour de l’open hardware et de l’open source a été racheté par Facebook. Toutes ces choses que l’on sait plus ou moins. Facebook qui te propose Facebook Messenger pour les mobiles Android et iPhone, ils ont aussi racheté WhatsApp. Comme ça, tu dis « moi, Messenger de Facebook, je n’ai pas envie de me faire espionner » et tu utilises WhatsApp ! Raté ! Ce sont les mêmes. Des choses que l’on sait moins, c’est que, par exemple, Google qui fabrique ses Google Cars, les voitures sans chauffeur, est aussi actionnaire de Uber. Est-ce que l’on sent, en mettant ces deux informations en corrélation, qu’il est possible qu’un jour les chauffeurs Uber, comme les taxis, l’aient dans l’os assez profond ? Amazon qui, jusqu’à janvier 2015, hébergeait tous les fichiers que vous mettiez dans votre Dropbox – maintenant Dropbox a ses propres serveurs – est l’actionnaire principal de Airbnb et de Twitter. Le sait-on ? Ils ont un peu arrêté de racheter ; maintenant, ils essaient simplement d’être actionnaires majoritaires, principal intérêt, dans les entreprises.
Journaliste Parlons-en : J’avais vu ça avec l’histoire Patrick Drahi et le groupe Vivendi qui sont officiellement deux entités, mais qui sont actionnaires l’un de l’autre.
Pouhiou : C’est comme Google, qui a arrêté de s’appeler Google pour s’appeler Alphabet. C’était juste pour monter en bourse et éviter certains procès antitrusts. Ils ont changé de nom pour devenir Alphabet. Dans Alphabet, il y a Google qui reste tout ce qui est Web. Et à l’extérieur de Google, mais dans Alphabet, il y a tout ce qui est « projet x » donc les Google Glass, les trucs comme ça un peu bizarres, les Google Cars. Il y a aussi tout ce qui est Google Finances, tout ce qui est Google santé, avec Calico, tout ce qui est ADN. Il y a aussi tout ce qui est robotique même s’ils sont en train de revendre Boston Dynamics mais c’est Amazon qui va probablement l’acheter aux dernières nouvelles. Donc il y a un frein à l’innovation et une concentration de tout. Quand Google a ton e-mail, ton téléphone, ton machin, ton truc, plus des banques ADN, plus de la santé – ils vont faire des consultations santé en ligne – plus de la robotique, est-ce qu’en 2028 Google devient Skynet ? On n’a pas envie de faire peur aux gens mais, à un moment donné, quel pouvoir va-t-on leur laisser avec nos données ?
Journaliste Parlons-en : On veut toujours garder une alternative. C’est également une des choses sur lesquelles je me suis attristé. Bien que Microsoft fasse partie des gros là, actuellement, ils se battent sur tous les marchés avec les autres. Sur le marché mobile c’était une alternative relativement franche au niveau de l’expérience utilisateur de Google et d’Apple même si, au fur et à mesure des mises à jour…
Pouhiou : On est sensiblement le même feeling…
Journaliste Parlons-en : Le fait est que Google et Apple ont tellement un gros monopole que Microsoft est obligé d’arrêter. Ils continuent l’entretien, mais sont obligés d’arrêter la production de téléphones. Bien que ce soit un des gros acteurs, ça supprime une alternative, justement.
Pouhiou : Parce qu’ils étaient en perte de vitesse sur ce marché mais attends le Ubuntu Phone et là, tu auras quelque chose de vraiment différent et qui respectera peut-être un peu plus tes libertés.
Journaliste Parlons-en : À ce que j’ai vu, ceux qui sont passés étaient un peu chers.
Pouhiou : Ils sont encore en période de maturation. Comme tout OS à moment donné, il faut maturer la chose. Je pense que ça ne va pas trop tarder, d’ici un ou deux ans ça pourrait arriver. Là, j’ai juste sorti ma boule de madame Irma, donc ce que je viens de dire ne compte pas. Mais oui, clairement tu as raison. Il faut des alternatives à ces choses-là, c’est pour ça qu’on a fait la campagne « Dégooglisons internet ». C’est pour montrer que le Libre propose des alternatives respectueuses, éthiques, solidaires, décentralisées et décentralisables. C’est hyper-important. Donc on a sorti plein de Framachins ! Je peux te citer Framadate qui remplace Doodle, Framadrop qui était une alternative à WeTransfer mais qui, en plus de WeTransfer, te propose du chiffrement. Quand tu balances des fichiers sur notre serveur, on ne sait pas ce qu’il y a : c’est chiffré de bout en bout par les navigateurs. Tu n’as rien à faire. De quoi je peux te parler ?
Journaliste Parlons-en : Tout ce qui commence par Frama… Framadate, Framabord, Framabin, Framasphere, Framateam, Framabag...
Pouhiou : Framabee [n’existe plus depuis] est très intéressant, c’est notre moteur de recherche. Tu peux aussi aller sur ton tonton-roger.org [n’existe plus non plus, tous les services Framasoft sont disponibles sur le site https://framasoft.org/fr/], parce qu’on a de l’humour. Framabee, c’est un moteur de recherche qui utilise Google pour toi. Il utilise Google si tu le souhaites, ou Bing, ou Yahoo si tu le souhaites. En fait, c’est un métamoteur qui anonymise tes requêtes, donc ça te sort de la bulle de filtre de Google. Google ne t’espionne pas puisque c’est notre serveur qui envoie la demande pour toi. Mais, en même temps, la bulle de filtre est quand même assez confortable. Par exemple j’habite à Toulouse et si je cherche « opticien » chez Google, il va me donner des opticiens toulousains parce qu’il voit que je suis sur Toulouse. Sur Framabee, il faut que je tape « opticien Toulouse » pour avoir le même résultat, sinon ça ne marchera pas. Je suis sorti de la bulle de filtre.
Ce qui est hyper-intéressant avec tout ce projet « Dégooglisons internet », c’est qu’on propose des alternatives qui sont différentes, qui parfois ne sont pas aussi bien mais c’est à toi de mettre le curseur entre ton confort et ta liberté. C’est toujours à toi de faire le choix. Est-ce que tu restes dans des choses plutôt enfermantes mais en conscience ? Et si, déjà, tu le fais en conscience, tu vas avoir des comportements beaucoup plus sains. Ou est-ce que tu vas essayer de te mettre à des choses peut être plus libres, plus éthiques, qui te correspondent plus ?
Journaliste Parlons-en : Nous allons pouvoir arrêter là. C’était très intéressant. On sent que tu défends le Libre et que tu aimes ton sujet.
Pouhiou : Nous sommes des petits. Les GAFAM - Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft - ce sont Monsanto et Leclerc alors que nous sommes des AMAP (Association pour le maintien d'une agriculture paysanne). On n’a pas leur budget marketing. On n’a pas leur budget pour employer des milliers de personnes à très hauts salaires. Mais on a des chatons, tout simplement. On a des chatons, on a de l’humour et c’est vraiment le côté humain du numérique. Je pense que c’est vraiment ce qui rassemble tous les libristes, ce côté hyper-chaud, hyper-humain. Il faut venir voir dans des conventions, sur des stands et tu verras que ce sont des gens qui déconnent, qui sont hyper-ouverts et ça fait vraiment du bien.
Journaliste Parlons-en : N’hésitez pas, pour ceux qui regarderont cette vidéo, à aller voir le site de Framasoft [2]. Il sera fourni en description et sur la vidéo avec le petit logo Framasoft. Il n’y a pas de chaîne YouTube ?
Pouhiou : Framasoft n’a pas de chaîne YouTube en activité depuis des années. On a un Framatube où on met les vidéos informatives uniquement de libristes, framatube.org, mais il y aura peut-être un Framatube ouvert au grand public, c’est prévu dans le « Dégooglisons Internet », en 2017 et qui devrait être assez amusant. Je n’en dis pas plus. On en parle après tous les deux…