« Comment se défendre face aux géants d’internet - Grand bien vous fasse - France Inter » : différence entre les versions

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<b>Ali Rebeihi : </b>Bonjour à tous Soyez les bienvenus en direct ou en podcast.<br/>
Comment se défendre face aux titans d’Internet ? Le combat est-il déjà perdu d’avance ? Quelles sont les armes des consommateurs et des citoyens face à la puissance jamais égalée de Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft. Les GAFAM, les fameux cinq cavaliers qui ont pris d’assaut notre vie sociale, privée, intime, professionnelle, publique. Cinq cavaliers qui ont bien sûr facilité notre quotidien mais qui ont également capté notre attention, notre temps de cerveau de disponible, nous ont rendus accros à leurs outils et services numériques. Comment a-t-on pu accepter cette servitude volontaire sans se défendre ? Est-il encore possible d’échapper à cette emprise ? Quelles sont les pistes pour jouir d’un Internet libre et sans entrave ? Nos invités vous délivrent quelques conseils pour reprendre un peu de pouvoir face aux GAFAM.<br/>
Avec nous ce matin la journaliste Anne-Sophie Jacques et le consultant Maxime Guedj.<br/>
Et vous comment vous défendez-vous face aux géants d’Internet ? Au contraire, avez-vous aboli toute velléité d’autodéfense numérique en faisant confiance aux GAFAM ? 01 45 24 7000, sans oublier l’appli France Inter et la page Facebook de <em>Grand bien vous fasse</em>.<br/>
Vers 11 heures moins 25 vous retrouverez la combattante Giulia Foïs pour sa chronique « Pas son genre ».
Bienvenue dans <em>Grand bien vous fasse</em>, la vie quotidienne, mode d’emploi.
<b>Voix off : </b>France Inter. <em>Grand bien vous fasse</em>. Ali Rebeihi.
<b>Ali Rebeihi : </b>Bonjour Anne-Sophie Jacques.
<b> Anne-Sophie Jacques : </b>Bonjour.
<b>Ali Rebeihi : </b>Vous êtes journaliste indépendante. Bonjour Maxime Guedj.
<b>Maxime Guedj : </b>Bonjour.
<b>Ali Rebeihi : </b>Vous êtes ingénieur, consultant, indépendant également et vous publiez ensemble aux Arènes <em>Déclic</em> ou « Comment profiter du numérique sans tomber dans le piège des géants du Web ». Dans ce livre vous militez pour un Internet libre, sans surveillance et sans dépendance. C’est encore vraiment possible Anne-Sophie Jacques ?
<b> Anne-Sophie Jacques : </b>Oui, c’est encore vraiment possible. En fait toute la découverte de ce livre quand on a commencé la rédaction avec Maxime, c’est de réaliser, déjà à partir du constat que vous venez de dresser en introduction, qu’effectivement on est quand même très coincés vis-à-vis de ces géants du Web, vous l’avez dit, qui nous manipulent, qui créent des services, qui nous rendent complètement accros.
<b>Ali Rebeihi : </b>Mais qui ont également amélioré notre quotidien !
<b> Anne-Sophie Jacques : </b>Certes, ils ont amélioré notre quotidien, mais à quel prix ! C’est l’objet du livre aussi et du constat que l’on fait. Dans notre enquête, ce qu’on a surtout réalisé, ce qu’on n’avait pas encore vu avant de commencer, c’est qu’il y a énormément de gens qui se battent pour les libertés sur Internet. Il y a une communauté qui est énorme, avec un enthousiasme qui est fou et pas depuis hier, depuis au moins 30 ans. De toute façon le Web c’est tout jeune, ça a à peine 30 ans, ce n’est rien du tout, c’est une grosse génération.
<b>Ali Rebeihi : </b>Maxime Guedj.
<b>Maxime Guedj : </b>Ce qu’on peut dire c’est que c’est vrai que ça amélioré certaines choses, ça nous fait peut-être gagner du temps en termes d’efficacité. Maintenant on voit qu’il y a quand même pas mal de gens qui cherchent aussi à faire des vacances détox, à se déconnecter de plus en plus, donc c’est aussi ça qui, en partie, nous a poussés à la nécessité d’écrire ce livre. Au fur et à mesure que cette défiance monte également au sein du monde des technologies et puis de la part des usagers, il y a une forme de défiance qui se construit autour de ça. L’idée c’est aussi de dire qu’il ne faut peut-être pas tout jeter, mais en fait à l’intérieur, dans le numérique, il y a aussi d’autres façons d’envisager le numérique, d’autres façons de le concevoir pour que ça respecte aussi les citoyens, nos libertés et notre vie privée.
<b>Ali Rebeihi : </b>Rappelez-nous quelle est la puissance actuelle des géants du Web, que l’on appelle donc les GAFAM, Google Amazon, Facebook Apple et Microsoft. Ces GAFAM n’ont jamais autant concentré de pouvoirs dans l’histoire de l’humanité.
<b>Maxime Guedj : </b>C’est étonnant mais quand on regarde en termes de capitalisation boursière aux États-Unis, Google, Amazon, Microsoft et Apple sont à mille milliards de dollars ; Facebook est autour de 500/530 je crois. Pour une comparaison, c’est Exxon qui est à 250 milliards.
<b>Ali Rebeihi : </b>La compagnie pétrolière.
<b>Maxime Guedj : </b>Voilà, la compagnie pétrolière. Donc on voit qu’on est passé dans une autre phase. Bien sûr que l’extraction des minerais sur la planète continue, mais finalement, le nouveau minerai à extraire aujourd’hui je dirais, qui a le plus de valeur, c’est la donnée et ce minerai est extrait à travers toutes ces plateformes que l’on utilise chaque jour.
<b>Ali Rebeihi : </b>Sans tomber dans la paranoïa, peut-on dire que ces géants du Web ont pris le pouvoir dans nos vies, que nous sommes tous devenus dépendants de leurs outils et services ?
<b> Anne-Sophie Jacques : </b>C’est vrai qu’on est dépendants, mais comme le disait Maxime, ce qui va intéresser ces géants qui sont devenus énormes, c’est en fait notre donnée, c’est ce qui nous appartient, c’est tout ce qu’on fait, tout ce qu’on mange, tout ce qu’on voit, tout ce qu’on lit, tout ce qu’on aime. C’est ça qui les intéresse. Les outils peut-être qu’ils nous rendent service, mais ces outils sont là pour capter le plus de choses sur nous.<br/>
Donc on réalise que cette grande phrase qui est connue aujourd’hui « quand c’est gratuit c’est nous le produit » qu’en fait ça va bien au-delà de ça. Nous ne sommes plus qu’un produit, il n’y a plus que ça qui les intéresse. C’est là où il faut effectivement faire un pas de côté et se dire qu’on n’a pas envie d’être juste un consommateur à la solde de ces géants qui ont pris un pouvoir énorme et qu’on peut faire autrement.
<b>Ali Rebeihi : </b>Nous autres citoyens et consommateurs ne sommes pas à armes égales, c’est un peu comme si sur un ring Mike Tyson combattait contre Jean-Claude Dusse des <em>Bronzés</em>. C’est un peu ça le rapport de force.
<b> Anne-Sophie Jacques : </b>C’est vrai qu’on pourrait parler d’un combat du pot de terre contre le pot de fer, mais il y a des combats de pot de terre qu’il faut mener. Je pense que c’est vraiment capital et je pense qu’on est pile au moment, là, dans l’histoire de ce Web, où on peut nous, citoyens, essayer de faire basculer les choses et rejoindre un mouvement dont je disais tout à l’heure qui est ancien et sur lequel on peut s’appuyer, duquel on peut s’inspirer. On peut parler de Edward Snowden qui est assez connu du grand public, qui a révélé en 2013 que les services secrets américains surveillaient l’ensemble des compatriotes de Edward Snowden, surveillaient toute la population, voire toute la population du monde. Ils se sont servis pour cela des plateformes que sont Facebook et compagnie. On peut s’inspirer de ces gens qui ont fait ces révélations, qui se sont privés eux-mêmes de liberté pour sauver nos libertés à nous.
<b>Ali Rebeihi : </b>Le problème c’est que nous sommes tous très accrochés, nous sommes une grande majorité à nous considérer comme dépendants de nos objets connectés. Pour beaucoup, oublier son smartphone ou ne plus avoir de batterie c’est une source d’angoisse avec cette peur de rater quelque chose. C’est le fameux FOMO <em>Fear of missing out</em>, en français je crois que ça s’appelle nomophobie. On est tous accrochés, Maxime Guedj
<b>Maxime Guedj : </b>Oui, c’est vrai que c’est devenu indispensable et certains peuvent même le décrire presque comme une extension de notre corps. Après, est-ce que finalement c’est son caractère indispensable qui est si problématique ? Notre frigo, notre machine à laver nous sont indispensables, pour autant ça ne semble pas nous poser autant de problèmes que le téléphone.<br/>
Je pense que ce qui c’est passé c’est qu’on avait à la base un outil technologique. Un outil c’est à notre service et, au départ, l’informatique c’était effectivement pour nous simplifier la vie et faciliter un certain nombre de choses, faire de nouvelles découvertes scientifiques. Le Web, à la base, c’était ça, c’était un espace de partage de la connaissance. Sauf que voilà, il y a eu cette bascule avec le modèle économique qui a été découvert, notamment par Google, à travers la captation de données et qui s’est généralisé maintenant à l’ensemble des produits en ligne qui s’adressent au grand public.<br/>
Par contre j’aurais tendance à dire, et ce qu’on a essayé de montrer dans le livre c’est aussi ça, c’est-à-dire qu’on aimerait un peu dire qu’on n‘est pas bloqués, contrairement peut-être avec, si vous voulez, dans d’autres secteurs où effectivement on est très dépendants de grosses industries et où effectivement les petits pas permettent de changer les choses, mais pas forcément tout. Avec le numérique, si vous voulez, on change d’application. On parle à l’intérieur du livre par exemple de Signal par rapport à Messenger.
<b>Ali Rebeihi : </b>Rappelez ce qu’est Signal.
<b>Maxime Guedj : </b>Signal est une application de discussion instantanée qui est chiffrée, qui est recommandée par Edward Snowden, ce n’est pas très compliqué de le faire et une fois qu’on le fait on invite aussi ses amis à le faire et là, collectivement on peut déjà retrouver de l’espace en termes de vie privée.
<b>Ali Rebeihi : </b>En 20 ans nous avons assisté à une extension du numérique dans tous les domaines de notre vie, nous rendant disponibles, flexibles, multitâches, réactifs tout le temps, jour et nuit, tout cela a des conséquences bien réelles sur nos vies, Anne-Sophie Jacques. Nous sommes devenus impatients et tous ces outils et services ont pompé notre attention. Ce sont des vampires numériques pour vous ?
<b> Anne-Sophie Jacques : </b>Vous avez dit tout à l’heure que nous sommes tous accros, ce qui est vrai, on est quand même tous assez accros de notre petite machine, mais ce n’est pas un hasard en fait. Il faut savoir que ces géants-là embauchent des armées de psychologues, de gens qui étudient la façon dont notre cerveau fonctionne pour faire en sorte qu’on y reste le plus longtemps possible.<br/>
Quand on a commencé ce livre, on se disait c’est un peu comme si on réalisait que matin, midi et soir on mangeait des plats surgelés, peut-être des pizzas, des hamburgers, des frites, on buvait du soda et que, en fait, on pouvait aussi commencer à refaire de la cuisine, à retourner sur le marché le matin, à découvrir d’autres aliments, à se réapproprier des recettes qui ont été accaparées par ces géants qui en font un business de fou.
<b>Ali Rebeihi : </b>Maxime Guedj, ces géants du Web, ce sont des vampires numériques qui vident nos capacités de concentration, d’attention ?
<b>Maxime Guedj : </b>Oui. J’aurais un peu tendance à tempérer cette vision un peu diabolisante, on va dire, des géants. Je pense que c’est ce qu’on s’est attachés à expliquer dans le livre : on a essayé de déplier tout ça. C’est aussi le résultat d’un mode de financement particulier dans le monde des startups qui est fait aussi de pressions économiques. Est-ce que c’était forcément une volonté à la base de capter nos données ?
<b>Ali Rebeihi : </b>Non. Je ne crois pas.
<b>Maxime Guedj : </b>En tout cas ce qui s’est passé, c’est ce qui s’est retrouvé à être le plus rentable économiquement et effectivement, pour une entreprise comme Google, ce sont des entreprises lucratives, la recherche c’est d’augmenter le profit. C’est pour ça qu’on regarde aussi dans le livre des alternatives d’organisation autour des associations, de coopératives, d’autres entreprises aussi mais qui prennent des modes de structuration différents, qui ne cherchent pas forcément à lever des fonds par les leviers classiques pour essayer de s’extraire de ces pressions effectivement.
<b>Ali Rebeihi : </b>Au départ, Internet fut d’abord un immense terrain de liberté, Maxime Guedj.
<b>Maxime Guedj : </b>Oui. Personnellement je m’en souviens.
<b>Ali Rebeihi : </b>À la soif de connaissance et de liberté s’ajoute très vite la soif de profit.
<b> Anne-Sophie Jacques : </b>C’est vrai que c’est comme si on avait découvert un immense territoire, un territoire pour le coup très foisonnant. Je ne sais pas si vous vous souvenez de vos premiers pas sur Internet quand on découvrait les blogs, les sites d’info faits de bric et de broc, il y avait des choses très inventives et c’était vraiment un endroit conçu pour qu’on partage la connaissance. Il faut bien avouer qu’aujourd’hui la connaissance est plutôt capturée, elle est plutôt enfermée et il est peut-être temps de se dire qu’Internet est un bien commun. Je ne dis pas qu’à ses départs le Web était merveilleux, était fabuleux, mais c’était comme un pays très complet avec des choses plus ou moins belles, plus ou moins fortes, et ce pays-là, en fait, il nous a été confisqué.
<b>Ali Rebeihi : </b>Maxime Guedj.
<b>Maxime Guedj : </b>Pour tirer la métaphore, je dirais qu’il faut peut-être décoloniser en fait ce territoire des GAFAM et retrouver notre indépendance.
<b>Ali Rebeihi : </b>C’est fort comme terme !
<b>Maxime Guedj : </b>Si vous voulez, c’est fort, après ça dépend de chacun et de ce qu’il entend, la connotation qui va être reliée à ce terme, mais aujourd’hui on n’est pas indépendants. Si vous êtes sur Messenger pour parler à vos amis, Messenger qui est l’application de messagerie instantanée proposée par Facebook, si un de vos amis veut communiquer avec vous et que vous êtes sur Messenger eh bien cet ami sera obligé de se soumettre aux conditions générales d’utilisation de Facebook pour pouvoir communiquer avec vous. Ce n’est pas du tout le cas par exemple avec les opérateurs téléphoniques. Si demain Orange vous disait que vous ne pouvez plus appeler ni envoyer de textos à des personnes qui sont chez Free, Bouygues ou autre, eh bien ce serait scandaleux. Pourtant c’est ce qui se passe aujourd’hui dans le domaine du numérique avec ces géants.
<b>Ali Rebeihi : </b>Avec quelle recette les GAFAM ont-ils connu une expansion et une telle domination au cours de ces 20 dernières années ?
<b> Anne-Sophie Jacques : </b>Avec quelle recette ? Comme Maxime le disait tout à l’heure, c’est vraiment avec le fait de comprendre que plutôt que de nous vendre un service, on allait proposer des choses gratuites sur Internet, un service gratuit et que, en échange, ce qui allait nourrir leur modèle économique, c’est la donnée. La donnée c’est de savoir, comme je le disais, ce qu’on fait. Mais en fait, la donnée c’est même plus intime que ça, c’est-à-dire que là on va chercher au fond de nous, au cœur de nous, de nos émotions, de nos pensées, et c’est ça qui est dangereux en fait.
<b>Maxime Guedj : </b>Maintenant on parle beaucoup d’intelligence artificielle qui n’est que la suite de ces algorithmes qui deviennent juste de plus en plus perfectionnés, c’est-à-dire qu’ils ont tellement de données que maintenant le but du jeu, si j’ose dire, c’est d’anticiper.
<b>Ali Rebeihi : </b>De prédire.
<b>Maxime Guedj : </b>De prédire nos prochains comportements et on voit bien que ça peut avoir tout un tas d’applications effectivement dans le monde commercial.
<b>Ali Rebeihi : </b>Comment se défendre face aux géants du Web, les GAFAM, Google, Amazon Facebook, Apple, Microsoft. N’hésitez pas à témoigner au 01 45 24 7000. Alexia Rivière, Julia Macarez et Clément Martin m’ont aidé à préparer cette émission réalisée par Claire Destacamp. Belle journée à l’écoute de France Inter.
<b>Pause musicale : </b><em>Vertige de l'amour</em> par Alain Bashung.
==17’43==
<b>Ali Rebeihi : </b>Alain Bashung, <em>Vertige de l'amour</em>.

Version du 16 mars 2020 à 12:59


Titre : Comment se défendre face aux géants d’internet (GAFA) ?

Intervenant·e·s : Anne-Sophie Jacques - Maxime Guedj - Hélène (auditrice) - Ali Rebeihi

Lieu : Émission Grand bien vous fasse, France Inter

Date : février 2020

Durée : 45 min 25 [la chronique « Pas son genre » de Giulia Foïs n'est pas transcrite]

Écouter ou enregistrer le podcast

Présentation de l'émission

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration :

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcrit : MO

Transcription

Ali Rebeihi : Bonjour à tous Soyez les bienvenus en direct ou en podcast.
Comment se défendre face aux titans d’Internet ? Le combat est-il déjà perdu d’avance ? Quelles sont les armes des consommateurs et des citoyens face à la puissance jamais égalée de Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft. Les GAFAM, les fameux cinq cavaliers qui ont pris d’assaut notre vie sociale, privée, intime, professionnelle, publique. Cinq cavaliers qui ont bien sûr facilité notre quotidien mais qui ont également capté notre attention, notre temps de cerveau de disponible, nous ont rendus accros à leurs outils et services numériques. Comment a-t-on pu accepter cette servitude volontaire sans se défendre ? Est-il encore possible d’échapper à cette emprise ? Quelles sont les pistes pour jouir d’un Internet libre et sans entrave ? Nos invités vous délivrent quelques conseils pour reprendre un peu de pouvoir face aux GAFAM.
Avec nous ce matin la journaliste Anne-Sophie Jacques et le consultant Maxime Guedj.
Et vous comment vous défendez-vous face aux géants d’Internet ? Au contraire, avez-vous aboli toute velléité d’autodéfense numérique en faisant confiance aux GAFAM ? 01 45 24 7000, sans oublier l’appli France Inter et la page Facebook de Grand bien vous fasse.
Vers 11 heures moins 25 vous retrouverez la combattante Giulia Foïs pour sa chronique « Pas son genre ». Bienvenue dans Grand bien vous fasse, la vie quotidienne, mode d’emploi.

Voix off : France Inter. Grand bien vous fasse. Ali Rebeihi.

Ali Rebeihi : Bonjour Anne-Sophie Jacques.

Anne-Sophie Jacques : Bonjour.

Ali Rebeihi : Vous êtes journaliste indépendante. Bonjour Maxime Guedj.

Maxime Guedj : Bonjour.

Ali Rebeihi : Vous êtes ingénieur, consultant, indépendant également et vous publiez ensemble aux Arènes Déclic ou « Comment profiter du numérique sans tomber dans le piège des géants du Web ». Dans ce livre vous militez pour un Internet libre, sans surveillance et sans dépendance. C’est encore vraiment possible Anne-Sophie Jacques ?

Anne-Sophie Jacques : Oui, c’est encore vraiment possible. En fait toute la découverte de ce livre quand on a commencé la rédaction avec Maxime, c’est de réaliser, déjà à partir du constat que vous venez de dresser en introduction, qu’effectivement on est quand même très coincés vis-à-vis de ces géants du Web, vous l’avez dit, qui nous manipulent, qui créent des services, qui nous rendent complètement accros.

Ali Rebeihi : Mais qui ont également amélioré notre quotidien !

Anne-Sophie Jacques : Certes, ils ont amélioré notre quotidien, mais à quel prix ! C’est l’objet du livre aussi et du constat que l’on fait. Dans notre enquête, ce qu’on a surtout réalisé, ce qu’on n’avait pas encore vu avant de commencer, c’est qu’il y a énormément de gens qui se battent pour les libertés sur Internet. Il y a une communauté qui est énorme, avec un enthousiasme qui est fou et pas depuis hier, depuis au moins 30 ans. De toute façon le Web c’est tout jeune, ça a à peine 30 ans, ce n’est rien du tout, c’est une grosse génération.

Ali Rebeihi : Maxime Guedj.

Maxime Guedj : Ce qu’on peut dire c’est que c’est vrai que ça amélioré certaines choses, ça nous fait peut-être gagner du temps en termes d’efficacité. Maintenant on voit qu’il y a quand même pas mal de gens qui cherchent aussi à faire des vacances détox, à se déconnecter de plus en plus, donc c’est aussi ça qui, en partie, nous a poussés à la nécessité d’écrire ce livre. Au fur et à mesure que cette défiance monte également au sein du monde des technologies et puis de la part des usagers, il y a une forme de défiance qui se construit autour de ça. L’idée c’est aussi de dire qu’il ne faut peut-être pas tout jeter, mais en fait à l’intérieur, dans le numérique, il y a aussi d’autres façons d’envisager le numérique, d’autres façons de le concevoir pour que ça respecte aussi les citoyens, nos libertés et notre vie privée.

Ali Rebeihi : Rappelez-nous quelle est la puissance actuelle des géants du Web, que l’on appelle donc les GAFAM, Google Amazon, Facebook Apple et Microsoft. Ces GAFAM n’ont jamais autant concentré de pouvoirs dans l’histoire de l’humanité.

Maxime Guedj : C’est étonnant mais quand on regarde en termes de capitalisation boursière aux États-Unis, Google, Amazon, Microsoft et Apple sont à mille milliards de dollars ; Facebook est autour de 500/530 je crois. Pour une comparaison, c’est Exxon qui est à 250 milliards.

Ali Rebeihi : La compagnie pétrolière.

Maxime Guedj : Voilà, la compagnie pétrolière. Donc on voit qu’on est passé dans une autre phase. Bien sûr que l’extraction des minerais sur la planète continue, mais finalement, le nouveau minerai à extraire aujourd’hui je dirais, qui a le plus de valeur, c’est la donnée et ce minerai est extrait à travers toutes ces plateformes que l’on utilise chaque jour.

Ali Rebeihi : Sans tomber dans la paranoïa, peut-on dire que ces géants du Web ont pris le pouvoir dans nos vies, que nous sommes tous devenus dépendants de leurs outils et services ?

Anne-Sophie Jacques : C’est vrai qu’on est dépendants, mais comme le disait Maxime, ce qui va intéresser ces géants qui sont devenus énormes, c’est en fait notre donnée, c’est ce qui nous appartient, c’est tout ce qu’on fait, tout ce qu’on mange, tout ce qu’on voit, tout ce qu’on lit, tout ce qu’on aime. C’est ça qui les intéresse. Les outils peut-être qu’ils nous rendent service, mais ces outils sont là pour capter le plus de choses sur nous.
Donc on réalise que cette grande phrase qui est connue aujourd’hui « quand c’est gratuit c’est nous le produit » qu’en fait ça va bien au-delà de ça. Nous ne sommes plus qu’un produit, il n’y a plus que ça qui les intéresse. C’est là où il faut effectivement faire un pas de côté et se dire qu’on n’a pas envie d’être juste un consommateur à la solde de ces géants qui ont pris un pouvoir énorme et qu’on peut faire autrement.

Ali Rebeihi : Nous autres citoyens et consommateurs ne sommes pas à armes égales, c’est un peu comme si sur un ring Mike Tyson combattait contre Jean-Claude Dusse des Bronzés. C’est un peu ça le rapport de force.

Anne-Sophie Jacques : C’est vrai qu’on pourrait parler d’un combat du pot de terre contre le pot de fer, mais il y a des combats de pot de terre qu’il faut mener. Je pense que c’est vraiment capital et je pense qu’on est pile au moment, là, dans l’histoire de ce Web, où on peut nous, citoyens, essayer de faire basculer les choses et rejoindre un mouvement dont je disais tout à l’heure qui est ancien et sur lequel on peut s’appuyer, duquel on peut s’inspirer. On peut parler de Edward Snowden qui est assez connu du grand public, qui a révélé en 2013 que les services secrets américains surveillaient l’ensemble des compatriotes de Edward Snowden, surveillaient toute la population, voire toute la population du monde. Ils se sont servis pour cela des plateformes que sont Facebook et compagnie. On peut s’inspirer de ces gens qui ont fait ces révélations, qui se sont privés eux-mêmes de liberté pour sauver nos libertés à nous.

Ali Rebeihi : Le problème c’est que nous sommes tous très accrochés, nous sommes une grande majorité à nous considérer comme dépendants de nos objets connectés. Pour beaucoup, oublier son smartphone ou ne plus avoir de batterie c’est une source d’angoisse avec cette peur de rater quelque chose. C’est le fameux FOMO Fear of missing out, en français je crois que ça s’appelle nomophobie. On est tous accrochés, Maxime Guedj

Maxime Guedj : Oui, c’est vrai que c’est devenu indispensable et certains peuvent même le décrire presque comme une extension de notre corps. Après, est-ce que finalement c’est son caractère indispensable qui est si problématique ? Notre frigo, notre machine à laver nous sont indispensables, pour autant ça ne semble pas nous poser autant de problèmes que le téléphone.
Je pense que ce qui c’est passé c’est qu’on avait à la base un outil technologique. Un outil c’est à notre service et, au départ, l’informatique c’était effectivement pour nous simplifier la vie et faciliter un certain nombre de choses, faire de nouvelles découvertes scientifiques. Le Web, à la base, c’était ça, c’était un espace de partage de la connaissance. Sauf que voilà, il y a eu cette bascule avec le modèle économique qui a été découvert, notamment par Google, à travers la captation de données et qui s’est généralisé maintenant à l’ensemble des produits en ligne qui s’adressent au grand public.
Par contre j’aurais tendance à dire, et ce qu’on a essayé de montrer dans le livre c’est aussi ça, c’est-à-dire qu’on aimerait un peu dire qu’on n‘est pas bloqués, contrairement peut-être avec, si vous voulez, dans d’autres secteurs où effectivement on est très dépendants de grosses industries et où effectivement les petits pas permettent de changer les choses, mais pas forcément tout. Avec le numérique, si vous voulez, on change d’application. On parle à l’intérieur du livre par exemple de Signal par rapport à Messenger.

Ali Rebeihi : Rappelez ce qu’est Signal.

Maxime Guedj : Signal est une application de discussion instantanée qui est chiffrée, qui est recommandée par Edward Snowden, ce n’est pas très compliqué de le faire et une fois qu’on le fait on invite aussi ses amis à le faire et là, collectivement on peut déjà retrouver de l’espace en termes de vie privée.

Ali Rebeihi : En 20 ans nous avons assisté à une extension du numérique dans tous les domaines de notre vie, nous rendant disponibles, flexibles, multitâches, réactifs tout le temps, jour et nuit, tout cela a des conséquences bien réelles sur nos vies, Anne-Sophie Jacques. Nous sommes devenus impatients et tous ces outils et services ont pompé notre attention. Ce sont des vampires numériques pour vous ?

Anne-Sophie Jacques : Vous avez dit tout à l’heure que nous sommes tous accros, ce qui est vrai, on est quand même tous assez accros de notre petite machine, mais ce n’est pas un hasard en fait. Il faut savoir que ces géants-là embauchent des armées de psychologues, de gens qui étudient la façon dont notre cerveau fonctionne pour faire en sorte qu’on y reste le plus longtemps possible.
Quand on a commencé ce livre, on se disait c’est un peu comme si on réalisait que matin, midi et soir on mangeait des plats surgelés, peut-être des pizzas, des hamburgers, des frites, on buvait du soda et que, en fait, on pouvait aussi commencer à refaire de la cuisine, à retourner sur le marché le matin, à découvrir d’autres aliments, à se réapproprier des recettes qui ont été accaparées par ces géants qui en font un business de fou.

Ali Rebeihi : Maxime Guedj, ces géants du Web, ce sont des vampires numériques qui vident nos capacités de concentration, d’attention ?

Maxime Guedj : Oui. J’aurais un peu tendance à tempérer cette vision un peu diabolisante, on va dire, des géants. Je pense que c’est ce qu’on s’est attachés à expliquer dans le livre : on a essayé de déplier tout ça. C’est aussi le résultat d’un mode de financement particulier dans le monde des startups qui est fait aussi de pressions économiques. Est-ce que c’était forcément une volonté à la base de capter nos données ?

Ali Rebeihi : Non. Je ne crois pas.

Maxime Guedj : En tout cas ce qui s’est passé, c’est ce qui s’est retrouvé à être le plus rentable économiquement et effectivement, pour une entreprise comme Google, ce sont des entreprises lucratives, la recherche c’est d’augmenter le profit. C’est pour ça qu’on regarde aussi dans le livre des alternatives d’organisation autour des associations, de coopératives, d’autres entreprises aussi mais qui prennent des modes de structuration différents, qui ne cherchent pas forcément à lever des fonds par les leviers classiques pour essayer de s’extraire de ces pressions effectivement.

Ali Rebeihi : Au départ, Internet fut d’abord un immense terrain de liberté, Maxime Guedj.

Maxime Guedj : Oui. Personnellement je m’en souviens.

Ali Rebeihi : À la soif de connaissance et de liberté s’ajoute très vite la soif de profit.

Anne-Sophie Jacques : C’est vrai que c’est comme si on avait découvert un immense territoire, un territoire pour le coup très foisonnant. Je ne sais pas si vous vous souvenez de vos premiers pas sur Internet quand on découvrait les blogs, les sites d’info faits de bric et de broc, il y avait des choses très inventives et c’était vraiment un endroit conçu pour qu’on partage la connaissance. Il faut bien avouer qu’aujourd’hui la connaissance est plutôt capturée, elle est plutôt enfermée et il est peut-être temps de se dire qu’Internet est un bien commun. Je ne dis pas qu’à ses départs le Web était merveilleux, était fabuleux, mais c’était comme un pays très complet avec des choses plus ou moins belles, plus ou moins fortes, et ce pays-là, en fait, il nous a été confisqué.

Ali Rebeihi : Maxime Guedj.

Maxime Guedj : Pour tirer la métaphore, je dirais qu’il faut peut-être décoloniser en fait ce territoire des GAFAM et retrouver notre indépendance.

Ali Rebeihi : C’est fort comme terme !

Maxime Guedj : Si vous voulez, c’est fort, après ça dépend de chacun et de ce qu’il entend, la connotation qui va être reliée à ce terme, mais aujourd’hui on n’est pas indépendants. Si vous êtes sur Messenger pour parler à vos amis, Messenger qui est l’application de messagerie instantanée proposée par Facebook, si un de vos amis veut communiquer avec vous et que vous êtes sur Messenger eh bien cet ami sera obligé de se soumettre aux conditions générales d’utilisation de Facebook pour pouvoir communiquer avec vous. Ce n’est pas du tout le cas par exemple avec les opérateurs téléphoniques. Si demain Orange vous disait que vous ne pouvez plus appeler ni envoyer de textos à des personnes qui sont chez Free, Bouygues ou autre, eh bien ce serait scandaleux. Pourtant c’est ce qui se passe aujourd’hui dans le domaine du numérique avec ces géants.

Ali Rebeihi : Avec quelle recette les GAFAM ont-ils connu une expansion et une telle domination au cours de ces 20 dernières années ?

Anne-Sophie Jacques : Avec quelle recette ? Comme Maxime le disait tout à l’heure, c’est vraiment avec le fait de comprendre que plutôt que de nous vendre un service, on allait proposer des choses gratuites sur Internet, un service gratuit et que, en échange, ce qui allait nourrir leur modèle économique, c’est la donnée. La donnée c’est de savoir, comme je le disais, ce qu’on fait. Mais en fait, la donnée c’est même plus intime que ça, c’est-à-dire que là on va chercher au fond de nous, au cœur de nous, de nos émotions, de nos pensées, et c’est ça qui est dangereux en fait.

Maxime Guedj : Maintenant on parle beaucoup d’intelligence artificielle qui n’est que la suite de ces algorithmes qui deviennent juste de plus en plus perfectionnés, c’est-à-dire qu’ils ont tellement de données que maintenant le but du jeu, si j’ose dire, c’est d’anticiper.

Ali Rebeihi : De prédire.

Maxime Guedj : De prédire nos prochains comportements et on voit bien que ça peut avoir tout un tas d’applications effectivement dans le monde commercial.

Ali Rebeihi : Comment se défendre face aux géants du Web, les GAFAM, Google, Amazon Facebook, Apple, Microsoft. N’hésitez pas à témoigner au 01 45 24 7000. Alexia Rivière, Julia Macarez et Clément Martin m’ont aidé à préparer cette émission réalisée par Claire Destacamp. Belle journée à l’écoute de France Inter.

Pause musicale : Vertige de l'amour par Alain Bashung.

17’43

Ali Rebeihi : Alain Bashung, Vertige de l'amour.