Différences entre les versions de « Libre à vous ! Radio Cause Commune - Transcription de l'émission du 26 novembre 2019 »

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<b>Frédéric Couchet : </b>Évoquer le code à la main une règle de droit ou un procès en lien avec les œuvres, les données, les logiciels ou les technologies, c’est la chronique « <em>In code we trust</em> », « Dans le code nous croyons », de Noémie Bergez, avocate au cabinet Dune. Bonjour Noémie.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Évoquer le code à la main une règle de droit ou un procès en lien avec les œuvres, les données, les logiciels ou les technologies, c’est la chronique « <em>In code we trust</em> », « Dans le code nous croyons », de Noémie Bergez, avocate au cabinet Dune. Bonjour Noémie.
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<b>Noémie Bergez : </b>Bonjour Fred.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Aujourd’hui tu souhaites nous parler de <em>legal design</em> et de <em>legaltech</em>.
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<b>Noémie Bergez : </b>Effectivement, la chronique de ce jour porte sur la véritable révolution numérique, technologique, qui s’opère actuellement dans le monde du droit.<br/>
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Il faut dire que le droit est plutôt perçu comme une matière très classique et traditionnelle dans son approche et dans ses moyens. Pour ceux qui l’ignorent cette perception était en fait assez réaliste mais jusqu’à peu parce qu’en effet, petit à petit, le monde juridique et judiciaire se transforme et s’habitue à l’ère numérique. Dans les cabinets d’avocat, les ordinateurs ont définitivement remplacé la machine à écrire, les grands ouvrages théoriques sont à présent numérisés et accessibles sur abonnement en ligne. Les codes sont librement consultables sur Légifrance. Chez les notaires vous pouvez signer votre acte de vente électroniquement. Devant certaines juridictions les décisions sont même envoyées par voie électronique et vous pouvez contacter les greffes par e-mail. En matière pénale vous pouvez déposer des pré-plaintes en ligne.<br/>
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Bref ! Les professionnels du droit ne passent pas à côté des moyens informatiques.<br/>
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Mais, dans le même temps, il s’est passé une prise de conscience que le droit est complexe et souvent incompréhensible pour des profanes. Pourtant nul n’est censé ignorer la loi, aussi compliquée à comprendre soit-elle. C’est donc dans ce contexte que sont apparus le <em>legal design</em> et les <em>legaltech</em> qu’on pourrait traduire comme le design juridique et les technologies juridiques.
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S’agissant du <em>legal design</em>, comment pourrait-on le définir ? On pourrait dire que c’est une manière de proposer le droit et les raisonnements juridiques de façon illustrée ou visuelle. Historiquement c’est en 2009 que le <em>legal design</em> voit le jour autour d’un guide illustré pour présenter les droits des vendeurs ambulants à New-York sous forme de dessins et de schémas. Ce guide a été créé par la designer Candy Chang et le Center for Urban Pedagogy de New-York et il permettait, en fait, de comprendre des règles qui étaient assez complexes de manière visuelle, donc adaptée à un public qui ne connaissait pas le droit. C’est en 2014 que le <em>legal design</em> est théorisé par Margaret Hagan à l’université de Stanford.<br/>
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L’objectif du <em>legal design</em> c’est de rendre intelligible le droit par un usage de visuels, de symboles, de schémas, d’infographies. À terme, on pourrait même penser que le <em>legal design</em> va s’intégrer dans l’ensemble de nos productions juridiques, que ce soit dans des contrats avec des repères visuels, dans notes avec des schémas ou même dans des conclusions pour les juges avec des tableaux.<br/>
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Peu à peu le <em>legal design</em> prend sa place et les professionnels du droit se forment à ce domaine. En France, depuis 2017, on a l’association Open Law dont je vous invite à consulter le site internet qui organise des ateliers sur le <em>legal design</em> et d’autres évènements. Il est également enseigné à l’École française du barreau qui forme les jeunes avocats depuis 2018. L’École des avocats du Grand Est enseigne également ce <em>legal design</em> aux élèves. Pour faire du <em>legal design</em>, évidemment, il faut un attrait pour le droit mais également pour le design parce que, au cœur du <em>legal design</em>, il y a l’image, l’importance de l’image.
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Au-delà du visuel le monde du droit est aussi directement impacté par les technologies.<br/>
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C’est là où j’en viens sur la <em>legaltech</em>, puisque la <em>legaltech</em>, en français on pourrait dire comme technologie juridique ou plutôt une technologie au service du droit, eh bien elle vient de l’anglais <em>legal technology</em> donc l’usage de la technologie et de logiciels pour offrir des services juridiques. On peut faire le parallèle, en fait, avec le milieu de la finance et la Fintech, ou encore, dans le domaine médical, la Medtech.<br/>
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Le terme <em>legaltech</em> provient des États-Unis, c’est depuis le début des années 2000 qu’il est utilisé. En fait, il désigne une automatisation d’un service juridique, que ce soit au niveau du support du document produit ou du processus ou de la relation avec les professionnels du droit. En réalité, c’est une nouvelle façon de dispenser des services juridiques dans un univers qui est resté quand même assez figé pendant des décennies. Évidemment les <em>legaltech</em> attirent les jeunes générations puisque c’est une forme d’exercice qui est innovante. Elles visent un public très large. Initialement, les <em>legaltech</em> étaient plutôt destinées à des très petites entreprises ou des entreprises de taille moyenne, voire des particuliers qui sont des justiciables, puisqu’elles leur permettaient en fait, avec des revenus très raisonnables, d’accéder à des services juridiques. Aujourd’hui ce public s’est élargi : les grandes entreprises développent leurs propres <em>legaltech</em>. On a en France quasiment près de 200 <em>legaltech</em> qui ont été créées. Elles s’adressent aussi, maintenant, directement aux acteurs traditionnels du droit. Donc on a un certain nombre de sociétés qui se spécialisent dans ces nouveaux services.<br/>
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Depuis environ cinq ans, en France, l’écosystème de la <em>legaltech</em> s’est développé dans différents domaines, pas uniquement juridiques d’ailleurs puisqu’on a des services qui proposent de la gestion d’affaires, de la facturation, de la comptabilité. La <em>legaltech</em> permet aussi le stockage et la génération de documents.<br/>
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On se retrouve avec des plateformes qui peuvent parfois mettre en relation des clients avec des avocats ou qui peuvent fournir des outils à des particuliers ou des entreprises, leur permettant, par exemple, de faire eux-mêmes, de produire eux-mêmes du contenu juridique. L’accès est souvent simplifié : on s’inscrit sur la plateforme, on choisit sa prestation, on paye et on exécute la prestation. C’est relativement simple.
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Ça m’amène à un sujet qui est en ce moment très en vogue dans le milieu juridique c’est la question du potentiel de la blockchain.<br/>
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La blockchain c’est cette technologie de stockage et de transmission d’informations qui est transparente et sécurisée et qui fonctionne sans organe central de contrôle. Elle peut-être publique ou privée et elle permet, en fait, d’échanger des données qui sont sauvegardées dans des blocs liés les uns aux autres, d’où le terme de blockchain. Aujourd’hui, le monde juridique est particulièrement intéressé par ce service puisque, d’une part, il offre un caractère probant très fort, puisqu’il permet de stocker un document juridique tel qu’un contrat par exemple pour sécuriser des engagements ; on sécurise les engagements des parties. En cas de litige chacune des parties y a accès facilement et elle peut démontrer quelles étaient les obligations que l’autre partie devait respecter.<br/>
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Le deuxième aspect qui intéresse le monde juridique c’est la possibilité de créer des <em>Smart Contracts</em>, des contrats intelligents, pour exécuter automatiquement des engagements. Ces contrats sont créés directement depuis la blockchain qui est encore une nouvelle technologie qui vient, en fait, révolutionner le monde du droit.
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On peut se poser la question : quel est le rôle des professionnels du droit dans ces innovations ? Eh bien il est quand même important puisque, effectivement, on produit du contenu, mais évidemment il peut y avoir un risque sur le contenu qui est produit d’où le fait qu’il puisse y avoir du contentieux sur ces documents qui sont faits par le biais de ces plateformes et c’est pour ça que l’avocat, aujourd’hui, a sa place, en fait, dans ces nouvelles technologies puisqu’il est là quand même pour vérifier et avoir un rôle de support, pour vérifier que la documentation est bien correcte. C’est pour ça que les avocats se forment à la <em>legaltech</em>. On a notamment l’École française du barreau qui forme les avocats parisiens qui a créé un lab, un espace de formation pour préparer aux enjeux de cette transformation de notre activité, notre profession. L’université Paris 2 propose également un diplôme universitaire de Transformation digitale du droit et <em>legaltech</em>. Il y a un incubateur physique qui a été lancé par le barreau de Paris pour lancer les innovations qui sont portées par les avocats.<br/>
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C’est vrai qu’au-delà de ces services on a, en réalité, de nouveaux modes de compréhension du droit. C’est vrai que dans l’essor de ces nouvelles technologies on voit apparaître aussi, par exemple, les domaines de <em>gamification</em>, c’est-à-dire qu’on voit le secteur du jeu qui vient se confronter au secteur juridique. En septembre dernier a eu lieu la première édition de la Legal Games Week organisée par l’association Open Law et l’École des avocats du Grand Est. L’objectif, en fait, c’est de créer des outils juridiques ludiques pour comprendre des problématiques juridiques qui peuvent être complexes par le biais de <em>serious games</em>, de quiz, d’<em>escape games</em>. Donc c’est vrai que ce secteur est en train, petit à petit, de subir une révolution.
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Autre révolution qu’on connaît un peu c’est la justice prédictive. C’est une notion qui est récente. Qu’est-ce que la justice prédictive ? La justice prédictive c’est de s’appuyer sur des algorithmes pour analyser des décisions de justice qui sont rendues par les tribunaux et permettre de connaître des conséquences chiffrées de ces jurisprudences ou des arguments pertinents qui sont retenus par les juges.
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On voit vraiment qu’aujourd’hui les nouvelles technologies s’intègrent dans notre manière d’exercer.<br/>
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Ce qui est intéressant aussi, et je fais le lien avec le règlement général sur la protection des données, c’est que, finalement, l’encadrement juridique est quand même présent et on met des gardes-fous puisque l’article 22 du RGPD prévoit quand même qu’il doit y avoir une intervention humaine à toute décision automatisée. Donc toute personne a le droit d’obtenir une intervention humaine en cas de traitement de données à caractère personnel. Là aussi on voit quand même que derrière toutes ces nouvelles technologies il y a des hommes et qu’on fait attention à ce qu’il y ait toujours un homme derrière.
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Si ces sujets vous intéressent et si vous souhaitez en savoir plus, se tient actuellement le Village de la Legaltech les 26 et 27 novembre 2019 à Paris à la Cité des sciences. C’est un salon qui organise des rencontres, de l’information, des espaces d’exposition et des conférences pour, justement, faire découvrir ces nouvelles technologies qui se confrontent au domaine du droit et faire en sorte qu’ensemble elles puissent aboutir à une meilleure compréhension de nos domaines et de nos règles.<br/>
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J’en aurai terminé sur cette présentation.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Merci Noémie. Il y a beaucoup de références qui ont été citées. La plupart sont déjà présentes sur le site de l’April, april.org, et sur le site Cause Commune, causecommune.fm. Nous encourageons toutes les personnes, en tout cas celles qui habitent en région parisienne, à aller à la Cité des sciences et de l’industrie pour se renseigner plus en avant.<br/>
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Je précise que la prochaine chronique avec Noémie sera en public, le 10 décembre 2019 en direct du salon POSS qui a lieu à Paris. On aura l’occasion d’en reparler. Donc la prochaine chronique sera en public. N’hésitez pas à venir pour voir Noémie intervenir en chronique et éventuellement lui poser des questions si vous en avez envie.<br/>
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En tout cas merci Noémie. Je te souhaite une belle fin de journée.
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<b>Noémie Bergez : </b>Merci. Excellente journée.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Donc à mardi 10 décembre.<br/>
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Nous allons faire une pause musicale.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Nous allons écouter <em>Natca</em> par Khanat. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause commune.
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<b>Pause musicale : </b>Nous venons d’écouter <em>Natca</em> par Khanat, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions. Vous retrouverez la référence sur le site de l’April, april.org, et sur le site de la radio, causecommune.fm.
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Vous écoutez toujours <em>Libre à vous !</em> sur radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm. Nous allons passer à notre sujet principal.
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==La stratégie logiciel libre de la MAIF et d'Enercoop==
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<b>Frédéric Couchet : </b>Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui va porter sur la stratégie logiciel libre de la MAIF et d’Enercoop. J’ai le plaisir d’avoir avec moi par téléphone Chris Woodrow qui conseiller en technologies et Responsable de la Stratégie Open Source du groupe MAIF. Bonjour Cris.

Version du 2 décembre 2019 à 08:14


Titre : Émission Libre à vous ! diffusée mardi 26 novembre 2019 sur radio Cause Commune

Intervenant·e·s : Noémie Bergez - Xavier Berne - Étienne Gonnu - Frédéric Couchet - Étienne Gonnu à la régie

Lieu : Radio Cause Commune

Date : 26 novembre 2019

Durée : 1 h 30 min

Écouter ou enregistrer le podcast PROVISOIRE

Page des références utiles concernant cette émission

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration :

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription MO


Transcription

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous. Vous êtes sur la radio Cause Commune 93.1 FM en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm. La radio dispose également d’une application Cause Commune pour téléphone mobile.

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre. Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April.

Nous sommes mardi 26 novembre 2019, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

La radio dispose d’un salon web. Vous pouvez utiliser votre navigateur web pour vous rendre sur le site de la radio, causecommune.fm, vous cliquez sur « chat » et vous nous rejoignez sur le salon dédié à l’émission pour échanger avec nous, faire des remarques ou poser des questions.

Le site de l’April c’est april.org et vous y retrouvez déjà une page consacrée à l’émission avec les références utiles, que nous compléterons après l’émission en fonction de nos échanges

Nous vous souhaitons une excellente écoute.

Nous allons passer au programme de cette émission.
Nous commencerons dans quelques instants par la chronique « In code we trust » de Noémie Bergez, avocate au cabinet Dune, qui va nous parler de legal design et de legaltech.
D’ici une quinzaine de minutes nous aborderons notre sujet principal qui portera sur la stratégie logiciel libre de la MAIF et d'Enercoop.
En fin d’émission nous aurons chronique de Xavier Berne, journaliste à Next INpact qui va nous parler du projet de loi économie circulaire et notamment de l’obsolescence programmée.
À la réalisation de l’émission aujourd’hui mon collègue Étienne Gonnu. Bonjour Étienne.

Étienne Gonnu  : Salut Fred.

Frédéric Couchet : Tout de suite place au premier sujet.

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Chronique « In code we trust » de Noémie Bergez

Frédéric Couchet : Évoquer le code à la main une règle de droit ou un procès en lien avec les œuvres, les données, les logiciels ou les technologies, c’est la chronique « In code we trust », « Dans le code nous croyons », de Noémie Bergez, avocate au cabinet Dune. Bonjour Noémie.

Noémie Bergez : Bonjour Fred.

Frédéric Couchet : Aujourd’hui tu souhaites nous parler de legal design et de legaltech.

Noémie Bergez : Effectivement, la chronique de ce jour porte sur la véritable révolution numérique, technologique, qui s’opère actuellement dans le monde du droit.
Il faut dire que le droit est plutôt perçu comme une matière très classique et traditionnelle dans son approche et dans ses moyens. Pour ceux qui l’ignorent cette perception était en fait assez réaliste mais jusqu’à peu parce qu’en effet, petit à petit, le monde juridique et judiciaire se transforme et s’habitue à l’ère numérique. Dans les cabinets d’avocat, les ordinateurs ont définitivement remplacé la machine à écrire, les grands ouvrages théoriques sont à présent numérisés et accessibles sur abonnement en ligne. Les codes sont librement consultables sur Légifrance. Chez les notaires vous pouvez signer votre acte de vente électroniquement. Devant certaines juridictions les décisions sont même envoyées par voie électronique et vous pouvez contacter les greffes par e-mail. En matière pénale vous pouvez déposer des pré-plaintes en ligne.
Bref ! Les professionnels du droit ne passent pas à côté des moyens informatiques.
Mais, dans le même temps, il s’est passé une prise de conscience que le droit est complexe et souvent incompréhensible pour des profanes. Pourtant nul n’est censé ignorer la loi, aussi compliquée à comprendre soit-elle. C’est donc dans ce contexte que sont apparus le legal design et les legaltech qu’on pourrait traduire comme le design juridique et les technologies juridiques.

S’agissant du legal design, comment pourrait-on le définir ? On pourrait dire que c’est une manière de proposer le droit et les raisonnements juridiques de façon illustrée ou visuelle. Historiquement c’est en 2009 que le legal design voit le jour autour d’un guide illustré pour présenter les droits des vendeurs ambulants à New-York sous forme de dessins et de schémas. Ce guide a été créé par la designer Candy Chang et le Center for Urban Pedagogy de New-York et il permettait, en fait, de comprendre des règles qui étaient assez complexes de manière visuelle, donc adaptée à un public qui ne connaissait pas le droit. C’est en 2014 que le legal design est théorisé par Margaret Hagan à l’université de Stanford.
L’objectif du legal design c’est de rendre intelligible le droit par un usage de visuels, de symboles, de schémas, d’infographies. À terme, on pourrait même penser que le legal design va s’intégrer dans l’ensemble de nos productions juridiques, que ce soit dans des contrats avec des repères visuels, dans notes avec des schémas ou même dans des conclusions pour les juges avec des tableaux.
Peu à peu le legal design prend sa place et les professionnels du droit se forment à ce domaine. En France, depuis 2017, on a l’association Open Law dont je vous invite à consulter le site internet qui organise des ateliers sur le legal design et d’autres évènements. Il est également enseigné à l’École française du barreau qui forme les jeunes avocats depuis 2018. L’École des avocats du Grand Est enseigne également ce legal design aux élèves. Pour faire du legal design, évidemment, il faut un attrait pour le droit mais également pour le design parce que, au cœur du legal design, il y a l’image, l’importance de l’image.

Au-delà du visuel le monde du droit est aussi directement impacté par les technologies.

C’est là où j’en viens sur la legaltech, puisque la legaltech, en français on pourrait dire comme technologie juridique ou plutôt une technologie au service du droit, eh bien elle vient de l’anglais legal technology donc l’usage de la technologie et de logiciels pour offrir des services juridiques. On peut faire le parallèle, en fait, avec le milieu de la finance et la Fintech, ou encore, dans le domaine médical, la Medtech.
Le terme legaltech provient des États-Unis, c’est depuis le début des années 2000 qu’il est utilisé. En fait, il désigne une automatisation d’un service juridique, que ce soit au niveau du support du document produit ou du processus ou de la relation avec les professionnels du droit. En réalité, c’est une nouvelle façon de dispenser des services juridiques dans un univers qui est resté quand même assez figé pendant des décennies. Évidemment les legaltech attirent les jeunes générations puisque c’est une forme d’exercice qui est innovante. Elles visent un public très large. Initialement, les legaltech étaient plutôt destinées à des très petites entreprises ou des entreprises de taille moyenne, voire des particuliers qui sont des justiciables, puisqu’elles leur permettaient en fait, avec des revenus très raisonnables, d’accéder à des services juridiques. Aujourd’hui ce public s’est élargi : les grandes entreprises développent leurs propres legaltech. On a en France quasiment près de 200 legaltech qui ont été créées. Elles s’adressent aussi, maintenant, directement aux acteurs traditionnels du droit. Donc on a un certain nombre de sociétés qui se spécialisent dans ces nouveaux services.
Depuis environ cinq ans, en France, l’écosystème de la legaltech s’est développé dans différents domaines, pas uniquement juridiques d’ailleurs puisqu’on a des services qui proposent de la gestion d’affaires, de la facturation, de la comptabilité. La legaltech permet aussi le stockage et la génération de documents.
On se retrouve avec des plateformes qui peuvent parfois mettre en relation des clients avec des avocats ou qui peuvent fournir des outils à des particuliers ou des entreprises, leur permettant, par exemple, de faire eux-mêmes, de produire eux-mêmes du contenu juridique. L’accès est souvent simplifié : on s’inscrit sur la plateforme, on choisit sa prestation, on paye et on exécute la prestation. C’est relativement simple.

Ça m’amène à un sujet qui est en ce moment très en vogue dans le milieu juridique c’est la question du potentiel de la blockchain.
La blockchain c’est cette technologie de stockage et de transmission d’informations qui est transparente et sécurisée et qui fonctionne sans organe central de contrôle. Elle peut-être publique ou privée et elle permet, en fait, d’échanger des données qui sont sauvegardées dans des blocs liés les uns aux autres, d’où le terme de blockchain. Aujourd’hui, le monde juridique est particulièrement intéressé par ce service puisque, d’une part, il offre un caractère probant très fort, puisqu’il permet de stocker un document juridique tel qu’un contrat par exemple pour sécuriser des engagements ; on sécurise les engagements des parties. En cas de litige chacune des parties y a accès facilement et elle peut démontrer quelles étaient les obligations que l’autre partie devait respecter.
Le deuxième aspect qui intéresse le monde juridique c’est la possibilité de créer des Smart Contracts, des contrats intelligents, pour exécuter automatiquement des engagements. Ces contrats sont créés directement depuis la blockchain qui est encore une nouvelle technologie qui vient, en fait, révolutionner le monde du droit.

On peut se poser la question : quel est le rôle des professionnels du droit dans ces innovations ? Eh bien il est quand même important puisque, effectivement, on produit du contenu, mais évidemment il peut y avoir un risque sur le contenu qui est produit d’où le fait qu’il puisse y avoir du contentieux sur ces documents qui sont faits par le biais de ces plateformes et c’est pour ça que l’avocat, aujourd’hui, a sa place, en fait, dans ces nouvelles technologies puisqu’il est là quand même pour vérifier et avoir un rôle de support, pour vérifier que la documentation est bien correcte. C’est pour ça que les avocats se forment à la legaltech. On a notamment l’École française du barreau qui forme les avocats parisiens qui a créé un lab, un espace de formation pour préparer aux enjeux de cette transformation de notre activité, notre profession. L’université Paris 2 propose également un diplôme universitaire de Transformation digitale du droit et legaltech. Il y a un incubateur physique qui a été lancé par le barreau de Paris pour lancer les innovations qui sont portées par les avocats.
C’est vrai qu’au-delà de ces services on a, en réalité, de nouveaux modes de compréhension du droit. C’est vrai que dans l’essor de ces nouvelles technologies on voit apparaître aussi, par exemple, les domaines de gamification, c’est-à-dire qu’on voit le secteur du jeu qui vient se confronter au secteur juridique. En septembre dernier a eu lieu la première édition de la Legal Games Week organisée par l’association Open Law et l’École des avocats du Grand Est. L’objectif, en fait, c’est de créer des outils juridiques ludiques pour comprendre des problématiques juridiques qui peuvent être complexes par le biais de serious games, de quiz, d’escape games. Donc c’est vrai que ce secteur est en train, petit à petit, de subir une révolution.

Autre révolution qu’on connaît un peu c’est la justice prédictive. C’est une notion qui est récente. Qu’est-ce que la justice prédictive ? La justice prédictive c’est de s’appuyer sur des algorithmes pour analyser des décisions de justice qui sont rendues par les tribunaux et permettre de connaître des conséquences chiffrées de ces jurisprudences ou des arguments pertinents qui sont retenus par les juges.

On voit vraiment qu’aujourd’hui les nouvelles technologies s’intègrent dans notre manière d’exercer.
Ce qui est intéressant aussi, et je fais le lien avec le règlement général sur la protection des données, c’est que, finalement, l’encadrement juridique est quand même présent et on met des gardes-fous puisque l’article 22 du RGPD prévoit quand même qu’il doit y avoir une intervention humaine à toute décision automatisée. Donc toute personne a le droit d’obtenir une intervention humaine en cas de traitement de données à caractère personnel. Là aussi on voit quand même que derrière toutes ces nouvelles technologies il y a des hommes et qu’on fait attention à ce qu’il y ait toujours un homme derrière.

Si ces sujets vous intéressent et si vous souhaitez en savoir plus, se tient actuellement le Village de la Legaltech les 26 et 27 novembre 2019 à Paris à la Cité des sciences. C’est un salon qui organise des rencontres, de l’information, des espaces d’exposition et des conférences pour, justement, faire découvrir ces nouvelles technologies qui se confrontent au domaine du droit et faire en sorte qu’ensemble elles puissent aboutir à une meilleure compréhension de nos domaines et de nos règles.
J’en aurai terminé sur cette présentation.

Frédéric Couchet : Merci Noémie. Il y a beaucoup de références qui ont été citées. La plupart sont déjà présentes sur le site de l’April, april.org, et sur le site Cause Commune, causecommune.fm. Nous encourageons toutes les personnes, en tout cas celles qui habitent en région parisienne, à aller à la Cité des sciences et de l’industrie pour se renseigner plus en avant.
Je précise que la prochaine chronique avec Noémie sera en public, le 10 décembre 2019 en direct du salon POSS qui a lieu à Paris. On aura l’occasion d’en reparler. Donc la prochaine chronique sera en public. N’hésitez pas à venir pour voir Noémie intervenir en chronique et éventuellement lui poser des questions si vous en avez envie.
En tout cas merci Noémie. Je te souhaite une belle fin de journée.

Noémie Bergez : Merci. Excellente journée.

Frédéric Couchet : Donc à mardi 10 décembre.
Nous allons faire une pause musicale.

[Virgule musicale]

Frédéric Couchet : Nous allons écouter Natca par Khanat. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause commune.

Pause musicale : Nous venons d’écouter Natca par Khanat, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions. Vous retrouverez la référence sur le site de l’April, april.org, et sur le site de la radio, causecommune.fm.

Vous écoutez toujours Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm. Nous allons passer à notre sujet principal.

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La stratégie logiciel libre de la MAIF et d'Enercoop

Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui va porter sur la stratégie logiciel libre de la MAIF et d’Enercoop. J’ai le plaisir d’avoir avec moi par téléphone Chris Woodrow qui conseiller en technologies et Responsable de la Stratégie Open Source du groupe MAIF. Bonjour Cris.