« Imaginer le numérique comme un bien commun » : différence entre les versions
(Page créée avec « Catégorie:Transcriptions '''Titre :''' Imaginer le numérique comme un bien commun '''Intervenant·es :''' Thanasis Priftis - Journaliste '''Lieu :''' Chaîne YouTube Alp ICT '''Date :''' 28 novembre 2024 '''Durée :''' 1 h 26 min 14 '''[https://www.youtube.com/watch?v=LJzDmLSw-Ls Vidéo]''' '''Licence de la transcription :''' [http://www.gnu.org/licenses/licenses.html#VerbatimCopying Verbatim] '''Illustration :''' À prévoir '''NB :''' <em>Transc... ») |
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<b>Thanasis Priftis, voix off : </b>Vous vous dites « mais c’est quoi ça ? C’est n’importe quoi ! Quel détail ! Pourquoi les gens s’acharnent-ils entre Libre et open source ? C’est la même chose. Qu’est-ce que ça veut dire ? ». Mais non, ce n’est pas la même chose, ces principes sont dynamiques. On travaille tous les jours pour ça, comme pour Wikipédia. C’est l’exemple par excellence. | |||
<b>Journaliste, voix off : </b>Est-ce qu’on peut faire ce parallèle avec l’open source ? | |||
<b>Thanasis Priftis, voix off : </b>Pas encore. Mais on est très près. Je comprends bien que vous êtes champions. On n’y est pas, mais on va quand même dans une direction qui est très intéressante.<br/> | |||
Est-ce que tout local avec les types de services comme GPT aujourd’hui ? La réponse est non. | |||
<b>Journaliste : </b>Bonjour à toutes et tous et bienvenue sur la chaîne Alp ICT. J’ai le plaisir de recevoir Thanasis Priftis, chercheur et chargé de cours à la Haute École de Genève, ainsi que directeur de la fondation Ynternet. Thanasis nous éclaire aujourd’hui sur l’open source, notamment dans le domaine de l’intelligence artificielle. Nous parlerons également de souveraineté numérique et de régulation. Attaché à remettre en question les idées préconçues des différents domaines, Thanasis nous partage ses projets de recherche, ses projets de recherche et comment les technologies ouvertes peuvent concrètement changer les choses.<br/> | |||
Thanasis, bonjour. | |||
<b>Thanasis Priftis : </b>Bonjour. | |||
<b>Journaliste : </b>C’est un plaisir de te recevoir sur la chaîne YouTube d’Alp ICT. Est-ce que tu pourrais, en introduction, nous retracer un petit peu ton parcours et les moments qui t’ont conduit aux activités que tu mènes aujourd’hui ? | |||
<b>Thanasis Priftis : </b>Plaisir partagé. Merci beaucoup pour l’invitation. | |||
D’où peut-on commencer. Je me souviens de moi toujours comme d’une personne qui avait envie de regarder derrière ce qu’on voyait devant nous. C’est-à-dire dire aller chercher un peu ce qui n’était pas visible, soit dans les textes, soient les événements, soit dans la recherche, partout. Je me vois toujours avec cette curiosité, dire : OK, mais que ça veut dire vraiment ce que je suis en train de lire, ce que je suis en train de faire ou ce que je suis en train de discuter ? Cette passion de voir derrière les choses ce qui n’est pas forcément visible m’a amené à faire des choses diverses dans ma vie, de mener des projets liés à l’informatique, mais aussi des projets qui sont liés à la recherche avec des migrants, d’autres types de sujets qui ne sont pas forcément liés au numérique. Ça m’a aussi amené à bouger souvent dans ma vie, j’étais à Genève, aux Nations Unies, en 2003, je suis retourné en Grèce, après je suis revenu ici, en Suisse, en 2014. Dans ma vie, j’ai fait pas mal d’activités qui ne sont pas que sur le numérique. Par exemple, je fais partie d’une coopérative d’habitation où je donne un coup de main aux médiateurs.<br/> | |||
On peut se tutoyer ? | |||
<b>Journaliste : </b>On peut se tutoyer, c’est super. | |||
<b>Thanasis Priftis : </b>J’ai toujours eu cette envie de voir l’envers des choses et c’est ce qui m’a amené à plusieurs activités. | |||
<b>Journaliste : </b>Tu vas nous en dire un petit peu plus, notamment dans ton rôle de professeur, de chercheur à la HEG. Je sais que tu es aussi directeur de la fondation Yternet, est-ce que je le prononce bien, parce que c’est avec un « y » à la place du « i ». | |||
<b>Thanasis Priftis : </b>C’est un jeu de mots sur <em>Why Internet</em>, « pourquoi internet ». Dans les années 2000, quand le président Théo Bondolfi crée cette fondation, c’est « pourquoi Internet », pourquoi Internet est si important aujourd’hui et pourquoi il l’est toujours, bien évidemment. | |||
<b>Journaliste : </b>Est-ce que tu peux nous dire quelques mots sur les activités de la fondation et peut-être quelques exemples de projets que j’ai pu voir assez passionnants ? | |||
<b>Thanasis Priftis : </b>Commençons par la fondation. C’est une très bonne idée que je ??? depuis 2014. On a une vision du numérique qui est une vision responsable et éthique. Ça veut dire qu’on veut que nos projets respectent cette idée qu’il y a une certaine citoyenneté à défendre derrière nos projets, c’est-à-dire que les personnes qui participent ne sont pas là que pour consommer une technologie, être passives devant un sujet ou une nouvelle technologie qui arrive, mais plutôt poser des questions qui vont leur permettre de mieux comprendre comment cette technologie fonctionne. Ce sont les principes de la fondation. C’est un principe qui trouve des outils comme les licences ouvertes, comme les logiciels libres et open source, comme les contenus ouverts, l’éducation ouverte et tout cela.<br/> | |||
Si on prend tout ça aujourd’hui, on a plusieurs projets, mais je peux citer trois projets qui peuvent être intéressants.<br/> | |||
D’abord des projets de formation qui se passent chez nous, avec nos partenaires européens. On essaye de créer des projets au niveau européen et on en fait le déploiement, on les pilote en Suisse. Typiquement, aujourd’hui, on a deux projets en place.<br/> | |||
Un sur la santé numérique, c’est-à-dire qu’on va essayer de comprendre comment le numérique interroge notre santé, en tout cas comment on utilise les données autour de la santé pour faire des applications numériques et essayer de voir quel est notre rôle.<br/> | |||
L’autre, c’est le numérique pour l’urbanisme, c’est un projet pour 2025. On va essayer d’emmener les enfants, en tout cas les jeunes, de les sortir de leurs écoles ou de leurs universités, on a créé une application pour ça, en libre/open source, qui va permettre aux personnes qui vont participer de cartographier leur ville. Qu’est-ce qu’elles aiment, qu’est-ce ce qu’elles n’aiment pas, qu’est-ce qu’elles veulent changer ? Revisiter l’urbanisme avec, cette fois-ci, un rôle plus acteur : évaluer son quotidien.<br/> | |||
Ce sont des projets de formation.<br/> | |||
On a un grand projet sur lequel je travaille, qui s’appelle TEDx Geneva. C’est un projet autonome avec sa propre équipe et ses propres règles, mais on a la licence pour avoir cet événement à Genève. L’événement à venir, c’est 22 novembre. Le thème de cette année c’est <em>Being Intelligent</em>, « Être intelligent ». On peut imaginer plusieurs intelligences, plusieurs types d’idées derrière, le thème c’est une scène ouverte. On amène les gens à proposer leurs idées, on travaille beaucoup avec eux. On a quatre dimanches de répétitions avec les speakers, bref, pour dire que <em>Being Intelligent</em> est un projet passionnant parce que ça amène à voir derrière les idées, derrière ce qu’on pense, qui est évident, mais en fait, il n’ya rien évident. Tout doit être compris, analysé en tout cas.<br/> | |||
Cette idée de TEDx Geneva m’amène à rejoindre des personnes au niveau mondial qui viennent à Genève et partagent ces moments avec nous et avec les vidéos après.<br/> | |||
Un troisième projet qui commencera bientôt, un projet très intéressant parce que ça va amener un peu le modèle de Wikipédia, cette idée de partage des connaissances, cette fois-ci avec des contrats. Ça veut dire comment on fait des deals, le projet s’appelle WikiDeal, comment on crée des accords entre différents partenaires, avec un certain respect pour la personne et pour la communauté et on arrive à avoir des plateformes qui sont différentes, qui sont beaucoup plus participatives et, en même temps, collaboratives. C’est un projet qui ça mérite peut-être une autre séance entre nous ou avec d’autres personnes qui sont là. En tout cas, WikiDeal est notre projet phare des années à venir, des dix ans à venir maintenant, qui va changer un peu nos rapports par rapport à nous, comme personne, individus et collectivement, et les accords qu’on passe avec d’autres personnes. | |||
<b>Journaliste : </b>C’est finalement, à chaque fois, vraiment le citoyen qui est acteur dans ses process de digitalisation, de vie ou autre, c’est vraiment de donner la parole aux citoyens. | |||
<b>Thanasis Priftis : </b>Exactement. Donner la parole et l’amener à faire des actions, à avoir un rôle concret, et c’est très important. C’est là où je veux placer un peu mes aspirations idéologiques, si tu veux, parce que quand on parle technologie, il ne faut jamais croire que les technologies sont neutres. Les technologies, les données, rien n’est neutre. Tout est basé par sur des décisions qu’on a prises avant.<br/> | |||
Comme on le sait tous, partout, autour de nous, on a des pouvoirs, on a un jeu de pouvoirs partout dans nos sociétés, ces jeux de pouvoir sont à comprendre, à défaire pour toujours amener plus d’équité, plus de justice par rapport à nos projets, par rapport à ce qu’on fait. Ces rapports de pouvoir sont très importants, parce que c’est là où tout se joue, comme sur plusieurs sujets d’ailleurs.<br/> | |||
Maintenant, on a le public, on a un système public qui a sa propre manière de nous proposer des services, les services publics et d’autres, on les connaît et le système privé, de l’autre côté, avec son propre système qui est de privatiser beaucoup de choses, la connaissance, les ressources et autres pour faire les profits qu’il faut pour fonctionner. Et, entre les deux, on trouve un autre système, celui des communs. Elinor Ostrom, Prix Nobel 2009 en économie, a travaillé toute sa vie sur cette idée de comprendre les communs comme un espace autonome et alternatif à celui qui est pensé entre le public et le privé. C’est très important de bien établir cette notion : on peut faire les choses sans que le public et le privé nous disent comment faire, mais créer nos propres espaces de citoyenneté où les citoyens, comme on l’a dit, ont un rôle spécifique à jouer.<br/> | |||
Attention, Ostrom a dit que ces espaces sont extrêmement réglementés. Ce n’est pas l’anarchie, au contraire, il y a des règles. Il y a huit principes que je vais dire avec mon propre mots. Ces principes sont très importants.<br/> | |||
Il y a la participation, mais cette participation doit être comprise comme quelque chose qui est appliquée à tout le monde.<br/> | |||
Tout le monde doit avoir accès à cette ressource. Au début, Ostrom dit que les communs sont importants sont intéressants quand il y a une ressource à gérer. On peut parler des forêts, des lacs, on peut parler de la connaissance. Il y a en effet quelque chose à gérer et il y a peut-être des tensions entre des personnes, qui se demandent ce qu’elles vont faire avec cette ressource-là.<br/> | |||
Elle dit que tout le monde peut participer, pas contre les personnes doivent respecter les règles de la communauté qui sont les gens sur place. Très bien, la personne peut participer et peut aussi, sur le long terme, voter les règles ou changer les règles.<br/> | |||
Il y a cette possibilité, dès le début, de créer une communauté qui est de plus en plus en équilibre, avec une certaine équité, elle n’est jamais égale, mais une certaine égalité est respectée.<br/> | |||
Une fois qu’on a créé derrière ces règles-là, il faut les préserver ; il faut faire en sorte que les règles soient respectées. On peut avoir des sanctions.<br/> | |||
Après, quand on gagne de l’argent avec cette ressource, il faut que l’argent et la valeur créée soient partagés.<br/> | |||
Il faut aussi travailler avec ses partenaires sur place. On doit travailler avec le privé, avec le public, on doit travailler aussi avec d’autres communautés pour qu’elles puissent comprendre comment on a fait pour gérer ce commun.<br/> | |||
Est-ce que c’est OK pour le moment ? Est-ce que c’est clair ? | |||
<b>Journaliste : </b>Ça ressemble quand même beaucoup à une société ou une civilisation. Est-ce que tu penses que des pays s’en rapprochent ? Quand on prend le modèle de la Suisse, j’ai l’impression qu’on est assez vite sur ces principes du commun. | |||
<b>Thanasis Priftis : </b>Exactement, la Suisse s’en approche, mais on n’y est pas tout à fait. Il faut prendre ce système, dont on va parler aujourd’hui, comme un système dynamique. Si on s’arrête de négocier, si on s’arrête de parler, de discuter, d’échanger, le système va forcément d’un autre côté. Si on ne préserve pas la démocratie, la participation et tout ça, on ne peut pas dire que ça existe. Non, ça existe tant qu’on est en train de faire quelque chose pour la préserver. C’est pour cela que Ostrom est très intéressante, avec cette idée que ces principes sont dynamiques. On travaille tous les jours pour cela. Wikipédia est l’exemple par excellence. On a une ressource qui est gérée comme un commun, parce qu’il y a des règles, il y a des communautés, il y a beaucoup de gens qui travaillent, qui décident ensemble.<br/> | |||
Oui la Suisse y ressemble beaucoup, parce qu’en Suisse il y a beaucoup de coopératives. Attention, coopératives, ça ne veut pas dire tout de suite qu’elles font quelque chose pour les communs. Il y a des coopératives qui ne font rien, c’est juste à un schéma. Mais ça reste quand même une possibilité. C’est en effet un outil : avoir un statut coopératif sur certaines choses. Il y a aussi cette participation avec les référendums, une manière de démocratie plus directe qui nous permet, du coup, d’avoir beaucoup plus de participation des personnes, de discuter, d’amener des problèmes et de trouver des solutions ensemble.<br/> | |||
De mon côté, quand je travaillais sur des projets les années passées, j’ai créé ma propre grille de compréhension de ces services digitaux en me basant sur Ostrom. Par exemple, je disais à mes étudiants que oui, on participe à quelque chose. Très bien, on peut consommer, ou participer, mais sans forcément en attendre quelque chose derrière. C’est ce qu’on appelle une participation simple, mais on n’est pas dans la collaboration. La collaboration commence au moment où, là où on est, on a des règles très claires sur la façon dont la personne qui a reçu notre participation va répondre. Ça doit être bien défini. Si je fais quelque chose avec le privé, je dois savoir, dès le début, comment il répond, comment il traite mon commentaire, comment il traite ma contribution, comment il la valorise. C’est quelque chose qui doit être dit et bien écrit. Là, je suis en collaboration.<br/> | |||
Et, encore une fois, je peux aller beaucoup plus loin, je peux aller en coopération Pour être en coopération, ça veut dire que je suis inclus dès le début du service, du coup, je sais comment ça va fonctionner, quel est mon rôle, d’autres personnes. Bien évidemment, je suis en droit de savoir comment il va évoluer, comment il va continuer. | |||
<b>Journaliste : </b>Est-ce qu’on peut faire ce parallèle avec l’open source ? | |||
==14’ 25== | |||
<b>Thanasis Priftis : </b>Pas encore ! |
Version du 17 décembre 2024 à 14:18
Titre : Imaginer le numérique comme un bien commun
Intervenant·es : Thanasis Priftis - Journaliste
Lieu : Chaîne YouTube Alp ICT
Date : 28 novembre 2024
Durée : 1 h 26 min 14
Licence de la transcription : Verbatim
Illustration : À prévoir
NB : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·es mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.
Transcription
Thanasis Priftis, voix off : Vous vous dites « mais c’est quoi ça ? C’est n’importe quoi ! Quel détail ! Pourquoi les gens s’acharnent-ils entre Libre et open source ? C’est la même chose. Qu’est-ce que ça veut dire ? ». Mais non, ce n’est pas la même chose, ces principes sont dynamiques. On travaille tous les jours pour ça, comme pour Wikipédia. C’est l’exemple par excellence.
Journaliste, voix off : Est-ce qu’on peut faire ce parallèle avec l’open source ?
Thanasis Priftis, voix off : Pas encore. Mais on est très près. Je comprends bien que vous êtes champions. On n’y est pas, mais on va quand même dans une direction qui est très intéressante.
Est-ce que tout local avec les types de services comme GPT aujourd’hui ? La réponse est non.
Journaliste : Bonjour à toutes et tous et bienvenue sur la chaîne Alp ICT. J’ai le plaisir de recevoir Thanasis Priftis, chercheur et chargé de cours à la Haute École de Genève, ainsi que directeur de la fondation Ynternet. Thanasis nous éclaire aujourd’hui sur l’open source, notamment dans le domaine de l’intelligence artificielle. Nous parlerons également de souveraineté numérique et de régulation. Attaché à remettre en question les idées préconçues des différents domaines, Thanasis nous partage ses projets de recherche, ses projets de recherche et comment les technologies ouvertes peuvent concrètement changer les choses.
Thanasis, bonjour.
Thanasis Priftis : Bonjour.
Journaliste : C’est un plaisir de te recevoir sur la chaîne YouTube d’Alp ICT. Est-ce que tu pourrais, en introduction, nous retracer un petit peu ton parcours et les moments qui t’ont conduit aux activités que tu mènes aujourd’hui ?
Thanasis Priftis : Plaisir partagé. Merci beaucoup pour l’invitation.
D’où peut-on commencer. Je me souviens de moi toujours comme d’une personne qui avait envie de regarder derrière ce qu’on voyait devant nous. C’est-à-dire dire aller chercher un peu ce qui n’était pas visible, soit dans les textes, soient les événements, soit dans la recherche, partout. Je me vois toujours avec cette curiosité, dire : OK, mais que ça veut dire vraiment ce que je suis en train de lire, ce que je suis en train de faire ou ce que je suis en train de discuter ? Cette passion de voir derrière les choses ce qui n’est pas forcément visible m’a amené à faire des choses diverses dans ma vie, de mener des projets liés à l’informatique, mais aussi des projets qui sont liés à la recherche avec des migrants, d’autres types de sujets qui ne sont pas forcément liés au numérique. Ça m’a aussi amené à bouger souvent dans ma vie, j’étais à Genève, aux Nations Unies, en 2003, je suis retourné en Grèce, après je suis revenu ici, en Suisse, en 2014. Dans ma vie, j’ai fait pas mal d’activités qui ne sont pas que sur le numérique. Par exemple, je fais partie d’une coopérative d’habitation où je donne un coup de main aux médiateurs.
On peut se tutoyer ?
Journaliste : On peut se tutoyer, c’est super.
Thanasis Priftis : J’ai toujours eu cette envie de voir l’envers des choses et c’est ce qui m’a amené à plusieurs activités.
Journaliste : Tu vas nous en dire un petit peu plus, notamment dans ton rôle de professeur, de chercheur à la HEG. Je sais que tu es aussi directeur de la fondation Yternet, est-ce que je le prononce bien, parce que c’est avec un « y » à la place du « i ».
Thanasis Priftis : C’est un jeu de mots sur Why Internet, « pourquoi internet ». Dans les années 2000, quand le président Théo Bondolfi crée cette fondation, c’est « pourquoi Internet », pourquoi Internet est si important aujourd’hui et pourquoi il l’est toujours, bien évidemment.
Journaliste : Est-ce que tu peux nous dire quelques mots sur les activités de la fondation et peut-être quelques exemples de projets que j’ai pu voir assez passionnants ?
Thanasis Priftis : Commençons par la fondation. C’est une très bonne idée que je ??? depuis 2014. On a une vision du numérique qui est une vision responsable et éthique. Ça veut dire qu’on veut que nos projets respectent cette idée qu’il y a une certaine citoyenneté à défendre derrière nos projets, c’est-à-dire que les personnes qui participent ne sont pas là que pour consommer une technologie, être passives devant un sujet ou une nouvelle technologie qui arrive, mais plutôt poser des questions qui vont leur permettre de mieux comprendre comment cette technologie fonctionne. Ce sont les principes de la fondation. C’est un principe qui trouve des outils comme les licences ouvertes, comme les logiciels libres et open source, comme les contenus ouverts, l’éducation ouverte et tout cela.
Si on prend tout ça aujourd’hui, on a plusieurs projets, mais je peux citer trois projets qui peuvent être intéressants.
D’abord des projets de formation qui se passent chez nous, avec nos partenaires européens. On essaye de créer des projets au niveau européen et on en fait le déploiement, on les pilote en Suisse. Typiquement, aujourd’hui, on a deux projets en place.
Un sur la santé numérique, c’est-à-dire qu’on va essayer de comprendre comment le numérique interroge notre santé, en tout cas comment on utilise les données autour de la santé pour faire des applications numériques et essayer de voir quel est notre rôle.
L’autre, c’est le numérique pour l’urbanisme, c’est un projet pour 2025. On va essayer d’emmener les enfants, en tout cas les jeunes, de les sortir de leurs écoles ou de leurs universités, on a créé une application pour ça, en libre/open source, qui va permettre aux personnes qui vont participer de cartographier leur ville. Qu’est-ce qu’elles aiment, qu’est-ce ce qu’elles n’aiment pas, qu’est-ce qu’elles veulent changer ? Revisiter l’urbanisme avec, cette fois-ci, un rôle plus acteur : évaluer son quotidien.
Ce sont des projets de formation.
On a un grand projet sur lequel je travaille, qui s’appelle TEDx Geneva. C’est un projet autonome avec sa propre équipe et ses propres règles, mais on a la licence pour avoir cet événement à Genève. L’événement à venir, c’est 22 novembre. Le thème de cette année c’est Being Intelligent, « Être intelligent ». On peut imaginer plusieurs intelligences, plusieurs types d’idées derrière, le thème c’est une scène ouverte. On amène les gens à proposer leurs idées, on travaille beaucoup avec eux. On a quatre dimanches de répétitions avec les speakers, bref, pour dire que Being Intelligent est un projet passionnant parce que ça amène à voir derrière les idées, derrière ce qu’on pense, qui est évident, mais en fait, il n’ya rien évident. Tout doit être compris, analysé en tout cas.
Cette idée de TEDx Geneva m’amène à rejoindre des personnes au niveau mondial qui viennent à Genève et partagent ces moments avec nous et avec les vidéos après.
Un troisième projet qui commencera bientôt, un projet très intéressant parce que ça va amener un peu le modèle de Wikipédia, cette idée de partage des connaissances, cette fois-ci avec des contrats. Ça veut dire comment on fait des deals, le projet s’appelle WikiDeal, comment on crée des accords entre différents partenaires, avec un certain respect pour la personne et pour la communauté et on arrive à avoir des plateformes qui sont différentes, qui sont beaucoup plus participatives et, en même temps, collaboratives. C’est un projet qui ça mérite peut-être une autre séance entre nous ou avec d’autres personnes qui sont là. En tout cas, WikiDeal est notre projet phare des années à venir, des dix ans à venir maintenant, qui va changer un peu nos rapports par rapport à nous, comme personne, individus et collectivement, et les accords qu’on passe avec d’autres personnes.
Journaliste : C’est finalement, à chaque fois, vraiment le citoyen qui est acteur dans ses process de digitalisation, de vie ou autre, c’est vraiment de donner la parole aux citoyens.
Thanasis Priftis : Exactement. Donner la parole et l’amener à faire des actions, à avoir un rôle concret, et c’est très important. C’est là où je veux placer un peu mes aspirations idéologiques, si tu veux, parce que quand on parle technologie, il ne faut jamais croire que les technologies sont neutres. Les technologies, les données, rien n’est neutre. Tout est basé par sur des décisions qu’on a prises avant.
Comme on le sait tous, partout, autour de nous, on a des pouvoirs, on a un jeu de pouvoirs partout dans nos sociétés, ces jeux de pouvoir sont à comprendre, à défaire pour toujours amener plus d’équité, plus de justice par rapport à nos projets, par rapport à ce qu’on fait. Ces rapports de pouvoir sont très importants, parce que c’est là où tout se joue, comme sur plusieurs sujets d’ailleurs.
Maintenant, on a le public, on a un système public qui a sa propre manière de nous proposer des services, les services publics et d’autres, on les connaît et le système privé, de l’autre côté, avec son propre système qui est de privatiser beaucoup de choses, la connaissance, les ressources et autres pour faire les profits qu’il faut pour fonctionner. Et, entre les deux, on trouve un autre système, celui des communs. Elinor Ostrom, Prix Nobel 2009 en économie, a travaillé toute sa vie sur cette idée de comprendre les communs comme un espace autonome et alternatif à celui qui est pensé entre le public et le privé. C’est très important de bien établir cette notion : on peut faire les choses sans que le public et le privé nous disent comment faire, mais créer nos propres espaces de citoyenneté où les citoyens, comme on l’a dit, ont un rôle spécifique à jouer.
Attention, Ostrom a dit que ces espaces sont extrêmement réglementés. Ce n’est pas l’anarchie, au contraire, il y a des règles. Il y a huit principes que je vais dire avec mon propre mots. Ces principes sont très importants.
Il y a la participation, mais cette participation doit être comprise comme quelque chose qui est appliquée à tout le monde.
Tout le monde doit avoir accès à cette ressource. Au début, Ostrom dit que les communs sont importants sont intéressants quand il y a une ressource à gérer. On peut parler des forêts, des lacs, on peut parler de la connaissance. Il y a en effet quelque chose à gérer et il y a peut-être des tensions entre des personnes, qui se demandent ce qu’elles vont faire avec cette ressource-là.
Elle dit que tout le monde peut participer, pas contre les personnes doivent respecter les règles de la communauté qui sont les gens sur place. Très bien, la personne peut participer et peut aussi, sur le long terme, voter les règles ou changer les règles.
Il y a cette possibilité, dès le début, de créer une communauté qui est de plus en plus en équilibre, avec une certaine équité, elle n’est jamais égale, mais une certaine égalité est respectée.
Une fois qu’on a créé derrière ces règles-là, il faut les préserver ; il faut faire en sorte que les règles soient respectées. On peut avoir des sanctions.
Après, quand on gagne de l’argent avec cette ressource, il faut que l’argent et la valeur créée soient partagés.
Il faut aussi travailler avec ses partenaires sur place. On doit travailler avec le privé, avec le public, on doit travailler aussi avec d’autres communautés pour qu’elles puissent comprendre comment on a fait pour gérer ce commun.
Est-ce que c’est OK pour le moment ? Est-ce que c’est clair ?
Journaliste : Ça ressemble quand même beaucoup à une société ou une civilisation. Est-ce que tu penses que des pays s’en rapprochent ? Quand on prend le modèle de la Suisse, j’ai l’impression qu’on est assez vite sur ces principes du commun.
Thanasis Priftis : Exactement, la Suisse s’en approche, mais on n’y est pas tout à fait. Il faut prendre ce système, dont on va parler aujourd’hui, comme un système dynamique. Si on s’arrête de négocier, si on s’arrête de parler, de discuter, d’échanger, le système va forcément d’un autre côté. Si on ne préserve pas la démocratie, la participation et tout ça, on ne peut pas dire que ça existe. Non, ça existe tant qu’on est en train de faire quelque chose pour la préserver. C’est pour cela que Ostrom est très intéressante, avec cette idée que ces principes sont dynamiques. On travaille tous les jours pour cela. Wikipédia est l’exemple par excellence. On a une ressource qui est gérée comme un commun, parce qu’il y a des règles, il y a des communautés, il y a beaucoup de gens qui travaillent, qui décident ensemble.
Oui la Suisse y ressemble beaucoup, parce qu’en Suisse il y a beaucoup de coopératives. Attention, coopératives, ça ne veut pas dire tout de suite qu’elles font quelque chose pour les communs. Il y a des coopératives qui ne font rien, c’est juste à un schéma. Mais ça reste quand même une possibilité. C’est en effet un outil : avoir un statut coopératif sur certaines choses. Il y a aussi cette participation avec les référendums, une manière de démocratie plus directe qui nous permet, du coup, d’avoir beaucoup plus de participation des personnes, de discuter, d’amener des problèmes et de trouver des solutions ensemble.
De mon côté, quand je travaillais sur des projets les années passées, j’ai créé ma propre grille de compréhension de ces services digitaux en me basant sur Ostrom. Par exemple, je disais à mes étudiants que oui, on participe à quelque chose. Très bien, on peut consommer, ou participer, mais sans forcément en attendre quelque chose derrière. C’est ce qu’on appelle une participation simple, mais on n’est pas dans la collaboration. La collaboration commence au moment où, là où on est, on a des règles très claires sur la façon dont la personne qui a reçu notre participation va répondre. Ça doit être bien défini. Si je fais quelque chose avec le privé, je dois savoir, dès le début, comment il répond, comment il traite mon commentaire, comment il traite ma contribution, comment il la valorise. C’est quelque chose qui doit être dit et bien écrit. Là, je suis en collaboration.
Et, encore une fois, je peux aller beaucoup plus loin, je peux aller en coopération Pour être en coopération, ça veut dire que je suis inclus dès le début du service, du coup, je sais comment ça va fonctionner, quel est mon rôle, d’autres personnes. Bien évidemment, je suis en droit de savoir comment il va évoluer, comment il va continuer.
Journaliste : Est-ce qu’on peut faire ce parallèle avec l’open source ?
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Thanasis Priftis : Pas encore !