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'''Titre :''' Et si le développement du logiciel libre était d’abord une affaire de sciences humaines ?
Publié [https://www.april.org/developpement-du-logiciel-libre-d-abord-une-affaire-de-sciences-humaines-jp-mengual ici] - Août 2017
 
'''Intervenant :''' Jean-Philippe Mengual
 
'''Lieu :''' Rencontres Mondiales du Logiciel Libre
 
'''Date :''' Juillet 2017
 
'''Durée :''' 34 min 45
 
'''[https://rmll.ubicast.tv/videos/une_affaire_de_sciences_humaines_06743/ Visionner la vidéo]'''
 
'''Licence de la transcription :''' [http://www.gnu.org/licenses/licenses.html#VerbatimCopying Verbatim]
 
'''Statut :''' Transcrit MO
 
==Description==
 
Les défenseurs du logiciel libre trouvent souvent leur adversaire dans ceux promouvant les licences privatrices, les formats fermés, les réglementations, etc. Ils admettent une difficulté à communiquer auprès du grand public mais l’effort qui est pratiqué s’essouffle souvent trop vite. La seule distribution qui a commencé à ouvrir le libre au public a été fondée par un entrepreneur.
 
Mais à bien regarder certains dossiers clés (accessibilité par le logiciel libre, quelques migrations), il est facile de découvrir que la difficulté du libre pour s’étendre est d’abord une affaire de sciences humaines. Incapacité à se définir comme facteur d’inclusion, à rassurer les néophytes, à leur offrir des solutions à leurs attentes consuméristes, comment le libre peut-il mieux prendre en compte ces réalités ? Quel rôle doit avoir le lobbying politique face à la recherche en psychologie, voire psychologie des organisations ? Comment aller chercher de nouvelles forces pour promouvoir et pas seulement montrer un savoir-faire (exemple de Véronique Bonnet) ?
 
==Transcription==
 
Bonjour à tous et merci d’être là. Effectivement le sujet du jour va être de s’interroger si le développement du logiciel libre, d’un point de vue plus large que ce qu’il n’est aujourd’hui, ne serait pas tout simplement une affaire de sciences humaines.
 
Il n’y a pas de <em>slides</em> effectivement là-dessus, de nouveau, parce que je le fais en mode un peu plus proposition de théories à analyser ensemble. J’ai quand même apporté cet ordi pour vous montrer un ou deux exemples d’interfaces qui, justement, sont vachement bien pour le grand public, vous allez voir pourquoi.
 
Pour commencer je dirais que le logiciel libre, au départ, il ne faut pas oublier que c’est un projet d’abord éthique selon notre ami Richard Stallman, <em>liberté, égalité, fraternité</em>, [Jean-Philippe prononce cette expression en imitant l’accent de Richard Stallman], c’est important quand même ces concepts. Pour autant il n’a pas empêché d’attirer des techniciens, beaucoup de techniciens, les gens qui font du Unix, les gens qui font du développement, les gens qui font de l’administration système, c’est à eux que Linux parle aujourd’hui, GNU/Linux ou Linux parle aujourd’hui. Et c’est tellement vrai que ce sont les techniciens qui ont pris le relai là-dessus, qu’aujourd’hui on ne parle même plus vraiment de logiciel libre dans le monde professionnel mais d’<em>open source</em>. Vaste débat sur lequel on ne va pas revenir, mais l’<em>open source</em> c’est effectivement une prédominance technique plus, justement, qu’un problème éthique. Prière de ne pas faire la confusion, [Jean-Philippe prononce ces mots en imitant l’accent de Richard Stallman]. Ça c’est important pour Richard aussi ce problème-là.
 
Donc il a été créé par les techniciens, il vit par beaucoup de techniciens quand même aujourd’hui et le résultat c’est qu’on remarque une chose, un phénomène assez extraordinaire, c’est que maintenant ce n’est plus tellement un problème du libre qui est en train de se poser, c’est un problème de cloud. C’est-à-dire qu’aujourd’hui tous les clouds sont du logiciel libre, enfin beaucoup en tout cas, de clouds sont du logiciel, à part les clouds de nos amis Microsoft et Apple, mais dans l’ensemble beaucoup de clouds sont en logiciel libre. Mais enfin c’est du cloud ! Donc est-ce qu’on maîtrise mieux son informatique dans ces conditions ou pas ? À partir du moment où on n’a pas confiance dans ceux qui font le cloud derrière, c’est tout un sujet. Donc est-ce que le libre a vraiment gagné ? Je n’en sais rien.
 
Pareil, quand on regarde l’écosystème. Vous allez faire un tour, si ça vous intéresse, aux Rencontres Professionnelles du Logiciel Libre, ce dont on se rend compte en fait c’est qu’aujourd’hui le libre, quand on le soutient, quand on le promeut et quand on travaille dans le logiciel libre essentiellement la préoccupation qui est au centre c’est l’infrastructure, le web, l’hébergement, l’infogérance, bref tous les aspects... Debian est payé, par exemple, dans une logique de professionnels ; c’est-à-dire que les dons que récupère Debian ce sont des dons de HP, ce sont des dons d’entreprises, de grandes entreprises, notamment parce que ces entreprises sont attachées par des projets comme Debian pour des raisons infra-structurelles. Red Hat c’est presque la même chose.
 
Alors pourquoi, dans ce cas-là, est-ce que le grand public est exclu ? OK. On dit souvent que le grand public n’est pas attiré par le libre parce que ce n’est pas forcément très stable toujours, parce que ce n’est pas très beau. Bon ! C’est partiellement vrai, et surtout je pense, tout simplement, que ça n’explique pas tout.
 
Ce qu’on peut se dire dans un premier temps c’est que le libre qui est donc d’inspiration humaniste, aujourd’hui la situation est techno centrée. On va revenir là-dessus, sur ce côté très techno centré, qu’on va un peu développer et tenter de comprendre un petit peu les rouages de tout ça.
 
Pour dire ensuite que les initiatives d’inclusion et de médiation numériques, pour le coup, qui là incluent forcément le grand public et en particulier le public le premier concerné par l’importance du numérique que sont les personnes en situation de handicap, mais elles n’auront pas de succès et elles n’ont d’ailleurs pas un succès énorme, ça reste marginal, faute d’avoir des sciences humaines.
 
Ce sont un peu les deux grandes idées qu’on va essayer d’étudier ensemble et sur lesquelles je prendrai ensuite, évidemment avec grand plaisir, vos avis et commentaires, pour savoir un petit peu ce que vous en pensez.
 
Le libre donc est un idée éthique ; je crois que là-dessus il n’y a pas de sujet, c’est une éthique évidemment d’inspiration américaine, quand même, donc très centré sur la liberté, la fameuse liberté 0, notamment que Richard ne veut absolument lier à l’accessibilité parce que ça serait dramatique et que l’accessibilité pour lui c’est… Voilà ! Donc il ne veut surtout pas lier ça à la liberté 0, mais la liberté c’est au centre de l’écosystème du libre, de toutes les licences libres produites par la <em>Free Software Foundation</em> et autres documents de ce genre. Avec ses limites, d’ailleurs, pour le coup là c’est l’approche un peu plus FSFE et un peu plus celle dans laquelle, personnellement je tends à m’inscrire, c’est-à-dire cette liberté, selon Richard Stallman, doit tout dépasser, même le progrès. Pourquoi pas ? Mais par exemple, on assume du coup sans problème des paradoxes du type, on peut être moins libre, concrètement, à partir du moment où théoriquement on est plus libre. Parce que c’est ça en fait aujourd’hui le débat sur la liberté 0 qui est mené entre nous et Richard Stallman. C’est-à-dire que lui considère que la liberté 0 est satisfaite dès lors que juridiquement et théoriquement elle est possible. Et nous on lui dit : « Eh bien non ! » ; si le logiciel est sous une bonne licence mais que derrière, alors qu’on est libéré parce qu’on a un iPhone et qu’on arrive à mieux à se déplacer parce qu’il est plus accessible qu’un logiciel libre, est-ce que le logiciel libre est vraiment libérateur ? Ce n’est pas si certain ! Donc c’est un débat. On voit tout de suite que même cette aspiration éthique est déjà sujette à beaucoup de débats, mais ça, pour le coup, c’est normal, ça fait partie de la vie éthique d’un projet.
 
Une fois qu’on a dit ça, OK, c’est un projet éthique. Malgré tout, on se rend compte que, et c’est presque bon signe j’ai envie de dire, la démonstration de force du logiciel libre reste d’abord technique. D’abord par les traductions. Il suffit de lire certains termes pour se rendre compte que les traductions sont parfois choisies à des fins complètement techniques. Je prendrai un seul exemple que je pourrais presque vous montrer à l’écran, mais qui n’a pas un intérêt énorme non plus. Ça c’est un outil pour lire l’écran vocalement, pour qu’un aveugle soit capable d’accéder à son écran. Et ici il y a une boîte de dialogue dans laquelle on retrouve les préférences du logiciel pour personnaliser un peu ce que la synthèse vocale envoie ou n’envoie pas. Et là on lit une option qui s’appelle « Lire la position fille » [Sifflement de Jean-Philippe]. C’est très cohérent en anglais : <em>Speak (???) the child position</em>. Déjà <em>child</em> et « fille », ce n’est pas tout à fait le même concept, mais enfin bon ! Pourquoi pas. Mais alors de toutes façons dans tous les cas, vous montrez ça à un aveugle normal j’ai envie de dire, qui n’est pas geek, ni <em>power user</em>, ni rien. Le gars est là et vous lui dites voilà, tu peux régler la position fille. Et en plus, quand vous allez comprendre à quoi ça correspond, ça va vous faire bizarre. C’est-à-dire qu’en fait, ça correspond à la capacité qu’a la synthèse vocale, quand on a un bureau par exemple où il y a, je ne sais pas, quatre icônes et que vous êtes sur la deuxième, eh bien la synthèse vocale va vous dire là tu es sur la deuxième icône parmi les quatre existantes. Eh bien ça, ça s’appelle « Lire la position fille ! » Si ça ce n’est pas purement technique, à un moment donné, je ne sais pas comment on peut dire !
 
Pareil, un autre concept dans le même outil, du coup j’en profite un peu pour vous montrer un peu les rudiments du lecteur d’écran vocal, à un moment donné, quand on est en terminal - allez on va le faire en démo, puisqu’on a un écran on va en profiter - on est en terminal et là, en terminal, il se trouve que quand vous tapez « ls » par exemple, voilà, on va essayer de taper « ls », le fait qu’il n’y ait pas le son n’a aucun intérêt, de toutes façons c’est du vocal, ça ne va pas vous parler ; vous allez trouver que ça parle trop vite, tout ça.
 
Là, le fait est que pour un aveugle il y a un problème parce qu’il ne peut pas remonter l’écran avec ses flèches de direction parce que vous savez tous qu’en terminal, si vous utilisez vos flèches de direction, vous remontez le curseur et vous remontez l’historique. Donc il va utiliser un autre curseur qui va lui permettre, en fait, de parcourir l’écran, visuellement on va dire, d’une certaine façon vocalement mais visuellement, pour lui savoir les informations où ne peut pas aller le curseur du PC. Voilà et là on accède au reste de l’information.
 
Ce curseur, en anglais, on l’a appelé la <em>flat review</em>. Bon ! Pourquoi pas ? Ce n’est pas si incohérent que ça ; en anglais ça a du sens. <em>Flat review</em>, bon ! <em>Flat</em> on ne sait pas trop pourquoi, mais enfin, mais <em>review</em> parce que oui, ça permet de lire une autre partie de l’écran, etc. OK ! On l’a traduit en français par « révision globale » ou « examen global ». J’aime autant vous dire que quand vous faites de la formation et que vous présentez ça à une personne, ça la laisse dubitative.
 
Donc ça pour vous dire que ces approches-là, et c’est rigolo d’en parler, moi ça m’amuse toujours de les décrire parce que, fondamentalement, elles montrent une chose, c’est que, concrètement, ce sont des trucs qui ont été développés, écrits et pensés d’un point de vue ergo par des techniciens. Et ils ne se sont pas posé que par-delà la cohérence technique qui est réelle, quand on dit <em>child position</em> eh oui c’est cohérent, parce que dans l’arborescence oui, c’est la position fille dans l’arborescence des objets de l’accessibilité, d’un point de vue purement technique. Oui ! Maintenant, d’un point de vue usage, évidemment ça n’a plus aucune cohérence.
 
Pareil quand on regarde les interfaces. Les interfaces on peut les commenter, évidemment. On peut dire oui, bon, elles sont ce qu’elles sont, oui, OK. Après il se trouve qu’elles manquent un peu d’harmonie, mais pourquoi pas. Mais alors il y a quelques interfaces que je trouve particulièrement savoureuses. Si je vais par exemple dans l’interface de Gnome, alors c’est un Gnome Color Chooser, c’est un vieux truc, ce n’est plus tout à fait utilisé aujourd’hui. Alors c’est ultra puissant cet outil parce qu’il permet de personnaliser précisément l’ensemble des couleurs du système. C’est ce qui fait que je l’aime beaucoup, c’est que un malvoyant grâce à ça, qui serait phobique de certaines couleurs ou qui serait dans une situation comme ça, il peut programmer ses couleurs.
 
Mais alors je vous garantis que pour l’avoir essayé, c’est quand même très compliqué. Quand on regarde un peu les différents onglets et les différentes options, il y a des noms assez obscurs. Même pour un ergonome, on est là ah ouais ! Si vous preniez l’interface de Compiz CCSM, ce n’est pas triste non plus, enfin c’est un truc ! Bon d’abord ce n’est pas super accessible au clavier, mais ça c’est autre chose, mais même visuellement, l’interface n’est pas énorme quoi !
 
Et puis on le voit aussi ce techno centrage ou ce techno centrement, on appelle ça comme on veut, quand on regarde les évolutions, en général, qu’on peut avoir dans le libre. Par exemple une certaine fondation décide que la version 2 est pourrie et qu’on passe à la version 3. Bon ! Eh bien passons à la version 3, on ne maintient pas la 2, ce n’est pas grave ! Eh bien oui, mais je sais que la version 3 ne marche pas, mais mes utilisateurs vont bien supporter les bugs pendant deux/trois ans, ce n’est pas grave ! Et c’est comme ça que Gnome se retrouve, du coup, un peu critiqué de part et d’autre parce que, précisément, il a réussi à éloigner les utilisateurs pensant deux ou trois ans. Et c’est toujours vrai aujourd’hui. Aujourd’hui, on considère qu’on supprime dans le <em>toolkit</em> d’accessibilité graphique on supprime des objets parce qu’il sont obsolètes. Ouais ! Enfin ils sont surtout utilisés par d’autres bureaux, en fait ; ce serait peut-être bien de les garder. Mais bon ce n’est pas grave, on continue.
 
Donc une approche purement gestion de projet, purement technique ; jamais usage et jamais centrée sur l’utilisateur final. Et pire. Et pire ! On chercher à s’aligner sur Windows. C’est une erreur majeure ! Regardez les évolutions et les atermoiements des interfaces entre Windows 7, Windows 8 et Windows 10 ; même eux ils ne savent pas où ils vont et ils essaient d’évoluer en fonction de ce qu’on leur propose. Quand on regarde que Gnome 3 et Unity, finalement, ils essaient de se rapprocher le plus possible des qualités de Mac et de Windows, pourquoi pas ? Mais pourquoi on ne réinventerait pas quelque chose qui soit plus conforme à l’utilisateur ?
 
Donc c’est une approche totalement techno centrée. Et le libre aujourd’hui, il faut quand même le reconnaître, c’est souvent ça : l’humain a peu de place et il est fait et il vit, parce que c’est comme ça. Sociologiquement la population est principalement constituée de gens qui sont techniciens et qui ont une approche dont la logique correspond à la technique et à la logique et à la cohérence voire à l’esthétique technique d’un arbre de dépendance, d’un arbre d’objets et d’un arbre. Mais après tout pourquoi pas ? C’est juste que ce n’est pas suffisant et la preuve en est que dans le grand public, on n’arrive toujours pas à s’imposer.
 
==12’ 23==
 
Et c’est la raison pour laquelle

Dernière version du 2 août 2017 à 12:55


Publié ici - Août 2017