« Émission Libre à vous ! diffusée mardi 1er février 2022 sur radio Cause Commune » : différence entre les versions

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'''Titre :''' Émission Libre à vous ! diffusée mardi 1er février 2022 sur radio Cause Commune
'''Titre :''' Émission Libre à vous ! diffusée mardi 1er février 2022 sur radio Cause Commune


'''Intervenant·e·s :''' Jean-Christophe Becquet - Mélanie-Clément Fontaine - Alexandre Hocquet - mohican - Isabella Vanni - Frédéric Couchet - Isabella Vanni à la régie
'''Intervenant·e·s :''' Jean-Christophe Becquet - Mélanie Clément-Fontaine - Alexandre Hocquet - mohican - Isabella Vanni - Frédéric Couchet - Isabella Vanni à la régie


'''Lieu :'''  Radio Cause Commune
'''Lieu :'''  Radio Cause Commune
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<b>Frédéric Couchet : </b>Nous allons passer à notre sujet principal.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Nous allons passer au sujet suivant.


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==Science ouverte, logiciels libres, avec Mélanie-Clément Fontaine, professeure de droit privé à l’Université de Paris-Saclay et membre de groupe « logiciels libres et ouverts », du Comité pour la science ouverte, et Alexandre Hocquet, historien des sciences, professeur à l’Université de Lorraine==
==Science ouverte, logiciels libres, avec Mélanie Clément-Fontaine, professeure de droit privé à l’Université de Paris-Saclay et membre de groupe « logiciels libres et ouverts », du Comité pour la science ouverte, et Alexandre Hocquet, historien des sciences, professeur à l’Université de Lorraine==
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Nous allons poursuivre avec notre sujet principal qui va porter sur la science ouverte et les logiciels libres avec Mélanie Clément-Fontaine professeure de droit privé à l’Université de Paris-Saclay et Alexandre Hocquet, historien des sciences, professeur à l’Université de Lorraine.<br/>
Bonjour Mélanie.
 
<b>Mélanie Clément-Fontaine : </b>Bonjour.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Bonjour Alexandre.
 
<b>Alexandre Hocquet : </b>Bonjour.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Première question toute simple. Qui êtes-vous ? On va commencer par Alexandre.
 
<b>Alexandre Hocquet : </b>Je suis historien des sciences et mon sujet c’est l’utilisation de logiciels en sciences, en particulier dans le domaine de la modélisation. Mon étude de cas préféré c’est ce qu’on appelle la modélisation de molécules entre les années 1970 et aujourd’hui et c’est une histoire qui accompagne le logiciel quasiment depuis ses débuts.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord. Mélanie.
 
<b>Mélanie Clément-Fontaine : </b>Je suis enseignante-chercheuse. Chercheuse donc directement concernée par l’<em>open science</em>, la science ouverte. Mes thèmes de recherche concernent ces domaines puisque je travaille depuis des années sur les logiciels libres et, dans le prolongement, je participe au Plan national pour la science ouverte et je suis membre du groupe « logiciels libres et ouverts »
 
<b>Frédéric Couchet : </b>On a déjà eu le plaisir de t’avoir dans l’émission pour parler des licences libres dans les logiciels ; comme j’ai mal préparé cette partie je ne me souviens pas du numéro, mais je sais que sur le salon web on va me le signaler, je pourrai vous le signaler.<br/>
Le sujet principal science ouverte et logiciel libre, on ne va pas aborder toute la science ouverte on prévient tout de suite les personnes qui écoutent parce que c‘est très large, on va un petit peu se restreindre à la partie qui nous intéresse le plus. On va commencer par parler un petit peu de la science ouverte. D’ailleurs je vais préciser une chose, c’est Alexandre Hocquet qui nous a contacté il y a quelques mois pour nous proposer ce sujet que j’ai trouvé très intéressant. Et pour moi, science ouverte ça veut dire qu’il y a de la science fermée. Est-ce qu’on peut essayer de préciser un petit peu ce qu’est la science ouverte ? Est-ce qu’il y a une définition de la science ouverte ? Mélanie.
 
<b>Mélanie Clément-Fontaine : </b>Je vais retenir une définition générale et presque institutionnelle qui consiste à dire que la science ouverte c’est la diffusion, sans entrave, des publications et des données de la recherche financée sur des fonds publics. L’objectif est à la fois économique et démocratique. Il s’agit de permettre à toutes et à tous l’accès aux savoirs à des fins de formation, de recherche, d’innovation. La science ouverte doit également favoriser la transparence de la recherche et est donc un levier pour l’intégrité scientifique.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Quelque part j’aurais en vie de dire que la science doit fonctionner comme ça, alors qu’en fait ce n’est pas vraiment le cas ? Alexandre Hocquet.
 
<b>Alexandre Hocquet : </b>Pour faire une petite historicisation du concept, il y a une version institutionnelle, mais il y a aussi des initiatives qui datent de plusieurs années, voire plusieurs décennies, qui viennent de la base, de certaines situations, dans certaines communautés. Par exemple il y avait et il y a toujours un mécontentement vers l’industrie de l’édition scientifique et les profits qu’elle réalise. Il y a un mécontentement envers le processus même de publication, ce qui fait sa validité, le fait qu’il est relu par les pairs c’est considéré par certains comme un processus qui est toujours un peu opaque, donc qui demandent des changements dans le processus même de validation des publications, etc. Il y a aussi des initiatives qui appellent à plus d’inclusivité, par exemple la promotion d’une science citoyenne, ce genre de choses.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord. En termes historiques, est-ce que vous pourriez essayer de positionner quelques dates dans l’histoire de la science avant qu’on parle un peu des avantages et peut-être aussi des limites ? En tout cas est-ce que ce concept de science ouverte est récent ? Est-ce que ça a été lancé à un moment par une structure ? Qui le formalise ? Quelques dates pour positionner un petit peu ça dans l’histoire. Qui veut répondre ? Alexandre.
 
<b>Alexandre Hocquet : </b>Pour continuer sur ce que je disais. Dans la science ouverte il y a souvent une référence implicite aux principes du Libre. Du coup, historiquement, il y a quelque chose qui est lié aux années 80/90 où, d’une part, il y avait une industrie du logiciel représentée par Microsoft, pour faire vite, qui correspond à des pratiques de plus en plus fermées dans le monde du logiciel avec du <em>lock-in</em>, etc., c'est-à-dire la captation des utilisateurs qui est une technique classique de Microsoft. Il y a aussi une transformation du monde académique de cette époque-là qui est très néo-libéral, Reagan, Thatcher, encouragement de recours aux brevets, à la création de startups, particulièrement dans les sciences du vivant. Du coup, en opposition, les principes du Libre qui sont eux-mêmes liés à une vision de la science en réaction à cette évolution, le désintéressement, l’universalisme, la mise en commun, etc.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord. Mélanie.
 
<b>Mélanie Clément-Fontaine : </b>Tu évoquais le fait qu’il y a ait de la science fermée. Oui, il y a de la science fermée parce que les productions intellectuelles relèvent d’un droit de propriété intellectuelle et le propre de ce droit c’est de créer un monopole, donc de permettre à quiconque, qui dispose de ses droits, de s’opposer à l’utilisation, à la réutilisation de ces contenus scientifiques.<br/>
En contrepoids il y a eu le logiciel libre qui vient d’être évoqué, qui a donné une autre façon d’envisager le rapport à la production intellectuelle. À cela s’est mêlée aussi toute la politique de l’<em>open data</em> qui consiste à mettre à disposition les données publiques, c’est ancien, ça date des années 70 et ça n’a été que renforcé dans le temps.<br/>
Ces deux mouvements, venant du public, venant du privé, se sont réunis dans cette notion de science ouverte et des institutions internationales se sont emparées de ces questions. Par exemple l’UNESCO a fait une déclaration sur la science et l’utilisation du savoir scientifique en 1999, l’OCDE a publié, en 2006, des lignes directrices en vue de guider vers cette science ouverte, donc d’élargir finalement la mise à disposition, partant des données publiques, à plutôt des contenus scientifiques et des données scientifiques. Donc c'est un vrai élargissement d’un mouvement qui vient d’initiatives privées, logiciel libre, et d’initiatives publiques, tel qu’on le voit.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord. Tu voulais compléter Alexandre.
 
<b>Alexandre Hocquet : </b>Je voulais juste dire que la science c’est aussi une compétition. Selon les époques et les contextes, la compétition se traduit par plus ou moins de secret ou plus ou moins d’ouverture, selon des tas d’influences. En particulier il y a aussi une influence du capitalisme. Selon les contextes le business demande aussi plus de secret, par exemple dans l’industrie pharmaceutique, les molécules.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Dont on parle beaucoup en ce moment.
 
<b>Alexandre Hocquet : </b>Par ailleurs il peut demander aussi plus d’ouverture, par exemple la demande de moins de barrières à la circulation de l’information pour pouvoir créer un marché de la donnée par exemple.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord. Je précise que si vous voulez intervenir pendant l’émission n’hésitez pas à venir sur le salon web de la radio, site causecommune.fm, bouton « chat », salon #libreavous. Il y a une remarque d’une personne qui dit que si c’est fermé c’est de la Recherche et Développement, pas de la science. Par défaut, la science ne devrait-elle pas être ouverte ?
 
<b>Mélanie Clément-Fontaine : </b>Je suis d’accord. La science c’est la confrontation de différentes analyses, de différents points de vue, c’est pour ça que le chercheur n’a de cesse d’avoir accès à de plus en plus de contenus, à un fonds commun de connaissances. Il y a un paradoxe à poser des entraves à l’accès à ce savoir. Mais il se trouve qu’il y a aussi des contraintes économiques, c'est-à-dire que diffuser des contenus ça a un coût et il y a un savoir-faire. Moi par exemple, en tant que chercheuse, je suis capable de faire du contenu scientifique, mais éditer un ouvrage, que ça soit en ligne ou sur papier, je n’en ai pas les moyens, je n’en ai pas les compétences. Donc on a forcément recours à des fonds et, quand ils sont privés, en contrepartie évidemment on va nous demander une exclusivité sur notre production scientifique.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord.
 
<b>Alexandre Hocquet : </b>Il y a toujours eu une tension entre ce que la science devrait être et ce que la science est en pratique. La science c’est aussi une industrie. La question du secret et de l’ouverture se pose aussi des fois en termes industriels, dans les instruments scientifiques par exemple.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Je précise que je n’y connais vraiment pas grand-chose. Je pense que l’image que les gens ont souvent un petit peu des publications scientifiques ce sont ces fameuses grandes revues que les chercheurs et les chercheuses doivent payer pour être édités, pour être publiés, et que les autres doivent payer pour y avoir accès. Est-ce que ça correspond à une réalité, ces grandes revues, et est-ce que la science ouverte, finalement quelque part, s’oppose à cette logique ou pas du tout ? Mélanie
 
<b>Mélanie Clément-Fontaine : </b>Je dirais que c’est une alternative et c’est ça qui est intéressant. C’est comme le logiciel. Il y a toujours des diffusions dites propriétaires de logiciels, ça répond à un système économique, à un modèle économique et, à côté de ça, on peut faire autrement. C’est cela qui est intéressant, cette pluralité de diffusions. C’est vrai que là on parle de contenus et de données qui sont produites avec des fonds publics, donc il y a une certaine logique à ce que les personnes qui ont contribué financièrement par les impôts, par les taxes, à financer cette recherche publique puissent, en retour, avoir accès à ce fonds commun. Donc c’est une belle chose que d’avoir ce domaine public qui s’étend à destination de toutes et tous.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Alexandre.
 
<b>Alexandre Hocquet : </b>Je dirais aussi que les textes scientifiques, comme les pratiques scientifiques en général, ne sont pas les mêmes d’une communauté à l’autre, la façon de publier n’est pas la même. Les différentes sociétés savantes n’ont pas la même approche de la question, par exemple est-ce que les textes doivent être en libre accès ou pas ? Certains domaines de la science, particulièrement en sciences humaines, comptent beaucoup sur le livre donc ils dépendent beaucoup de la négociation avec des maisons d’édition.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Pour que leurs livres soient édités.
 
<b>Alexandre Hocquet : </b>Et aussi qu’ils aient la plus grande publicité possible. Il y a des prestiges différents dans les différentes maisons d’édition. Il y a d’autres domaines, par exemple la physique des particules, où là les gens mettent complètement tout en commun, une façon de publier qui s’oppose radicalement aux grandes maisons d’édition et ils proposent eux-mêmes leurs propres dépôts de publication comme Archive.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Le site archive.org.
 
<b>Alexandre Hocquet : </b>Oui.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Je vais relayer la question que je vois sur le salon web, mais ta remarque me fait venir une question par rapport à cette importance des publications. Pour les chercheurs et les chercheuses, quel rôle joue, je le mets entre guillemets, par rapport à « votre carrière » le fait d’être publié dans des revues ou des livres ? Est-ce que ça a impact ? Tout simplement quel impact cela a-t-il ? Mélanie.
 
<b>Mélanie Clément-Fontaine : </b>C’est un sujet qui est vraiment discuté par exemple dans le programme de la science ouverte, le plan national, parce que nous sommes évalués par nos publications. C’est une question sensible. Aujourd’hui, l’idée c’est justement de valoriser les publications libres et, pour cela, il y a eu création d’une plateforme nationale, il existe HAL.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>HAL, tu te souviens de ce que ça veut dire ?
 
<b>Mélanie Clément-Fontaine : </b>Je ne me souviens plus !
 
<b>Alexandre Hocquet : </b>Hyper Articles en Ligne.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Peut-être, un truc comme ça !
 
<b>Mélanie Clément-Fontaine : </b>À force d’utiliser des acronymes, on en perd le sens !<br/>
Donc c’est effectivement un véritable enjeu effectivement pour les scientifiques. Un autre enjeu c’est l’usage de la langue, parce que diffuser c’est une chose, être compris par le reste du monde, c’en est une autre. Là aussi il y a un véritable effort à mener, un accompagnement à faire. Il ne suffit pas de déclarer que ça va être ouvert, que ça va être accessible à tous pour que ça fonctionne. C’est un engagement, c’est un accompagnement, ce sont des moyens qui doivent être mis en œuvre.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Par rapport à ça et je te laisse réagir Alexandre, ma compréhension de la publication par des revues scientifiques c’est qu’il y a une obligation, en tout cas un engagement, de valider le contenu par la relecture par les pairs, si j’ai bien compris, vous me corrigerez. Ma question est : dans le cadre de la science ouverte, est-ce que ça fonctionne de la même façon ? Ou simplement n’importe quel scientifique peut publier comme on vient de le dire ? Est-de qu’il y a une sorte de validation par les pairs. Alexandre.
 
<b>Alexandre Hocquet : </b>Il y a une remise de ce principe. Par exemple, dans Archive, c’est ce qu’on appelle un <em>preprint</em>, quelque chose qui, durant la pandémie, s’est répandu dans le monde alors qu’avant c’était un objet assez obscur. C'est quelque chose qu’on met en ligne pour pouvoir être lu avant même qu’il soit validé par les pairs. Il y a à la fois une question de rapidité, parce qu’être le premier c’est quelque chose qui compte énormément en sciences, mais il y a aussi une question de diffusion, de médiatisation. Par ailleurs, il y a aussi une forme radicale de relecture qui consiste à dire je mets mon texte ouvert à la communauté et, ça peut exister, qu’il soit commentable, donc n’importe qui peut, à ce moment-là, commenter, comme dans Wikipédia.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>On laissera Mélanie réagir.
 
<b>Alexandre Hocquet : </b>Ce qui est une version radicale d’être ouvert, mais qui peut être en tension avec ce que c’est qu’être accepté par ses pairs et qui sont exactement les pairs
 
<b>Frédéric Couchet : </b> Mélanie Clément-Fontaine tu as réagi sur l’analogie avec Wikipédia.
 
<b>Mélanie Clément-Fontaine : </b>Oui. Je crois qu’il n’y a pas un modèle. C’est-à-dire qu'on n’est pas dans ce modèle Wikipédia où il y a quand même des règles éditoriales qui sont assez fortes. On ne peut pas tracer un seul modèle de diffusion d’ouvrages en science ouverte. Je crois qu’il va falloir s’adapter aux différents cas. Il est bon que certains papiers soient relus, qu’il y ait des pairs qui attestent de la valeur scientifique. Il est bon que d’autres soient diffusés vite. À chaque cas son modèle. L’évaluation est une question. La traçabilité, la source sont aussi importantes. Aujourd’hui on parle beaucoup de désinformation. Il s’agit aussi avec la science ouverte de renforcer la qualité des contenus que l’on trouve en ligne. Il y a une vraie bataille culturelle, de diversité culturelle et de qualité qui est derrière ce mouvement de science ouverte. Tout cela va sans doute être accompagné aussi de conditions d’accès, de diffusion, et ça pourrait prendre la forme de licences comme on les connaît dans les logiciels libres.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord. Je relaie une petite question sur le salon web avant de poursuivre. Par rapport aux langues dont tu parlais tout à l’heure Mélanie, Marie-Odile demande si les publications sont toujours en anglais.
 
<b>Mélanie Clément-Fontaine : </b>Non, bien sûr que non. La francophonie est encore défendue aujourd’hui et d’autres langues. Quand je parle de diversité, c’est très important. Il s’agit effectivement de rencontrer l’autre, donc de se faire comprendre, et les traductions sont importantes. Le langage initial, la langue initiale a son importance surtout dans certains domaines, en sciences humaines où les mots n’ont pas de traduction immédiate dans d’autres langues.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Alexandre.
 
<b>Alexandre Hocquet : </b>Oui, en sciences humaines. La situation est très différente dans d’autres communautés. Il y a des communautés où ça n’est même pas envisageable de publier en autre chose qu’en anglais, ça ne servirait à rien d’un point de vue de la logique de combien compte une publication.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>J’ai une question. On a parlé de la science ouverte donc de l’accès aux publications. Les recherches scientifiques s’appuient aussi sur des données, sur des méthodes. Est-ce que la science ouverte ça veut dire que toutes les données sont toujours également accessibles de manière à pouvoir vérifier ce qu’affirme la personne qui a publié, voire reproduire. Est-ce qu’il n’y a pas des limites – on parle de sciences humaines – par exemple au niveau de la vie privée peut-être, je ne sais pas, sur des échanges personnels. En fait, dans la science ouverte, qu’est-ce qui est ouvert ? La publication ? Les données ? On parlera après des logiciels. Est-ce que ce sont aussi les méthodes de la recherche ? Qui veut répondre ? Alexandre.
 
<b>Alexandre Hocquet : </b>Dans la définition que Mélanie a donné tout à l’heure, il y avait accès et données, si je souviens bien, qui sont les deux grands piliers. Je parle de piliers parce que je sais que quand Roberto Di Cosmo parle du logiciel il parle du troisième pilier, j’imagine qu’on va y revenir. Effectivement accès ce sont les textes et données ce sont les données et l’idée que pour pouvoir avoir confiance dans une expérience qui a eu lieu, qui a été publiée, le texte d’une publication ne suffit pas par exemple pour essayer de refaire la même chose. L’idée des données – ce qui est contestable d’un point de la vue la philosophie des sciences – l’idée des données ouvertes et fournies c’est qu’on peut les réutiliser, d’où l’utilisation des licences Creative Commons, la question c’est la réutilisation.<br/>
Le problème cette fois du point de vue de l’historien, du philosophe des sciences, c’est que les données d’une expérience sont situées elles-mêmes, c'est-à-dire qu’elles dépendent largement de comment l’expérience a été faite, de quelles valeurs, de quelles théories la personne a mis dedans et les données qu’elle récupère. En fait, elles supportent mal le voyage une fois qu’on les transpose dans un autre contexte pour essayer, par exemple, de refaire la même expérience. Cest-à-dire que ce n’est pas du tout naturel qu’une donnée puisse être reprise dans que ça transforme quelque chose à sa valeur scientifique, à sa valeur épistémique.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord. Mélanie.
 
<b>Mélanie Clément-Fontaine : </b>Tout dépend de ce qu’on fera de la science ouverte. Si on veut que ça soit aussi un moyen de transparence de la recherche, notamment avec des thèmes comme la bioéthique ou l’intelligence artificielle qui ont avoir une incidence très importante dans nos sociétés, il faut effectivement une transparence des sources, mais, en principe, la recherche c’est ça, c’est aussi donner ses sources. Tout dépendra de la politique qu’on défendra de la science ouverte.<br/>
Ensuite ça peut constituer des freins si on veut, mais ce sont surtout des garde-fous, il y a des questions telles que la protection des données personnelles, des données sensibles, la confidentialité, la sécurité. Il y a des intérêts commerciaux légitimes qui pourraient réduire, en tout cas freiner certaines mises à disposition. Cet équilibre est à trouver et on part d’un principe aussi ouvert que possible et aussi fermé que nécessaire. Voilà l’équilibre qu’on va chercher.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord. Quels sont, en fait, les avantages de la science ouverte et son intérêt, à la fois pour les scientifiques mais aussi pour le public ? Première question, vous en tant que scientifiques quels avantages voyez-vous à la science ouverte ? Je vous proposerai après la question sur les freins et/ou les éventuelles limites. Déjà pour vous en tant que scientifiques.
 
<b>Mélanie Clément-Fontaine : </b>Je l’ai dit plus tôt, c’est le dynamisme intellectuel, c’est évidemment accéder à des connaissances pour continuer sa recherche, c’est l’innovation – certains parlent d’innovation, je n’aime pas tellement ce terme, mais il existe. C’est aussi un enjeu démocratique, c'est-à-dire l’accès par tout un chacun aux savoirs, la transparence, l’éthique. Donc ce sont là tous les enjeux qui font qu’on s’engage dans ce mouvement de la science ouverte.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord. Alexandre Hocquet.
 
<b>Alexandre Hocquet : </b>C’est à peu près la même chose, mais pour compléter il y a aussi l’espoir de ne plus dépendre d’une énorme industrie qui est très peu populaire dans le monde de la science mais qui est intrinsèquement liée au monde de la science, qui est celle de l’édition scientifique à laquelle les scientifiques reprochent beaucoup de choses, mais, pour des raisons historiques ils y sont quand même complètement liés.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Je poursuis ma question. Après les avantages et intérêts, est-ce qu’il y a des limites ou des freins pour la science ouverte ? Freins qui peuvent être institutionnels ou autres, je ne sais pas, ou limites ? Est-ce que vous en voyez ? Il n’y a peut-être pas, la question est ouverte.
 
<b>Alexandre Hocquet : </b>Moi j’en vois plein.
 
<b>Mélanie Clément-Fontaine : </b>J’en ai évoqué quelques-uns avec justement des données que l’on ne va pas divulguer pour des raisons diverses.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Est-ce qu’il y a des freins institutionnels ou autres ? Alexandre Hocquet tu disais que tu en vois plein. Donnes-en un ou deux principaux.
 
<b>Alexandre Hocquet : </b>Je pense qu’il y en plein. Si je devais en citer un, je pense qu’il y a un frein industriel dans plein de domaines, pas tous, pas les mathématiques par exemple. Le gars qui dépend d’une industrie scientifique, celle des instruments, par exemple un spectroscope de résonance magnétique nucléaire qui est un instrument typique très courant mais qui est aussi un énorme investissement, ça coûte des centaines de milliers voire des millions d’euros, et c’est quelque chose qui repose sur des compagnies qui vendent ces instruments. La confiance dans l’instrument n’est absolument pas basée sur le fait que l’instrument est transparent, il ne l’est pas du tout, il y a mêmes des secrets industriels, etc. Par contre, par exemple, il y a beaucoup moins de contestations quant à la validité des résultats que donne un de ces spectroscopes. Il y a eu une un énorme processus d’acculturation des scientifiques qui l’utilisent à un appareil qui a gagné sa légitimité par un processus de négociation entre industriels et scientifiques et, en l’occurrence, là la confiance n’est pas du tout sur le fait qu’il est transparent, il ne l’est pas !
 
<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord. Mélanie, tu voulais compléter ?
 
<b>Mélanie Clément-Fontaine : </b>Ça rejoint la question du financement. La science ouverte vise les publications et les données de la recherche financée par des fonds publics. À partir du moment où on dépend de fonds privés, on n’est plus dans la cadre de la science ouverte. Ça va être la fracture et il y a beaucoup de projets qui ont un double financement. Là il va y avoir nécessairement des tensions entre deux mouvements, celui de la réservation, du secret, de la propriété, et celui de l’ouverture, de la diffusion.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord. Est-ce qu’on a des chiffres, en tout cas des tendances sur l’évolution des publications en science ouverte, que ce soit dans le monde ou en France, sur ces dernières années ?
 
<b>Mélanie Clément-Fontaine : </b>Vous en trouverez sur le site j’ai vu qu’il y a des liens qui avaient été mis.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>On ne va pas vous les répéter. Vous aurez la liste de tous les liens qu’on citera sur libreavous.org.
 
<b>Mélanie Clément-Fontaine : </b>Le Plan national de la science ouverte montre qu’il y a une évolution, il y a véritablement beaucoup plus de publications en sciences ouvertes.
 
<b>Alexandre Hocquet : </b>Même exponentielle.
 
<b>Mélanie Clément-Fontaine : </b>L’objectif c’est d’atteindre 100 % d’ici 2030. C’est le projet.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>L’objectif en France ou dans le monde ?
 
<b>Mélanie Clément-Fontaine : </b>En France. On parle du Plan national de la science ouverte.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Donc 100 % sur les recherches financées sur fonds publics ? D’accord. Tu voulais compléter Alexandre.
 
<b>Alexandre Hocquet : </b>Non, c’est ça.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Je vois qu’il y a beaucoup de questions sur le salon web, en fait sur la partie logiciels. On va bientôt faire une pause musicale et on abordera la partie logiciels juste après.<br/>
Sur cette partie introductive à la science ouverte est-ce que vous souhaitez rajouter quelque chose avant qu’on fasse la pause musicale ? On peut y revenir dans le cours de l’émission, mais le temps avance. Est-ce que vous pensez qu’il y a quelque chose dont on n’a pas encore parlé ? On reviendra évidemment sur le plan dont on a parlé dans la deuxième partie de l’émission. Sur cette introduction ?
 
<b>Alexandre Hocquet : </b>Moi je suis pressé de passer à la partie logiciels.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Je sais bien. Il est à fond il est dans les starting-blocks !Mélanie.
 
<b>Mélanie Clément-Fontaine : </b>On voit bien qu’il y a eu une conjonction de circonstances qui a été favorable à l’émergence de la science ouverte et le lien qu’il y a avec les logiciels libres qu’on développera sans doute dans la deuxième partie.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Nous allons effectivement aborder ça dans la deuxième partie.<br/>
En attendant nous allons faire une courte musicale. Si je me souviens bien on va aller du côté du Brésil. Nous allons écouter <em>Bem Vindo</em> par Madame Rrose Sélavy. On se retrouve dans 2 minutes 30. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
 
<b>Pause musicale : </b><em>Bem Vindo</em> par Madame Rrose Sélavy.
 
<b>Voix off : </b>Cause Commune, 93.1.
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Nous venons d’écouter <em>Bem Vindo</em> par Madame Rrose Sélavy, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution, CC By 3.0.
 
[Jingle]
 
==Deuxième partie==


<b>Frédéric Couchet : </b>Nous allons poursuivre
<b>Frédéric Couchet : </b>Nous allons poursuivre

Version du 3 février 2022 à 11:31

Titre : Émission Libre à vous ! diffusée mardi 1er février 2022 sur radio Cause Commune

Intervenant·e·s : Jean-Christophe Becquet - Mélanie Clément-Fontaine - Alexandre Hocquet - mohican - Isabella Vanni - Frédéric Couchet - Isabella Vanni à la régie

Lieu : Radio Cause Commune

Date : 1er février 2022

Durée : 1 h 30 min

Podcast PROVISOIRE de l'émission

Références concernant l'émission

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : Déjà prévue

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous.
La science ouverte et les logiciels libres, c’est le sujet principal de l’émission du jour, avec également au programme la chronique de Jean-Christophe Becquet sur « Documenter les caméras de surveillance grâce à OpenStreetMap » et aussi une interview par Isabella Vanni de mohican qui nous parlera d’ateliers d’émancipation numérique. Nous allons parler de tout cela dans l’émission du jour.

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April, et c’est avec un grand plaisir que je vous retrouve en direct ; vous m’avez manqué !

Le site web de l’émission est libreavous.org. Vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour avec tous les liens et toutes les références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours ou nous poser toute question.

Nous sommes mardi 1er février 2022, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.
Elle ne devait pas être présente aujourd’hui, elle remplace au pied levé notre collègue Étienne qui a un contretemps. Elle est affûtée, concentrée, elle va réaliser l’émission du jour, c’est ma collègue Isabella. Bonjour Isabella.

Isabella Vanni : Bonjour Fred.

Frédéric Couchet : Nous vous souhaitons une excellente écoute.

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Chronique « Pépites libres » de Jean-Christophe Becquet, vice-président de l’April sur Surveillance sous Surveillance – documenter les caméras avec OpenStreetMap

Frédéric Couchet : Texte, image, vidéo ou base de données, sélectionnée pour son intérêt artistique, pédagogique, insolite, utile, Jean-Christophe Becquet nous présente une ressource sous une licence libre. Les auteurs et autrices de ces pépites ont choisi de mettre l’accent sur les libertés à accorder à leur public, parfois avec la complicité du chroniqueur. C’est la chronique « Pépites libres » de Jean-Christophe Becquet, vice-président de l’April. Bonjour Jean-Christophe.

Jean-Christophe Becquet : Bonjour Fred. Bonjour à tous. Bonjour à toutes.

Frédéric Couchet : Le thème du jour c’est la « Surveillance sous Surveillance » autrement dit documenter les caméras avec OpenStreetMap.

Jean-Christophe Becquet : En effet, je présente aujourd’hui le projet Surveillance under Surveillance.
Surveillance under Surveillance propose de documenter les caméras partout dans le monde avec OpenStreetMap. Il s'agit d'un projet collaboratif intégralement basé sur des logiciels libres et des données ouvertes.

En France, la loi impose une obligation d'autorisation préalable pour l'installation de caméras de surveillance sur la voie publique et dans les lieux ouverts au public. Les zones surveillées doivent également être signalées par des pancartes comportant un pictogramme représentant une caméra et les informations relatives aux droits « Informatique et libertés ». Cependant, il n'existe pas, à ma connaissance, de fichier open data permettant de suivre le déploiement de la vidéosurveillance au niveau national. On sait pourtant que la surveillance a un impact significatif sur les libertés individuelles. Ainsi, même s'ils n'en ont pas forcément conscience, les individus modifient leur comportement lorsqu'ils se savent surveillés. Il n'est donc pas nécessaire d'être mal intentionné pour se sentir concerné.

Surveillance under Surveillance s'inscrit donc parmi les innombrables initiatives citoyennes qui viennent combler un manque de transparence de l'administration. Il permet à chacun de suivre très simplement l'emprise de ces technologies.
Donner à voir les dispositifs de vidéosurveillance sur une carte s'avère ainsi très éclairant. On peut zoomer sur son quartier ou explorer ses itinéraires de déplacement ou de promenade. Différentes icônes et couleurs permettent de symboliser les types de caméra – fixe, panoramique, dôme, lecture automatique des plaques d’immatriculation – et les zones surveillées – intérieur/extérieur, public/privé…
Le site fournit également des statistiques sur le nombre de caméras référencées par pays, par type ou par zone et leur évolution au cours du temps. La France se classe en deuxième position après l'Allemagne avec 15 % des caméras mondiales. L'année 2021 fait apparaître un pic avec plus de 40 000 ajouts sur un total de 140 000 environ. On peut penser que cette évolution correspond à la somme de deux facteurs concomitants : l'augmentation très rapide du nombre de caméras installées et la présence d'une proportion de plus en plus importante de ce type d'objets dans la base OpenStreetMap.

Pour ajouter une nouvelle caméra dans Surveillance under Surveillance, il suffit de la référencer sur OpenStreetMap. La documentation disponible sur le site détaille les attributs à utiliser pour décrire la caméra, son champ de vision, l'opérateur responsable de son exploitation, etc. La base de données est mise à jour toutes les heures. Quelques minutes de patience et votre contribution sera donc visible sur la carte Surveillance under Surveillance.

Ce projet illustre l'intérêt d'une base de données libre, enrichie et mise à jour à chaque instant par des millions de contributeurs dans le monde entier. Grâce à sa licence libre, OpenStreetMap permet de construire tous types de projets géographiques. La réutilisation des données, dès lors qu'elle respecte l'obligation de créditer les contributeurs et la clause copyleft de la licence OdbL, augmente l’audience d'OpenStreetMap. En fournissant une documentation accessible et un retour visuel immédiat, le projet Surveillance under Surveillance encourage également les personnes à franchir le pas de la contribution. C'est un cercle vertueux rendu possible par les libertés accordées à tous et à toutes.

Frédéric Couchet : Merci Jean-Christophe. J’avoue que je ne connaissais pas du tout cet objet caméra de vidéosurveillance sur OpenStreetMap. Je vais préciser que la licence OdbL, dont tu viens de parler, c’est l'Open Database License, la licence libre pour les bases de données. Je vais également préciser qu’on a déjà parlé deux fois au moins, en détail, d’OpenStreetMap dans l’émission. Je renvoie les personnes qui nous écoutent aux émissions 29 et 37. Pour retrouver les émissions c’est facile, c’est libereavous.org#29 ou libreavous.org#37. Vous retrouverez à la fois les podcasts et les transcriptions. On peut préciser qu’on peut contribuer sur OpenStreetMap à partir d’un ordinateur mais aussi d’un téléphone mobile, c’est d’ailleurs souvent le plus simple.

Jean-Christophe Becquet : Absolument. OpenStreetMap est aujourd’hui devenu un projet très accessible et très ouvert. Il ne faut pas hésiter à faire ses premiers pas de contributeur ou de contributrice. La communauté francophone est très bienveillante et vous prendra par la main si vous avez besoin d’aide.

Frédéric Couchet : D’ailleurs je crois que la communauté a fêté ses dix ans il n’y a pas longtemps.

Jean-Christophe Becquet : Absolument. L’association OpenStreetMap a fêté ses dix ans l’année dernière.

Frédéric Couchet : C’est un bon souvenir. En plus je crois que c’était la dernière fois qu’on s’est vus de façon physique.

Jean-Christophe Becquet : Absolument. Sur Paris.

Frédéric Couchet : C’était la chronique « Pépites libres » de Jean-Christophe Becquet, vice-président de l’April.
On se retrouve pour la prochaine en mars, nous sommes déjà en février. Bonne journée Jean-Christophe. À bientôt.

Jean-Christophe Becquet : En mars. Merci. Bonne émission. À bientôt.

Frédéric Couchet : On va faire une pause musicale.

[Virgule musicale]

Frédéric Couchet : Après la pause musicale, nous aborderons notre sujet principal qui portera sur la science ouverte et les logiciels libres. Les deux invités sont déjà installés, prêt et prête, à intervenir.
Nous allons écouter en attendant K For Kool par Kuromaru.. On se retrouve dans 2 minutes 50. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : K For Kool par Kuromaru.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter K For Kool par Kuromaru, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution 3.0.

[Jingle]


Frédéric Couchet : Nous allons passer au sujet suivant.

[Virgule musicale]

Science ouverte, logiciels libres, avec Mélanie Clément-Fontaine, professeure de droit privé à l’Université de Paris-Saclay et membre de groupe « logiciels libres et ouverts », du Comité pour la science ouverte, et Alexandre Hocquet, historien des sciences, professeur à l’Université de Lorraine

Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre avec notre sujet principal qui va porter sur la science ouverte et les logiciels libres avec Mélanie Clément-Fontaine professeure de droit privé à l’Université de Paris-Saclay et Alexandre Hocquet, historien des sciences, professeur à l’Université de Lorraine.
Bonjour Mélanie.

Mélanie Clément-Fontaine : Bonjour.

Frédéric Couchet : Bonjour Alexandre.

Alexandre Hocquet : Bonjour.

Frédéric Couchet : Première question toute simple. Qui êtes-vous ? On va commencer par Alexandre.

Alexandre Hocquet : Je suis historien des sciences et mon sujet c’est l’utilisation de logiciels en sciences, en particulier dans le domaine de la modélisation. Mon étude de cas préféré c’est ce qu’on appelle la modélisation de molécules entre les années 1970 et aujourd’hui et c’est une histoire qui accompagne le logiciel quasiment depuis ses débuts.

Frédéric Couchet : D’accord. Mélanie.

Mélanie Clément-Fontaine : Je suis enseignante-chercheuse. Chercheuse donc directement concernée par l’open science, la science ouverte. Mes thèmes de recherche concernent ces domaines puisque je travaille depuis des années sur les logiciels libres et, dans le prolongement, je participe au Plan national pour la science ouverte et je suis membre du groupe « logiciels libres et ouverts »

Frédéric Couchet : On a déjà eu le plaisir de t’avoir dans l’émission pour parler des licences libres dans les logiciels ; comme j’ai mal préparé cette partie je ne me souviens pas du numéro, mais je sais que sur le salon web on va me le signaler, je pourrai vous le signaler.
Le sujet principal science ouverte et logiciel libre, on ne va pas aborder toute la science ouverte on prévient tout de suite les personnes qui écoutent parce que c‘est très large, on va un petit peu se restreindre à la partie qui nous intéresse le plus. On va commencer par parler un petit peu de la science ouverte. D’ailleurs je vais préciser une chose, c’est Alexandre Hocquet qui nous a contacté il y a quelques mois pour nous proposer ce sujet que j’ai trouvé très intéressant. Et pour moi, science ouverte ça veut dire qu’il y a de la science fermée. Est-ce qu’on peut essayer de préciser un petit peu ce qu’est la science ouverte ? Est-ce qu’il y a une définition de la science ouverte ? Mélanie.

Mélanie Clément-Fontaine : Je vais retenir une définition générale et presque institutionnelle qui consiste à dire que la science ouverte c’est la diffusion, sans entrave, des publications et des données de la recherche financée sur des fonds publics. L’objectif est à la fois économique et démocratique. Il s’agit de permettre à toutes et à tous l’accès aux savoirs à des fins de formation, de recherche, d’innovation. La science ouverte doit également favoriser la transparence de la recherche et est donc un levier pour l’intégrité scientifique.

Frédéric Couchet : Quelque part j’aurais en vie de dire que la science doit fonctionner comme ça, alors qu’en fait ce n’est pas vraiment le cas ? Alexandre Hocquet.

Alexandre Hocquet : Pour faire une petite historicisation du concept, il y a une version institutionnelle, mais il y a aussi des initiatives qui datent de plusieurs années, voire plusieurs décennies, qui viennent de la base, de certaines situations, dans certaines communautés. Par exemple il y avait et il y a toujours un mécontentement vers l’industrie de l’édition scientifique et les profits qu’elle réalise. Il y a un mécontentement envers le processus même de publication, ce qui fait sa validité, le fait qu’il est relu par les pairs c’est considéré par certains comme un processus qui est toujours un peu opaque, donc qui demandent des changements dans le processus même de validation des publications, etc. Il y a aussi des initiatives qui appellent à plus d’inclusivité, par exemple la promotion d’une science citoyenne, ce genre de choses.

Frédéric Couchet : D’accord. En termes historiques, est-ce que vous pourriez essayer de positionner quelques dates dans l’histoire de la science avant qu’on parle un peu des avantages et peut-être aussi des limites ? En tout cas est-ce que ce concept de science ouverte est récent ? Est-ce que ça a été lancé à un moment par une structure ? Qui le formalise ? Quelques dates pour positionner un petit peu ça dans l’histoire. Qui veut répondre ? Alexandre.

Alexandre Hocquet : Pour continuer sur ce que je disais. Dans la science ouverte il y a souvent une référence implicite aux principes du Libre. Du coup, historiquement, il y a quelque chose qui est lié aux années 80/90 où, d’une part, il y avait une industrie du logiciel représentée par Microsoft, pour faire vite, qui correspond à des pratiques de plus en plus fermées dans le monde du logiciel avec du lock-in, etc., c'est-à-dire la captation des utilisateurs qui est une technique classique de Microsoft. Il y a aussi une transformation du monde académique de cette époque-là qui est très néo-libéral, Reagan, Thatcher, encouragement de recours aux brevets, à la création de startups, particulièrement dans les sciences du vivant. Du coup, en opposition, les principes du Libre qui sont eux-mêmes liés à une vision de la science en réaction à cette évolution, le désintéressement, l’universalisme, la mise en commun, etc.

Frédéric Couchet : D’accord. Mélanie.

Mélanie Clément-Fontaine : Tu évoquais le fait qu’il y a ait de la science fermée. Oui, il y a de la science fermée parce que les productions intellectuelles relèvent d’un droit de propriété intellectuelle et le propre de ce droit c’est de créer un monopole, donc de permettre à quiconque, qui dispose de ses droits, de s’opposer à l’utilisation, à la réutilisation de ces contenus scientifiques.
En contrepoids il y a eu le logiciel libre qui vient d’être évoqué, qui a donné une autre façon d’envisager le rapport à la production intellectuelle. À cela s’est mêlée aussi toute la politique de l’open data qui consiste à mettre à disposition les données publiques, c’est ancien, ça date des années 70 et ça n’a été que renforcé dans le temps.
Ces deux mouvements, venant du public, venant du privé, se sont réunis dans cette notion de science ouverte et des institutions internationales se sont emparées de ces questions. Par exemple l’UNESCO a fait une déclaration sur la science et l’utilisation du savoir scientifique en 1999, l’OCDE a publié, en 2006, des lignes directrices en vue de guider vers cette science ouverte, donc d’élargir finalement la mise à disposition, partant des données publiques, à plutôt des contenus scientifiques et des données scientifiques. Donc c'est un vrai élargissement d’un mouvement qui vient d’initiatives privées, logiciel libre, et d’initiatives publiques, tel qu’on le voit.

Frédéric Couchet : D’accord. Tu voulais compléter Alexandre.

Alexandre Hocquet : Je voulais juste dire que la science c’est aussi une compétition. Selon les époques et les contextes, la compétition se traduit par plus ou moins de secret ou plus ou moins d’ouverture, selon des tas d’influences. En particulier il y a aussi une influence du capitalisme. Selon les contextes le business demande aussi plus de secret, par exemple dans l’industrie pharmaceutique, les molécules.

Frédéric Couchet : Dont on parle beaucoup en ce moment.

Alexandre Hocquet : Par ailleurs il peut demander aussi plus d’ouverture, par exemple la demande de moins de barrières à la circulation de l’information pour pouvoir créer un marché de la donnée par exemple.

Frédéric Couchet : D’accord. Je précise que si vous voulez intervenir pendant l’émission n’hésitez pas à venir sur le salon web de la radio, site causecommune.fm, bouton « chat », salon #libreavous. Il y a une remarque d’une personne qui dit que si c’est fermé c’est de la Recherche et Développement, pas de la science. Par défaut, la science ne devrait-elle pas être ouverte ?

Mélanie Clément-Fontaine : Je suis d’accord. La science c’est la confrontation de différentes analyses, de différents points de vue, c’est pour ça que le chercheur n’a de cesse d’avoir accès à de plus en plus de contenus, à un fonds commun de connaissances. Il y a un paradoxe à poser des entraves à l’accès à ce savoir. Mais il se trouve qu’il y a aussi des contraintes économiques, c'est-à-dire que diffuser des contenus ça a un coût et il y a un savoir-faire. Moi par exemple, en tant que chercheuse, je suis capable de faire du contenu scientifique, mais éditer un ouvrage, que ça soit en ligne ou sur papier, je n’en ai pas les moyens, je n’en ai pas les compétences. Donc on a forcément recours à des fonds et, quand ils sont privés, en contrepartie évidemment on va nous demander une exclusivité sur notre production scientifique.

Frédéric Couchet : D’accord.

Alexandre Hocquet : Il y a toujours eu une tension entre ce que la science devrait être et ce que la science est en pratique. La science c’est aussi une industrie. La question du secret et de l’ouverture se pose aussi des fois en termes industriels, dans les instruments scientifiques par exemple.

Frédéric Couchet : Je précise que je n’y connais vraiment pas grand-chose. Je pense que l’image que les gens ont souvent un petit peu des publications scientifiques ce sont ces fameuses grandes revues que les chercheurs et les chercheuses doivent payer pour être édités, pour être publiés, et que les autres doivent payer pour y avoir accès. Est-ce que ça correspond à une réalité, ces grandes revues, et est-ce que la science ouverte, finalement quelque part, s’oppose à cette logique ou pas du tout ? Mélanie

Mélanie Clément-Fontaine : Je dirais que c’est une alternative et c’est ça qui est intéressant. C’est comme le logiciel. Il y a toujours des diffusions dites propriétaires de logiciels, ça répond à un système économique, à un modèle économique et, à côté de ça, on peut faire autrement. C’est cela qui est intéressant, cette pluralité de diffusions. C’est vrai que là on parle de contenus et de données qui sont produites avec des fonds publics, donc il y a une certaine logique à ce que les personnes qui ont contribué financièrement par les impôts, par les taxes, à financer cette recherche publique puissent, en retour, avoir accès à ce fonds commun. Donc c’est une belle chose que d’avoir ce domaine public qui s’étend à destination de toutes et tous.

Frédéric Couchet : Alexandre.

Alexandre Hocquet : Je dirais aussi que les textes scientifiques, comme les pratiques scientifiques en général, ne sont pas les mêmes d’une communauté à l’autre, la façon de publier n’est pas la même. Les différentes sociétés savantes n’ont pas la même approche de la question, par exemple est-ce que les textes doivent être en libre accès ou pas ? Certains domaines de la science, particulièrement en sciences humaines, comptent beaucoup sur le livre donc ils dépendent beaucoup de la négociation avec des maisons d’édition.

Frédéric Couchet : Pour que leurs livres soient édités.

Alexandre Hocquet : Et aussi qu’ils aient la plus grande publicité possible. Il y a des prestiges différents dans les différentes maisons d’édition. Il y a d’autres domaines, par exemple la physique des particules, où là les gens mettent complètement tout en commun, une façon de publier qui s’oppose radicalement aux grandes maisons d’édition et ils proposent eux-mêmes leurs propres dépôts de publication comme Archive.

Frédéric Couchet : Le site archive.org.

Alexandre Hocquet : Oui.

Frédéric Couchet : Je vais relayer la question que je vois sur le salon web, mais ta remarque me fait venir une question par rapport à cette importance des publications. Pour les chercheurs et les chercheuses, quel rôle joue, je le mets entre guillemets, par rapport à « votre carrière » le fait d’être publié dans des revues ou des livres ? Est-ce que ça a impact ? Tout simplement quel impact cela a-t-il ? Mélanie.

Mélanie Clément-Fontaine : C’est un sujet qui est vraiment discuté par exemple dans le programme de la science ouverte, le plan national, parce que nous sommes évalués par nos publications. C’est une question sensible. Aujourd’hui, l’idée c’est justement de valoriser les publications libres et, pour cela, il y a eu création d’une plateforme nationale, il existe HAL.

Frédéric Couchet : HAL, tu te souviens de ce que ça veut dire ?

Mélanie Clément-Fontaine : Je ne me souviens plus !

Alexandre Hocquet : Hyper Articles en Ligne.

Frédéric Couchet : Peut-être, un truc comme ça !

Mélanie Clément-Fontaine : À force d’utiliser des acronymes, on en perd le sens !
Donc c’est effectivement un véritable enjeu effectivement pour les scientifiques. Un autre enjeu c’est l’usage de la langue, parce que diffuser c’est une chose, être compris par le reste du monde, c’en est une autre. Là aussi il y a un véritable effort à mener, un accompagnement à faire. Il ne suffit pas de déclarer que ça va être ouvert, que ça va être accessible à tous pour que ça fonctionne. C’est un engagement, c’est un accompagnement, ce sont des moyens qui doivent être mis en œuvre.

Frédéric Couchet : Par rapport à ça et je te laisse réagir Alexandre, ma compréhension de la publication par des revues scientifiques c’est qu’il y a une obligation, en tout cas un engagement, de valider le contenu par la relecture par les pairs, si j’ai bien compris, vous me corrigerez. Ma question est : dans le cadre de la science ouverte, est-ce que ça fonctionne de la même façon ? Ou simplement n’importe quel scientifique peut publier comme on vient de le dire ? Est-de qu’il y a une sorte de validation par les pairs. Alexandre.

Alexandre Hocquet : Il y a une remise de ce principe. Par exemple, dans Archive, c’est ce qu’on appelle un preprint, quelque chose qui, durant la pandémie, s’est répandu dans le monde alors qu’avant c’était un objet assez obscur. C'est quelque chose qu’on met en ligne pour pouvoir être lu avant même qu’il soit validé par les pairs. Il y a à la fois une question de rapidité, parce qu’être le premier c’est quelque chose qui compte énormément en sciences, mais il y a aussi une question de diffusion, de médiatisation. Par ailleurs, il y a aussi une forme radicale de relecture qui consiste à dire je mets mon texte ouvert à la communauté et, ça peut exister, qu’il soit commentable, donc n’importe qui peut, à ce moment-là, commenter, comme dans Wikipédia.

Frédéric Couchet : On laissera Mélanie réagir.

Alexandre Hocquet : Ce qui est une version radicale d’être ouvert, mais qui peut être en tension avec ce que c’est qu’être accepté par ses pairs et qui sont exactement les pairs

Frédéric Couchet : Mélanie Clément-Fontaine tu as réagi sur l’analogie avec Wikipédia.

Mélanie Clément-Fontaine : Oui. Je crois qu’il n’y a pas un modèle. C’est-à-dire qu'on n’est pas dans ce modèle Wikipédia où il y a quand même des règles éditoriales qui sont assez fortes. On ne peut pas tracer un seul modèle de diffusion d’ouvrages en science ouverte. Je crois qu’il va falloir s’adapter aux différents cas. Il est bon que certains papiers soient relus, qu’il y ait des pairs qui attestent de la valeur scientifique. Il est bon que d’autres soient diffusés vite. À chaque cas son modèle. L’évaluation est une question. La traçabilité, la source sont aussi importantes. Aujourd’hui on parle beaucoup de désinformation. Il s’agit aussi avec la science ouverte de renforcer la qualité des contenus que l’on trouve en ligne. Il y a une vraie bataille culturelle, de diversité culturelle et de qualité qui est derrière ce mouvement de science ouverte. Tout cela va sans doute être accompagné aussi de conditions d’accès, de diffusion, et ça pourrait prendre la forme de licences comme on les connaît dans les logiciels libres.

Frédéric Couchet : D’accord. Je relaie une petite question sur le salon web avant de poursuivre. Par rapport aux langues dont tu parlais tout à l’heure Mélanie, Marie-Odile demande si les publications sont toujours en anglais.

Mélanie Clément-Fontaine : Non, bien sûr que non. La francophonie est encore défendue aujourd’hui et d’autres langues. Quand je parle de diversité, c’est très important. Il s’agit effectivement de rencontrer l’autre, donc de se faire comprendre, et les traductions sont importantes. Le langage initial, la langue initiale a son importance surtout dans certains domaines, en sciences humaines où les mots n’ont pas de traduction immédiate dans d’autres langues.

Frédéric Couchet : Alexandre.

Alexandre Hocquet : Oui, en sciences humaines. La situation est très différente dans d’autres communautés. Il y a des communautés où ça n’est même pas envisageable de publier en autre chose qu’en anglais, ça ne servirait à rien d’un point de vue de la logique de combien compte une publication.

Frédéric Couchet : J’ai une question. On a parlé de la science ouverte donc de l’accès aux publications. Les recherches scientifiques s’appuient aussi sur des données, sur des méthodes. Est-ce que la science ouverte ça veut dire que toutes les données sont toujours également accessibles de manière à pouvoir vérifier ce qu’affirme la personne qui a publié, voire reproduire. Est-ce qu’il n’y a pas des limites – on parle de sciences humaines – par exemple au niveau de la vie privée peut-être, je ne sais pas, sur des échanges personnels. En fait, dans la science ouverte, qu’est-ce qui est ouvert ? La publication ? Les données ? On parlera après des logiciels. Est-ce que ce sont aussi les méthodes de la recherche ? Qui veut répondre ? Alexandre.

Alexandre Hocquet : Dans la définition que Mélanie a donné tout à l’heure, il y avait accès et données, si je souviens bien, qui sont les deux grands piliers. Je parle de piliers parce que je sais que quand Roberto Di Cosmo parle du logiciel il parle du troisième pilier, j’imagine qu’on va y revenir. Effectivement accès ce sont les textes et données ce sont les données et l’idée que pour pouvoir avoir confiance dans une expérience qui a eu lieu, qui a été publiée, le texte d’une publication ne suffit pas par exemple pour essayer de refaire la même chose. L’idée des données – ce qui est contestable d’un point de la vue la philosophie des sciences – l’idée des données ouvertes et fournies c’est qu’on peut les réutiliser, d’où l’utilisation des licences Creative Commons, la question c’est la réutilisation.
Le problème cette fois du point de vue de l’historien, du philosophe des sciences, c’est que les données d’une expérience sont situées elles-mêmes, c'est-à-dire qu’elles dépendent largement de comment l’expérience a été faite, de quelles valeurs, de quelles théories la personne a mis dedans et les données qu’elle récupère. En fait, elles supportent mal le voyage une fois qu’on les transpose dans un autre contexte pour essayer, par exemple, de refaire la même expérience. Cest-à-dire que ce n’est pas du tout naturel qu’une donnée puisse être reprise dans que ça transforme quelque chose à sa valeur scientifique, à sa valeur épistémique.

Frédéric Couchet : D’accord. Mélanie.

Mélanie Clément-Fontaine : Tout dépend de ce qu’on fera de la science ouverte. Si on veut que ça soit aussi un moyen de transparence de la recherche, notamment avec des thèmes comme la bioéthique ou l’intelligence artificielle qui ont avoir une incidence très importante dans nos sociétés, il faut effectivement une transparence des sources, mais, en principe, la recherche c’est ça, c’est aussi donner ses sources. Tout dépendra de la politique qu’on défendra de la science ouverte.
Ensuite ça peut constituer des freins si on veut, mais ce sont surtout des garde-fous, il y a des questions telles que la protection des données personnelles, des données sensibles, la confidentialité, la sécurité. Il y a des intérêts commerciaux légitimes qui pourraient réduire, en tout cas freiner certaines mises à disposition. Cet équilibre est à trouver et on part d’un principe aussi ouvert que possible et aussi fermé que nécessaire. Voilà l’équilibre qu’on va chercher.

Frédéric Couchet : D’accord. Quels sont, en fait, les avantages de la science ouverte et son intérêt, à la fois pour les scientifiques mais aussi pour le public ? Première question, vous en tant que scientifiques quels avantages voyez-vous à la science ouverte ? Je vous proposerai après la question sur les freins et/ou les éventuelles limites. Déjà pour vous en tant que scientifiques.

Mélanie Clément-Fontaine : Je l’ai dit plus tôt, c’est le dynamisme intellectuel, c’est évidemment accéder à des connaissances pour continuer sa recherche, c’est l’innovation – certains parlent d’innovation, je n’aime pas tellement ce terme, mais il existe. C’est aussi un enjeu démocratique, c'est-à-dire l’accès par tout un chacun aux savoirs, la transparence, l’éthique. Donc ce sont là tous les enjeux qui font qu’on s’engage dans ce mouvement de la science ouverte.

Frédéric Couchet : D’accord. Alexandre Hocquet.

Alexandre Hocquet : C’est à peu près la même chose, mais pour compléter il y a aussi l’espoir de ne plus dépendre d’une énorme industrie qui est très peu populaire dans le monde de la science mais qui est intrinsèquement liée au monde de la science, qui est celle de l’édition scientifique à laquelle les scientifiques reprochent beaucoup de choses, mais, pour des raisons historiques ils y sont quand même complètement liés.

Frédéric Couchet : Je poursuis ma question. Après les avantages et intérêts, est-ce qu’il y a des limites ou des freins pour la science ouverte ? Freins qui peuvent être institutionnels ou autres, je ne sais pas, ou limites ? Est-ce que vous en voyez ? Il n’y a peut-être pas, la question est ouverte.

Alexandre Hocquet : Moi j’en vois plein.

Mélanie Clément-Fontaine : J’en ai évoqué quelques-uns avec justement des données que l’on ne va pas divulguer pour des raisons diverses.

Frédéric Couchet : Est-ce qu’il y a des freins institutionnels ou autres ? Alexandre Hocquet tu disais que tu en vois plein. Donnes-en un ou deux principaux.

Alexandre Hocquet : Je pense qu’il y en plein. Si je devais en citer un, je pense qu’il y a un frein industriel dans plein de domaines, pas tous, pas les mathématiques par exemple. Le gars qui dépend d’une industrie scientifique, celle des instruments, par exemple un spectroscope de résonance magnétique nucléaire qui est un instrument typique très courant mais qui est aussi un énorme investissement, ça coûte des centaines de milliers voire des millions d’euros, et c’est quelque chose qui repose sur des compagnies qui vendent ces instruments. La confiance dans l’instrument n’est absolument pas basée sur le fait que l’instrument est transparent, il ne l’est pas du tout, il y a mêmes des secrets industriels, etc. Par contre, par exemple, il y a beaucoup moins de contestations quant à la validité des résultats que donne un de ces spectroscopes. Il y a eu une un énorme processus d’acculturation des scientifiques qui l’utilisent à un appareil qui a gagné sa légitimité par un processus de négociation entre industriels et scientifiques et, en l’occurrence, là la confiance n’est pas du tout sur le fait qu’il est transparent, il ne l’est pas !

Frédéric Couchet : D’accord. Mélanie, tu voulais compléter ?

Mélanie Clément-Fontaine : Ça rejoint la question du financement. La science ouverte vise les publications et les données de la recherche financée par des fonds publics. À partir du moment où on dépend de fonds privés, on n’est plus dans la cadre de la science ouverte. Ça va être la fracture et il y a beaucoup de projets qui ont un double financement. Là il va y avoir nécessairement des tensions entre deux mouvements, celui de la réservation, du secret, de la propriété, et celui de l’ouverture, de la diffusion.

Frédéric Couchet : D’accord. Est-ce qu’on a des chiffres, en tout cas des tendances sur l’évolution des publications en science ouverte, que ce soit dans le monde ou en France, sur ces dernières années ?

Mélanie Clément-Fontaine : Vous en trouverez sur le site j’ai vu qu’il y a des liens qui avaient été mis.

Frédéric Couchet : On ne va pas vous les répéter. Vous aurez la liste de tous les liens qu’on citera sur libreavous.org.

Mélanie Clément-Fontaine : Le Plan national de la science ouverte montre qu’il y a une évolution, il y a véritablement beaucoup plus de publications en sciences ouvertes.

Alexandre Hocquet : Même exponentielle.

Mélanie Clément-Fontaine : L’objectif c’est d’atteindre 100 % d’ici 2030. C’est le projet.

Frédéric Couchet : L’objectif en France ou dans le monde ?

Mélanie Clément-Fontaine : En France. On parle du Plan national de la science ouverte.

Frédéric Couchet : Donc 100 % sur les recherches financées sur fonds publics ? D’accord. Tu voulais compléter Alexandre.

Alexandre Hocquet : Non, c’est ça.

Frédéric Couchet : Je vois qu’il y a beaucoup de questions sur le salon web, en fait sur la partie logiciels. On va bientôt faire une pause musicale et on abordera la partie logiciels juste après.
Sur cette partie introductive à la science ouverte est-ce que vous souhaitez rajouter quelque chose avant qu’on fasse la pause musicale ? On peut y revenir dans le cours de l’émission, mais le temps avance. Est-ce que vous pensez qu’il y a quelque chose dont on n’a pas encore parlé ? On reviendra évidemment sur le plan dont on a parlé dans la deuxième partie de l’émission. Sur cette introduction ?

Alexandre Hocquet : Moi je suis pressé de passer à la partie logiciels.

Frédéric Couchet : Je sais bien. Il est à fond il est dans les starting-blocks !Mélanie.

Mélanie Clément-Fontaine : On voit bien qu’il y a eu une conjonction de circonstances qui a été favorable à l’émergence de la science ouverte et le lien qu’il y a avec les logiciels libres qu’on développera sans doute dans la deuxième partie.

Frédéric Couchet : Nous allons effectivement aborder ça dans la deuxième partie.
En attendant nous allons faire une courte musicale. Si je me souviens bien on va aller du côté du Brésil. Nous allons écouter Bem Vindo par Madame Rrose Sélavy. On se retrouve dans 2 minutes 30. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Bem Vindo par Madame Rrose Sélavy.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Bem Vindo par Madame Rrose Sélavy, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution, CC By 3.0.

[Jingle]

Deuxième partie

Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre