« Libre à vous ! Radio Cause Commune - Transcription de l'émission du 27 avril 2021 » : différence entre les versions

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==La campagne Technopolice de La Quadrature du Net==
==La campagne Technopolice de La Quadrature du Net==


<b>Étienne Gonnu : </b>Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui porte
<b>Étienne Gonnu : </b>Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui porte sur la campagne Technopolice coordonnée par La Quadrature du Net. Pour ça, j’ai le plaisir de passer la main à Eda, membre du conseil d’administration de l’April et membre de la Quadrature du Net, que tu ne manqueras pas, j’imagine, de présenter.<br/>
Je rappelle, avant de te passer la parole, que vous pouvez participer à notre conversation au 09 72 51 55 46 ou sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat ».<br/>
Eda, à toi la parole.
 
<b>Eda Nano : </b>Bonjour à tous. Je suis Eda, je suis de retour sur les ondes. Cette fois je suis très contente parce que je suis en direct du studio. Ça fait plaisir de revoir les amis de l’April.<br/>
Je suis en compagnie d’Alouette, à distance.
 
<b>Alouette : </b>Salut.
 
<b>Eda Nano : </b>Et de Martin Drago.<br/>
Alouette est la coordinatrice de la campagne Technopolice, salariée à La Quadrature du Net. Martin Drago est juriste, salarié lui aussi à La Quadrature du Net. Comme Étienne l’a rappelé j’ai ma double casquette aujourd’hui puisque je suis aussi membre de La Quadrature du Net, qui est une association loi 1901, qui défend les libertés numériques et pas que numériques du coup, comme on va le voir avec Technopolice. Je trouve que ça se marie assez bien parce qu’on défend le logiciel libre et la culture libre à l’April et on défend les libertés numériques avec La Quadrature du Net.
Alouette est-ce que tu es là ?
 
<b>Alouette : </b>Oui, je suis là.
 
<b>Eda Nano : </b>Coucou. Bonjour.
 
<b>Alouette : </b>Coucou.
 
<b>Eda Nano : </b>Je vais commencer avec toi Alouette. Est-ce que tu peux nous dire ce qu’est la Technopolice ?
 
<b>Alouette : </b>À La Quadrature on a lancé la campagne Technopolice en 2019. C’est une campagne qui vise à lutter contre les technologies de surveillance qui apparaissent d’abord dans l’espace urbain. On est partis du constat qu’il se développait en France les <em>smarts cities</em> et les <em>safe cities</em>, donc toutes les villes intelligentes et connectées, les villes sécurisées par cet ajout de technologie. Du coup, la campagne Technopolice vise à lutter contre cette numérisation de l’espace urbain à des fins sécuritaires.
 
<b>Eda Nano : </b>Merci Alouette. Martin pourquoi ce terme ? Pourquoi avoir choisi le terme « Technopolice » ? Qu’est-ce qu’il veut dire ? Qu’est-ce qu’il signifie ?
 
<b>Martin Drago : </b>Déjà bonjour.
 
<b>Eda Nano : </b>Bonjour. Je ne t’ai pas dit bonjour.
 
<b>Alouette : </b>Je crois qu’on a chacun sa définition. Moi je le vois de façon assez basique. Je vois la technopolice comme l’utilisation des nouvelles technologies dans l’espace public, comme l’a dit Alouette, par la police. Et puis il y a un jeu de mot parce que <em>polis</em> c’est aussi la ville aussi en grec, je crois. Donc c’est un peu aussi entre <em>polis</em>, ville et surveillance et technologie. À voir aussi que Technopolice, à la base, était un salon de la gendarmerie sûr les nouvelles technologies, qui était plus dans la promotion de ces nouvelles technologies de surveillance. Aujourd’hui on a gagné parce que le terme est plus utilisé en termes de critique qu’en termes de promotion, c’est déjà une première victoire. Hop ! Tout d’un coup, comme ça. Voilà. La définition n’a jamais été parfaite, franchement c’est exactement ça.<br/>
Je pense juste rajouter c’est que, effectivement, La Quadrature, au début, c’était beaucoup la question des défenses des libertés sur Internet et puis on s’est rendu compte qu’il y avait effectivement toute une partie sur laquelle on pouvait peut-être apporter quelques outils, quelques expertises par l’expérience qu’on avait des outils de surveillance dopés un peu à ce qu’on appelle, ce que certains appellent l’intelligence artificielle, cette idée d’analyse en masse de données comme le <em>big data</em> qu’on voyait sur Internet et qui commençait à arriver sur l’espace public. Là on a vu qu’il y avait un champ un peu libre, où il n’y avait pas tellement de combats, alors qu’il y avait beaucoup de dispositifs qui se développaient et qu’il fallait, effectivement, documenter et lutter un peu contre tout ça.
 
<b>Eda Nano : </b>Justement, j’aimerais bien qu’on parle un peu plus en détail de ces dispositifs qui se développent un peu partout dans nos villes. Je suis arrivée à la Quadrature du Net par la campagne Technopolice et, plus précisément, par ce qui se passait en termes de technopolice à Marseille, la ville où j’habite. On avait, en fait, ce projet qui s’appelle L’Observatoire Big Data de la tranquillité publique qui venait d’être mis en place, qu’on venait de découvrir parce qu’il avait été commencé en 2017 et nous on l’a découvert en 2018/2019. Donc ce grand projet, comme ça, qui visait à croiser un tas de données qui étaient des données issues de la vidéosurveillance mais aussi issues des services municipaux, des hôpitaux publics, etc. On allait les croiser. Projet chapeauté par Engie Ineo, donc une entreprise privée.<br/>
J’aimerais bien qu’on revienne un petit peu sur les premiers dispositifs qui nous ont alertés, qu’on a vus et qui nous ont poussés, en fait, à créer cette campagne. Est-ce que, Alouette, tu as des villes ou des projets particuliers en tête dont tu veux nous parler ?
 
<b>Alouette : </b>Je n’étais pas encore à La Quadrature à ce moment-là. J’ai l’impression que les premiers projets qui ont vraiment alerté et qui sont au fondement de la campagne Technopolice, il y avait, par exemple, l’écoute urbaine à Saint-Étienne, donc le fait de mettre des micros dans un certain quartier à Saint-Étienne pour écouter les bruits. Il y avait toutes sortes de bruits qui étaient listés, ça allait des cris, des bruits de meuleuse, bruits de bombe aérosol donc de bombes par exemple pour taguer, ce genre de choses. Il y avait tout un projet assez délirant : une fois que ces bruits étaient écoutés et enregistrés par ces micros, ils allaient ensuite alarmer la gendarmerie qui allait ensuite envoyer des drones pour vérifier ce qui se passait sur place et ensuite amener la police sur place.<br/>
Donc il y avait ce projet-là. Après il y avait aussi à Marseille, encore, et à Nice les portiques de reconnaissance faciale qui étaient censés être déployés à l’entrée de deux lycées et qui visaient à scanner le visage des élèves avant qu’ils ne rentrent, comme une sorte de carte pour qu’ils puissent rentrer. Il y avait ces projets-là qui étaient au cœur de la campagne Technopolice au début. Je ne sais pas si Martin veut ajouter d’autres choses.
 
<b>Eda Nano : </b>Je veux bien, Martin, que tu nous parles un petit peu de la lutte juridique qu’il y a eu notamment contre le projet des portiques de reconnaissance faciale. Ils ont été mis en place, en fait, ce projet-là a été mis en place, il me semble ?
 
<b>Martin Drago : </b>On les a arrêtés juste avant !
 
<b>Eda Nano : </b>Ah oui ! Explique-nous du coup.
 
<b>Martin Drago : </b>Effectivement, on va dire que dans la campagne Technopolice – je préfère qu’on n’arrête pas tout au droit parce que sinon c’est rapidement embêtant, pour rester très poli.
 
<b>Eda Nano : </b>On va en parler très peu.
 
<b>Martin Drago : </b>Effectivement, un des moyens de lutte qui existe aujourd’hui, oui, c’est l’outil juridique ou contentieux. On voit, exactement comme disait Alouette, tous ces dispositifs qui se déploient et on voit aussi que s’il y a des collectifs locaux qui font des trucs sur place, les instances nationales ne réagissent pas. Quand je parle d’instances nationales c’est évidemment la CNIL, la Commission nationale informatique et libertés, l’autorité qui est censée nous protéger de tout cela et qui, là, ne fait pas grand-chose et ne faisait déjà pas grand-chose à l’époque, malheureusement. Elle fait des trucs, des échanges de courriers, on sait qu’elle a des échanges de courrier avec les collectivités. Typiquement, sur les portiques de reconnaissance faciale, elle donnait des conseils en disant « ça, ça serait vraiment très grave. Si vous ne faites pas de base de données des visages des élèves ce sera moins grave ». On va dire qu’elle met quelques limites mais sans aller vraiment jusqu’à une vraie volonté politique qui serait l’interdiction de ce type de dispositif.<br/>
C’est là où l’outil juridique est très cool parce que ça permet un, d’essayer de faire arrêter strictement ces dispositifs et puis derrière, comme tout enjeu juridique, il y a aussi un enjeu de médiatisation, un enjeu de politisation parce que ça permet de faire parler un peu de ces dispositifs.<br/>
Du coup, effectivement, on a attaqué la région Sud qui avait fait un partenariat avec Cisco, une entreprise américaine qui donnait gratuitement ses portiques de reconnaissance faciale pour tester ses algorithmes tranquillement à l’entrée des lycées. On a attaqué en gros, je vais très vite, la délibération qui autorisait la signature de la convention, j’espère que je n’ai endormi personne.<br/>
On a gagné sur des principes juridiques assez intéressants, notamment celui de la nécessité. En droit sur beaucoup de trucs, notamment le RGPD, le Réglement général sur la protection des données, quand vous faites un dispositif qui traite des données personnelles, il faut que vous prouviez que c’est nécessaire, c’est-à-dire qu’il n’y ait aucun autre dispositif qui puisse atteindre le même objectif en portant moins atteinte à nos libertés. Or là, ce que disait le tribunal administratif et ce qu’a redit la CNIL derrière une fois qu’on avait gagné, c’était qu’à aucun moment la région n’avait prouvé qu’un humain ferait mieux ou moins bien ce travail qu’un portique de reconnaissance faciale. À partir du moment où il n’y avait pas cette preuve le projet s’est un peu dégonflé. Il y avait d’autres raisonnements juridiques derrière que je trouve moins intéressants. Ce truc de la nécessité est un argument qu’on utilise beaucoup, juridique, mais qui, derrière, se politise énormément, que je trouve intéressant.<br/>
Je ne sais pas si c’est très clair.
 
<b>Eda Nano : </b>Oui. C’est très clair. Merci Martin.<br/>
Je voulais revenir un petit peu sur ces dispositifs-là et, si vous le voulez bien, parler de vidéosurveillance automatisée, VSA. On entend aussi souvent parler de vidéosurveillance intelligente, VSI, c’est la même chose. Une des premières villes où ça a été mis en place c’était Marseille, nous avons porté deux recours là-dessus. Est-ce qu’on peut expliquer un petit peu ce qu’est la VSA, Alouette ?
 
<b>Alouette : </b>La vidéosurveillance automatisée, c’est le fait d’ajouter une couche logicielle sur les caméras de vidéosurveillance classiques. En fait, de l’extérieur, on ne voit pas du tout la différence. Sauf que ces logiciels-là ont pour but d’avoir une surveillance encore plus fine. Ça fait, par exemple, remonter des informations et des alertes au CSU, au Centre de supervision urbaine, là où il y a le visionnage des caméras de vidéosurveillance. Donc ça permet de faire remonter des alertes comme quelqu’un qui maraude. Marauder, dans ce sens-là, c’est quelqu’un qui est statique plus de 300 secondes, plus d’un certain nombre de secondes. Ça envoie une alerte en disant aux gens derrière ces caméras de vraiment surveiller cette personne parce qu’elle a un comportement bizarre. Sinon, il y a des algorithmes qui essayent de détecter ce qu’ils appellent les comportements anormaux. On se sait pas vraiment ce qu’il y a derrière ce comportement anormal, derrière ce terme-là. En fait, c’est l’entreprise qui développe les algorithmes qui décide ce qu’il y a derrière. Ça peut être des gens qui courent dans la rue, une valise abandonnée, quelqu’un qui tague, ce genre de choses.<br/>
Tous ces algorithmes ont pour but d’avoir une surveillance encore plus fine de l’espace public à travers l’automatisation de la surveillance. Ces algorithmes sont développés à Marseille, à Toulouse, dans plein de villes, énormément, de plus en plus, sauf que c’est très opaque. On arrive à savoir mais ça demande beaucoup de recherches pour savoir où ces politiques de VSA sont employées.
 
<b>Eda Nano : </b>Du coup on remarque, en quelque sorte, que ce sont les entreprises privées qui vendent ces solutions-là qui décident de ce qui est un comportement suspect, ou pas, dans nos villes aujourd’hui. Ce n’est plus la société, les habitants qui décident ou discutent de ça, ce sont des entreprises privées qui imposent cette « éthique », entre guillemets, de comportement en ville. Qu’est-ce que tu en penses Martin ?
 
<b>Martin Drago : </b>C’est ça. C’est-à-dire que le truc de la <em>smart city</em>, on utilise un terme anglais, ce sont souvent des <em>packages</em>. En fait on va avoir une entreprise, je ne sais pas, Thalès, qui va avoir son <em>package safe city</em> qu’elle va essayer de revendre partout, qu’elle va avoir effectivement développé en considérant qu’un comportement suspect, comme disait Alouette, c’est le maraudage, c’est se mettre à courir dans la rue, c’est faire un tag sur les murs. Elle va vendre ses différents produits à différentes villes et les différentes villes vont acheter ça. Peut-être qu’elles vont un peu discuter sur « je considère ça comme anormal ou pas », n’empêche qu’à la fin on prend le produit Thalès et on l’applique – je dis Thalès parce que c’est une grande entreprise dans le sujet – dans sa ville. Effectivement on arrive à des trucs hyper-intéressants et hyper-tristes en même temps qui font que la surveillance de l’espace public est totalement déshumanisée, parce qu’elle est réglée en partie par des algorithmes qui ne sont plus décidés, comme tu le disais, par la collectivité, mais par des ingénieurs dans des sociétés, des entreprises privées. Et surtout, souvent, on est sur de l’apprentissage profond, c’est-à-dire qu’on ne sait même plus tellement comment marche exactement l’algorithme parce que l’algorithme va apprendre tout seul, par exemple, à suivre quelqu’un, à suivre une silhouette sur plusieurs caméras ou suivre quelqu’un sur plusieurs caméras. Comment l’algorithme est entraîné, comment lui-même s’est entraîné, quelles sont les bases de données d’entraînement, tout ça ce sont des choses auxquelles on n’a pas du tout accès. Finalement, on prend de plus en plus le contrôle de la machine qui, pourtant, surveille de plus en plus l’espace public.
 
<b>Eda Nano : </b>Du coup, comment est-ce que la campagne Technopolice peut nous aide contre ces dispositifs-là pour les analyser, pour savoir ce qu’il en est ? Je prends l’exemple de Marseille où vraiment arriver à savoir ce qui se passe exactement par la veille c’est très difficile. On est souvent, pour ne pas dire toujours, dans l’opacité totale. Comment fait-on Alouette ? Comment est-ce que la campagne peut nous aider ? Quels sont les outils mis en place ?
 
<b>Alouette : </b>Pour la campagne on a mis en place le forum Technopolice où il y a des personnes un peu partout en France qui peuvent alerter quand il se passe quelque chose chez elles. Ce sont souvent des dispositifs qui sont mis en place au niveau local, du coup on n’a pas forcément une vision de ce qui se passe sur tout le territoire. Ça permet déjà d’être au courant. Ce forum peut permettre aussi à des gens qui viennent à peu près des mêmes endroits de se rencontrer et, du coup, de se parler et de voir ce qu’ils peuvent faire au niveau local. Donc il y a tout le forum qui est un outil de veille, de documentation, de rencontre entre les personnes.<br/>
Ensuite on documente également sur un outil qu’on appelle le Carré. Ce sont des pads collectifs. On documente ce dispositif-là et, après, on met sur le site Technopolice où il y a une super carte qui essaye de lister un peu tous les dispositifs en France et pas que, en Belgique aussi ou ailleurs.<br/>
Donc il y a notamment ces outils-là qui permettent surtout de la documentation et surtout de la rencontre entre les personnes.
 
<b>Eda Nano : </b>Il y a deux semaines, ici sur les ondes de la radio Cause Commune, dans l’émission <em>Libre à vous !</em>, on avait invité l’équipe de Ma Dada. On a parlé des demandes CADA. Je sais qu’on les utilise beaucoup dans la campagne Technopolice. Qu’est-ce qu’on fait avec ? Quel est l’intérêt ? Martin.
 
<b>Martin Drago : </b>Tu ne me donnes que les sujets juridiques secs !
 
<b>Eda Nano : </b>Non. On va changer après.
 
<b>Martin Drago : </b>Ça paraît un peu triste comme ça. C’est vrai que la demande CADA qui est, en gros, une demande pour dire à des collectivités qui ont des documents qui sont publics, à caractère public, mais qui ne sont pas publiés, permet à n’importe qui, vous, moi, de demander la publication de ce document, en tout cas de demander la communication de ce document administratif.<br/>
Du coup, ça peut paraître un peu bête comme ça, mais moi je le vois en première étape de documentation et de lutte. Si je prends l’exemple de Saint-Étienne, je trouve c’est un bon exemple. On l’a appris par la presse parce que Gaël Perdriau, le maire de droite de Saint-Étienne, se vantait d’avoir mis en place ces capteurs sonores dont parlait Alouette tout à l’heure. On fait une demande CADA et on a reçu 150 pages. Je ne sais pas qui, à la mairie, était affilié à La Quadrature secrètement, mais on a eu tous les procès verbaux des réunions, tous les schémas de l’entreprise qui développait ça avec Saint-Étienne, Verney Carron, l’entreprise qui fait des flash-balls. Rien que le fait d’avoir ça, on a tout diffusé, ensuite, sur notre site en faisant un petit article d’analyse. Ça a rendu visible le projet, le dispositif qui, en plus, Alouette parlait de drone, de reconnaissance de graffitis, etc., rien que le fait d’avoir publié ces documents, ça a contribué un peu à la pression politique, ça a montré un peu le ridicule et les dangers du projet et, finalement, ça a abouti, à la fin, à une sanction de la CNIL contre Saint-Étienne.<br/>
Donc demander ces documents, ça permet de visibiliser le projet, de mieux le comprendre et quelquefois même de le faire tomber. Pour vous donner un peu un ordre d’idées, je pense qu’à La Quadrature on fait au moins deux-trois demandes CADA par semaine, chaque fois qu’on entend parler d’un projet. En fait, c’est assez rapide à faire grâce à madada.fr, j’avoue que je l’utilise très régulièrement, c’est hyper-pratique. On en fait beaucoup, ça prend cinq minutes. Il y a 10 % de chances de réussite, mais 10 % de chances de réussite ce n’est déjà pas mal !
 
<b>Eda Nano : </b>Je voulais dire que sur le site Technopolice on a un endroit pour pouvoir faire fuiter des documents, ça s’appelle Fuiter, c'est un logiciel libre, évidemment, qui s’appelle SecureDrop qui est raccordé derrière, pour les plus techniciens. On peut très facilement faire fuiter des documents. Donc n’hésitez pas, que vous soyez employé dans des mairies, que vous soyez employé dans des entreprises comme Thalès, et., si vous ne vous sentez pas à l’aise avec tout ça, n’hésitez pas en toute sécurité vous pouvez faire fuiter des documents sur SecureDrop.
 
<b>Martin Drago : </b>Allez-y !
 
<b>Eda Nano : </b>Faites fuiter ! Ensuite, je voulais revenir un petit peu sur ce forum où j’ai fait mes tout débuts, en fait, dans la campagne Technopolice. Je suis arrivée un jour et j’ai dit « c’est quoi ici ? Est-ce que quelqu’un peut me renseigner sur la cartographie des caméras à Marseille où j’habite ? » C’est comme ça que pour moi tout a commencé vraiment. Petit à petit je me suis de plus en plus impliquée dans la campagne Technopolice locale, petit à petit dans la campagne Technopolice nationale.<br/>
Nous avons fait une exposition artistique, vraiment artistique, qui s’appelait Technopolice à Marseille. Je voulais en parler parce que nous avons Marne, à La Quadrature, qui a fait des visuels vraiment magnifiques sur cette campagne, qu'on peut trouver, pour la plupart, sur le site technopolice.fr, je crois que c’est dans l’onglet « Se mobiliser » et là on a un kit d’images, magnifique. Marne s’est vraiment inspiré un peu de cette atmosphère oppressante de la <em>smart ville</em> et de la ville surveillée. On a fait, comme ça, une exposition dans une galerie alternative, à Marseille, de ces visuels-là. Mine de rien, on accueillait du public et on a vu passer vraiment souvent des gens très intéressés et très interpellés par ces problèmes-là, de simples citoyens avec qui on a pu discuter des problèmes de ces dispositifs-là, des moyens de se mobiliser, etc.<br/>
On en a refait une autre à Avignon, quelques mois après. À chaque fois on remarque que les gens sont vraiment très interpellés par ces dispositifs-là, par ce qui se passe autour d’eux, parce que, en fait, on ne leur a jamais demandé leur avis, ils n’ont pas été concertés et ils ne comprennent pas vraiment en quoi cela aide à la sécurité de la ville.<br/>
Je vais poser la question que tout le monde pose qui est : quelle est l’efficacité de ces dispositifs ? Je vais même aller au-delà, Alouette, si tu veux bien en parler, quel est le but de ces dispositifs ? Est-ce que le sentiment de sécurité ou d’insécurité y est pour quelque chose dans cette histoire ? Est-ce qu’on peut tout voir par le prisme de la sécurité parce qu’il y a peut-être d’autres problèmes qui sont induits par ces dispositifs-là, qui vont au-delà de cette sécurité, que ce soit réel ou que ce soit juste le sentiment que ça induit ?
 
<b>Alouette : </b>J’ai l’impression que ce sentiment d’insécurité c’est surtout quelque chose qui a été porté dans le discours politique et dans le discours médiatique, mais qu’il n’y a pas vraiment de fondement à travers la naissance de concept-là qui est tout seul et qui s’auto-alimente.<br/>
Du coup la question la question de l’efficacité de ces dispositifs, de ce pourquoi ils sont déployés dans l’espace public, je pense qu’il faut d’abord rappeler qu’il y a énormes enjeux économiques et politiques derrière, que ce soit à travers l’ouverture de nouveaux marchés : on voit des entreprises qui sont des entreprises de la défense, de la sécurité, comme Thalès, des entreprises comme Engie Ineo qui sont des entreprises qui n’étaient pas dans ce domaine à la base ou alors des startups derrière. Il y a tout un champ d’entreprises assez différentes qui vont dans ce marché-là parce que c’est un marché qui est économiquement rentable. Les caméras de vidéosurveillance coûtent énormément d’argent et il y a besoin de les renouveler assez régulièrement, etc. Donc il y a tout un poids économique assez fort et politique aussi de la part des élus, des villes, etc., parce que, en fait, ça constitue une ressource politique pour ces élus de dire « regardez, je fais quelque chose pour ma ville, je mets des caméras », c’est un discours qui est assez facile à tenir, à porter. Il y a tout ce côté-là. Pourquoi ces dispositifs sont installés ? Il y a d’énormes enjeux économiques et politiques derrière avant tout.
 
<b>Eda Nano : </b>Merci Alouette.<br/>
Je laisse la parole à Étienne pour la pause musicale je crois.
 
<b>Étienne Gonnu : </b>Pas encore. Je voulais juste un petit retour de témoignage, bref un témoignage. J’habite sur Saint-Denis et j’ai reçu, comme beaucoup de Dionysiens je pense, la lettre d’information municipale. Il y avait un petit encart, la ville se vantait de nous expliquer qu’il y avait plus de caméras et que bientôt des policiers, des agents de police seraient dans des centres, j’ai oublié le terme exact, à surveiller 7 jours sur 7, derrière ces caméras, ce qui se passe. C’est une municipalité PS qui se vante très naturellement. Il y a quelques années encore, on voyait les affiches à Béziers, tout le monde se scandalisait d’imaginer par exemple des policiers municipaux qui seraient armés et on voit comment ça se banalise. Du coup, ce qu’expliquait Alouette m’a vraiment évoqué ça.
 
<b>Eda Nano : </b>Ce que tu dis là est très intéressant, Étienne. À Marseille il se passe un peu la même chose. Nous avons une nouvelle municipalité depuis un an qui, cette fois, est de gauche et qui, en plus, se dit écologiste. On s’attendait tous, en plus ils avaient promis donc c’est normal qu’on s’y attende, qu’il y ait un moratoire sur la vidéosurveillance dans notre ville. Et qu’est-ce qu’on remarque avec beaucoup de tristesse, mais vraiment une sincère tristesse c’est que, depuis quelques mois, ils ont continué les marchés de maintenance des caméras de vidéosurveillance, ensuite ils prévoient des budgets pour augmenter les caméras de vidéosurveillance. Nous avons un recours en cours contre la vidéosurveillance automatique de Marseille que, dans un premier temps, ils avaient dit qu’ils avaient suspendue mais dont, finalement, ils se défendent avec un grand cabinet d’avocats parisien. Ensuite, dernière nouvelle vraiment triste, on vient d’apprendre qu’ils continuent ce fameux projet Observatoire Big Data de la tranquillité publique. C’est une mairie de gauche, c’est une mairie qui se dit écologiste. Comment on l’explique, Martin ?
 
<b>Martin Drago : </b>C’est ce que Alouette a dit. C’est franchement un argument facile politiquement. Il y a toujours des élections en jeu et dire qu’on fait quelque chose ça permet souvent de se faire réélire sans avoir à s’occuper du fond. Faire de l’esbroufe algorithmique, on va dire que ça marche toujours !
 
<b>Eda Nano : </b>C’est d’autant plus important, du coup, d’avoir des campagnes comme Technopolice pour un petit peu...
 
<b>Martin Drago : </b>Oui. Et des gens sur le forum où vous pouvez aller.
 
<b>Étienne Gonnu : </b>Avant qu’on fasse la pause musicale, Marie-Odile nous pose une question sur le salon, qui me semble faire parfaitement écho à ce que tu évoquais, notamment sur les budgets que ça fait reposer sur la ville et qui est considération assez concrète : quelle est la durée de vie ? Est-ce que vous savez la durée de vie de ces caméras ? On imagine que c’est très cher, s’il faut les renouveler tous les quatre/cinq ans, en plus de toute la logistique derrière à payer. Est-ce qu‘on a une idée de la durée de vie ?
 
<b>Eda Nano : </b>Dans une ville comme Marseille, on a 1500 caméras actuellement en place. On a budget de maintenance, donc juste maintenance, qui est de près de 7 millions d’euros par an.<br/>
La durée de vie est très variable en fait. Il va y avoir les conditions climatiques, ça dépend du matériel, etc. Il peut aussi y avoir des dégradations qui viennent de la population. Donc je n’en ai aucune idée, parce que, en fait, toutes les données sont opaques et même ça c’est opaque. Par contre, je sais que le remplacement est très rapide et qu’on ne s’est jamais posé la question du coût écologique de ces dispositifs-là.<br/>
Martin, tu voudrais dire quelque chose.
 
<b>Martin Drago : </b>Il y a des documentations là-dessus. En gros, une grande partie de la vidéo-surveillance en France est financée par un fonds public d’État qui s’appelle le fonds interministériel pour la prévention de la délinquance. Ce sont des documentations qui sont publiques. Vous verrez là-dessus les financements extrêmement importants qui sont donnés chaque année par l’État pour financer en masse la vidéosurveillance qui s’est lancée depuis 2012 sous Sarkozy qui voulait et a lancé un grand plan de vidéosurveillance en France.
 
<b>Eda Nano : </b>Et ça ne va pas s’arrêter parce qu’on a les Jeux olympiques qui arrivent. On va en parler peut-être après la pause avec Alouette et Martin.
 
<b>Étienne Gonnu : </b>Super. Merci Eda.<br/>
Nous allons effectivement faire une pause musicale. Je vous propose d’écouter <em>Late as usual</em> par The Freak Fandango Orchestra. On se retrouve juste après. Je vous souhaite une belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
 
<b>Pause musicale : </b><em>Late as usual</em> par The Freak Fandango Orchestra.
 
<b>Voix off : </b>Cause Commune 93.1.
 
<b>Étienne Gonnu : </b>Nous venons d’écouter <em>Late as usual</em> par The Freak Fandango Orchestra, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions.
 
[Jingle]
 
==Deuxième partie==
 
<b>Étienne Gonnu : </b>Nous sommes donc avec Eda, Martin et Alouette pour parler de Technopolice et je vous rends la parole.

Version du 29 avril 2021 à 09:50


Titre : Émission Libre à vous ! diffusée mardi 27 avril 2021 sur radio Cause Commune

Intervenant·e·s : Laurent Costy - Lorette Costy - Alouette - Eda Nano - Luk - Étienne Gonnu - Patrick Creusot à la régie

Lieu : Radio Cause Commune

Date : 27 avril 2021

Durée : 1 h 30 min

[ Podcast Provisoire]

Page des références utiles concernant cette émission

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration :

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Étienne Gonnu : Bonjour à toutes. Bonjour à tous.
Nous parlerons aujourd’hui de Technopolice, la campagne coordonnée par La Quadrature du Net contre les technologies de surveillance. Luk nous dira pourquoi lui il aime la technopolice et Laurent et Lorette nous parlerons de DNS. Voilà le programme du jour.

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Étienne Gonnu, chargé affaires publiques pour l’April.

Le site web de l’April est april.org, vous pouvez y trouver une page consacrée à cette émission avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire tout retour utile ou à nous poser toute question.

Nous sommes le 27 avril, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être un podcast ou une rediffusion.

À la réalisation de l’émission aujourd’hui Patrick. Salut Patrick.

Patrick Creusot : Bonjour. Bonne émission.

Étienne Gonnu : Nous vous souhaitons une excellente écoute.

[Virgule musicale]

Chronique « À cœur vaillant, la voie est libre » de Laurent Costy, vice-président de l'April, et de sa fille Lorette. Épisode 2, les DNS, Domain Name System, qu'on peut traduire en « système de noms de domaine »

Étienne Gonnu : Nous allons commencer aujourd’hui par la chronique « À cœur vaillant, la voie est libre », la nouvelle chronique proposée par Laurent Costy et Lorette. Après un premier épisode portant… Laurent, quel était le sujet du premier épisode ?

Laurent Costy : Les adresses IP.

Étienne Gonnu : Les adresses IP. Merci du rappel. Voici aujourd’hui l’épisode 2, les DNS. Laurent, à toi la parole.

Laurent Costy : Plutôt à Lorette, d’ailleurs.

Lorette Costy : Allô, Papa-Potam ? C’est ta fille à 4 cœurs qui veut maîtriser les DNS, car je soupçonne cet acronyme de receler de terribles secrets.

Laurent Costy : Aïe, tu tombes mal ! En fait, je suis en direct d’une émission radio ! Attends, je demande à Étienne et à Patrick de mettre un interlude. En fait non ! Comme on va parler de DNS et qu’on est plutôt raccord avec le thème de l’émission, on va en faire profiter les auditeurs !

Lorette Costy : Tu es un papa-malin en plus d’être un Papa-Potam !

Laurent Costy : Oui, j’ai plusieurs casquettes et même un t-shirt de l’émission Libre à vous ! désormais. Bref !, comme disait presque Mme De Lafayette, trêve de princesse, parlons DNS !

Lorette Costy : Oui, parlons du système de noms de domaine ou plutôt, puisque j’excelle en anglais, du Domain Name System, soit DNS.

Laurent Costy : On ne dit pas de gros mots à table donc, on ne dit pas « j’excelle » mais plutôt je « LibreOffice ».

Lorette Costy : D’abord, on n’est pas à table et, si on avait le temps, on pourrait s’interroger sur le pourquoi de ton humour discutable. Un peu comme si tu avais subi un traumatisme plus jeune. Tu t’es battu à l’époque avec une imprimante ?

Laurent Costy : Non, c’était plutôt avec un logiciel propriétaire de comptabilité pour association. J’en suis encore tout retourné ! Revenons au DNS. C’est le truc qui fait le lien entre des adresses IP, forme d’identité préférée par les machines, et les noms de domaine plus intelligibles pour les humains.

Lorette Costy : Ce n’est pas un peu claqué ton bidule ? Pendant des décennies on retenait bien des numéros de téléphone !

Laurent Costy : C’était pour tester ta sagacité. Et ça marche ! Le principal intérêt, en effet, c’est finalement de permettre de conserver une forme de stabilité du nom dans le temps alors qu’une adresse IP peut changer. Par exemple, si tu changes de Fournisseur d’Accès à Internet, ton FAI.

Lorette Costy : Donc, si je comprends bien, le DNS, c’est une sorte de grande base de données ou un bottin, pour utiliser des mots de ton époque, dans lequel on trouve la correspondance entre une adresse IP unique et un nom de domaine

Laurent Costy : Au moins, avec un bottin ou un annuaire, on pouvait démarrer un barbecue. Essaie de brûler un serveur qui contient une base de données, ce n’est pas gagné avec deux silex. Sinon, c’est quand même une bonne analogie que celle de l’annuaire, mais quelques précisions sont néanmoins nécessaires. Il faut distinguer deux types d’annuaire : ceux qui font « autorité » et ceux, intermédiaires, que l’on appelle plutôt résolveurs DNS.

Lorette Costy : J’aurais tendance à penser que tu préfères les résolveurs, car tu as un problème avec l’autorité !

Laurent Costy : Petite impertinente, je vais user de mon autorité pour t’envoyer au coin si tu continues ! Mais en fait non, je préfère te gaver de connaissances à la place. Et Bing, un sale moteur de recherche dans ta face !
Donc, alors que les serveurs faisant autorité contiennent, en quelque sorte, la vraie correspondance entre IP et nom de domaine, ils ne sont pratiquement jamais interrogés par les machines des utilisateurs, mais questionnés directement par les serveurs « intermédiaires » de l'autre catégorie, les résolveurs.

Lorette Costy : Pourquoi donc cette logique à deux étages, mon cher papa, même si je me demande si je ne préférerais pas aller directement au coin !

Laurent Costy : En fait, les résolveurs servent uniquement de relais et de stockage temporaire de données pour faire gagner du temps, limiter le nombre d’échanges et éviter de saturer de requêtes les serveurs faisant autorité. Par exemple, ces résolveurs sont ceux des FAI ou ceux du service informatique d’une entreprise. Leur gestion est généralement privée et c’est aussi un nœud d’Internet qui est une bonne cible lorsque l’on veut détourner ou masquer des résultats de requêtes.

Lorette Costy : Hum ! C’est à cet endroit que l’on peut modifier le bottin et faire que l’utilisateur final n’arrive pas à l’endroit souhaité ? Les serveurs faisant autorité, comme tu dis, seraient par exemple une imprimerie qui produit les bottins et, les bottins ainsi produits, les résolveurs DNS ? Alors que j’aurais plus de mal à aller dans l’imprimerie pour faire des modifications directement à la source, sur la rotative, je peux remplacer une page dans le bottin que je t’offre gracieusement ! Et là paf !, tu arrives sur un site qui vend des toilettes connectées alors que tu voulais consulter café-vie-privée.fr !

Laurent Costy : Pas mal du tout cette analogie filée ! Je me demande vraiment d’où te vient toute cette intelligence ! J’aurais tendance à penser qu’elle vient plus de ton papa, mais je reconnais une légère subjectivité égocentrée.

Lorette Costy : Raconte-moi donc plutôt qui modifie les bottins et ce qu’ils cherchent à atteindre en faisant ça, au lieu de t’auto-congratuler.

Laurent Costy : OK, OK, blague à part de Toto, cette technique de réécriture de bottin est appelée filtrage ou censure, c’est selon ! Si si, allitération remarquable en « s », tu noteras. Bref, le filtrage DNS consiste donc à substituer aux réponses vraies des serveurs faisant autorité, des mensonges pour empêcher un utilisateur de communiquer avec les serveurs du domaine filtré. C’est par exemple utilisé en entreprise pour empêcher les employés de regarder les pages Facebook.

Lorette Costy : Oh !, mais je connais ça ! C’est pour ça qu’on peut pas aller sur des sites de cul au lycée ! Tout s’explique à présent…

Laurent Costy : Oui, je serais curieux que tu essaies une recherche sur le mot cul-de-sac la prochaine fois au lycée ! Au-delà du lycée, c’est aussi une technique utilisée par les États qui contraignent les FAI à faire mentir leur résolveur DNS pour que des sites appelant à la haine, par exemple, ne puissent pas être consultés.

Lorette Costy : Ouais, donc c’est quand même un peu une mesure cool, pour protéger des gens. Je pense surtout aux enfants d’ailleurs. C’est plutôt pas mal au final, non ?

Laurent Costy : C’est là que ça se complique. D’abord, c’est toujours très délicat sur le plan des libertés que de décider pour les autres. C’est infantilisant, ça ne responsabilise pas. D’autant que consulter un site Web ne veut pas dire cautionner son contenu ! Et puis, on risque surtout l’over censure, tout ça sans réelle décision de justice, avec parfois des blocages de contenus plus graves que de ne pas trouver la définition de cul-de-sac ! Enfin, toutes ces manipulations sont toujours des occasions de collecter des données et de surveiller. Les FAI conservent sans doute l’historique des toutes nos connexions qui passent par leur résolveur DNS.

Lorette Costy : Mais, s’ils les gardent, ils font quoi de toutes ces données ? Des conserves à cornichons ?

Laurent Costy : Presque. L’historique de nos connexions, que les informaticiens appellent les logs, sont le socle de ce que l’on appelle le capitalisme de surveillance. Lorsque l’on surveille, on peut prédire les comportements. Lorsque l’on se sait surveillé, on modifie ses comportements. On alimente donc nous-même la possibilité de manipuler et d’orienter le comportement des gens.

Lorette Costy : Mais alors, le plus simple c’est de rester dans l’ignorance de ces pratiques ! Autrement dit on ne fait pas des pâtes à caisse pour chat de Schrödinger de ces questions et tout va bien ! En disant ça, j’ai bien conscience que c’est à la fois intelligent et stupide !

Laurent Costy : Et tout est fait pour soi-disant faciliter la vie des gens et faire qu’ils se posent le moins de questions possible. Si ça se trouve, la prochaine étape sera la suppression de l’école pour apprendre très tôt à ne plus réfléchir ! En attendant, ces pratiques de filtrage sont des atteintes à la neutralité du Net. On n’obtient plus les mêmes réponses à une requête quand on change de résolveur DNS !

Lorette Costy : Et après il n’y a plus de limites aux bornes du sommet des abysses ! Aïe, aïe, aïe ! Bon, je n’ai pas encore choisi si j’avais envie de prendre en main ma destinée informatique ou ignorer tout ça en auto-détruisant cette chronique à sa fin ! Supposons un instant qu’on veuille ne pas ignorer. Genre toi, à ma place, comment tu ferais pour avoir accès à la définition de cul-de-sac au lycée ?

Laurent Costy : Bah, Je demande à Mamie son dictionnaire, tiens ! Sinon, c’est une voie courageuse que tu choisirais là petite Padawan ! Il n’y a pas de solutions faciles à mettre en œuvre. Elles nécessitent souvent quelques connaissances techniques qui ne sont pas triviales. La première étape peut consister à passer par un autre résolveur DNS que celui fourni par ton FAI. Si tu veux, je peux t’aider en échange de ton argent de poche mensuel, que je ne te donnerai pas. Ça te va ?

Lorette Costy : Première règle, on ne touche pas à l’argent de poche. Deuxième règle, on ne touche pas à l’argent de poche ! Et sinon, penser ou ne pas penser, je n’ai toujours pas choisi.

Laurent Costy : Bon, on va laisser reposer tout ça et il est de toute façon difficile d’expliquer oralement comment mettre en place les choses pour reprendre un peu de contrôle sur tout ça. S’il fallait retenir un truc, ce serait de chercher à se faire aider par des vrais gens physiques qui ont quelques compétences et avec qui la confiance s’est construite.

Lorette Costy : Comme toi par exemple, j’imagine ! En tous cas, par rapport au début de notre conversation, j’en sais désormais beaucoup plus sur les DNS. Par contre, je ne sais pas comment je vais pouvoir glisser ça dans les conversations avec mes potes ! Tu m’imagines vraiment, au lycée, balancer entre deux conversations sur les salsifis de la cantine et notre devoir de philo un truc du style « Hé les filles vous pensez quoi des résolveurs DNS et du fait, qu’à cause d’eux, on ne puisse pas mater de porno depuis les PC du lycée ? »

Laurent Costy : Il y a des salsifis à la cantine des fois ? Waouh !, c’est cool. De toute façon je te laisse réfléchir, j’ai un résolveur DNS sur le feu ! Je t’envoie un Doux Neutrino Soyeux.

Lorette Costy : Moi aussi, DNS papa !

Voix off : Cette chronique s’autodétruira dans dix secondes, ou pas. Cette chronique s’autodétruira dans dix secondes, ou pas.

Étienne Gonnu : C’est bon ! Pas d’explosion.
Merci Laurent et Lorette. Une très belle introduction, je pense, pour notre sujet long à suivre.
Une idée sur l’épisode 3 ?

Laurent Costy : Ce sera l’e-mail ou la navigation internet. On est en train de réfléchir.

Étienne Gonnu : D’accord. Affaire à suivre. Merci Laurent. Nous allons faire une pause musicale.

[Virgule musicale]

Étienne Gonnu : Une fois n’est pas coutume. Nous allons écouter un style musical qui me semble assez rare sous licence libre. Une chanson pour enfant, dans un style plutôt folk que j’ai personnellement trouvé très plaisant. Nous allons écouter 1, 2, 3, petits pois ! par Ciboulette Cie. On se retrouve dans trois minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : 1, 2, 3, petits pois ! par Ciboulette Cie.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter 1, 2, 3, petits pois! par Ciboulette Cie, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution, CC By.

[Jingle]

La campagne Technopolice de La Quadrature du Net

Étienne Gonnu : Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui porte sur la campagne Technopolice coordonnée par La Quadrature du Net. Pour ça, j’ai le plaisir de passer la main à Eda, membre du conseil d’administration de l’April et membre de la Quadrature du Net, que tu ne manqueras pas, j’imagine, de présenter.
Je rappelle, avant de te passer la parole, que vous pouvez participer à notre conversation au 09 72 51 55 46 ou sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat ».
Eda, à toi la parole.

Eda Nano : Bonjour à tous. Je suis Eda, je suis de retour sur les ondes. Cette fois je suis très contente parce que je suis en direct du studio. Ça fait plaisir de revoir les amis de l’April.
Je suis en compagnie d’Alouette, à distance.

Alouette : Salut.

Eda Nano : Et de Martin Drago.
Alouette est la coordinatrice de la campagne Technopolice, salariée à La Quadrature du Net. Martin Drago est juriste, salarié lui aussi à La Quadrature du Net. Comme Étienne l’a rappelé j’ai ma double casquette aujourd’hui puisque je suis aussi membre de La Quadrature du Net, qui est une association loi 1901, qui défend les libertés numériques et pas que numériques du coup, comme on va le voir avec Technopolice. Je trouve que ça se marie assez bien parce qu’on défend le logiciel libre et la culture libre à l’April et on défend les libertés numériques avec La Quadrature du Net. Alouette est-ce que tu es là ?

Alouette : Oui, je suis là.

Eda Nano : Coucou. Bonjour.

Alouette : Coucou.

Eda Nano : Je vais commencer avec toi Alouette. Est-ce que tu peux nous dire ce qu’est la Technopolice ?

Alouette : À La Quadrature on a lancé la campagne Technopolice en 2019. C’est une campagne qui vise à lutter contre les technologies de surveillance qui apparaissent d’abord dans l’espace urbain. On est partis du constat qu’il se développait en France les smarts cities et les safe cities, donc toutes les villes intelligentes et connectées, les villes sécurisées par cet ajout de technologie. Du coup, la campagne Technopolice vise à lutter contre cette numérisation de l’espace urbain à des fins sécuritaires.

Eda Nano : Merci Alouette. Martin pourquoi ce terme ? Pourquoi avoir choisi le terme « Technopolice » ? Qu’est-ce qu’il veut dire ? Qu’est-ce qu’il signifie ?

Martin Drago : Déjà bonjour.

Eda Nano : Bonjour. Je ne t’ai pas dit bonjour.

Alouette : Je crois qu’on a chacun sa définition. Moi je le vois de façon assez basique. Je vois la technopolice comme l’utilisation des nouvelles technologies dans l’espace public, comme l’a dit Alouette, par la police. Et puis il y a un jeu de mot parce que polis c’est aussi la ville aussi en grec, je crois. Donc c’est un peu aussi entre polis, ville et surveillance et technologie. À voir aussi que Technopolice, à la base, était un salon de la gendarmerie sûr les nouvelles technologies, qui était plus dans la promotion de ces nouvelles technologies de surveillance. Aujourd’hui on a gagné parce que le terme est plus utilisé en termes de critique qu’en termes de promotion, c’est déjà une première victoire. Hop ! Tout d’un coup, comme ça. Voilà. La définition n’a jamais été parfaite, franchement c’est exactement ça.
Je pense juste rajouter c’est que, effectivement, La Quadrature, au début, c’était beaucoup la question des défenses des libertés sur Internet et puis on s’est rendu compte qu’il y avait effectivement toute une partie sur laquelle on pouvait peut-être apporter quelques outils, quelques expertises par l’expérience qu’on avait des outils de surveillance dopés un peu à ce qu’on appelle, ce que certains appellent l’intelligence artificielle, cette idée d’analyse en masse de données comme le big data qu’on voyait sur Internet et qui commençait à arriver sur l’espace public. Là on a vu qu’il y avait un champ un peu libre, où il n’y avait pas tellement de combats, alors qu’il y avait beaucoup de dispositifs qui se développaient et qu’il fallait, effectivement, documenter et lutter un peu contre tout ça.

Eda Nano : Justement, j’aimerais bien qu’on parle un peu plus en détail de ces dispositifs qui se développent un peu partout dans nos villes. Je suis arrivée à la Quadrature du Net par la campagne Technopolice et, plus précisément, par ce qui se passait en termes de technopolice à Marseille, la ville où j’habite. On avait, en fait, ce projet qui s’appelle L’Observatoire Big Data de la tranquillité publique qui venait d’être mis en place, qu’on venait de découvrir parce qu’il avait été commencé en 2017 et nous on l’a découvert en 2018/2019. Donc ce grand projet, comme ça, qui visait à croiser un tas de données qui étaient des données issues de la vidéosurveillance mais aussi issues des services municipaux, des hôpitaux publics, etc. On allait les croiser. Projet chapeauté par Engie Ineo, donc une entreprise privée.
J’aimerais bien qu’on revienne un petit peu sur les premiers dispositifs qui nous ont alertés, qu’on a vus et qui nous ont poussés, en fait, à créer cette campagne. Est-ce que, Alouette, tu as des villes ou des projets particuliers en tête dont tu veux nous parler ?

Alouette : Je n’étais pas encore à La Quadrature à ce moment-là. J’ai l’impression que les premiers projets qui ont vraiment alerté et qui sont au fondement de la campagne Technopolice, il y avait, par exemple, l’écoute urbaine à Saint-Étienne, donc le fait de mettre des micros dans un certain quartier à Saint-Étienne pour écouter les bruits. Il y avait toutes sortes de bruits qui étaient listés, ça allait des cris, des bruits de meuleuse, bruits de bombe aérosol donc de bombes par exemple pour taguer, ce genre de choses. Il y avait tout un projet assez délirant : une fois que ces bruits étaient écoutés et enregistrés par ces micros, ils allaient ensuite alarmer la gendarmerie qui allait ensuite envoyer des drones pour vérifier ce qui se passait sur place et ensuite amener la police sur place.
Donc il y avait ce projet-là. Après il y avait aussi à Marseille, encore, et à Nice les portiques de reconnaissance faciale qui étaient censés être déployés à l’entrée de deux lycées et qui visaient à scanner le visage des élèves avant qu’ils ne rentrent, comme une sorte de carte pour qu’ils puissent rentrer. Il y avait ces projets-là qui étaient au cœur de la campagne Technopolice au début. Je ne sais pas si Martin veut ajouter d’autres choses.

Eda Nano : Je veux bien, Martin, que tu nous parles un petit peu de la lutte juridique qu’il y a eu notamment contre le projet des portiques de reconnaissance faciale. Ils ont été mis en place, en fait, ce projet-là a été mis en place, il me semble ?

Martin Drago : On les a arrêtés juste avant !

Eda Nano : Ah oui ! Explique-nous du coup.

Martin Drago : Effectivement, on va dire que dans la campagne Technopolice – je préfère qu’on n’arrête pas tout au droit parce que sinon c’est rapidement embêtant, pour rester très poli.

Eda Nano : On va en parler très peu.

Martin Drago : Effectivement, un des moyens de lutte qui existe aujourd’hui, oui, c’est l’outil juridique ou contentieux. On voit, exactement comme disait Alouette, tous ces dispositifs qui se déploient et on voit aussi que s’il y a des collectifs locaux qui font des trucs sur place, les instances nationales ne réagissent pas. Quand je parle d’instances nationales c’est évidemment la CNIL, la Commission nationale informatique et libertés, l’autorité qui est censée nous protéger de tout cela et qui, là, ne fait pas grand-chose et ne faisait déjà pas grand-chose à l’époque, malheureusement. Elle fait des trucs, des échanges de courriers, on sait qu’elle a des échanges de courrier avec les collectivités. Typiquement, sur les portiques de reconnaissance faciale, elle donnait des conseils en disant « ça, ça serait vraiment très grave. Si vous ne faites pas de base de données des visages des élèves ce sera moins grave ». On va dire qu’elle met quelques limites mais sans aller vraiment jusqu’à une vraie volonté politique qui serait l’interdiction de ce type de dispositif.
C’est là où l’outil juridique est très cool parce que ça permet un, d’essayer de faire arrêter strictement ces dispositifs et puis derrière, comme tout enjeu juridique, il y a aussi un enjeu de médiatisation, un enjeu de politisation parce que ça permet de faire parler un peu de ces dispositifs.
Du coup, effectivement, on a attaqué la région Sud qui avait fait un partenariat avec Cisco, une entreprise américaine qui donnait gratuitement ses portiques de reconnaissance faciale pour tester ses algorithmes tranquillement à l’entrée des lycées. On a attaqué en gros, je vais très vite, la délibération qui autorisait la signature de la convention, j’espère que je n’ai endormi personne.
On a gagné sur des principes juridiques assez intéressants, notamment celui de la nécessité. En droit sur beaucoup de trucs, notamment le RGPD, le Réglement général sur la protection des données, quand vous faites un dispositif qui traite des données personnelles, il faut que vous prouviez que c’est nécessaire, c’est-à-dire qu’il n’y ait aucun autre dispositif qui puisse atteindre le même objectif en portant moins atteinte à nos libertés. Or là, ce que disait le tribunal administratif et ce qu’a redit la CNIL derrière une fois qu’on avait gagné, c’était qu’à aucun moment la région n’avait prouvé qu’un humain ferait mieux ou moins bien ce travail qu’un portique de reconnaissance faciale. À partir du moment où il n’y avait pas cette preuve le projet s’est un peu dégonflé. Il y avait d’autres raisonnements juridiques derrière que je trouve moins intéressants. Ce truc de la nécessité est un argument qu’on utilise beaucoup, juridique, mais qui, derrière, se politise énormément, que je trouve intéressant.
Je ne sais pas si c’est très clair.

Eda Nano : Oui. C’est très clair. Merci Martin.
Je voulais revenir un petit peu sur ces dispositifs-là et, si vous le voulez bien, parler de vidéosurveillance automatisée, VSA. On entend aussi souvent parler de vidéosurveillance intelligente, VSI, c’est la même chose. Une des premières villes où ça a été mis en place c’était Marseille, nous avons porté deux recours là-dessus. Est-ce qu’on peut expliquer un petit peu ce qu’est la VSA, Alouette ?

Alouette : La vidéosurveillance automatisée, c’est le fait d’ajouter une couche logicielle sur les caméras de vidéosurveillance classiques. En fait, de l’extérieur, on ne voit pas du tout la différence. Sauf que ces logiciels-là ont pour but d’avoir une surveillance encore plus fine. Ça fait, par exemple, remonter des informations et des alertes au CSU, au Centre de supervision urbaine, là où il y a le visionnage des caméras de vidéosurveillance. Donc ça permet de faire remonter des alertes comme quelqu’un qui maraude. Marauder, dans ce sens-là, c’est quelqu’un qui est statique plus de 300 secondes, plus d’un certain nombre de secondes. Ça envoie une alerte en disant aux gens derrière ces caméras de vraiment surveiller cette personne parce qu’elle a un comportement bizarre. Sinon, il y a des algorithmes qui essayent de détecter ce qu’ils appellent les comportements anormaux. On se sait pas vraiment ce qu’il y a derrière ce comportement anormal, derrière ce terme-là. En fait, c’est l’entreprise qui développe les algorithmes qui décide ce qu’il y a derrière. Ça peut être des gens qui courent dans la rue, une valise abandonnée, quelqu’un qui tague, ce genre de choses.
Tous ces algorithmes ont pour but d’avoir une surveillance encore plus fine de l’espace public à travers l’automatisation de la surveillance. Ces algorithmes sont développés à Marseille, à Toulouse, dans plein de villes, énormément, de plus en plus, sauf que c’est très opaque. On arrive à savoir mais ça demande beaucoup de recherches pour savoir où ces politiques de VSA sont employées.

Eda Nano : Du coup on remarque, en quelque sorte, que ce sont les entreprises privées qui vendent ces solutions-là qui décident de ce qui est un comportement suspect, ou pas, dans nos villes aujourd’hui. Ce n’est plus la société, les habitants qui décident ou discutent de ça, ce sont des entreprises privées qui imposent cette « éthique », entre guillemets, de comportement en ville. Qu’est-ce que tu en penses Martin ?

Martin Drago : C’est ça. C’est-à-dire que le truc de la smart city, on utilise un terme anglais, ce sont souvent des packages. En fait on va avoir une entreprise, je ne sais pas, Thalès, qui va avoir son package safe city qu’elle va essayer de revendre partout, qu’elle va avoir effectivement développé en considérant qu’un comportement suspect, comme disait Alouette, c’est le maraudage, c’est se mettre à courir dans la rue, c’est faire un tag sur les murs. Elle va vendre ses différents produits à différentes villes et les différentes villes vont acheter ça. Peut-être qu’elles vont un peu discuter sur « je considère ça comme anormal ou pas », n’empêche qu’à la fin on prend le produit Thalès et on l’applique – je dis Thalès parce que c’est une grande entreprise dans le sujet – dans sa ville. Effectivement on arrive à des trucs hyper-intéressants et hyper-tristes en même temps qui font que la surveillance de l’espace public est totalement déshumanisée, parce qu’elle est réglée en partie par des algorithmes qui ne sont plus décidés, comme tu le disais, par la collectivité, mais par des ingénieurs dans des sociétés, des entreprises privées. Et surtout, souvent, on est sur de l’apprentissage profond, c’est-à-dire qu’on ne sait même plus tellement comment marche exactement l’algorithme parce que l’algorithme va apprendre tout seul, par exemple, à suivre quelqu’un, à suivre une silhouette sur plusieurs caméras ou suivre quelqu’un sur plusieurs caméras. Comment l’algorithme est entraîné, comment lui-même s’est entraîné, quelles sont les bases de données d’entraînement, tout ça ce sont des choses auxquelles on n’a pas du tout accès. Finalement, on prend de plus en plus le contrôle de la machine qui, pourtant, surveille de plus en plus l’espace public.

Eda Nano : Du coup, comment est-ce que la campagne Technopolice peut nous aide contre ces dispositifs-là pour les analyser, pour savoir ce qu’il en est ? Je prends l’exemple de Marseille où vraiment arriver à savoir ce qui se passe exactement par la veille c’est très difficile. On est souvent, pour ne pas dire toujours, dans l’opacité totale. Comment fait-on Alouette ? Comment est-ce que la campagne peut nous aider ? Quels sont les outils mis en place ?

Alouette : Pour la campagne on a mis en place le forum Technopolice où il y a des personnes un peu partout en France qui peuvent alerter quand il se passe quelque chose chez elles. Ce sont souvent des dispositifs qui sont mis en place au niveau local, du coup on n’a pas forcément une vision de ce qui se passe sur tout le territoire. Ça permet déjà d’être au courant. Ce forum peut permettre aussi à des gens qui viennent à peu près des mêmes endroits de se rencontrer et, du coup, de se parler et de voir ce qu’ils peuvent faire au niveau local. Donc il y a tout le forum qui est un outil de veille, de documentation, de rencontre entre les personnes.
Ensuite on documente également sur un outil qu’on appelle le Carré. Ce sont des pads collectifs. On documente ce dispositif-là et, après, on met sur le site Technopolice où il y a une super carte qui essaye de lister un peu tous les dispositifs en France et pas que, en Belgique aussi ou ailleurs.
Donc il y a notamment ces outils-là qui permettent surtout de la documentation et surtout de la rencontre entre les personnes.

Eda Nano : Il y a deux semaines, ici sur les ondes de la radio Cause Commune, dans l’émission Libre à vous !, on avait invité l’équipe de Ma Dada. On a parlé des demandes CADA. Je sais qu’on les utilise beaucoup dans la campagne Technopolice. Qu’est-ce qu’on fait avec ? Quel est l’intérêt ? Martin.

Martin Drago : Tu ne me donnes que les sujets juridiques secs !

Eda Nano : Non. On va changer après.

Martin Drago : Ça paraît un peu triste comme ça. C’est vrai que la demande CADA qui est, en gros, une demande pour dire à des collectivités qui ont des documents qui sont publics, à caractère public, mais qui ne sont pas publiés, permet à n’importe qui, vous, moi, de demander la publication de ce document, en tout cas de demander la communication de ce document administratif.
Du coup, ça peut paraître un peu bête comme ça, mais moi je le vois en première étape de documentation et de lutte. Si je prends l’exemple de Saint-Étienne, je trouve c’est un bon exemple. On l’a appris par la presse parce que Gaël Perdriau, le maire de droite de Saint-Étienne, se vantait d’avoir mis en place ces capteurs sonores dont parlait Alouette tout à l’heure. On fait une demande CADA et on a reçu 150 pages. Je ne sais pas qui, à la mairie, était affilié à La Quadrature secrètement, mais on a eu tous les procès verbaux des réunions, tous les schémas de l’entreprise qui développait ça avec Saint-Étienne, Verney Carron, l’entreprise qui fait des flash-balls. Rien que le fait d’avoir ça, on a tout diffusé, ensuite, sur notre site en faisant un petit article d’analyse. Ça a rendu visible le projet, le dispositif qui, en plus, Alouette parlait de drone, de reconnaissance de graffitis, etc., rien que le fait d’avoir publié ces documents, ça a contribué un peu à la pression politique, ça a montré un peu le ridicule et les dangers du projet et, finalement, ça a abouti, à la fin, à une sanction de la CNIL contre Saint-Étienne.
Donc demander ces documents, ça permet de visibiliser le projet, de mieux le comprendre et quelquefois même de le faire tomber. Pour vous donner un peu un ordre d’idées, je pense qu’à La Quadrature on fait au moins deux-trois demandes CADA par semaine, chaque fois qu’on entend parler d’un projet. En fait, c’est assez rapide à faire grâce à madada.fr, j’avoue que je l’utilise très régulièrement, c’est hyper-pratique. On en fait beaucoup, ça prend cinq minutes. Il y a 10 % de chances de réussite, mais 10 % de chances de réussite ce n’est déjà pas mal !

Eda Nano : Je voulais dire que sur le site Technopolice on a un endroit pour pouvoir faire fuiter des documents, ça s’appelle Fuiter, c'est un logiciel libre, évidemment, qui s’appelle SecureDrop qui est raccordé derrière, pour les plus techniciens. On peut très facilement faire fuiter des documents. Donc n’hésitez pas, que vous soyez employé dans des mairies, que vous soyez employé dans des entreprises comme Thalès, et., si vous ne vous sentez pas à l’aise avec tout ça, n’hésitez pas en toute sécurité vous pouvez faire fuiter des documents sur SecureDrop.

Martin Drago : Allez-y !

Eda Nano : Faites fuiter ! Ensuite, je voulais revenir un petit peu sur ce forum où j’ai fait mes tout débuts, en fait, dans la campagne Technopolice. Je suis arrivée un jour et j’ai dit « c’est quoi ici ? Est-ce que quelqu’un peut me renseigner sur la cartographie des caméras à Marseille où j’habite ? » C’est comme ça que pour moi tout a commencé vraiment. Petit à petit je me suis de plus en plus impliquée dans la campagne Technopolice locale, petit à petit dans la campagne Technopolice nationale.
Nous avons fait une exposition artistique, vraiment artistique, qui s’appelait Technopolice à Marseille. Je voulais en parler parce que nous avons Marne, à La Quadrature, qui a fait des visuels vraiment magnifiques sur cette campagne, qu'on peut trouver, pour la plupart, sur le site technopolice.fr, je crois que c’est dans l’onglet « Se mobiliser » et là on a un kit d’images, magnifique. Marne s’est vraiment inspiré un peu de cette atmosphère oppressante de la smart ville et de la ville surveillée. On a fait, comme ça, une exposition dans une galerie alternative, à Marseille, de ces visuels-là. Mine de rien, on accueillait du public et on a vu passer vraiment souvent des gens très intéressés et très interpellés par ces problèmes-là, de simples citoyens avec qui on a pu discuter des problèmes de ces dispositifs-là, des moyens de se mobiliser, etc.
On en a refait une autre à Avignon, quelques mois après. À chaque fois on remarque que les gens sont vraiment très interpellés par ces dispositifs-là, par ce qui se passe autour d’eux, parce que, en fait, on ne leur a jamais demandé leur avis, ils n’ont pas été concertés et ils ne comprennent pas vraiment en quoi cela aide à la sécurité de la ville.
Je vais poser la question que tout le monde pose qui est : quelle est l’efficacité de ces dispositifs ? Je vais même aller au-delà, Alouette, si tu veux bien en parler, quel est le but de ces dispositifs ? Est-ce que le sentiment de sécurité ou d’insécurité y est pour quelque chose dans cette histoire ? Est-ce qu’on peut tout voir par le prisme de la sécurité parce qu’il y a peut-être d’autres problèmes qui sont induits par ces dispositifs-là, qui vont au-delà de cette sécurité, que ce soit réel ou que ce soit juste le sentiment que ça induit ?

Alouette : J’ai l’impression que ce sentiment d’insécurité c’est surtout quelque chose qui a été porté dans le discours politique et dans le discours médiatique, mais qu’il n’y a pas vraiment de fondement à travers la naissance de concept-là qui est tout seul et qui s’auto-alimente.
Du coup la question la question de l’efficacité de ces dispositifs, de ce pourquoi ils sont déployés dans l’espace public, je pense qu’il faut d’abord rappeler qu’il y a énormes enjeux économiques et politiques derrière, que ce soit à travers l’ouverture de nouveaux marchés : on voit des entreprises qui sont des entreprises de la défense, de la sécurité, comme Thalès, des entreprises comme Engie Ineo qui sont des entreprises qui n’étaient pas dans ce domaine à la base ou alors des startups derrière. Il y a tout un champ d’entreprises assez différentes qui vont dans ce marché-là parce que c’est un marché qui est économiquement rentable. Les caméras de vidéosurveillance coûtent énormément d’argent et il y a besoin de les renouveler assez régulièrement, etc. Donc il y a tout un poids économique assez fort et politique aussi de la part des élus, des villes, etc., parce que, en fait, ça constitue une ressource politique pour ces élus de dire « regardez, je fais quelque chose pour ma ville, je mets des caméras », c’est un discours qui est assez facile à tenir, à porter. Il y a tout ce côté-là. Pourquoi ces dispositifs sont installés ? Il y a d’énormes enjeux économiques et politiques derrière avant tout.

Eda Nano : Merci Alouette.
Je laisse la parole à Étienne pour la pause musicale je crois.

Étienne Gonnu : Pas encore. Je voulais juste un petit retour de témoignage, bref un témoignage. J’habite sur Saint-Denis et j’ai reçu, comme beaucoup de Dionysiens je pense, la lettre d’information municipale. Il y avait un petit encart, la ville se vantait de nous expliquer qu’il y avait plus de caméras et que bientôt des policiers, des agents de police seraient dans des centres, j’ai oublié le terme exact, à surveiller 7 jours sur 7, derrière ces caméras, ce qui se passe. C’est une municipalité PS qui se vante très naturellement. Il y a quelques années encore, on voyait les affiches à Béziers, tout le monde se scandalisait d’imaginer par exemple des policiers municipaux qui seraient armés et on voit comment ça se banalise. Du coup, ce qu’expliquait Alouette m’a vraiment évoqué ça.

Eda Nano : Ce que tu dis là est très intéressant, Étienne. À Marseille il se passe un peu la même chose. Nous avons une nouvelle municipalité depuis un an qui, cette fois, est de gauche et qui, en plus, se dit écologiste. On s’attendait tous, en plus ils avaient promis donc c’est normal qu’on s’y attende, qu’il y ait un moratoire sur la vidéosurveillance dans notre ville. Et qu’est-ce qu’on remarque avec beaucoup de tristesse, mais vraiment une sincère tristesse c’est que, depuis quelques mois, ils ont continué les marchés de maintenance des caméras de vidéosurveillance, ensuite ils prévoient des budgets pour augmenter les caméras de vidéosurveillance. Nous avons un recours en cours contre la vidéosurveillance automatique de Marseille que, dans un premier temps, ils avaient dit qu’ils avaient suspendue mais dont, finalement, ils se défendent avec un grand cabinet d’avocats parisien. Ensuite, dernière nouvelle vraiment triste, on vient d’apprendre qu’ils continuent ce fameux projet Observatoire Big Data de la tranquillité publique. C’est une mairie de gauche, c’est une mairie qui se dit écologiste. Comment on l’explique, Martin ?

Martin Drago : C’est ce que Alouette a dit. C’est franchement un argument facile politiquement. Il y a toujours des élections en jeu et dire qu’on fait quelque chose ça permet souvent de se faire réélire sans avoir à s’occuper du fond. Faire de l’esbroufe algorithmique, on va dire que ça marche toujours !

Eda Nano : C’est d’autant plus important, du coup, d’avoir des campagnes comme Technopolice pour un petit peu...

Martin Drago : Oui. Et des gens sur le forum où vous pouvez aller.

Étienne Gonnu : Avant qu’on fasse la pause musicale, Marie-Odile nous pose une question sur le salon, qui me semble faire parfaitement écho à ce que tu évoquais, notamment sur les budgets que ça fait reposer sur la ville et qui est considération assez concrète : quelle est la durée de vie ? Est-ce que vous savez la durée de vie de ces caméras ? On imagine que c’est très cher, s’il faut les renouveler tous les quatre/cinq ans, en plus de toute la logistique derrière à payer. Est-ce qu‘on a une idée de la durée de vie ?

Eda Nano : Dans une ville comme Marseille, on a 1500 caméras actuellement en place. On a budget de maintenance, donc juste maintenance, qui est de près de 7 millions d’euros par an.
La durée de vie est très variable en fait. Il va y avoir les conditions climatiques, ça dépend du matériel, etc. Il peut aussi y avoir des dégradations qui viennent de la population. Donc je n’en ai aucune idée, parce que, en fait, toutes les données sont opaques et même ça c’est opaque. Par contre, je sais que le remplacement est très rapide et qu’on ne s’est jamais posé la question du coût écologique de ces dispositifs-là.
Martin, tu voudrais dire quelque chose.

Martin Drago : Il y a des documentations là-dessus. En gros, une grande partie de la vidéo-surveillance en France est financée par un fonds public d’État qui s’appelle le fonds interministériel pour la prévention de la délinquance. Ce sont des documentations qui sont publiques. Vous verrez là-dessus les financements extrêmement importants qui sont donnés chaque année par l’État pour financer en masse la vidéosurveillance qui s’est lancée depuis 2012 sous Sarkozy qui voulait et a lancé un grand plan de vidéosurveillance en France.

Eda Nano : Et ça ne va pas s’arrêter parce qu’on a les Jeux olympiques qui arrivent. On va en parler peut-être après la pause avec Alouette et Martin.

Étienne Gonnu : Super. Merci Eda.
Nous allons effectivement faire une pause musicale. Je vous propose d’écouter Late as usual par The Freak Fandango Orchestra. On se retrouve juste après. Je vous souhaite une belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Late as usual par The Freak Fandango Orchestra.

Voix off : Cause Commune 93.1.

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Late as usual par The Freak Fandango Orchestra, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions.

[Jingle]

Deuxième partie

Étienne Gonnu : Nous sommes donc avec Eda, Martin et Alouette pour parler de Technopolice et je vous rends la parole.