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'''Grégoire Pouget :''' Oui. On a eu des retours. Comme toute opération, il y a des choses qui marchent et des choses qui ne marchent pas. On va être très honnête. On a eu des très bons retours des sites plutôt en Europe de l'Est et Russie, où là, l'opération a été extrêmement utile et marche très bien. Et on a des retours de sites en Chine, où, pour le coup, on en parlera, ils ont été bloqués, il faut qu'on les débloque à nouveau, nos miroirs. Et des retours, aussi, du Bahreïn, où là c'est aussi pour une histoire de manque de temps et de techno, on en parlera peut-être plus tard, où le site qui a été débloqué est à nouveau bloqué, donc il faut qu'on retravaille là-dessus.
'''Grégoire Pouget :''' Oui. On a eu des retours. Comme toute opération, il y a des choses qui marchent et des choses qui ne marchent pas. On va être très honnête. On a eu des très bons retours des sites plutôt en Europe de l'Est et Russie, où là, l'opération a été extrêmement utile et marche très bien. Et on a des retours de sites en Chine, où, pour le coup, on en parlera, ils ont été bloqués, il faut qu'on les débloque à nouveau, nos miroirs. Et des retours, aussi, du Bahreïn, où là c'est aussi pour une histoire de manque de temps et de techno, on en parlera peut-être plus tard, où le site qui a été débloqué est à nouveau bloqué, donc il faut qu'on retravaille là-dessus.


'''Jean-Marc Manach :''' En fait, pour expliquer concrètement. La technologie que vous avez utilisée pour faire les miroirs a été développée par ''GreatFire'', qui est un hommage au Great Firewall of China, la grande muraille de Chine, qui est une ONG créée par des Chinois dissidents, et qui se bat contre la muraille virtuelle de Chine depuis des années, et qui avait déjà réussi à débloquer un certain nombre de sites, la Deutsche Welle, la BBC, qui étaient bloqués en Chine. Donc ils ont partagé, en logiciels libres, les logiciels qui permettent de contourner la censure, que vous avez récupérés. Et ce qui est intéressant sur le site GreatFire<ref>https://en.greatfire.org/ GreatFire]</ref>, c'est qu'il y a un formulaire où on peut mettre n’importe quelle URL et on peut savoir si le site est bloqué ou pas.  
'''Jean-Marc Manach :''' En fait, pour expliquer concrètement. La technologie que vous avez utilisée pour faire les miroirs a été développée par Great Fire, qui est un hommage au Great Firewall of China, la grande muraille de Chine, qui est une ONG créée par des Chinois dissidents, et qui se bat contre la muraille virtuelle de Chine depuis des années, et qui avait déjà réussi à débloquer un certain nombre de sites, la Deutsche Welle, la BBC, qui étaient bloqués en Chine. Donc ils ont partagé, en logiciels libres, les logiciels qui permettent de contourner la censure, que vous avez récupérés. Et ce qui est intéressant sur le site GreatFire<ref>[https://en.greatfire.org/ Great Fire]</ref>, c'est qu'il y a un formulaire où on peut mettre n’importe quelle URL et on peut savoir si le site est bloqué ou pas.  


'''Grégoire Pouget :''' Tout à fait.
'''Grégoire Pouget :''' Tout à fait.

Version du 13 décembre 2016 à 12:29


Titre : RSF, Collateral Freedom et la cyber-censure - Reporters Sans Frontières, face aux censures de sites

Intervenants : Jean- Marc Manach - Grégoire Pouget - Christophe Deloire

Lieu : Émission 14h42

Date : Mars 2015

Durée : 42 min 57

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Relecture faite par : Didier

00' transcrit MO Relu Didier

Jean-Marc Manach : Bonjour et bienvenue dans ce nouvel épisode du 14h42, l'émission en partenariat avec Next INpact et Arrêt sur images sur Internet, les nouvelles technologies, le numérique. Aujourd'hui deux invités qui viennent de Reporters sans frontières, Christophe Pouget, qui est responsable cellule Internet de Reporters sans frontières ?

Grégoire Pouget : Grégoire Pouget.

Jean-Marc Manach : J'ai dit quoi ?

Grégoire Pouget : Christophe Pouget, c'était un mix des deux noms.

Jean-Marc Manach : Et Christophe Deloire.

Christophe Deloire : Grégoire Deloire, non.

Jean-Marc Manach : Christophe Deloire qui est délégué général.

Christophe Deloire : Secrétaire général.

Jean-Marc Manach : Secrétaire général, ça commence bien, de Reporters sans frontières, et je vous invite aujourd'hui parce que la semaine dernière, le 12 mars, c’était la journée mondiale de lutte contre la cybercensure, qui est une initiative qui a été lancée en 2008, par Reporters sans frontières, et où cette année vous avez contribué à débloquer neuf sites qui sont censurés dans un certain nombre de pays. On y reviendra. Moi, ce qui m'a marqué, c'est que quand je suis allé sur le site de Reporters sans frontières[1], il y a un petit compteur qui s'affiche et il y avait 175 net-citoyens en prison. C'est quoi cette expression de net-citoyens ?

Christophe Deloire : En fait , c'est, de notre point de vue, des journalistes, des gens qui, dans leur pays, exercent la fonction sociale du journalisme, mais qui sont des amateurs au sens où ce sont des non professionnels, pour utiliser la traduction d'une terminologie.

Jean-Marc Manach : D'accord. Des journalistes citoyens ou des blogueurs.

Christophe Deloire : Parce que dans beaucoup de pays, au fond, vous avez mentionné 175 net-citoyens en prison, il y a 180 journalistes professionnels en détention dans le monde. On pourrait se dire qu'avec les nouvelles technologies, au fond, il y a une disparition des exactions à l'ancienne, j'allais dire, des journalistes tués dans certains pays, ou placés en détention. Malheureusement, même s'il y a un développement des moyens de coercition lié au nouvelles technologies contre la liberté d'information, les anciennes exactions, elles demeurent et elles s'appliquent, simplement maintenant, en plus, à des gens qui exercent cette fonction sociale-là. Puisque dans beaucoup de pays l’État parvient d'abord à contrôler l'audiovisuel, ce qui est le plus contrôlé, partout, que ce soit dans les dictatures.

Jean-Marc Manach : Dans les régimes démocratiques.

Christophe Deloire : Dans des mesure totalement différentes, dans les régimes démocratiques, c'est l'audiovisuel. Parfois il y a une survivance d'une petite presse écrite, qui, plus ou moins bien, arrive à vivre avec quelques espaces de liberté. Et l'endroit sur lequel il y a de nouveaux espaces de liberté, c'est évidemment le Web où là, il y a des nouveaux acteurs qui, du point de vue de certains États, sont moins contrôlables. Et donc l'un des moyens de les contrôler, enfin il y a plusieurs moyens, il y a des moyens technologiques, on y reviendra, et puis il y a le moyen de les envoyer en prison. Il y a des net-citoyens, des journalistes citoyens qui sont, dans certains pays, en prison depuis très longtemps.

Jean-Marc Manach : J'ai vu en Chine, il y en a qui sont en prison depuis l'an 2000. Il y a 73 internautes qui sont en prison en Chine.

Christophe Deloire : La Chine, c'est un pays où on considère nous, à Reporters sans frontières, qu'il y a une centaine de journalistes qui sont en détention, 30 professionnels et 70 non professionnels, qui sont ces net-citoyens, mais qui font un travail d'information, qui font le travail d’enquêter.

Jean-Marc Manach : C'est quoi ? Ce sont des gens qui partagent sur Facebook ou l’équivalent des réseaux sociaux ?

Christophe Deloire : Ce sont des gens qui font le job d'une certaine manière, c'est-à-dire qui vont faire des enquêtes. Alors c’était des journalistes, en Chine, qui sont allés faire des enquêtes après le tremblement de terre dans le Sichuan ; ce sont des gens qui font des enquêtes sur la corruption. Et, au bout d'un moment, lorsque le gouvernement chinois, le parti communiste, puisque le gouvernement chinois c'est simplement une façade du parti communiste, en a assez, il tape extrêmement fort. Il a d'ailleurs mis en place des lois et avec le nouveau président chinois Xi Jinping, des lois extrêmement fortes qui font que, dès lors qu'on est trop souvent retweeté, trop souvent cité, on peut se retrouver en détention. Mais c'est le cas dans d’autres pays, c'est le cas au Vietnam.

Jean-Marc Manach : Alors en Iran et au Vietnam il y a 27 personnes qui sont en prison à cause d’Internet. Il y en aurait 17 en Syrie.

Christophe Deloire : C’était le cas du Vietnam, l’endroit où ceux qui représentent un contre-pouvoir, je citais des enquêtes sur la corruption sur le pouvoir, mais c'est aussi des enquêtes sur les affaires sanitaires, environnementales. Ces net-citoyens qui se vivent, d'une certaine manière, j'allais dire comme des journalistes, au sens ils sont vraiment soucieux d'aller chercher des faits, pour les apporter plus largement. On les distingue de gens qui sont des activistes, des gens qui utilisent Internet à des fins politiques, etc., qui peuvent être tout à fait louables, plus ou moins, ça chacun a son avis. Nous, on parle de gens qui vont chercher les faits pour les rapporter.

Jean-Marc Manach : Je crois que c'est aussi au Vietnam, qui sont en prison pour offense au chef d’État, enfin au roi, enfin on a le cas dans différents royaumes.

Christophe Deloire : Après les infractions retenues, à certains endroits, ce sont des offenses à tel ou tel roi. À d'autres endroits ce sont des notions de blasphème. L'un de ceux qu'on pourrait citer, c'est Raif Badawi, c'est ce Saoudien qui a été condamné à mille coups de fouet, dix ans de prison, plus une amende, parce qu'il a créé un site Internet. C'est un jeune homme, il a un peu plus de trente ans, il a créé un site internet sur lequel il a ouvert des débats, et sur lequel il y a eu des critiques de la police religieuse, des critiques de choses tout à fait aberrantes de ces prédicateurs saoudiens qui remettent en cause le travail des astronomes au motif que ça relativise la Charia, et pour ça, il a été condamné à une peine de prison.

Jean-Marc Manach : On sait où il est en est d'ailleurs aujourd'hui, parce qu'il y a une pression internationale assez forte ?

Christophe Deloire : Il y a une pression internationale, à laquelle Reporters sans frontières a beaucoup participé. Au début, on lui a remis notre prix, prix Reporters sans frontières pour la presse dans la catégorie net-citoyens justement, à l'automne dernier. Ensuite on a beaucoup mobilisé. Peu à peu des chancelleries occidentales se sont indignées, l'Union européenne. Ça a permis que sa peine soit suspendue, enfin l’exécution de sa peine soit suspendue, après l'exécution de la première séance.

Jean-Marc Manach : Après la première flagellation ils disaient si jamais on recommence tout de suite il va mourir.

Christophe Deloire : Parce que c’était mille coups de fouet qui étaient censés lui être administrés en vingt séances de cinquante coups de fouet. Il se trouve que Raif Badawi, par ailleurs, est en très mauvaise santé. Le problème c'est que lui-même, son épouse, ses enfants, enfin tous ceux qui s’intéressent à son cas, chaque vendredi, se demandent s'il n'aura pas droit à une nouvelle séance. Ce qui est essentiel, c'est qu'aujourd'hui Raif Badawi soit gracié, et non seulement qu'il ait en permanence cette épée de Damoclès d'une éventuelle prochaine séance au-dessus de la tête, mais qu'il puisse être libéré. Mais c'est un pays, alors il y a le cas de Raif Badawi, qui est le plus extrême, le pire, mais un autre journaliste a été condamné à deux cents coups de fouet il y a quelque mois. L'avocate de Raif Badawi, qui avait créé avec lui ce Saudi Liberals Network, qui était son site, a été placée en détention. Elle c'est au motif d'un tweet.

Jean-Marc Manach :  Et on a le cas de Nabeel Rajab, au Bahreïn, qui lui aussi est régulièrement incarcéré et torturé parce qu'il poste des tweets qui sont considérés comme offensants par la monarchie bahreïnite. Une autre chose qui m'a intéressé c’était votre définition de la cybercensure, parce que ça recoupe plusieurs choses en fait.

Grégoire Pouget : La cybercensure, je ne sais pas si ça recoupe plusieurs choses. Nous on la définit comme étant le fait de bloquer un site internet, et la journée du 12 mars est la journée internationale contre le fait de bloquer des sites internet, c'est pour ça qu'on a essayé de débloquer des sites. Évidemment, les sites qu'on a choisis ce sont les sites d'information, puisque que notre combat c'est pour la liberté de l'information et, évidemment, il n'y a pas que des sites d'informations qui sont bloqués. Et les neuf sites qu'on a choisis, ce sont des sites qu'on connaît bien. Cette opération Collateral Freedom[2], c'est également l'occasion de mettre en avant ces sites-là parce qu'on trouve que leur travail est vraiment exceptionnel.

Jean-Marc Manach :  C'est une façon aussi d'honorer le travail journalistique et la qualité du travail.

Grégoire Pouget : Bien sûr.

Jean-Marc Manach :  On va les citer : Grani, qui est un site d'information russe, qui est bloqué depuis mars 2014, au nom de la loi Lougovoï, qui autorise le blocage administratif de sites internet appelant à prendre part à des manifestations non autorisées. C'est un site d'opposition ? C'est un site libre ?

Grégoire Pouget : Non. C'est un site qui fait du journalisme indépendant et c'est un site qui ne suit pas la propagande russe. C'est un des rares sites en Russie qui a eu un traitement plutôt équilibré du conflit Russie – Ukraine.

Jean-Marc Manach : Ukraine.

Grégoire Pouget : Exactement, et ça c'est le miroir qui a le mieux marché. Il est toujours débloqué ce site et c'est le miroir qui nous a forcé à revoir notre dispositif technique, remettre plus de ressources, etc., parce que ça a vraiment très bien marché.

Jean-Marc Manach : Parce qu'il y a trop de personnes qui se connectaient en même temps

Grégoire Pouget : Et là, c'est un des sites qu'on a plutôt bien choisi, au sens où il y avait un vrai besoin, il y avait une vraie envie. Pour le coup, il faut parler russe, parce que le site est écrit en russe. Donc on est sûrs que ce sont des internautes qui parlent russe, qui veulent s’informer sur la situation en Russie. Et c'est le miroir qui a vraiment bien marché.

Jean-Marc Manach : Vous êtes sûrs parce qu'en regardant les logs.

Grégoire Pouget : Non, on ne regarde pas les logs.

Jean-Marc Manach : Le simple fait que ce soit écrit en cyrillique fait que, à priori, ce ne sont pas des Espagnols qui y vont.

Grégoire Pouget : La seule chose qu'on peut voir des logs, parce qu'on avait fait en sorte de ne pas loguer trop de choses parce que ça peut être un problème, la seule chose qu'on a vue c'est que ce sont des gens qui naviguaient sur plusieurs pages et qui allaient voir des pages précises, sur des sujets de société, des articles de fond, etc.

Jean-Marc Manach : D’accord. Question. Paradoxalement, le fait que vous débloquiez l'accès, c'est-à-dire vous proposez, techniquement parlant, on va expliquer un petit peu comment ça fonctionne. En fait, c'est que vous faites un miroir du site en question, ce qui fait que les gens qui veulent aller, les Russes qui veulent aller sur grani.ru[3], c'est bloqué depuis l'intérieur de la Russie. Donc vous créez un miroir sur une autre URL, qui là, à priori, est débloquée. Mais en même temps, en créant un miroir, est-ce que vous ne vous permettriez pas, éventuellement, aux autorités russes de pouvoir identifier quels sont ceux qui vont sur ce site-là ?

Grégoire Pouget : Non, parce que c'est nous qui avons accès aux logs. Enfin, c'est-à-dire que, à moins que la Russie ait mis en place un système qui trace tous les gens qui vont sur ce miroir, et sachant que l'adresse du miroir va changer assez régulièrement, c'est assez compliqué de voir qui va accéder à ce site. Donc ça c'est un des problèmes. Mais la seule chose que pourraient éventuellement voir les FAI, les fournisseurs d'accès à Internet dans les pays dans lesquels on a débloqué des sites, c'est juste l'URL du site qui est db1.ccl.global.fast.net, ce qui est un marqueur assez faible pour identifier une potentielle...

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Jean-Marc Manach : D’accord. Alors on a un autre site. Là c’est en Ouzbékistan, en Turkménistan, qui s'appelle Ferghana et où là, vous écrivez que les correspondants de Ferghana prennent des risques considérables pour exercer dans la clandestinité leur mission d’information. Là, c'est encore un niveau supplémentaire : des journalistes qui sont clandestins dans leur pays !

Grégoire Pouget : Par exemple, il faut savoir que grani.ru, il y a une partie de l'équipe qui est en Russie, une autre partie qui n'est plus en Russie, parce qu'elle ne peut plus.

Jean-Marc Manach : Elle est en exil.

Grégoire Pouget : Elle est en exil. Et ferghananews.com[4], c'est encore plus dur parce que c'est bloqué en Ouzbékistan, en Turkménistan, qui sont des pays où, pour le coup, la situation pour les journalistes est assez dramatique. Nous, on fait aussi beaucoup d'assistance chez Reporters sans frontières pour les éloigner.

Jean-Marc Manach : On va en parler tout à l'heure.

Grégoire Pouget : Et on a eu beaucoup de cas de journalistes qui ont été obligés de fuir ces pays. Et donc ceux qui restent dans ces pays ne peuvent pas dire qu'ils exercent pour ce site-là, ils ne peuvent pas le dire publiquement, et en effet, ils travaillent anonymes ou sous pseudo.

Jean-Marc Manach : Sous pseudonyme.

Grégoire Pouget : Tout à fait. Ouais.

Jean-Marc Manach : On part en Chine avec deux sites. Il y a Mingjing News et le Tibet Post International. Alors Mingjing News[5], qui parle de ce qui se passe en Chine avec des affaires de corruption, et Tibet Post International[6], qui donne une vision sur ce qui se passe au Tibet, et là, par contre, c'est fait par des gens qui sont à l'étranger, ce n'est pas sur place, ce n'est pas dans ces pays-là ?

Grégoire Pouget : Oui, tout à fait. Mingjing News, si, ils sont à Hon Kong. C'est la partie un peu, on va dire, plus libérale, côté liberté d'expression en Chine que ailleurs. Par contre le Tibet Post, en effet, ils ne travaillent pas au Tibet, ils ne travaillent pas en Chine, ils sont ailleurs, la rédaction est dans un autre pays. Et le Tibet Post c'est un cas très intéressant parce qu'ils publient leur site en trois langues : en anglais, en chinois et en tibétain. C'est un site qui s'adresse à la fois à la communauté.

Jean-Marc Manach : Et en même temps à la diaspora, et au grand public international.

Grégoire Pouget : Et à la diaspora, et au grand public. Et c'est pour ça que c’était un de sites sur lesquels on a voulu...

Jean-Marc Manach : Et qui est un des rares sites, d'ailleurs, qu'on peut lire en anglais, l'essentiel des autres sites étant dans leur langue.

Grégoire Pouget : Tout à fait.

Jean-Marc Manach : On a également DanLamBao. Alors là c'est au Vietnam, effectivement le Vietnam c'est un des pays qui est le plus féroce à l'encontre des internautes.

Grégoire Pouget : Ouais. Ce qui est intéressant avec la situation au Vietnam, enfin intéressant, ce n’est pas le bon mot, mais ce qui est caractéristique, c'est qu'au Vietnam, il y a à la fois de la surveillance et de la censure, surveillance technologique. Mais au Vietnam, ça marche encore beaucoup avec la surveillance classique, c'est-à-dire qu'on identifie les gens, on les suit. Enfin, c'est de la délation aussi. Et au Vietnam, il y a une loi qui s'appelle le décret 72, qui est passé en 2013, et qui fait, qu'en fait, DanLamBao n'est pas un site autorisé au Vietnam parce que DanLamBao[7] n'est pas un site d'information enregistré au sens un grand média, etc., c'est plutôt un blog, mais qui fait de l'information. De toutes façons, au Vietnam il n'y a plus de médias qui font de l'information.

Jean-Marc Manach : Ils font de la propagande.

Grégoire Pouget : Voilà. Les lignes sont très difficiles à passer et, pour le coup, les journalistes, enfin les gens qui informent vraiment au Vietnam, ce sont plutôt les blogueurs. Et que dit ce décret 72 ? Ce décret dit que les gens qui ont un blog, qui ne sont pas journalistes professionnels, n’auront plus le droit que de parler de choses qui ont trait à leur vie personnelle. Et donc ils n'auront plus le droit de traiter de l'actualité, des relations internationales.

Jean-Marc Manach : D'accord. Donc tu auras le droit de parler des recettes du riz gluant, mais c'est tout.

Grégoire Pouget : Exactement. D'après ce décret 72, tous les sites qui sont tenus par des journalistes non professionnels et qui parlent de l'actualité sont illégaux.

Jean-Marc Manach : D'accord. On a aussi à Cuba, alors là ça m'a vraiment étonné, je ne connaissais pas du tout, c'est une agence de presse indépendante Hablemos Press, qui compte trente correspondants dans les quinze provinces cubaines. Leur matériel a été confisqué, leur téléphone portable connecté. Il est très difficile d'accéder à Internet en toute liberté, à Cuba, et, malgré tout, ils arrivent, depuis Cuba, à informer. Alors, il est hébergé à l'étranger, j'imagine que c'est aux États-Unis. Ils arrivent à faire sortir les informations. On sait comment ils font pour sortir les informations ?

Grégoire Pouget : Ils utilisent le téléphone et, pareil, les journalistes d'Hablemos Press[8], ceux qui sont à Cuba prennent des risques considérables. Certains sont identifiés.

Jean-Marc Manach : Ouais. Ce qui est marqué : certains ont été convoqués par le département de la sécurité intérieure et sommés de changer la ligne éditoriale.

Grégoire Pouget : Tout à fait. Et la veille de l’opération Collateral Freedom, il y a un journaliste d'Hablemos Press, qui a été arrêté. On a réagi quelques jours après. C'est-à-dire que les gens qui travaillent à Cuba pour Hablemos Press sont sous menace constante. Et ce qui est caractéristique à Cuba, c'est que la censure ce n'est pas vraiment une censure technologique avec des gros firewalls qui bloquent toutes les requêtes à tel ou tel site. La censure, c'est un peu différent, c'est-à-dire que le coût de l'accès à Internet est tellement élevé à Cuba, que, pour accéder à Internet, il faut passer, mécaniquement parlant, très peu de gens...

Jean-Marc Manach : Mécaniquement parlant, il y a un blocage.

Grégoire Pouget : Voilà exactement.

Jean-Marc Manach : Comment vous avez fait pour sélectionner ces sites-là, parce qu'il y a une soixantaine de pays qui pratiqueraient une censure, plus ou moins forte, au niveau d'Internet. Pourquoi, je crois que c'est onze sites ? Alors qu'il y en a beaucoup plus.

Christophe Deloire : Ce sont de problématiques sur lesquelles on travaille toute l'année. Ces sites, ce sont des sites que, pour la plupart, on connaît bien, pour être en relation avec eux. Enfin là-dessus je ne donnerai évidemment pas de détails par souci pour la sécurité de gens. Mais, de fait, depuis que RSF a été l'une des organisations pionnières sur les questions des nouvelles technologies, on a développé une expertise, mais aussi un réseau relationnel, une connaissance de ce paysage de sites et qui fait que, au fond, voilà, l'essentiel de ceux qu'on a cités font partie de ceux qu'on a aidés, dont dont sait qu'à des titres divers, avec des moyens technologiques, parfois avec des moyens plus classiques, ils sont attaqués. La logique de RSF sur tout ça, c'est que, on y reviendra peut-être, mais on donne des moyens au public de franchir la censure et aux journalistes, chacun dans sa position, de franchir ces murs de la censure. Il y a des moyens qui consistent à tenter de passer sous les murailles, sous la grande muraille technologique de Chine, pour ceux qui veulent accéder à des sites à l'extérieur. C'est important, aussi, notamment pour les journalistes, pour qu'ils puissent enquêter, de pouvoir protéger leurs données, leurs communications, leurs sources. Donc ça, c'est tout un travail qu'on mène, et cette opération Collateral Freedom, menée le 12 mars, elle participe de percer des trous dans les murs de la censure que les États essaient d'installer. Parce qu'au fond, on arrive dans cette situation un peu hallucinante, dans laquelle il y a une mondialisation économique : les produits, les services financiers, les touristes, les hommes d'affaires, franchissent les frontières, mais l'information indépendante, l'information pertinente, elle est bloquée. Elle peut être bloquée parce qu'il y a des États qui veulent isoler leurs populations du reste du monde.

Jean-Marc Manach : Ça s'appelle la balkanisation du Web.

Christophe Deloire : En mettant en place, alors je citais la grande muraille technique de Chine, l'Internet qualifié d'halal en Iran. Il y a toutes sortes de moyens qui sont des moyens technologiques, d'autres qui consistent à facturer, à jouer en fonction de dispositifs d'Internet différents, à rendre certains plus chers et d'autres moins cher, c'était la stratégie en Iran, pour, peu à peu, isoler les populations du reste du monde et sans qu'elles en aient conscience, et c'est sans doute ça le pire.

Jean-Marc Manach : Et ces sites-là ils sont connus dans ces pays-là, au-delà du cercle des dissidents ?

Christophe Deloire : Par nature, comme la censure ça marche, malheureusement, dans certains pays, que la propagande ça marche beaucoup, il serait faux de penser que ces sites sont connus du grand public, en général. Mais, si on veut, peu à peu, gagner des espaces de liberté, c'est en aidant ces sites qui eux, avec courage, ces journalistes, ces net-citoyens qui travaillent et petit à petit on arrive à porter l'information indépendante.

Jean-Marc Manach : En même temps le site de RSF est aussi censuré dans un certain nombre de ces pays. Comment est-ce que les URL que vous mettez sur le site de RSF peuvent arriver jusqu'à ces gens-là, dans ces pays, sachant que RSF est aussi... ?

Christophe Deloire : Le site et les informations de RSF. L'an dernier quand on a publié, enfin cette année, quand on a publié notre classement mondial de la liberté de la presse, le département de la propagande à Pékin, qui est faramineux par ses moyens, a édicté l'une de ses mille directives annuelles sur le classement mondial de la liberté de la presse de RSF, en disant que les médias ne devaient le citer sous aucun prétexte.

Jean-Marc Manach : On va en parler.

Christophe Deloire : Voilà. J'ai un peu oublié la question, je préfère l'avouer.

Grégoire Pouget : Sur le choix des sites et sur la diffusion des URL. Sur le choix des sites, malheureusement, on n'en a débloqués que neuf, on aurait aimé en débloquer mille. Je pense qu'il y a même plus de sites d'information que ça à débloquer, mais on a des moyens et des ressources limités.

Jean-Marc Manach : Parce que ça coûte de l'argent, mine de rien, de faire ces miroirs-là.

Grégoire Pouget : Parce que ça coûte un peu d'argent, ça coûte beaucoup de temps.

Jean-Marc Manach : Payer la bande passante.

Grégoire Pouget : Voilà. Il faut payer la bande passante. On a travaillé pas mal de semaines pour mettre en place ce dispositif-là. Par contre ces sites ne sortent pas de nulle part au sens où ce sont des sites qu'on a choisis. On les a contactés. Ils nous ont été, aussi, conseillés par des gens avec qui on travaille parce qu'on a 150 correspondants dans 130 pays, et on a demandé à nos contacts «voilà, on veut travailler sur cette opération, quel site serait le plus utile ? » C'était ça, quel site d'information serait le plus utile. C'est ça le critère principal.

Jean-Marc Manach : D'accord. Il faut que ce soit efficace, que ça serve à quelque chose vraiment.

Grégoire Pouget : Exactement. Et l'autre critère il fallait que les sites en question soient d'accord.

Jean-Marc Manach : Oui. Il ne faut pas les exposer.

Grégoire Pouget : Voilà. Médiatiquement ils ont été exposés. On espère qu'ils ont été exposés et cette exposition a pu, enfin aurait pu être un problème. C'est pour ça qu'on leur a demandé : «  Est-ce que vous êtes d'accord ? Ça peut vous apporter encore plus de pression que vous n'en avez déjà. À côté de ça, ça peut vous apporter plus d'exposition ». Et tous les sites avec qui on fait cette opération étaient, évidemment, d'accord.

Jean-Marc Manach : Et vous avez eu des retours depuis ? Parce que ça été lancé le 12 mars, donc depuis ,vous avez eu des retours des responsables de ces sites-là pour savoir quel impact ça avait eu ?

Grégoire Pouget : Oui. On a eu des retours. Comme toute opération, il y a des choses qui marchent et des choses qui ne marchent pas. On va être très honnête. On a eu des très bons retours des sites plutôt en Europe de l'Est et Russie, où là, l'opération a été extrêmement utile et marche très bien. Et on a des retours de sites en Chine, où, pour le coup, on en parlera, ils ont été bloqués, il faut qu'on les débloque à nouveau, nos miroirs. Et des retours, aussi, du Bahreïn, où là c'est aussi pour une histoire de manque de temps et de techno, on en parlera peut-être plus tard, où le site qui a été débloqué est à nouveau bloqué, donc il faut qu'on retravaille là-dessus.

Jean-Marc Manach : En fait, pour expliquer concrètement. La technologie que vous avez utilisée pour faire les miroirs a été développée par Great Fire, qui est un hommage au Great Firewall of China, la grande muraille de Chine, qui est une ONG créée par des Chinois dissidents, et qui se bat contre la muraille virtuelle de Chine depuis des années, et qui avait déjà réussi à débloquer un certain nombre de sites, la Deutsche Welle, la BBC, qui étaient bloqués en Chine. Donc ils ont partagé, en logiciels libres, les logiciels qui permettent de contourner la censure, que vous avez récupérés. Et ce qui est intéressant sur le site GreatFire[9], c'est qu'il y a un formulaire où on peut mettre n’importe quelle URL et on peut savoir si le site est bloqué ou pas.

Grégoire Pouget : Tout à fait.

Jean-Marc Manach : C'est là où on voit que RSF, Arrêt sur images n'est pas bloqué ; mon blog sur Le Monde est censuré. Et quand j'ai tapé l'URL des sites que vous aviez débloqués, eh bien en fait, les sites chinois étaient déjà bloqués en Chine. Ça a été super rapide en fait !

Grégoire Pouget : Ça a été rapide. À la fois, nous, si le site peut être accessible et on a fait beaucoup d'opérations de communication, parce que, pour diffuser les URL, comment on a fait ? On a contacté les dix sites qui, eux-mêmes, ont diffusé à travers leurs réseaux.

Jean-Marc Manach : Leur propres réseaux, d'accord.

Grégoire Pouget : Parce que la censure ce n'est pas blanc ou noir. L'information passe toujours. Même en Chine, ça passe, même dans un pays qui a la capacité de bloquer Internet, ça passe. Ça passe par SMS, ça passe par Twitter.

Jean-Marc Manach : Internet a été conçu pour que l'information circule, de toutes façons.

Grégoire Pouget : Exactement. De toutes façons ça passe toujours. Donc ces URL sont passées, elles ont été accessibles trois heures, six heures, dix heures, un jour. Elles ont été bloquées. On a eu l'information et l'information a été confirmée.

Jean-Marc Manach : Les URL, ce sont les adresses internet que l'on tape dans la barre.

Grégoire Pouget : Tout à fait. Les adresses de nos miroirs ont été bloquées en Chine. On va les re débloquer, avec une autre technologie plus performante. Et les outils de Great Fire, on n'a pas pu les utiliser pour les sites en Chine, on a utilisé une autre techno, un peu plus obsolète, c'est pour ça que ces sites ont été bloqués. Et l’intérêt des outils de Great Fire, c'est que, si un miroir est bloqué, eh bien, moi je suis un internaute en Chine, je me connecte au site, je vois que le site est bloqué. Et le serveur est assez intelligent pour dire « le site est bloqué, je te renvoie vers un autre miroir ». Et si l'autre miroir est bloqué je te renvoie vers un autre miroir et si l'autre miroir est encore bloqué, je te renvoie vers GitHub qui est un site sur lequel on publie.

Jean-Marc Manach : C'est là où il y a le code source de plein de logiciels libres, et c'est là où est publiée la liste des sites qui sont censurés et des adresses miroirs, pour les contourner.

Grégoire Pouget : Exactement. Et pourquoi on l'a publié sur GitHub et pourquoi GreatFire, on l'a publié sur GitHub ? Parce que, en ça, on a suivi leur mode opératoire, parce que GitHub[10] a été bloqué en Chine, je crois que c’était en 2013, parce qu'il y avait une pétition qui circulait, pas une pétition, la liste des techniciens qui ont contribué à écrire le logiciel, enfin travaillé sur l'outil de Firewall of China.

Jean-Marc Manach : La grande muraille de Chine.

Grégoire Pouget : Exactement. La liste des noms a été publiée et la Chine a bloqué GitHub. Sauf que bloquer GitHub c'est se tirer une balle dans le pied.

Jean-Marc Manach : Exactement. C'est comme bloquer Wikipédia. Tellement de gens s'en servent !

Grégoire Pouget : Mais surtout, des gens et des entreprises. Donc là, la Chine a levé le blocage au bout de trois jours et c'est pour ça que les adresses de nos miroirs qui ont changé, et les adresses des miroirs que GreatFire publie également sont publiées sur GitHub, parce que là, pour le coup, bloquer GitHub, c'est vraiment se tirer une balle dans le pied.

Jean-Marc Manach : Ouais. Christophe Deloire, vous avez quelque chose à...

23' 40

Christophe Deloire : On a joué là-dessus, c'est-à-dire sur le fait que ça représenterait un coût, mais coûterait un coût économique énorme pour ces États, donc là, sur la technologie principalement employée, que de bloquer les sites, puisqu'en gros on est allé loger les miroirs à l'intérieur de services de grandes sociétés informatiques dont les entreprises de ces États ne peuvent pas se passer. Donc il faudra à ces États, priver leurs entreprises, priver, le cas échéant, leurs administrations aussi, de services de très grandes sociétés du Net pour bloquer les sites que nous avons débloqués. On joue sur ce levier-là et ça a été un levier qui, de fait, a très bien marché.

Jean-Marc Manach : Un autre truc que j'ai vu quand j'ai été sur Great Fire, c'est que Great Fire a sorti, le 28 ou 26 févier dernier, Freebrowser, qui est, en fait, un navigateur pour Android et qui permet de contourner la grande muraille de Chine virtuelle. Moi je l'ai téléchargé ce matin et je me suis dit « tiens on va regarder ! » Est-ce que les sites, parce que là il y a cinq sites, donc on a appris il y a deux jours qu'il y a cinq sites qui ont été bloqués à la demande du ministère de l'Intérieur en France, qui sont des sites qui sont sont accusés de faire l'apologie du terrorisme. Quand on y va depuis un fournisseur d'accès à Internet, on tombe sur ce visuel « vous avez été redirigé sur ce site parce que la contenu provoque à des actes de terrorisme ». Donc j'ai lancé Freebrowser, j'ai mis l'URL, qui est bloquée par les FAI français, et ça marche. En fait, j'ai découvert qu'on peut accéder aux sites censurés en France grâce aux gens qui permettent de contourner la censure en Chine. Je ne sais pas ce que vous en pensez de ce blocage-là ?

Christophe Deloire : Eh bien qu'il y ait des outils dans tous les pays dont on parle, des gens utilisent des outils pour franchir...

Jean-Marc Manach : Là c'est le même site que celui que vous utilisez pour RSF.

Christophe Deloire : Là c'est dans l’autre sens et c'est dans des conditions un peu différentes. Nous, ce à quoi on s'attache, et de fait c'est une grande problématique aujourd'hui, c'est de distinguer l'information indépendante, enfin l'information au sens où on entend celle qui est produite par le journalisme, qui a une visée à aller lever un voile, un bout du voile sur le réel, de l'information, j'allais dire, de propagande. Et on entre dans une ère de la propagande de manière générale, où, on s'en rend compte, le groupe État islamique a ses médias, a son journaliste qui, avant les exécutions des otages, va poser ses questions. Je mets tout ça, évidemment, entre guillemets, parce que ça n'a rien d'un journalisme.

Jean-Marc Manach : Pourtant RSF, en 2011 et 2012, vous vous étiez prononcés contre le blocage administratif.

Christophe Deloire : Justement, il ne faut pas tout mélanger. C'est un enjeu essentiel, aujourd'hui, que survive l’information au sens noble du terme, au sens de l'information journalistique, au milieu de cet océan de propagande où les groupes religieux extrémistes, les entreprises, qu'elles soient multinationales ou pas, enfin, chaque pouvoir peut s’adresser directement à ce qu'il l'estime être son public et qui est de l'information, j'allais dire sponsorisée, soit purement par l'idéologie, soit par l’intérêt. Et l'information qui est désintéressée...

Jean-Marc Manach : Je comprends : faire la distinction entre les sites que vous mettez en avant sur Collateral Freedom qui sont des vrais sites d'information et les sites qui font l'apologie du terrorisme. On est bien d'accord, ce n'est pas la même chose.

Christophe Deloire : Et l'enjeu, et ce pourquoi on proteste contre un certain nombre de dispositions et, notamment, dans les textes ayant vocation à lutter contre le terrorisme, c'est que, au motif de lutter contre la propagande, il ne faut pas que soient prises des mesures dérogatoires qui pourraient porter atteinte à la liberté d'information, au sens où on l’entend. Et ce risque il est pris lorsque sont retirés de procédures, j'allais dire classiques et protectrices, un certain nombre de blocages. Ça, ça va des lois antiterroristes, disons, à la loi sur la liberté de la presse, qui est la fameuse loi de 1881, dont on a retiré, d'abord, l'apologie du terrorisme, et là ce qui serait gravissime.

Jean-Marc Manach : Et ils veulent passer l'apologie du terrorisme, l'antisémitisme. Et on a vu qu'après Charlie, il y a 70 dix personnes qui ont été mises en prison parce qu'elles été bourrées, énervées, elles ont dit : « Vive Al-Qaïda ou Vive Kouachi ». Ce n'étaient pas des terroristes.

Christophe Deloire : Parce que nous, on n'est ni des suppôts des forces de police, ni des suppôts des terroristes ; simplement, on est attachés à la liberté de l'information et à ce que les procédures garantissent la liberté de l'information et, de ce point de vue-là, le droit doit être protecteur.

Jean-Marc Manach : Concrètement, vous vous étiez élevés contre le décret qui permettait le blocage administratif des sites web. Là aujourd'hui, on est, depuis deux jours, confrontés à cinq sites web qui sont bloqués, vous en pensez quoi ?

Christophe Deloire : Ça ne nous fait pas dire que les sites web bloqués sont des sites d’information.

Jean-Marc Manach : On est bien d'accord !

Christophe Deloire : Nous, on est contre un principe, parce qu'on veut protéger. Là, ça ne nous fait pas des défenseurs de tel ou tel site. Je pense que c'est un propos assez clair.

Jean-Marc Manach : C'est le principe. Le principe du blocage.

Christophe Deloire : C'est un principe. Ce n'est pas une question de valeur ou d'autre chose. C'est qu'une procédure fait qu'un jour il y a un risque. Là on n'est pas en train de dire qu'un site d'information portant un journalisme digne de ce nom a été bloqué.

Jean-Marc Manach : Mais on met en place une pratique qui, un jour, pourra.

Christophe Deloire : Il ne faut pas qu'il y ait ce risque et que ça puisse servir, enfin qu'en gros il y ait un dispositif juridique qui permette, ensuite, de restreindre le pluralisme, au sens favorable des personnes.

Jean-Marc Manach : Et ce que vous contestez également c'est le fait qu'il n'y ait pas de juge, que ce soit une décision administrative ? Ça vient du ministère de l'Intérieur.

Christophe Deloire : De fait, le blocage administratif, sans passer par l'intermédiaire d'un juge, ça c'est un point qu'on va contester et qu'on contrôle.

Jean-Marc Manach : Il y a un contrôle par une personnalité qualifiée de la CNIL, qui est censée réviser la liste.

Grégoire Pouget : Un contrôle a posteriori.

Jean-Marc Manach : A posteriori.

Grégoire Pouget : A posteriori, et son avis n'est que consultatif.

Jean-Marc Manach : Que consultatif.

Grégoire Pouget : Et, à supposer que la personnalité qualifiée en question ne soit pas d'accord avec le fait qu'on n'a pas consulté son avis, elle a la possibilité d'aller voir un juge administratif en référé.

Jean-Marc Manach : Là, sur ces pages-là, il y a effectivement un lien recours, où on peut intenter un recours si on estime que la procédure est abusive.

Grégoire Pouget : Ouais. Mais il y a une personnalité qualifiée, pour je ne sais pas combien de sites. J'attends qu'on nous le dise.

Jean-Marc Manach : Là, initialement ils avaient annoncé qu'il y aurait dix sites, là, pour l'instant, ils commencent avec cinq sites. Moi, ce que j'ai trouvé très ironique dans cette histoire, c'est que ces sites-là je ne les connaissais. Donc, bien évidemment, j'ai été les voir, et là c'est vraiment l'effet Flamby, l'effet Streisand. C'est qu'en fait, il y a énormément de personnes qui ont découvert l'existence de ces sites et qui, comme on peut contourner la censure, eh bien, on peut aller les voir, c'est relativement simple. Il suffit de télécharger le navigateur Tor et on y accède, d'utiliser Freebrowser de Great Fire, ou d'utiliser un fournisseur d'accès Internet alternatif ou, en tout cas, plus petit, et là la censure on la contourne en deux coups de cuillère à pot. C'est presque faire de la publicité.

Grégoire Pouget : Là, très clairement, l'un des sites, pareil, moi j'ignorais jusqu’à son existence et en effet, depuis ce week-end, il y a une pub pas possible pour ces sites. Donc là c'est, comme vous le disiez, c'est pile l'effet Streisand et je pense que c'est contre-productif, parce qu'en plus, nous, on s'est élevés contre ça, il y a d'autres organisations contre le blocage administratif.

Jean-Marc Manach : Il y a beaucoup d'ONG.

Grégoire Pouget : Et ça c'est, entre guillemets, « du pain béni » pour toutes ces organisations, parce que ça c'est quelque chose qu'on a dénoncé et, finalement, qui arrive. On peut, enfin, avoir quelque chose de tangible. Moi, en voyant cette page-là, toutes proportions gardées, ça m'a rappelé : on fait beaucoup de formations un peu partout dans les pays, enfin dans le monde, et il n'y a pas longtemps, on était au Pakistan et je suis allé sur YouTube et j'ai eu une page, j'ai tapé youtube.com dans mon navigateur, à partir du Pakistan, sans aucun outil de contournement, et j'ai eu ce type de page. Et là, en fait, de voir ça aujourd'hui en France, moi, ça m'a fait un effet un peu particulier de voir ça.

Jean-Marc Manach : En France ! À titre d'information, il y aura un papier de Justine, sûrement, sur Arrêt sur images, qui présente les sites que, donc, on n'a pas le droit de regarder. Ça avait été qualifié par Catherine Chambon qui est la responsable, au sein du ministère de l'Intérieur, de lutte contre la cybercriminalité. Elle voulait faire de la prophylaxie, c'est-à-dire permettre aux gens qui ne savent pas trop comment contourner la censure, de ne pas tomber dessus par hasard, ou de ne pas s'embrigader en allant dessus. Mais bon ! À propos de formation, ça c'est un autre truc qui m'intéresse beaucoup, c'est que, une chose est de débloquer l’accès à des sites qui sont censurés, une autre est de faire de la formation. Et je sais que RSF fait beaucoup de formation, notamment autour du kit de survie numérique, en France, mais également à l'étranger.

31' 40

Christophe Deloire : Oui. Je vais dire d’abord à l'étranger et après en France.

Jean-Marc Manach : D'abord à l'étranger.

Christophe Deloire : C'est plutôt dans cet ordre-là que ça a été fait. Aujourd’hui pour exercer librement le journalisme, il faut éviter qu'un gouvernement, la police, ou alors une officine, vienne dans votre ordinateur regarder les données, les sources que vous avez.

Jean-Marc Manach : Puisse surveiller, puisse attenter au secret des sources.

Christophe Deloire : Puisse porter atteinte à vos échanges sur le Net. Donc, s'il n'y a pas cette protection, j'allais dire de la vie privée du journaliste, enfin d'éléments qui sont privés, il n'y a pas d'indépendance et il n'y a pas de travail librement exercé. C'est ce que disait Franck La Rue, le rapporteur spécial sur la liberté d'expression.

Jean-Marc Manach : À l'ONU.

Christophe Deloire : C'est que la protection de la vie privée était le corollaire de la liberté de l'information.

Jean-Marc Manach : Il n'y a pas de liberté sans vie privée.

Christophe Deloire : Il n'y en a pas de manière générale, mais, notamment, sur la matière qui nous concerne qui est le travail d’enquête, de reportage et ça s'applique à des cas radicalement différents. Ça s'applique, évidemment, au grand reporter qui part dans un pays en guerre et qui, s'il ne protège pas ses données, ses communications risque de faire l'objet de tirs. Il y a des cas d'espèces.

Jean-Marc Manach : On a eu le cas en Syrie.

Christophe Deloire : En tout cas. sur lequel il y a des fortes présomptions. Alors ça peut être une communication téléphonique

Jean-Marc Manach : C'est-à-dire qu'on soupçonne qu'il y a une journaliste britannique qui était en train d'accorder une interview au téléphone et qui, juste après, a reçu une bombe, elle est morte, et on soupçonne que ce serait, via la géolocalisation, via son téléphone.

Christophe Deloire : Il y a des choses. qu'on ne soupçonne pas du tout, qui sont évidentes. C'est le cas d'un documentariste britannique célèbre, qui, au début du conflit en Syrie. n'avait pas protégé tout le contenu de son ordinateur et, par exemple. avait interviewé des gens et avait gardé avec lui les rushes, c'est-à-dire le contenu de ces interviews. Il avait enquêté sur un réseau de communication de l'armée syrienne libre, à l’époque, et avait dit : « Ne vous inquiétez pas, je garantirai votre anonymat, je vous flouterai. I will blush you, de retour à Londres ». Sauf qu'avant son retour à Londres, son ordinateur a été subtilisé, enfin subtilisé.

Jean-Marc Manach : A été intercepté.

Christophe Deloire : A été saisi, et les gens qu'il avait interviewés ont été obligés de partir, qui au Liban, qui dans la clandestinité. Donc ce sont des cas très concrets. Mais c'est aussi le cas d'un journaliste dans un pays dictatorial, c'est, je pense à des cas de journalistes en Libye, à qui, régime sous Khadafi, auquel une société française avait vendu du matériel de surveillance.

Jean-Marc Manach : Amesys[11].

Christophe Deloire : Et qui se retrouvait dans un cachot, soumis à des questions, et on lui soumettait le contenu de sa boîte mail.

Jean-Marc Manach : Qui avait été interceptée.

Christophe Deloire : Parce qu'il y avait eu une intrusion. Et c'est le cas, de manière différente, de journalistes d'investigation, dans les démocraties, qui sont fondés à protéger, lorsqu'ils travaillent sur des affaires sensibles leurs données, leurs communications.

Jean-Marc Manach : On a le compagnon de Glenn Greenwald qui avait été intercepté à l'aéroport à Londres, tous ses disques durs avaient été saisis, parce que les services de renseignement britanniques ne voulaient surtout pas qu'il puisse se trimballer avec des documents Snowden.

Christophe Deloire : Donc là, ce que fait Reporter sans frontières, c'est donner de moyens. À ceux qui se font tirer dessus on donne des casques et des gilets pare-balles.

Jean-Marc Manach : Ça c'est l'analogie que j'aime bien. C'est : un reporter de guerre a besoin d'un gilet pare-balles et d'un casque, un journaliste, sur Internet, quand il travaille sur les sujets sensibles, il doit savoir sécuriser ses données.

Christophe Deloire : Pour protéger ses sources, son intégrité physique.

Jean-Marc Manach : Et également celle, surtout, des gens qu'il a interviewés.

Christophe Deloire : Oui. Et donc, là-dessus, on donne des moyens. On donne des moyens d’abord en connaissances, c'est-à-dire c'est l'aspect formation que Reporters sans frontières a organisé souvent. C'est Grégoire qui est responsable de l'ensemble de ces formations et qui, souvent, les dispense lui-même. Grégoire est allé à Kaboul, en Afghanistan, au Tadjikistan, au Sénégal, en Afrique du Nord, à plusieurs reprises.

Jean-Marc Manach : RSF te paye des vacances partout dans le monde sur fond de sécurité informatique.

Grégoire Pouget : Les vacances en Afghanistan, ce ne sont pas vraiment des vacances ; ça se passe en voiture blindée !

Jean-Marc Manach : Concrètement ça se passe comment ? Qu'est-ce que vous leur apprenez ?

Grégoire Pouget : Concrètement. Déjà avec qui on travaille et après qu'est-ce qu'on apprend. Avec qui on travaille ? On travaille avec des journalistes et comment on les sélectionne ? Ce sont nos correspondants ou des associations partenaires avec qui on travaille sur place, qui nous disent. Par exemple au Pakistan, je sais que telle personne qui travaille dans les zones tribales a vraiment besoin d’apprendre à sécuriser son ordinateur, son téléphone, ses données, ou telle autre personne, par exemple au Pakistan, on a eu des personnes d'à peu près toutes les régions du Pakistan, Baloutchistan, Cachemire, etc.

Jean-Marc Manach : Ce sont des journalistes professionnels, des blogueurs ?

Grégoire Pouget : Ce sont des journalistes professionnels. Ce sont à la fois des journalistes professionnels et des blogueurs. Il y a, en général, plus de journalistes professionnels, mais ce sont des formations qui s'adressent à tous les gens qui font de l'information, que ce soient des professionnels, au sens où ils sont payés pour le faire, ou que ce soient des amateurs, au sens où ils le font, et ils ne sont pas payés pour le faire. On passe trois jours avec ces gens-là, et on identifie une personne parmi les huit/neuf personnes avec qui on passe trois jours, et on passe une journée de plus, et on la forme pour qu'elle soit référent.

Jean-Marc Manach : Référent.

Grégoire Pouget : Et pour qu'elle organise d'autres formations. Comme ça on essaime un peu par granularité.

Jean-Marc Manach : C'est apprendre à pêcher et pas seulement livrer le poisson.

Grégoire Pouget : Exactement. Qu'est-ce qu'on apprend pendant ces formations ? Ça part vraiment de la base, ça dépend vraiment des publics. On apprend, d'ailleurs, c'est chez toi que j'ai vu ça : un ordinateur c'est comme un château-fort, d'abord on creuse les douves, ensuite on fait la muraille, etc.

Jean-Marc Manach : C'est un des principes en sécurité informatique, c'est par paliers. Ça ne sert à rien d'acheter une porte blindée si la fenêtre est ouverte !

Grégoire Pouget : C'est exactement ça. Donc on append les bases. Ce que c'est un antivirus, comment ça fonctionne. Il y a beaucoup de versions de Windows crackées un peu partout. On explique que ça serait mieux de ne pas avoir de versions crackées, pas du tout pour Microsoft, question légale ou autre, ça c'est un autre problème, mais ce n'est pas le nôtre, mais parce que ça permet de faire les mises à jour, les versions légales.

Jean-Marc Manach : Lorsque l'ordinateur n'est pas à jour il a des failles de sécurité.

Grégoire Pouget : Exactement. Donc ça va de là, et vraiment une première journée sur les bases, vraiment c'est l'hygiène numérique. Comment est-ce qu'on surfe sur Internet sans avoir trop de problèmes ? Comment on ne clique pas sur des liens quand on ne sait pas qui envoie l'e-mail, vraiment des choses très basiques. Ensuite on apprend comment utiliser un VPN.

Jean-Marc Manach : Un VPN, c'est un tunnel privé virtuel qui permet de chiffrer toutes les données entre son ordinateur et le site qu'on visite.

Grégoire Pouget : Tout à fait. Sur ordinateur, sur téléphone. On apprend comment utiliser des logiciels de contournement de blocage, et après, selon les contextes, selon les pays, on change le contenu de la formation. Par exemple, en Turquie, les gens étaient très intéressés, les journalistes avaient un réel intérêt sur tous les outils de contournement de la censure, parce qu'en Turquie il y a beaucoup de sites censurés. Au Tadjikistan, c'était la même problématique. Au Pakistan, par contre, on a beaucoup parlé de protéger ses échanges, parce qu'au Pakistan c'est un des pays qui est client de Gamma International FinFisher[12].

Jean-Marc Manach : Qui sont des vendeurs de logiciels espions. D ce sont des chevaux de Troie, qui sont vendus exclusivement aux services de renseignement. Et quand vous avez ce cheval de Troie, qui est furtif pour les antivirus, eh bien, celui qui l'a envoyé contrôle complètement votre ordinateur.

Grégoire Pouget : Exactement. Et ça c’était une des demandes avant même, parce qu'on commence la formation « qu'est-ce qui vous intéresse, etc ? ». On arrivait devant le programme, et une des choses qu'on nous a demandées, c'est voilà,  FinFisher, nous on veut savoir comment se protège de çà. Et on passe trois jours là-dessus, et on parle aussi d'outils de communication chiffrée, que ce soit des e-mails, des chats, jusqu’à des choses un peu plus complexes. Mais vraiment on essaye de voir des bases jusqu’aux outils de cryptographie un peu perfectionnés.

Jean-Marc Manach : Messieurs, il nous reste trois minutes, il y avait un autre point qui me semblait très intéressant. C'était en 2012 et 2013, il y a eu des classements des pays ennemis de l'Internet, il y avait les pays sous surveillance, il y avait notamment la France qui avait été sous surveillance pendant deux ans. Et une des raisons pour laquelle la France avait été mise sous surveillance, c’était à cause de Milipol et de Technology Against Crime qui sont, en fait, deux salons, réservés aux marchands d'armes, et où il y avait pas mal de vendeurs d'armes de surveillance et qui sont des salons qui sont parrainés par le ministère de l'Intérieur, voire coorganisés par le ministère de l'Intérieur. Comment ça se fait que la France qui est patrie des droits de l'homme et de la défense de la liberté d'expression, en même temps fasse la promotion de systèmes de surveillance ?

Christophe Deloire : On ne va peut-être pas revenir à l'instant sur les grandes notions patrie des droits de l'homme, je ne sais pas si c'est le sujet du débat, toujours en est-il que, manifestement, une certain nombre de softwares, de logiciels, constitue aujourd'hui, c'est l'équivalent de l'armement, ce sont des armes.

Jean-Marc Manach : C'est un marché colossal estimé à cinq milliards de dollars par an.

Christophe Deloire : Il y a une part légitime, évidemment, qui est traquer le crime, le terrorisme.

Jean-Marc Manach : La pédophilie, le terrorisme.

Christophe Deloire : Et puis il y a une part illégitime quand ces matériels sont utilisées à mauvais escient. Et le glissement peut être rapide. Et il est, évidemment, non seulement rapide mais automatique quand ces logiciels sont vendus à des pays qui en font automatiquement un usage de répression. Il y a eu des progrès. Reporters sans frontières avait un certain nombre de préconisations, notamment liées au fait que les exportations de ces softwares soient, au fond, assimilées à l'exportation d'armements.

Jean-Marc Manach : Les armes de surveillance et les logiciels espions font partie maintenant de ce qu'on appelle l'arrangement de Wassenaar[13], qui est un arrangement multilatéral.

Christophe Deloire : Alors de 41 pays, si je ne me trompe pas.

Jean-Marc Manach : Où on doit avoir l'autorisation du gouvernement pour exporter ce genre de systèmes.

Christophe Deloire : L'Union européenne travaille sur le sujet. Il y a des avancées, les procédures ne sont pas assez transparentes, mais il y des avancées, c'est-à-dire il y a eu une prise de conscience, quand même, du danger que peut représenter, pour les libertés dans de très nombreux pays, l'exportation de ces dispositifs, de ces logiciels. C'est vrai qu'il y a une forme de militarisation du Web. Au fond, c'est un terrain, évidemment là c'est une banalité, mais comme le terrain physique, et l'enjeu pour les citoyens et, évidemment, pour les ONG comme la nôtre, c'est de faire en sorte que les libertés l'emportent sur leur répression, et de faire basculer, de déplacer le curseur, pour que le curseur se retrouve au bon endroit.

Jean-Marc Manach : Et ce matin, on a eu dans Le Figaro, c'est sorti, le projet de loi, les premières lignes, on n'a pas encore le texte, les premières lignes du projet de loi sur le renseignement et où là, on découvre que la conservation des données de connexion, donc des traces qui sont conservées par les fournisseurs d'accès, qui ont été jugées contraires au droit européen, l'année dernière, par la Cour de justice de l'Union européenne. Jusqu'à présent les FAI(s) devaient les garder pendant un an, là, ça va passer à cinq ans et où on découvre également que les autorités françaises veulent faire pression sur les acteurs de l'Internet, les fournisseurs d'accès, et en même temps les réseaux sociaux, les Google, Facebook, Twitter, pour faire de la détection aux comportements suspects. Je ne sais pas si vous avez un..

Christophe Deloire : Avec l'utilisation de technologies dites DPI, deep packet inspection, qui sont utilisées dans beaucoup de pays qu'on connaît.

Jean-Marc Manach : C'était ce qu'utilisait Amesys pour surveiller Internet en Libye !

Christophe Deloire : Avec une intrusion extrêmement grande. Et donc il ne s'agit pas de délégitimer la lutte antiterroriste, évidemment qu'elle est légitime. Il s'agit de mettre en place des garde-fous pour que nos libertés essentielles, et parmi elles, la liberté de l'information soient protégées. C'est là-dessus que Reporters sans frontières fait des préconisations.

Jean-Marc Manach : Bon. On y reviendra. Je vous remercie beaucoup messieurs et on se retrouve dans quinze jours. Bye bye.