« Un monde shooté aux métaux - DevoxxFR » : différence entre les versions

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<b>Présentatrice : </b>Petite question avant d’introduire les keynoters qui suivent : à quoi sommes-nous shootés, les développeurs, Arnaud ?
<b>Arnaud : </b>Shootés à quoi ? Personnellement, ça serait au café surtout pendant Devoxx.
<b>Présentatrice : </b>Apparemment non, nous sommes plutôt shootés aux métaux, d’ailleurs pas que nous la planète entière, et c’est ce que vont nous expliquer les prochains keynoters. C’est un duo, un duo d’enfer, Agnès Crepet et Guillaume Pitron.
[Applaudissements]
<b>Présentatrice : </b>Vous pouvez vous avancer ici qu’on vous voit bien. Ça fait plaisir d’avoir Agnès ici parce que, souvent, elle est à MiXiT qui est en même temps que Devoxx.
<b>Agnès Crepet : </b>Pour une fois, ce n’est pas le cas cette année.
<b>Présentatrice : </b>Pour une fois, ce n’est pas la première fois. Je vous vouvoie ou je vous tutoie tous les deux ?
<b>Guillaume Pitron : </b>Je pense qu’on se vouvoie, en fait.
<b>Agnès Crepet : </b>On se tutoie.
<b>Présentatrice : </b>C’est OK pour toi. Je présente Agnès Crepet. Donc, tu travailles chez Fairphone· Je n’ai pas envie de me tromper : entreprise sociale créant un smartphone éthique, modulaire et réparable, donc c’est super bien. Et tu es la responsable de la longévité logicielle et d’informatique là-dedans. En plus de ça, tu as cofondé Ninja Squad, très dans l'<em>open source</em>, un truc de malade. Tu as cofondé aussi MiXiT en 2011, la conférence tech à Lyon, la semaine prochaine, conférence sur la diversité et éthique technique, super conférence. Tu es aussi dans le <em>board</em> de Duchess France, donc on a un bof ce soir.
<b>Agnès Crepet : </b>Venez au bof !
<b>Présentatrice : </b>Il n’y a pas un beauf, mon beau-frère ne vient pas, c’est la vraie réunion des Duchess ce soir, donc merci d’être là. Ça va, silence !
<b>Agnès Crepet : </b>Ton beau-frère peut venir aussi.
<b>Présentatrice : </b>Non, mon beau-frère ne viendra pas, il vaut mieux pas.<br/>
Guillaume Pitron, super intervenant. Vous êtes journaliste, auteur, réalisateur français, ou tu es, et spécialisé dans les impacts cachés de la transition énergétique et numérique. Ton journalisme d’investigation se porte sur des questions critiques comme l’extraction des terres rares et les implications de l’agriculture robotisée. Tu as collaboré avec des publications majeures comme <em>Le Monde diplomatique</em>, <em>National Geographic</em> et tu es auteur de <em>La guerre des métaux rares – La face cachée de la transition énergétique et numérique </em> et </em>L’enfer numérique – Voyage au bout d’un Like</em>, deux bouquins qui ont été traduits dans différentes langues, donc tu as reçu des prix. Et là, c’est la partie difficile pour moi, qui est de dire le nom de l’entreprise qui tu as cofondée qui s’appelle ?
<b>Arnaud : </b>PSYCHE 16.
<b>Présentatrice : </b>Merci Arnaud. Donc une entreprise où vous faites du conseil aux entreprises et aux gouvernements, dans le contexte de fortes tensions, pour qu’ils comprennent les enjeux qu’on vit aujourd’hui autour des minéraux et des minerais, pour la mise en place de leur stratégie de souveraineté minérale et pour les aider à sécuriser leur chaîne d’approvisionnement. Rien que ça !<br/>
Merci beaucoup. La scène est à vous
<b>Guillaume Pitron : </b>Merci.
<b>Agnès Crepet : </b>Merci.
[Applaudissements]
<b>Guillaume Pitron : </b>Merci à vous, Devoxx, merci de nous avoir invités. Je commence.<br/>
Bonjour. Messieurs-dames, j’ai une question à vous poser : est-ce que vous vous êtes déjà demandé quelles seraient vos vies, au quotidien, de 7 heures du matin à 23 heures, s’il n’y avait pas dans vos vies un métal couramment appelé indium. C’est une question qui paraît saugrenue, mais, en fait, c’est une question qui est absolument essentielle, parce que tous nos objets numériques du quotidien, nos téléphones, sont faits de métaux. Pour faire des serveurs, pour fabriquer des fusées qui envoient des constellations de satellites dans l’espace, pour fabriquer des câbles sous-marins grâce auxquels la donnée transite d’un bout à l’autre du monde et pour fabriquer nos téléphones portables, il faut des métaux. Chacun des téléphones, smartphones, que nous avons dans la poche, contient 50/60 et même 70 métaux, donc il n’y a pas de numérique, qu’on le veuille ou non, sans métaux et sans minéraux. Et il ne faut pas que des métaux, d’ailleurs, pour vivre dans nos mondes connectés, il faut également d’autres matières premières :<br/>
il faut de l’eau pour pouvoir raffiner les métaux qui, ensuite, sont intégrés dans nos téléphones portables ;<br/>
il faut de l’électricité pour pouvoir transformer le métal, le raffiner, or cette électricité provient du charbon, du gaz, elle peut provenir de métaux qui sont nécessaires pour fabriquer les panneaux solaires qui produisent de l’électricité verte ;<br/>
il faut du kérosène pour transporter tous les composants d’un téléphone, par avion, jusqu’à une chaîne d’assemblage en Asie du Sud-Est.<br/>
Bref, il ne faut pas seulement des métaux il faut aussi des matières premières qui rentrent indirectement dans nos téléphones portables et c’est ce qui est calculé par des chercheurs de l’Institut ??? [5 min 48], en Allemagne. En fait, ces chercheurs calculent l’ensemble des ressources qui interviennent directement dans nos objets électroniques du quotidien, mais qui interviennent aussi indirectement, qui sont indirectement intégrés dans le téléphone, parce qu’elles sont nécessaires pour produire les métaux. Ces chercheurs du ??? Institute ont mis au point ce qu’on appelle le sac à dos écologique, soit le ratio entre le poids de votre téléphone dans la poche et l’ensemble des ressources qui ont été nécessaires pour fabriquer ce téléphone durant le cycle de fabrication, le processus de fabrication, et on arrive à un ratio, pour les téléphones portables, qui est de l’ordre de 1200 pour 1. Vous avez probablement un jour pesé votre téléphone portable, vous vous êtes amusé à le poser sur la balance « tiens, il fait 150 grammes ! ». Pour produire 150 grammes de matière qui tiennent au fond du jean, il faut, en fait, 182 kg de matière, un ratio de 1200 pour 1.<br/>
Une étude, qui a été produite il y a quelques années par l’Université de Grenoble, nous apprend que pour toutes les révolutions que nous vivons actuellement – la révolution de l’IA, les révolutions énergétiques –, pour tous nos besoins pour le bâtiment, pour la santé, pour l’industrie de l’armement – c’est important ces temps-ci –, il faut des métaux. Et si on additionne tous nos besoins en métaux pour les 30 prochaines années, en gros de 2020 à 2050, l’humanité va consommer plus de métaux et minéraux que tout ce qu’elle a consommé depuis 70 000 ans et évidemment, le numérique participe de cette consommation de métaux et j’en reviens à l’indium. Qu’est-ce que seraient vos vies sans indium ?
<b>Agnès Crepet : </b>Juste une petite question : qui n’a pas de téléphone portable dans la poche ?
<b>Guillaume Pitron : </b>Il y en toujours un ! C’est exceptionnel parce dans la pièce, il y en a toujours un, généralement, qui n’en a pas. Généralement, je me fais engueuler, mais pas cette fois-ci ! Pas encore !<br/>
En fait, l’indium c’est arrivé avec Steve Jobs, c’est arrivé avec l’iPhone 1. Quand Steve Jobs a montré l’iPhone 1, vous vous souvenez, lors d’une célèbre keynote, en fait il a montré de l’indium, parce que l’indium se trouve incorporé, intriqué, à l’écran de l’iPhone et ça le rend tactile.<br/>
Messieurs-dames, est-ce que vous vous souvenez de l’âge d’avant l’indium ? Est-ce que vous vous souvenez des téléphones à 12 touches sur lesquels il me fallait deux minutes pour envoyer un SMS à ma mère, accompagné du correcteur de texte T9 ? C’était cool ! Non je rigole ! Tout va bien, c’est fini ! Il y a l’indium, l’indium a rendu nos vies tellement plus faciles, tellement plus agréables, tellement plus coulantes, tellement plus fluides ! Grâce à lui, je peux tapoter sur ma tablette, mon téléphone portable, n’importe quel écran, il a rendu ma vie tellement plus agréable, merci l’indium ! Il m’accompagne de 7 heures à 23 heures, 6 heures ce matin, il m’accompagne tout le temps et pourtant je ne sais pas, nous ne savons pas, même pas, que cet indium existe.<br/>
Nous vivons dans un âge de métaux, alors, évidemment, surgissent des messages très rassurants, disant « oui, effectivement, il y a un sujet de métaux aujourd’hui autour numérique, mais rassurez-vous, il y a plein de solutions pour contourner ce problème. »<br/>
La première solution, c’est qu’on va tout substituer, on va substituer les métaux les plus rares, les plus dilués dans l’écorce terrestre, par d’autres métaux moins rares et, du coup, on va régler le problème de notre addiction aux métaux, parce que si, dans la batterie d’une voiture électrique ou d’un téléphone portable on peut mettre du sodium, un minerai très abondant, plutôt que du lithium, en fait je contourne le problème de cette addiction aux métaux parce que je remplace le lithium par d’autres minerais beaucoup plus abondants.<br/>
Simplement l’histoire de l’humanité, messieurs-dames, c’est l’histoire non pas d’une substitution permanente, mais d’une addition permanente. Dans l’Antiquité, l’humanité consommait environ sept métaux, aujourd’hui on en consomme 80, et, en fait, on ne cesse de consommer plus de métaux et dans une plus grande variété. L’histoire du monde est donc toujours l’histoire d’une addition de nos besoins de métaux et il faut un peu se méfier, même si la substitution est absolument indispensable, de ce discours qui consisterait à dire que ça va tout régler ; c’est une partie de la solution, ce n’est pas toute la solution, on va continuer à avoir besoin de lithium et d’autres métaux.<br/>
Et puis, il y a un autre message qui est extrêmement positif et je l’accompagne, mais je vous mets un peu en garde, c’est le recyclage. On va recycler, évidemment qu’on va recycler, super, l’économie circulaire c’est absolument génial. Pour autant, comment est-ce qu’on recycle l’indium de votre téléphone ? Est-ce que vous pensez qu’en fin de vie on va gratter la surface de l’écran et récupérer quelques microgrammes qu’on va aller remettre chez le recycleur ? On oublie ça ! L’écran va être brûlé, fondu, mélangé à d’autres métaux, et tout ça va terminer dans je ne sais quelle décharge. Non, en réalité on ne fait rien de ces métaux qui sont incorporés, intriqués les uns aux autres et dont la séparation est tellement compliquée ! C’est un peu comme si on essayait de séparer une mayonnaise, personne n’a essayé de recycler une mayonnaise ! Eh bien, on va pas essayer de recycler l’indium de l’écran, ce qui fait que le recyclage est une solution partielle mais pas complète.<br/>
Tout cela pour vous dire que nous vivons dans un âge de métal, la transition numérique est une transition de métal, c’est une transition qui consomme des métaux : 7 % du cuivre sert au numérique, 12 % de la consommation mondiale d’aluminium est destinée au numérique, 23 % de la consommation d’argent, 15 % de la consommation palladium, 40 % de la consommation de tantale, 60 % de la consommation de ruthénium et jusqu’à 80/90 % de la consommation de petits métaux exotiques tel que le terbium, le gallium et autre germanium. Nous vivons donc dans un âge numérique merveilleux, mais qui accroît cette consommation de métaux qui était déjà existante mais qui l’accroît. Nous vivons dans un âge, oui, shootés aux métaux.
<b>Agnès Crepet : </b>Et cette transition numérique, voire écologique, parce que tu parlais tout à l’heure de certains métaux comme les terres rares, ??? [11 min 30] on en a besoin dans quoi ? Dans les éoliennes, dans les panneaux solaires. Ça veut dire que la transition numérique et la transition énergétique sont des bonnes ou mauvaises raisons d’arriver vers toujours plus de métaux et toujours plus de métaux ça veut dire quoi ? Ça veut dire toujours plus de mines.<br/>
Avec Guillaume, nous n’avons pas mis de <em>slides</em>, nous avons voulu faire une keynote sans <em>slides</em>, mais on aurait pu vous mettre des mines à ciel ouvert, des mines artisanales en République démocratique du Congo, en tout cas le visage de ce que ce que veut dire l’extractivisme. Parce que ces mines, en fait, elles existent. Dans l’inconscient collectif, parmi vous, je pense que personne n’habite à côté d’une mine. À votre avis, est-ce qu’il y a des mines en Europe ? Levez la main. Donc, il y a des mines en Europe mais, la réalité, c’est qu’en fait beaucoup de mines sont loin de chez nous, c’est pour ça qu’on ne les voit pas.<br/>
J’habite une ville, Saint-Étienne. À Saint-Étienne, il y a des terrils, ces fameux crassiers, ces accumulations de déchets qui ne sont rien d’autre que les souvenirs, ce patrimoine négatif si je reprends le terme d’un sociologue, Vincent Mandinaud, qui en fait, représentent toute cette exploitation, pendant des siècles, du charbon à Saint-Étienne. Si vous allez dans le sud de l’Andalousie, vous trouverez ce même type de paysage parce qu’il y a encore de l’extraction en Europe. Mais la réalité est plutôt autre : la plupart des mines sont loin de chez nous, notamment en Afrique, en Asie, en Amérique du Sud.<br/>
Si je prends l’exemple de la RDC que j’ai cité tout à l’heure, République démocratique du Congo, Afrique des Grands Lacs, on est sur une production mondiale de cobalt à 70 % qui se passe que dans ce pays. On ne peut donc pas vraiment squeezer la RDC et, dans ce pays-là, vous avez un conflit qui existe depuis très longtemps, on parle de la guerre mondiale africaine, sept millions de morts entre 1998 et aujourd’hui, et, quelque part, l’industrie minière, donc ce pourquoi vous avez aussi du cobalt dans vos téléphones, finance en partie ces conflits armés et ça va faire quoi ? Ça veut dire que ces conflits durent dans le temps et c’est pour cela, parfois, qu’on parle même d’une industrie néocoloniale, puisqu’on s’appuie, consciemment ou inconsciemment, sur des gens qui sont loin de chez nous.<br/>
En RDC, les mines sont de deux types :<br/>
des mines industrielles, souvent, qui appartiennent à des conglomérats étrangers, dont les bénéfices vont dans des paradis fiscaux, où, parfois, les locaux ne sont même pas employés et où, quelque part, juste les impacts négatifs restent dans ce pays-là ;<br/>
vous avez aussi les mines artisanales, Amnesty International a beaucoup documenté cela : les conditions sont différentes, on a plus de dangerosité pour les travailleurs et on a aussi des enfants, donc, en ce sens on parle aujourd’hui d’une industrie néocoloniale.<br/>
C’est la première réalité.<br/>
La deuxième réalité. Peut-être vous ne voyez pas les mines à côté de chez vous, mais elles vont revenir ou elles existent déjà. Ça c’est le fameux « on n’a pas de pétrole mais la du lithium » d’Emmanuel Macron, dans un discours qu’il a prononcé il y a 18 mois, qui précède un gros un gros push pour ouvrir une mine de lithium dans l’Allier, qui appartient à la société Imerys. Il y a une grosse régulation, en ce moment au niveau de l’Europe, à appeler les pays européens à rouvrir des mines, ce qui ne veut pas dire, d’ailleurs, que les mines vont fermer en Afrique ou en Amérique du Sud.<br/>
Ces réglementations-là sont très concrètes. L’<em>European Raw Materials Act</em>, qui a été voté il y a un an, dit très clairement que l’objectif c’est d’avoir 10 % de l’extraction des besoins de métaux européens qui se passe en Europe, 40 % pour la transformation. Et la transformation, si je prends l’exemple de Rhône-Poulenc à La Rochelle il y a 30/40 ans, qui gérait à peu près 50 % de la purification des terres rares, a fermé à cause de la pollution, à cause des déchets de litres d’eau radioactifs dans l’environnement autour de La Rochelle. Évidemment que les gens, localement, n’ont pas envie de voir ça, je parle de l’Allier par exemple sur le lithium, n’ont pas envie en fait de voir ça au fond de leur jardin, mais c’est la réalité.
Je parlais des réglementations, donc oui, il y a plus en plus de réglementations qui nous poussent à de la relocalisation. Il y a des réglementations qui nous poussent aussi, tu en parleras Guillaume, vers plus de transparence dans la chaîne d’approvisionnement et il y a d’autres réglementations, qui m’intéressent plus, qui vont vers l’allongement de la durée de vie des appareils.<br/>
En Europe, il y a l’Ecodesign Directive, qui a été voté l’année dernière, peut-être que vous n’en avez pas entendu parler, mais qui est plutôt cool, parce que ça va pousser les fabricants de téléphone à faire des mises à jour logiciel après la fin des ventes sur cinq ans, sur n’importe quelle marque de téléphone, donc c’est plutôt bien. Pourquoi ? Parce que l’allongement de la durée de vie des appareils, c’est clé pour diminuer la demande.
==16’ 19==
<b>Guillaume Pitron : </b>Agnès

Version du 19 août 2024 à 11:45


Titre :

Intervenant·es : Agnès Crepet - Guillaume Pitron -

Lieu : Paris - Palais des Congrès - Devoxx FR

Date : 18 avril 2024

Durée : 28 min 52

Vidéo

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : À prévoir

NB : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·es mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Présentatrice : Petite question avant d’introduire les keynoters qui suivent : à quoi sommes-nous shootés, les développeurs, Arnaud ?

Arnaud : Shootés à quoi ? Personnellement, ça serait au café surtout pendant Devoxx.

Présentatrice : Apparemment non, nous sommes plutôt shootés aux métaux, d’ailleurs pas que nous la planète entière, et c’est ce que vont nous expliquer les prochains keynoters. C’est un duo, un duo d’enfer, Agnès Crepet et Guillaume Pitron.

[Applaudissements]

Présentatrice : Vous pouvez vous avancer ici qu’on vous voit bien. Ça fait plaisir d’avoir Agnès ici parce que, souvent, elle est à MiXiT qui est en même temps que Devoxx.

Agnès Crepet : Pour une fois, ce n’est pas le cas cette année.

Présentatrice : Pour une fois, ce n’est pas la première fois. Je vous vouvoie ou je vous tutoie tous les deux ?

Guillaume Pitron : Je pense qu’on se vouvoie, en fait.

Agnès Crepet : On se tutoie.

Présentatrice : C’est OK pour toi. Je présente Agnès Crepet. Donc, tu travailles chez Fairphone· Je n’ai pas envie de me tromper : entreprise sociale créant un smartphone éthique, modulaire et réparable, donc c’est super bien. Et tu es la responsable de la longévité logicielle et d’informatique là-dedans. En plus de ça, tu as cofondé Ninja Squad, très dans l'open source, un truc de malade. Tu as cofondé aussi MiXiT en 2011, la conférence tech à Lyon, la semaine prochaine, conférence sur la diversité et éthique technique, super conférence. Tu es aussi dans le board de Duchess France, donc on a un bof ce soir.

Agnès Crepet : Venez au bof !

Présentatrice : Il n’y a pas un beauf, mon beau-frère ne vient pas, c’est la vraie réunion des Duchess ce soir, donc merci d’être là. Ça va, silence !

Agnès Crepet : Ton beau-frère peut venir aussi.

Présentatrice : Non, mon beau-frère ne viendra pas, il vaut mieux pas.
Guillaume Pitron, super intervenant. Vous êtes journaliste, auteur, réalisateur français, ou tu es, et spécialisé dans les impacts cachés de la transition énergétique et numérique. Ton journalisme d’investigation se porte sur des questions critiques comme l’extraction des terres rares et les implications de l’agriculture robotisée. Tu as collaboré avec des publications majeures comme Le Monde diplomatique, National Geographic et tu es auteur de La guerre des métaux rares – La face cachée de la transition énergétique et numérique et L’enfer numérique – Voyage au bout d’un Like, deux bouquins qui ont été traduits dans différentes langues, donc tu as reçu des prix. Et là, c’est la partie difficile pour moi, qui est de dire le nom de l’entreprise qui tu as cofondée qui s’appelle ?

Arnaud : PSYCHE 16.

Présentatrice : Merci Arnaud. Donc une entreprise où vous faites du conseil aux entreprises et aux gouvernements, dans le contexte de fortes tensions, pour qu’ils comprennent les enjeux qu’on vit aujourd’hui autour des minéraux et des minerais, pour la mise en place de leur stratégie de souveraineté minérale et pour les aider à sécuriser leur chaîne d’approvisionnement. Rien que ça !
Merci beaucoup. La scène est à vous

Guillaume Pitron : Merci.

Agnès Crepet : Merci.

[Applaudissements]

Guillaume Pitron : Merci à vous, Devoxx, merci de nous avoir invités. Je commence.
Bonjour. Messieurs-dames, j’ai une question à vous poser : est-ce que vous vous êtes déjà demandé quelles seraient vos vies, au quotidien, de 7 heures du matin à 23 heures, s’il n’y avait pas dans vos vies un métal couramment appelé indium. C’est une question qui paraît saugrenue, mais, en fait, c’est une question qui est absolument essentielle, parce que tous nos objets numériques du quotidien, nos téléphones, sont faits de métaux. Pour faire des serveurs, pour fabriquer des fusées qui envoient des constellations de satellites dans l’espace, pour fabriquer des câbles sous-marins grâce auxquels la donnée transite d’un bout à l’autre du monde et pour fabriquer nos téléphones portables, il faut des métaux. Chacun des téléphones, smartphones, que nous avons dans la poche, contient 50/60 et même 70 métaux, donc il n’y a pas de numérique, qu’on le veuille ou non, sans métaux et sans minéraux. Et il ne faut pas que des métaux, d’ailleurs, pour vivre dans nos mondes connectés, il faut également d’autres matières premières :
il faut de l’eau pour pouvoir raffiner les métaux qui, ensuite, sont intégrés dans nos téléphones portables ;
il faut de l’électricité pour pouvoir transformer le métal, le raffiner, or cette électricité provient du charbon, du gaz, elle peut provenir de métaux qui sont nécessaires pour fabriquer les panneaux solaires qui produisent de l’électricité verte ;
il faut du kérosène pour transporter tous les composants d’un téléphone, par avion, jusqu’à une chaîne d’assemblage en Asie du Sud-Est.
Bref, il ne faut pas seulement des métaux il faut aussi des matières premières qui rentrent indirectement dans nos téléphones portables et c’est ce qui est calculé par des chercheurs de l’Institut ??? [5 min 48], en Allemagne. En fait, ces chercheurs calculent l’ensemble des ressources qui interviennent directement dans nos objets électroniques du quotidien, mais qui interviennent aussi indirectement, qui sont indirectement intégrés dans le téléphone, parce qu’elles sont nécessaires pour produire les métaux. Ces chercheurs du ??? Institute ont mis au point ce qu’on appelle le sac à dos écologique, soit le ratio entre le poids de votre téléphone dans la poche et l’ensemble des ressources qui ont été nécessaires pour fabriquer ce téléphone durant le cycle de fabrication, le processus de fabrication, et on arrive à un ratio, pour les téléphones portables, qui est de l’ordre de 1200 pour 1. Vous avez probablement un jour pesé votre téléphone portable, vous vous êtes amusé à le poser sur la balance « tiens, il fait 150 grammes ! ». Pour produire 150 grammes de matière qui tiennent au fond du jean, il faut, en fait, 182 kg de matière, un ratio de 1200 pour 1.
Une étude, qui a été produite il y a quelques années par l’Université de Grenoble, nous apprend que pour toutes les révolutions que nous vivons actuellement – la révolution de l’IA, les révolutions énergétiques –, pour tous nos besoins pour le bâtiment, pour la santé, pour l’industrie de l’armement – c’est important ces temps-ci –, il faut des métaux. Et si on additionne tous nos besoins en métaux pour les 30 prochaines années, en gros de 2020 à 2050, l’humanité va consommer plus de métaux et minéraux que tout ce qu’elle a consommé depuis 70 000 ans et évidemment, le numérique participe de cette consommation de métaux et j’en reviens à l’indium. Qu’est-ce que seraient vos vies sans indium ?

Agnès Crepet : Juste une petite question : qui n’a pas de téléphone portable dans la poche ?

Guillaume Pitron : Il y en toujours un ! C’est exceptionnel parce dans la pièce, il y en a toujours un, généralement, qui n’en a pas. Généralement, je me fais engueuler, mais pas cette fois-ci ! Pas encore !
En fait, l’indium c’est arrivé avec Steve Jobs, c’est arrivé avec l’iPhone 1. Quand Steve Jobs a montré l’iPhone 1, vous vous souvenez, lors d’une célèbre keynote, en fait il a montré de l’indium, parce que l’indium se trouve incorporé, intriqué, à l’écran de l’iPhone et ça le rend tactile.
Messieurs-dames, est-ce que vous vous souvenez de l’âge d’avant l’indium ? Est-ce que vous vous souvenez des téléphones à 12 touches sur lesquels il me fallait deux minutes pour envoyer un SMS à ma mère, accompagné du correcteur de texte T9 ? C’était cool ! Non je rigole ! Tout va bien, c’est fini ! Il y a l’indium, l’indium a rendu nos vies tellement plus faciles, tellement plus agréables, tellement plus coulantes, tellement plus fluides ! Grâce à lui, je peux tapoter sur ma tablette, mon téléphone portable, n’importe quel écran, il a rendu ma vie tellement plus agréable, merci l’indium ! Il m’accompagne de 7 heures à 23 heures, 6 heures ce matin, il m’accompagne tout le temps et pourtant je ne sais pas, nous ne savons pas, même pas, que cet indium existe.
Nous vivons dans un âge de métaux, alors, évidemment, surgissent des messages très rassurants, disant « oui, effectivement, il y a un sujet de métaux aujourd’hui autour numérique, mais rassurez-vous, il y a plein de solutions pour contourner ce problème. »
La première solution, c’est qu’on va tout substituer, on va substituer les métaux les plus rares, les plus dilués dans l’écorce terrestre, par d’autres métaux moins rares et, du coup, on va régler le problème de notre addiction aux métaux, parce que si, dans la batterie d’une voiture électrique ou d’un téléphone portable on peut mettre du sodium, un minerai très abondant, plutôt que du lithium, en fait je contourne le problème de cette addiction aux métaux parce que je remplace le lithium par d’autres minerais beaucoup plus abondants.
Simplement l’histoire de l’humanité, messieurs-dames, c’est l’histoire non pas d’une substitution permanente, mais d’une addition permanente. Dans l’Antiquité, l’humanité consommait environ sept métaux, aujourd’hui on en consomme 80, et, en fait, on ne cesse de consommer plus de métaux et dans une plus grande variété. L’histoire du monde est donc toujours l’histoire d’une addition de nos besoins de métaux et il faut un peu se méfier, même si la substitution est absolument indispensable, de ce discours qui consisterait à dire que ça va tout régler ; c’est une partie de la solution, ce n’est pas toute la solution, on va continuer à avoir besoin de lithium et d’autres métaux.
Et puis, il y a un autre message qui est extrêmement positif et je l’accompagne, mais je vous mets un peu en garde, c’est le recyclage. On va recycler, évidemment qu’on va recycler, super, l’économie circulaire c’est absolument génial. Pour autant, comment est-ce qu’on recycle l’indium de votre téléphone ? Est-ce que vous pensez qu’en fin de vie on va gratter la surface de l’écran et récupérer quelques microgrammes qu’on va aller remettre chez le recycleur ? On oublie ça ! L’écran va être brûlé, fondu, mélangé à d’autres métaux, et tout ça va terminer dans je ne sais quelle décharge. Non, en réalité on ne fait rien de ces métaux qui sont incorporés, intriqués les uns aux autres et dont la séparation est tellement compliquée ! C’est un peu comme si on essayait de séparer une mayonnaise, personne n’a essayé de recycler une mayonnaise ! Eh bien, on va pas essayer de recycler l’indium de l’écran, ce qui fait que le recyclage est une solution partielle mais pas complète.
Tout cela pour vous dire que nous vivons dans un âge de métal, la transition numérique est une transition de métal, c’est une transition qui consomme des métaux : 7 % du cuivre sert au numérique, 12 % de la consommation mondiale d’aluminium est destinée au numérique, 23 % de la consommation d’argent, 15 % de la consommation palladium, 40 % de la consommation de tantale, 60 % de la consommation de ruthénium et jusqu’à 80/90 % de la consommation de petits métaux exotiques tel que le terbium, le gallium et autre germanium. Nous vivons donc dans un âge numérique merveilleux, mais qui accroît cette consommation de métaux qui était déjà existante mais qui l’accroît. Nous vivons dans un âge, oui, shootés aux métaux.

Agnès Crepet : Et cette transition numérique, voire écologique, parce que tu parlais tout à l’heure de certains métaux comme les terres rares, ??? [11 min 30] on en a besoin dans quoi ? Dans les éoliennes, dans les panneaux solaires. Ça veut dire que la transition numérique et la transition énergétique sont des bonnes ou mauvaises raisons d’arriver vers toujours plus de métaux et toujours plus de métaux ça veut dire quoi ? Ça veut dire toujours plus de mines.
Avec Guillaume, nous n’avons pas mis de slides, nous avons voulu faire une keynote sans slides, mais on aurait pu vous mettre des mines à ciel ouvert, des mines artisanales en République démocratique du Congo, en tout cas le visage de ce que ce que veut dire l’extractivisme. Parce que ces mines, en fait, elles existent. Dans l’inconscient collectif, parmi vous, je pense que personne n’habite à côté d’une mine. À votre avis, est-ce qu’il y a des mines en Europe ? Levez la main. Donc, il y a des mines en Europe mais, la réalité, c’est qu’en fait beaucoup de mines sont loin de chez nous, c’est pour ça qu’on ne les voit pas.
J’habite une ville, Saint-Étienne. À Saint-Étienne, il y a des terrils, ces fameux crassiers, ces accumulations de déchets qui ne sont rien d’autre que les souvenirs, ce patrimoine négatif si je reprends le terme d’un sociologue, Vincent Mandinaud, qui en fait, représentent toute cette exploitation, pendant des siècles, du charbon à Saint-Étienne. Si vous allez dans le sud de l’Andalousie, vous trouverez ce même type de paysage parce qu’il y a encore de l’extraction en Europe. Mais la réalité est plutôt autre : la plupart des mines sont loin de chez nous, notamment en Afrique, en Asie, en Amérique du Sud.
Si je prends l’exemple de la RDC que j’ai cité tout à l’heure, République démocratique du Congo, Afrique des Grands Lacs, on est sur une production mondiale de cobalt à 70 % qui se passe que dans ce pays. On ne peut donc pas vraiment squeezer la RDC et, dans ce pays-là, vous avez un conflit qui existe depuis très longtemps, on parle de la guerre mondiale africaine, sept millions de morts entre 1998 et aujourd’hui, et, quelque part, l’industrie minière, donc ce pourquoi vous avez aussi du cobalt dans vos téléphones, finance en partie ces conflits armés et ça va faire quoi ? Ça veut dire que ces conflits durent dans le temps et c’est pour cela, parfois, qu’on parle même d’une industrie néocoloniale, puisqu’on s’appuie, consciemment ou inconsciemment, sur des gens qui sont loin de chez nous.
En RDC, les mines sont de deux types :
des mines industrielles, souvent, qui appartiennent à des conglomérats étrangers, dont les bénéfices vont dans des paradis fiscaux, où, parfois, les locaux ne sont même pas employés et où, quelque part, juste les impacts négatifs restent dans ce pays-là ;
vous avez aussi les mines artisanales, Amnesty International a beaucoup documenté cela : les conditions sont différentes, on a plus de dangerosité pour les travailleurs et on a aussi des enfants, donc, en ce sens on parle aujourd’hui d’une industrie néocoloniale.
C’est la première réalité.
La deuxième réalité. Peut-être vous ne voyez pas les mines à côté de chez vous, mais elles vont revenir ou elles existent déjà. Ça c’est le fameux « on n’a pas de pétrole mais la du lithium » d’Emmanuel Macron, dans un discours qu’il a prononcé il y a 18 mois, qui précède un gros un gros push pour ouvrir une mine de lithium dans l’Allier, qui appartient à la société Imerys. Il y a une grosse régulation, en ce moment au niveau de l’Europe, à appeler les pays européens à rouvrir des mines, ce qui ne veut pas dire, d’ailleurs, que les mines vont fermer en Afrique ou en Amérique du Sud.
Ces réglementations-là sont très concrètes. L’European Raw Materials Act, qui a été voté il y a un an, dit très clairement que l’objectif c’est d’avoir 10 % de l’extraction des besoins de métaux européens qui se passe en Europe, 40 % pour la transformation. Et la transformation, si je prends l’exemple de Rhône-Poulenc à La Rochelle il y a 30/40 ans, qui gérait à peu près 50 % de la purification des terres rares, a fermé à cause de la pollution, à cause des déchets de litres d’eau radioactifs dans l’environnement autour de La Rochelle. Évidemment que les gens, localement, n’ont pas envie de voir ça, je parle de l’Allier par exemple sur le lithium, n’ont pas envie en fait de voir ça au fond de leur jardin, mais c’est la réalité.

Je parlais des réglementations, donc oui, il y a plus en plus de réglementations qui nous poussent à de la relocalisation. Il y a des réglementations qui nous poussent aussi, tu en parleras Guillaume, vers plus de transparence dans la chaîne d’approvisionnement et il y a d’autres réglementations, qui m’intéressent plus, qui vont vers l’allongement de la durée de vie des appareils.
En Europe, il y a l’Ecodesign Directive, qui a été voté l’année dernière, peut-être que vous n’en avez pas entendu parler, mais qui est plutôt cool, parce que ça va pousser les fabricants de téléphone à faire des mises à jour logiciel après la fin des ventes sur cinq ans, sur n’importe quelle marque de téléphone, donc c’est plutôt bien. Pourquoi ? Parce que l’allongement de la durée de vie des appareils, c’est clé pour diminuer la demande.

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Guillaume Pitron : Agnès