« Le logiciel libre, une lutte politique pour une société plus juste et plus durable » : différence entre les versions

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==L’enjeu de la place des femmes et des minorités de genre 26’ 35==
==L’enjeu de la place des femmes et des minorités de genre 26’ 35==


<b>Étienne Gonnu : </b>Autre enjeu cher
<b>Étienne Gonnu : </b>Autre enjeu cher et tout à fait d’actualité, il l’a toujours été en réalité, qui est la question de la place des femmes et les questions de genre.
 
<b>Magali Garnero : </b>Je suis à l’April depuis 2007, et c’est depuis 2007 que je voudrais qu’il y ait les plus de femmes dans le logiciel libre donc plus de femmes à l’April. J’ai vu plein d’opérations se monter, s’organiser. Je rappelle qu’en 2012 on faisait une journée Diversité avec Wikipédia et la liberté zéro ! C’est vraiment un sujet qui est cher à l’April. Qu’est-ce qu’on pourrait dire ?
 
<b>Étienne Gonnu : </b>Je mets ma casquette de troll : l’April n’est pas une association féministe, quel rapport avec le logiciel libre ?
 
<b>Magali Garnero : </b>C’est important qu’on soit plein de femmes parce que ça enrichit l’association, ce sont des avis différents, des expériences différentes et, comme je dis souvent, plus on est différent plus on est riche. Je ne sais pas si vous en êtes rendu compte, l’April fait de l’écriture inclusive.
 
[Intervention d’un organisateur]
 
<b>Magali Garnero : </b>On est censuré, vous êtes tous témoins, on est censuré !
 
<b>Étienne Gonnu : </b>La <em>cancel culture</em>.
 
<b>Magali Garnero : </b>Tu viens de nous faire une frayeur !
 
<b>Étienne Gonnu : </b>Je précise pour les personnes qui suivent à distance : on nous a indiqué qu’il nous restait deux minutes alors qu’on était censé avoir une heure, d’où cette petite frayeur. Excuse-moi Booky.
 
<b>Magali Garnero : </b>Bref ! Je ne sais pas si vous avez vu, mais l’April fait d’écriture inclusive. On n’utilise pas de point médian et on n’invente pas de nouveaux mots, ce qui est dommage, je trouve super rigolo d’inventer des nouveaux mots, mais on essaye d’être le plus inclusif possible.<br/>
On a réécrit notre règlement intérieur et on en train de réécrire nos statuts parce que nos statuts datent d’il y a longtemps et, dans nos statuts, il était marqué qu’il y avait un président, un secrétaire et un trésorier et je ne suis pas un président.
 
<b>Étienne Gonnu : </b>C’est parce que tu es une femme que tu es la présidente de l’April ?
 
<b>Magali Garnero : </b>Non, ce n’est pas parce que je suis une femme que je suis présidente de l’April, c’est parce que ça faisait longtemps que j’étais au CA que je suis trop active, selon certains, en plus c’était aussi mon tour de prendre ce rôle-là. Donc, ce n’est pas parce que je suis une femme, mais c’est cool, parce que, étant présidente femme, je peux montrer que même à l’April il y a des femmes qui peuvent avoir ce rôle-là, qui n’est pas contesté par mes camarades, au contraire, qui me permet de faire plein de choses que je n’aurais pas pu faire.<br/>
Je tiens aussi à faire remarquer que l’émission <em>Libre à vous !</em>, pareil, ça ne se voit pas, mais quand on demande à des personnes d’intervenir, on essaye toujours de s’arranger pour qu’il y ait des femmes parmi nos intervenants. Quel est pourcentage des intervenantes ?
 
<b>Étienne Gonnu : </b>Il doit être autour de 40 %, ce qui n’est pas parfait, mais je crois que par rapport à la moyenne, on va dire, des émissions de radio et podcasts, c’est quand même au-dessus.<br/>
<em>Libre à vous !</em> est une émission de radio hebdomadaire qu’anime l’April sur la radio Cause Commune, on en reparlera un petit peu après.
 
<b>Magali Garnero : </b>À la régie, ce ne sont que des filles. C’est assez rare qu’un poste technique soit aussi maîtrisé par des filles ; je suis bien placée vu que je fais partie des personnes qui sont derrière les petites manettes. Il y a Julie et Élise, donc que des filles.<br/>
Il y a vraiment cet effort-là d’inclusivité et c’est un effort qui doit être constant et régulier. Qu’est-ce qu’on peut dire d’autre sur l’inclusivité ?
 
<b>Étienne Gonnu : </b>Redire que ça toute sa place dans la vie de l’April. On n’en fait pas le fer de lance, mais, on ne va pas se priver de la moitié de la population pour faire avancer notre cause, ça a donc du sens.
 
<b>Magali Garnero : </b>Et j’ai tendance à dire que plus on sera nombreuses, plus on sera nombreuses. En gros, plus on montre que des femmes ont toute leur place dans la communauté plus d’autres femmes pourront venir dans cette communauté et s’y intégrer ; c’est évident et ce n’est pas si difficile que ça à faire, donc, il faut le faire.
 
<b>Étienne Gonnu : </b>Isabella Vanni, ma collègue dont j’ai parlé, propose une conférence pour vraiment rentrer plus dans le détail de ce qu’on essaie de faire et pourquoi c’est un cheminement. On n’a pas la prétention, finalement, à être parfaits, on n’est pas parfaits, et c’est une nécessité de l’accepter. On chemine, on fait des erreurs, on accepte les retours. N’hésitez pas si vous voyez des choses qui vous paraissent ne pas correspondre à l’idéal qu’on essaie de présenter, on sera ravis de les entendre et de se former sur la question. C’est une formation collective et permanente.
 
<b>Magali Garnero : </b>Si vous ne faites aucune remontée, ça ne nous aide pas à nous améliorer, donc, c’est dans les deux sens.
 
==Défendre==
 
<b>Étienne Gonnu : </b>Qu’est-ce que j’ai mis après. À chaque fois, je dis défendre et promouvoir, je crois qu’on ne l’a pas dit : on promeut et on défend le logiciel libre. Parfois, on essaye d’améliorer le contexte politique pour que, finalement, il y ait plus de place pour le logiciel libre et, parfois, on se défend face à des attaques en règle contre les libertés informatiques, il y en a, il y en a eu, on peut penser, par exemple, au brevet logiciel qui est vraiment une grande menace sur le Libre, moins présente qu’elle ne l’a été un temps, mais l’idée même est très nocive. Je ne vais pas rentrer dans le détail maintenant, je regrette de l’avoir évoqué, je lance des brides, mais c’est une manière vraiment très importante de restreindre les libertés informatiques. Et parfois, comme sur cette loi du contrôle parental que j’ai mise sur la <em>slide</em>, on ne s’y attendait pas et, en fait, c’était involontaire, quelque part, comme menace. Tu veux présenter un petit peu ce qui s’est passé ?
 
<b>Magali Garnero : </b>Oui, parce que c’est un des projets loi qui m’a le plus touchée, ça a duré deux ans, quelque chose comme ça, un peu moins, ça a été très long quand même.<br/>
Contrôle parental sur les appareils, OK, c’est normal on va on va protéger les enfants qui utilisent l’ordinateur. Oui, sauf que si on avait laissé faire, on n’aurait plus pu acheter des ordinateurs, des téléphones, des tablettes, ce que vous voulez, sans système d’exploitation. Peut-être que pour le grand public ce n’est pas gênant ; pour la communauté, c’était impossible. Vous imaginez ? Non, on ne va pas imaginer, on va déprimer. Ils ne savaient pas, ils ne comprenaient pas, ils n’avaient pas conscience des conséquences de cette loi. Il a donc fallu agir pour les empêcher de passer ça. Comment as-tu fait ?
 
<b>Étienne Gonnu : </b>On va préciser pourquoi. En fait, la loi imposait la présence, sur les systèmes informatiques, d’un système de contrôle parental, sauf que s’il y a pas de système d’exploitation sur lequel mettre ce logiciel ! Donc ça impose, de fait, la présence d’un système d’exploitation. Ce n’était pas leur but et notre idée c’était comment faire pour s’assurer que ce soit pas la situation.<br/>
Au début j’ai contacté des parlementaires, ce que je fais dans ces cas-là, pour essayer de signaler ce qui nous paraissait comme une menace. En général, les réponses étaient : ce n’est pas le but de la loi. OK, très bien, ce n’est pas l’intention, mais telle qu’elle est rédigée, et c’est ça qui compte, même chaque virgule compte, chaque mot compte, c’est un risque potentiel. En fait, le droit fait aussi qu’une entreprise, si elle voit un risque juridique, elle va le limiter au maximum. Elle se moque complètement de permettre de vendre des systèmes d’informatique sans système d’exploitation, c’est aussi la réalité actuelle, ce n’est pas encore évident d’acheter des ordinateurs dits nus, c’est-à-dire sans système d’exploitation préinstallé, bref !
 
<b>Magali Garnero : </b>Le reconditionné.
 
<b>Étienne Gonnu : </b>Oui. Ce risque était réel. Notre but était de contenir ce risque. Au début, j’ai eu peu de retours. Dans ces cas-là, j’appelle les députés, j’appelle les groupes politiques, c’était à l’Assemblée à ce moment-là. C’est la seule fois où ça m’est arrivé de cette manière-là, j’ai trouvé ça assez marrant, c’est-à-dire que j’ai appelé, j’ai laissé des messages, etc. C’est une proposition de loi qui était « mineure », entre guillemets, c’est-à-dire que ce n’était pas quelque chose de haut profil en termes de médiatisation, mais j’ai fait suffisamment de bruit, finalement, pour qu’une des personnes qui travaille avec le rapporteur de la loi, qui s’occupe de la rédaction de la loi, d’un point de vue administratif, m’appelle en me disant « on s’inquiète qu’on nous dise ça me dit, moi je leur dis qu’il n’y a pas de problème, j’entends que ça vient de vous, qu’il y a ce brouhaha, j’aimerais qu’on travaille ensemble pour essayer de trouver la solution ».
 
<b>Magali Garnero : </b>C’était de ta faute !
 
<b>Étienne Gonnu : </b>Donc faire du bruit et être ce poil à gratter, c’est important. Donc par échanges, notamment avec le rapporteur, Bruno Studer, qui a entendu nos craintes, il a été rajouté à la loi l’amendement, d’ailleurs c’est lui-même qui l’a porté, qui dit que les équipements vendus sans système d’exploitation ne sont pas concernés par la loi ; en fait, ils sont sortis du périmètre de la loi. Après, est-ce qu’il faut des systèmes de contrôle parental, on n’a pas d’avis. On a donc remporté cette victoire.
 
<b>Magali Garnero : </b>Première victoire.
 
<b>Étienne Gonnu : </b>Parfois, on est obligé de passer du temps sur des choses qui n’étaient pas anticipées, anticipées par personne en réalité, il faut défendre parfois un petit peu aussi cela.<br/>
On a une petite déconvenue. Il fallait un décret d’application. La loi dit qu’il faut une liberté de désinstallation, d’ailleurs on avait porté l’idée qu’il fallait avoir la liberté, pour les utilisateurs et les utilisatrices, de désinstaller le logiciel de contrôle parental, et magiquement, dans le décret, ils ont changé un mot.
 
<b>Magali Garnero : </b>On autorise à le désactiver, pas le désinstaller.
 
<b>Étienne Gonnu : </b>Normalement ils ne sont pas censés le faire.
 
<b>Magali Garnero : </b>Parce qu’ils n’y comprennent rien.
 
<b>Étienne Gonnu : </b>Si, je pense qu’ils ont tout à fait conscience, c’est plus simple à mettre en œuvre, du moins à imposer, si on dit juste qu’il faut le désactiver ; imposer aux constructeurs de garantir la désinstallation, ce ne sont pas les mêmes enjeux de leur côté, mais bon, ils ont été moins-disants que la loi, ce qui, théoriquement, n’est pas possible.
 
<b>Magali Garnero : </b>En tout cas, nous pouvons continuer à acheter notre matériel sans système d’exploitation et c’est cela qu’il faut retenir du contrôle parental. On a réussi à agir sur des élus pour défendre nos droits.
 
<b>Étienne Gonnu : </b>Tout à fait.
 
==Quoi de Libre ? ==
 
<b>Étienne Gonnu : </b>Une petite <em>slide</em> « Quoi de Libre ? » C’est comme cela qu’on présente l’actualité, on va dire, du logiciel libre, pour vous parler de quelques dossiers récents sur lesquels on n’a pas forcément été en tête d’action ; on a plutôt été en soutien, relais ou simplement en communiquant dessus, en tout cas des actualités qui concernent directement le logiciel libre.<br/>
La première actualité c’est « Entr’Ouvert n’a pas fait de quartier à Orange ». C’est une vieille affaire qui a eu un heureux dénouement assez récemment. Est-ce que cette affaire entre Entr’Ouvert et Orange vous parle ? Je vois quelques acquiescements, d’autres non.
 
<b>Magali Garnero : </b>Ça a duré 12 ans entre le moment Entr’Ouvert, entreprise du Libre, va porter plainte pour violation des termes de la licence GNU GPL v2 et du droit d’auteur contre Orange, pour une bibliothèque Lasso qui a été récupérée et utilisée sans partage, sans modification, en tout cas sans l’attribuer à Entr’Ouvert et là procès, procès, appel, appel, procès, cassation.
 
<b>Étienne Gonnu : </b>Longue procédure. Une première cour cassation, c’est le maximum, a donné raison à la réclamation d’Entr’Ouvert pour dire qu’il y avait eu violation la licence et que c’était une contrefaçon du droit d’auteur. C’est reparti en cour d’appel qui a rendu son arrêt en février 2024, qui, effectivement, a condamné Orange pour violation de la licence, reconnaissant la contrefaçon, qui a condamné Orange à verser 860 000 euros à Entr’Ouvert, ce qui était moins que les demandes d’Entr’Ouvert, malheureusement. En tout cas, d’un point de vue juridique, la décision jurisprudentielle est extrêmement importante.
 
<b>Magali Garnero : </b>C’est ça le plus important. On est content qu’ils aient gagné, content que ce soit fini, parce que ça va faire jurisprudence, d’autres avocats et des juges vont pouvoir s’y référer dans le futur et c’est aussi une victoire ; une victoire sur le long terme qui a pris 12 ans pas dû être facile à vivre par Entr’Ouvert, mais c’est une victoire. Bravo à elles et eux !
 
<b>Étienne Gonnu : </b>On a eu confirmation de ce que j’ai appelé la ??? [38 min 17], parce qu’il y avait le risque qu’Orange se dise « on va continuer, on remet une pièce dans la machine, peut-être qu’ils vont refaire un pourvoi en cassation », on aurait trouvé l’idée saugrenue, ils auraient pu. Mais le délai est passé et la cour de cassation n’a pas reçu de pourvoi en cassation sur cet arrêt, donc, normalement c’est fini. Après, peut-être que les avocats d’Orange sont extrêmement retors et trouveront une manière, mais ça paraîtrait quand même peu probable.
 
<b>Magali Garnero : </b>Après il faut rappeler, parce que le monde évolue, en tout cas il a évolué sur les 12 ans, maintenant Orange a une équipe qui ne fait que du logiciel libre, qui avantage l’<em>open source</em> ; des gens ont été embauchés pour ça, on les connaît, on les apprécie, on les salue. On va éviter de penser que…
 
<b>Étienne Gonnu : </b>Après, c’est comme toute grosse institution, c’est une grosse machine, la main droite ne sait pas ce que fait la main gauche : il y a de super libristes à l’Éducation nationale alors que l’Éducation nationale, par ailleurs, fait des choses un peu discutables avec la liberté informatique des élèves, notamment leurs données personnelles. Il y a donc des super libristes chez Orange et puis il y a des décisions qui sont plus critiquables, on va dire.
 
<b>Magali Garnero : </b>Et incohérentes.
 
<b>Étienne Gonnu : </b>Autre dossier important qu’on a suivi.
 
<b>Magali Garnero : </b>La loi pour réguler et sécuriser l’espace numérique, SREN, dont vous avez sûrement entendu parler
 
<b>Étienne Gonnu : </b>Surveiller et punir. Ce projet de loi vous parle ? Il a été pas mal discuté surtout sur 2023, qui a été promulgué le 21 mai. Je ne vais pas refaire la procédure, puisque, à nouveau la Commission européenne était en train de dire « la France, vous êtes gentils de faire cavalier à part, mais, là, vous marchez sur la compétence européenne », mais le gouvernement français sait mieux que tout le monde. Bref ! Il y a donc eu encore une loi, parce que, visiblement, dans les discussions, Internet serait une zone de non-droit : on peut pas faire sur Internet ce qu’on ne ferait pas dans la rue, etc., que l’anonymat c’est un problème. On a eu tous les poncifs habituels ; malheureusement, on n’avance pas toujours ! Heureusement je pense que ce niveau de discours politique est moins marqué qu’avant, en fait je n’en sais rien ! Il y a donc eu ce projet de loi qui a été discuté.
 
<b>Magali Garnero : </b>En interne je l’appelle l’affaire Mozilla, parce que j’ai été démarchée par l’équipe de Mozilla qui m’a mise en contact avec des gens de Belgique en disant « aidez-nous, parce que, au niveau français vous êtes en train de faire des trucs, ça ne va pas, ça va nous contraindre à faire de la censure alors qu’il y a déjà un filtre pour cela ». On a relayé et on a partagé toutes les informations qu’on avait, qui il faut contacter, comment il faut contacter, avec l’équipe de Mozilla Belgique et ça a vraiment été un travail de coopération. Du coup, on a pu relayer tout ce qu’ils faisaient au niveau français ; je me souviens avoir écrit un texte sur Linuxfr. C’est un bon souvenir, même si ce n’était pas une de nous de nos actions.
 
<b>Étienne Gonnu : </b>Il faut soutenir les copains et copines qui agissent et si des gens font très bien, l’April n’a pas de raison, on ne sait pas mieux que les autres, donc on sait aussi se mettre en soutien. Pourquoi est-ce que Mozilla était concerné ?
 
<b>Magali Garnero : </b>On demandait de faire de la censure de certains sites internet, donc de les filtrer.
 
<b>Étienne Gonnu : </b>Même de le bloquer ; filtres anti-arnaques pour protéger les personnes qui utilisent le web contre les pratiques [41 min 38]. Pareil, faut-il un filtre anti-arnaque ?, on n’a pas d’avis.
 
<b>Magali Garnero : </b>Je ne suis pas technique, mais il me semble qu’il y a déjà un filtre avant que le navigateur entre en jeu, non ? Quelqu’un me fait oui de la tête. Merci.
 
<b>Étienne Gonnu : </b>Oui, mais qui définit la liste des arnaques ? Comment définit-on ?
 
<b>Magali Garnero : </b>Il me semble que c’est une liste qui est partagée entre plusieurs.
 
<b>Étienne Gonnu : </b>Ce sont des enjeux compliqués derrière et aussi profondément politiques, en tout cas, tel que c’était fait, il y avait une obligation pour les navigateurs web, dont Mozilla, de bloquer purement et simplement l’accès à des sites web.
 
<b>Magali Garnero : </b>Et de prendre cette responsabilité-là.
 
<b>Étienne Gonnu : </b>Ça a été discuté, c’est devenu un filtrage, ça se rapproche effectivement davantage de ce qui existait déjà, qui est quand même une atteinte beaucoup moins grave aux libertés informatiques.<br/>
Il y a aussi un autre aspect de ce projet de loi que j’ai trouvé intéressant, juste pour l’anecdote, ce projet de loi porte, c’est d’ailleurs une des mesures phares, d’imposer les systèmes de vérification d’âge. Un amendement a été défendu que, bien sûr, on a soutenu qu’on trouvait bon intéressant. Pareil, on n’a pas d’avis sur les systèmes de vérification d’âge en tant qu’April, mais, si vous le faites ! Cet amendement préconisait que les sources de ces systèmes soient accessibles, que ce soit des formats ouverts, etc. Voilà ! Si on fait les choses, on essaie de bien les faire ! La réponse de la rapporteure sur cette partie du projet de loi a été « oui, c’est souhaitable, mais nous ne souhaitons pas le faire. »
 
<b>Magali Garnero : </b>On est d’accord avec vous, mais on ne fera pas là. !
 
<b>Étienne Gonnu : </b>Un peu plus tard, le débat est revenu. C’est parce que la sacro-sainte liberté d’entreprendre était mise en cause et, bien sûr, les entreprises elles-mêmes feraient le bon choix.
 
<b>Magali Garnero : </b>L’argent ! Après, il ne faut pas se leurrer, la vérification d’âge, vous pouvez la mettre en place, mais ce n’est pas ça qui va bloquer des gens. Quel que soit leur âge, ils trouveront toujours un moyen de contourner et de faire ce qu’ils veulent.
 
<b>Étienne Gonnu : </b>Mais ça faisait des jolis titres dans les journaux !
 
<b>Magali Garnero : </b><em>Greenwashing</em>
 
==43’ 32==
 
<b>Étienne Gonnu : </b><em>Cyber Resilience Act</em>

Version du 25 juillet 2024 à 10:42


Titre : Le logiciel libre, une lutte politique pour une société plus juste et plus durable

Intervenant·es : Magali Garnero - Étienne Gonnu

Lieu : Choisy-le-Roi - Pas Sage en Seine 2024

Date : 30 mai 2024

Durée : 56 min 31

Vidéo

Présentation de la conférence

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : À prévoir

NB : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·es mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Description

Il est impossible de nier que les logiciels libres sont un enjeu politique et social. Depuis 1996, l'April se bat à côté d'autres associations pour les protéger, les défendre et leur donner la priorité. Revenons sur les combats en cours menés par l'équipe salariée et les bénévoles de l'association et ils sont nombreux… sans parler de ce qui va arriver !

Transcription

Magali Garnero : Bonjour à tous.

Étienne Gonnu : Bonjour.

Magali Garnero : Merci d’être là aussi tôt. Comme je disais tout à l’heure ça pique de se lever aussi tôt, en tout cas en ce qui me concerne. On est à Pas Sage en Seine 2024 et on vous propose une conférence : Le logiciel libre, une lutte politique pour une société plus juste et plus durable.

Étienne Gonnu : Je suis Étienne Gonnu, je suis un des salariés de l’April, je m’occupe du plaidoyer politique, je suis chargé de mission affaires publiques, c’est mon titre officiel. Je suis particulièrement heureux, c’est la première fois que je viens Pas Sage en Seine et je suis très heureux de faire cette conférence, notamment avec Booky. Magali, je te laisse te présenter aussi.

Magali Garnero : C’est première fois qu’on fait ça ensemble, donc soyez indulgents !
Magali Garnero, alias Bookynette. Je suis présidente de l’April, je suis au comité directeur de Framasoft, de Parinux, je fais pas mal de choses dans le monde du Libre parce que je m’éclate, et je suis aussi, dans ma vraie vie professionnelle, libraire, donc être dans une médiathèque, vous ne pouvez pas savoir comme ça m’enchante !

L’April

Magali Garnero : On ne s’est pas parlé, pourtant, il y en a des t-shirts à l’April, celui-là est mon préféré, tout le monde le sait. [Magali et Étienne portent le même te-shirt, NdT]
Qu’est-ce que c’est l’April ? L’April est une association qui existe depuis 1996, il y en a qui n’étaient pas nés. On défend et on fait la promotion du logiciel libre depuis pas mal de temps, il ne faut pas que je dise ce qu’on a mis sur les slides d’après.

Étienne Gonnu : Il ne faut pas spoiler, divulgacher.

Magali Garnero : Divulgacher, c’est un beau mot, j’adore inventer des mots. Qu’est-ce qu’on peut dire ? Promotion, défense.

Étienne Gonnu : Déjà, est-ce que tout le monde connaît l’April ici ou pas ?
Donc fondée en 1996. Ce qui me semble important, c’est le mode d’organisation et de financement. On peut parler de mode de financement, parce qu’il garantit aussi notre indépendance et notre pérennité dans le temps, notre pérennité d’action. Comme on vous l’a dit, on a tout un pan de notre action – on vous vous présentera l’autre aussi – qui repose sur le plaidoyer politique, donc le contact notamment avec les pouvoirs publics, typiquement les parlementaires par exemple, donc, il faut qu’on puisse porter une voix indépendante. Pour cela, notre financement est forcément important, la façon dont on se finance. On a fait le choix d’un financement basé sur de la cotisation. La cotisation de nos membres c’est plus de 95 % je pense, 97 %, par là. Notre financement repose sur ces cotisations et, surtout, ce sont des cotisations plafonnées, ce qui nous garantit une liberté de parole parce que n’importe lequel de nos membres peut partir sans grever dangereusement nos finances. On a autant des membres personnes individuelles que des entreprises, on a des collectivités, des universités, un syndicat. On a une grande diversité de membres.

Magali Garnero : On a à peu près 2500 membres à jour de cotisation, ce qui ne correspond pas forcément au nombre total de membres. On a 300 entreprises, administrations, associations et ainsi de suite et on a effectivement zéro subvention de l’État, ce qui nous permet quand même de dire ce qu’on veut. Tu parlais de montant maximum : même si on vous adore, vous ne pourrez pas donner plus de dix mille euros, ce qui est quand même énorme, je le reconnais. Il y a des entreprises qui pourraient effectivement donner plus, mais on se l’interdit, pour ne pas dépendre et surtout pour ne pas être dans la merde si elles arrêtent de nous donner des sous, il ne faut pas se leurrer.

Étienne Gonnu : Ça garantit l’indépendance et ça nous permet de financer quatre postes, quatre salariés.

Magali Garnero : Ne divulgache pas !

Étienne Gonnu : D’accord, on le dit après.

Magali Garnero : Tu as raison, c’est dans la conférence d’Isabella qu’on le dit. Quand on fait tellement de conférences, on ne sait plus ! On a effectivement quatre salariés dont Étienne ; on a aussi Frédéric Couchet, le délégué général et qui est aussi un des fondateurs de l’April.

Étienne Gonnu : Isabella Vanni, la coordinatrice vie associative. Je vous disais qu’on a deux points d’action : je m’occupe du plaidoyer institutionnel et Isabella va plus coordonner tout ce qui touche la sensibilisation grand public, parce que c’est effectivement un point extrêmement important que de sensibiliser l’opinion sur les enjeux du logiciel libre, parce que c’est aussi comme ça, bien sûr, qu’on construit des rapports de force pour faire avancer notre cause.

Magali Garnero : C’est grâce à Isabella qu’on est là aujourd’hui, qu’on a un stand, que les horaires de nos conférences ont été transmis à tous nos adhérents, qu’on a pu mettre l’Expolibre sur les grilles un jour avant ce qui était prévu. C’est elle qui gère toutes ces tâches et elle est vraiment indispensable.
Il y a Elsa.

Étienne Gonnu : Qui s’occupe vraiment de tout ce qui est la charge administrative ; on a 2500 membres, ce qui est loin d’être neutre, ce qui nous permet aussi de libérer du temps pour les autres actions ; et, bien sûr, de très nombreux et nombreuses bénévoles qui font vivre l’association : une association sans bénévoles, c’est une association triste, comme moribonde, je pense. À l’April, on a la chance d’avoir de super bénévoles. Je pense que c’est l’essentiel sur ce qu’est l’April.

Magali Garnero : On peut peut-être parler du CA rapidement, surtout qu’on a un administrateur dans le public [Laurent Costy], donc, si on ne parle pas de nos administrateurs, ils vont râler. On a plusieurs administrateurs et administratrice qui sont un peu partout en France et en Europe puisqu’on a la chance d’en avoir une qui vit en Italie. À une époque, on en a eu une qui vivait au Canada, ce n’est plus le cas maintenant.
Il est composé de plein de gens merveilleux, des bonnes personnes pour ceux qui me connaissent, j’ai tendance à dire ça.

Étienne Gonnu : À parité, pas 50/50, mais pas loin, en tout cas, on a fait cet effort-là, il est important pour nous.

Magali Garnero : Peut-être que l’année prochaine on sera à parité, peut-être, je ne sais pas, en tout cas on essaye.

Logiciel libre, société libre

Étienne Gonnu : On va dire que c’est un de nos slogans, leitmotivs. Je pense que ce n’est pas forcément ici que je vais devoir convaincre, mais c’est toujours bien aussi de se rappeler qu’on est dans une société où l’informatique est omniprésente, qui conditionne nos interactions entre nous, nos interactions avec les pouvoirs publics, l’expression, la manière dont on va utiliser et exprimer nos libertés. Le fait d’avoir une informatique libre conditionne le degré de ces libertés-là, donc le logiciel libre est essentiel et c’est pour cela en fait qu’on le défend. On le défend dans une perspective éthique, politique, et pas simplement sur la notion d’ouverture, c’est aussi important, donc pas seulement pour des questions techniques parce qu’on trouve que c’est pertinent scientifiquement d’avoir accès aux sources et cette logique de libre circulation du savoir ; cela est aussi une perspective politique et c’est vraiment ça qui nous anime ; d’ailleurs, je ne suis pas informaticien.

Magali Garnero : Moi non plus !

Étienne Gonnu : Booky non plus ! Je le dis parce que ce n’est pas une liberté d’informaticien et d’informaticienne, c’est une liberté pour tout le monde. En fait, c’est même d’abord une liberté pour les personnes non expertes qui les protège, quelque part, un petit peu du pouvoir des personnes qui ont cette maîtrise sur les outils informatiques qui sont si omniprésents.
J’aime bien faire ce parallèle : les quatre libertés du logiciel, la liberté d’accès aux sources, de partage, de modification, de redistribution, sont, pour moi, finalement, la traduction des critères fondateurs, fondamentaux, du fonctionnement d’une démocratie.
Excusez-moi, je suis un peu malade du coup j’ai les neurones qui se branchent un peu dans tous les sens.
Une démocratie fonctionne à partir du moment où on a la liberté d’accéder et de connaître les règles qui s’imposent à nous ; la capacité, d’une manière ou d’une autre, d’être en mesure de participer à leur élaboration, à leur construction, à savoir aussi que le processus d’élaboration de ces règles est connu de tous, en fait qu’elles sont faites de la manière qu’on appelle l’État de droit. En fait, c’est la traduction finalement, puisque le code informatique est du droit, quelque part, Code is Lawpour reprendre cette citation célèbre de Lawrence Lessig, un juriste américain. Le code va faire du droit, va imposer sa loi dans la manière dont on va utiliser les réseaux informatiques. Le fait qu’on ait un libre accès à ces sources, à ces règles qui vont conditionner, qu’on peut, d’une manière ou d’une autre, à partir du moment où on le désire développer ces compétences-là, accéder à ces règles-là et être en mesure d’agir sur elles, etc., fait que c’est un peu l’incarnation démocratique.
C’est la Constitution de 1793 qui a posé un petit peu aussi, comme fondatrice, cette idée du devoir même d’insurrection, c’est-à-dire que face à un pouvoir tyrannique, on a presque le devoir de s’insurger et le logiciel libre permet ça, c’est ce qu’on appelle le fork quelque part : si on n’est pas satisfait, si on considère que la manière dont fonctionne un projet ne nous satisfait pas, on a cette liberté fondamentale de faire autrement, de repartir et c’est une garantie essentielle qui fait intrinsèquement du logiciel libre un vecteur, une garantie d’un rapport démocratique aux technologies.
Avançons sur la priorité au logiciel libre.

Promouvoir

Magali Garnero : Qui est indispensable. C’est vraiment LE combat de l’April : imposer le logiciel libre partout pour arrêter de subir des licences privatrices – je dis privatrices, je ne dis pas propriétaires – souvent américaines.

Étienne Gonnu : Tout à fait. Donc priorité au logiciel libre. Bien sûr qu’on invite chacun à donner une priorité au logiciel libre, et c’est toute la partie sensibilisation, dans ses pratiques quotidiennes et aussi dans ses pratiques associatives, dans tous ses espaces d’expression ; ça ne veut pas dire qu’il faut nécessairement utiliser des logiciels libres, mais tant qu’on peut, on doit le faire, parce que dans le système dans lequel on est, tous les besoins ne sont malheureusement pas adressés par des logiciels libres, mais si on peut, on doit essayer de le faire.
On appelle aussi les pouvoirs publics à une priorité, qui est d’autant plus importante parce que les pouvoirs publics ont une mission de service public et on peut considérer que les quatre libertés du logiciel libres répondent, pour les administrations, qu’elles soient centrales ou des collectivités, à des besoins impérieux de service public, c’est-à-dire que par ces licences libres il y a une garantie d’indépendance, une capacité de mutualiser avec d’autres administrations, donc une meilleure gestion du denier public.

Magali Garnero : Et puis surtout, excusez-moi si je l’interromps, c’est inadmissible que notre argent, l’argent de nos impôts, aille à des entreprises américaines alors que ça pourrait aller à des entreprises françaises, des informaticiens qui feraient du logiciel libre, qui pourraient adapter les logiciels.

Étienne Gonnu : Je ne suis pas d’accord !

Magali Garnero : Tu n’es pas d’accord !

Étienne Gonnu : Je préférais une entreprise américaine qui fait du logiciel libre qu’une entreprise française qui fournisse des licences privatrices !

Magali Garnero : Effectivement ! En fait, c’est le genre de débat qu’on peut avoir constamment et j’aime bien le titiller avec ça.

Étienne Gonnu : Ce qu’on défend, c’est une priorité qui doit être exprimée dans la loi, une priorité normative, c’est-à-dire que la loi doit dire qu’il y a une priorité au logiciel libre, ça ne veut pas dire imposer, mais que dès lors qu’une administration a un besoin informatique qui émerge et qu’il est décidé que c’est par l’informatique que ce besoin sera adressé, il faut que ce soit, autant que faire se peut, par du logiciel libre et, si un autre choix est fait, il doit être justifié. En fait, pourquoi une administration se priverait-elle des bénéfices, même des critères d’intérêt général que sont sa liberté d’accès aux sources, sa facilité à mutualiser avec d’autres, à être indépendante de l’éditeur initial ? Si elle se prive de ces libertés, elle doit le justifier.

Magali Garnero : Du coup, pourquoi le font-elles ? J’ai besoin de comprendre.

Étienne Gonnu : Ce sont des systèmes complexes. Elles sont aussi dépendantes de systèmes économiques et, parfois, les questions sont mal posées, mais ça avance. Parfois, on ne se rend pas compte qu’il y a ces besoins-là, mais ça avance notamment dans des rapports parlementaires qu’il faut remettre en perspective, ce n’est pas de la loi, mais ils font que l’idée avance.
On peut citer le rapport Latombe qui a fait un peu de bruit en 2021. Le député Philippe Latombe avait fait un rapport sur la souveraineté numérique, en fait, il disait la même chose : il faut systématiser le recours au logiciel libre et faire du logiciel, lui dit propriétaire, donc le logiciel privateur, une exception dûment justifiée. On ne préconise pas autre chose. Pour le moment, dans la loi, il y a un encouragement, ce qui ne veut rien dire. Bien sûr, nous ne sommes pas naïfs, ce n’est pas la loi qui va tout faire, mais ça constitue un rouage dans une logique de construire des rapports de force. On sait que ça va partir, que ça doit partir des agents qui, au niveau local, poussent pour du logiciel libre. L’idée c’est aussi de leur donner du poids notamment dans les arbitrages politiques qui vont être faits, de les renforcer dans leur capacité à pousser du logiciel libre au sein de leurs administrations.

Magali Garnero : J’ai une super bonne nouvelle pour toi. J’étais aux JdLL cette année, le week-end dernier, et j’ai rencontré Nicolas Vivant, un des membres d’une communauté qui s’appelle Échirolles. Ils se sont amusés à calculer les économies qu’ils peuvent faire en utilisant des logiciels libres. Ils ont mis des logiciels libres partout dans leur communauté de communes ou dans leur ville, je ne sais pas, désolée Nicolas, et ça leur fait faire des économies de 350 000 euros. C’est énorme, pour une ville comme ça, de faire ces économies, donc imaginez, à l’échelle de Paris, ce que ça pourrait faire ! Le logiciel libre permet de faire des économies et permet surtout de maîtriser son matériel et ses logiciels.

Étienne Gonnu : Même sans parler des économies, c’est un bonus et, en fait, c’est de l’investissement parce qu’on ne dépense pas plus, mais on pérennise dans le temps, on peut contribuer à plusieurs.
Cette priorité normative est aussi importante parce qu’on n’est pas dans une situation neutre. Certaines entreprises, notamment américaines comme tu le disais, exercent une grande domination sur certains logiciels. On pense au poste de travail. Si on pense au poste de travail, on pense à Microsoft.

Magali Garnero : Moi non !, je ne pense pas à Microsoft ! Vous pensez à Microsoft ?

Défendre 13‘32

Étienne Gonnu : Peut-être pas dans cette salle, effectivement. En tout cas, malheureusement, je ne sais pas quelle est sa part de marché dans les administrations, d’ailleurs ça peut être intéressant d’avoir ce chiffre. Bref !
Cette image est tirée d’un reportage de Cash Investigation de 2016, « Marchés publics, le grand dérapage », qui évoquait notamment un dossier sur lequel on a beaucoup travaillé à l’April, l’Open Bar entre Microsoft et le ministère des Armées maintenant.

Magali Garnero : À l’époque c’est la Défense, ça a changé nom. Je ne sais pas si vous avez remarqué : plein de gens changent de nom en pensant qu’en changeant de nom on oubliera ce qu’ils ont fait avant.

Étienne Gonnu : Et puis ça véhicule notre imaginaire. Bref !
Donc Microsoft est un peu hégémonique dans les administrations, encore, et c’est pour cela qu’il faut aussi créer un système politique qui rendent plus compliqué le recours à Microsoft.
Sur ce front de la présence de Microsoft, on essaie de lutter. On a un exemple récent et ça montre aussi une de nos modalités d’action, qui est la demande CADA. Depuis 1978, on a un droit d’accès aux documents administratifs, c’est-à-dire que tout document qui a été produit par une administration, s’il est terminé et à quelques exceptions près, par exemple s’il y a des données personnelles dedans, etc., on a la liberté de demander l’accès, la communication de ce document. Par exemple récemment, la fiche de paie du président de la République a pu être communiquée via cette source. Pour nous, c’est un super outil, parce que, par exemple, sur l’Open Bar entre Microsoft et le ministère de la Défense, en fait, c’est l’April, par des demandes CADA, qui a réussi à obtenir – ça ne marche pas toujours très bien – les contrats.

Magali Garnero : Je me souviens de la réponse qui vous était arrivée où tout était biffé, c’était totalement illisible à part quelques phrases. Parfois les documents ont fuité avant, donc on les a, mais on ne peut pas s’en servir tant que ça ne nous a pas été fourni par la CADA. Ils fournissent, ils ne fournissent pas tout, ils fournissent. C’est donc vraiment un des biais que tu utilises extrêmement régulièrement.

Étienne Gonnu : C’est un outil très utile en plus si c’est coordonné. Je vais vous dire de ce dont on parle, parce que, en fait, là je vous présente l’outil : les questions écrites des parlementaires. Par une question écrite d’un parlementaire, on a appris que le ministère du Travail bénéficiait d’une dérogation. Une circulaire qui s’appelle « Cloud au centre », qui limite l’usage des logiciels en mode SaaS, Software as a Service, les logiciels s’exécutent chez le fournisseur, donc, par rapport au RGPD, elle limitait l’accès à ces logiciels notamment aux services américains. Il y a un paragraphe qui permet une dérogation « s’il n’existe pas d’alternative au moment où le besoin émerge ».

Magali Garnero : Elle dure combien de temps la dérogation ? Dans mes souvenirs c’est un an.

Étienne Gonnu : Normalement la dérogation dure un an. Donc le ministère du Travail a formulé une demande pour avoir une dérogation pour pouvoir utiliser Microsoft, il y a une limite et, normalement, il faut surtout qu’il y ait une étude qui prouve qu’il n’y a pas d’alternative, bref ! Ça c’est en 2019. Une question écrite a permis de faire émerger cette situation. On s’est dit « on va demander l’accès aux études et à cette dérogation qui permettent de justifier que ministère du Travail se lie pieds et poings à Microsoft ». On a fini par obtenir communication de ces documents, ça a pris du temps.

Magali Garnero : Ça prend toujours du temps.

Étienne Gonnu : Ça prend toujours du temps parce qu’ils ne répondent jamais. En fait, c’est qu’on demande le document, ils ne répondent pas. À partir du moment où, au bout d’un mois, ils n’ont pas répondu, on peut saisir la CADA, la Commission d’accès. Parfois ça les bouge, là ça les a bougés, ils ont fini par nous donner le document.
Ce qui ressort des études c’est comme souvent, et on s’y attendait, c’est-à-dire qu’en fait les études servent plus ou moins à justifier la décision qui était d’aller vers Microsoft et constituent souvent un aveu d’impuissance : de toute façon, on n’a pas le choix, donc on fait du Microsoft.

Magali Garnero : Ou de la mauvaise foi.

Étienne Gonnu : Souvent de la mauvaise foi aussi !
Du coup, on a redemandé à la CADA parce qu’il faut continuer à gratter.

Magali Garnero : On était dessus à l’April.

Étienne Gonnu : Il faut ! En gros, c’est : vous avez fait une étude en 2019, on est en 2024, peut-être que la situation a changé. Avez-vous fait d’autres études pour continuer à justifier le fait qu’il n’y a pas d’offre alternative à Microsoft. On attend. On a refait une demande CADA, je pense qu’il va être temps, peut-être, de saisir à nouveau, d’ailleurs j’ai déjà saisi la CADA parce qu’on n’avait pas eu de réponse dans le temps. Des délais longs et je pense que c’est aussi propre à l’action institutionnelle : il faut accepter ce temps long, il faut accepter de ne pas avoir toujours les réponses, mais il faut maintenir cette pression et c’est par la pression continue, exercée aussi avec d’autres, heureusement que nous ne sommes pas seuls à l’April, qu’on construit ces rapports de force que j’évoquais.

Magali Garnero : Ça fait donc cinq ans que le ministère a une dérogation, tous les ans, pour continuer à faire, j’allais dire, de la merde.

Étienne Gonnu : Des dérogations qui restent, en fait plus personne n’interroge, comme s’il n’y avait pas de problème.
Qu’est-ce qu’on peut dire encore sur Microsoft ?

Magali Garnero : Tu as parlé de l’Open Bar ?

Étienne Gonnu : Il n’existe plus.

Magali Garnero : Il n’existe plus. On pourrait croire que c’est victoire ; franchement j’étais contente ; ça y est, on est débarrassé de Microsoft, ils vont enfin faire des choses correctes, eh bien non !, ils sont passés par une plateforme qui s’appelle l’UGAP, qui propose des services et des logiciels à toutes des administrations. Alors attention, je suis allée lire, « avec achat immédiat et dispense de procédure », c’est-à-dire qu’il n’y a même plus besoin de demander l’avis de qui que ce soit, de lancer des marchés publics et tout. Non ! Si vous passez par l’UGAP, vous faites ce que vous voulez.

Étienne Gonnu : Open Bar !

Magali Garnero : Et que propose l’UGAP ? Pas des logiciels libres ou alors tellement de façon infime que c’est pitoyable. C’est donc toujours un open bar, ce n’est plus vers Microsoft, c’est vers l’UGAP, mais j’imagine que l’UGAP paye des choses à Microsoft.

Étienne Gonnu : Il y a un peu moins d’adhérence juridique à Microsoft, on peut voir ce point. Tout le problème c’est qu’il y a aussi besoin d’une refonte général sur la façon dont les administrations et les collectivités se procurent des choses, en fait de manière générale, ou passent des marchés publics parce que ça bénéficie aux gros et c’est beaucoup plus petit. Je pense que c’est un problème qui dépasse même le cadre strictement du logiciel libre, en tout cas les entreprises du Libre en pâtissent parce que la manière dont sont faits les marchés publics fait que ça bénéficie plutôt gros.

Magali Garnero : Du coup ça me fait penser à autre chose, j’ai trouvé la même chose que l’UGAP, mais au niveau des associations, ça s’appelle Solidatech qui propose un environnement Techsoup ; c’est un sujet qui est hyper cher à notre vice-président, Laurent Costy, qui sera là dimanche. Pareil, c’est une plateforme qui propose plein de logiciels et de services en ligne pour les associations et ils ont mis un truc qui m’a fait bondir !

Étienne Gonnu : En fait, ils offrent des prix cassés sur les licences.

Magali Garnero : Voilà ! Des tarifs réduits ! C’est quoi un tarif réduit sur un logiciel libre ? Ce n’est pas possible, c’est libre ! Donc, pour motiver les associations à utiliser leurs services informatiques, leurs logiciels, ils vont proposer des licences privatrices à tarif réduit, donc ils vont se faire de l’argent, c’est toujours une histoire d’argent !

Étienne Gonnu : On sait que Techsoup est ce truc américain qui sert à faire du nettoyage, du washing, et vendre. Parce que, dès qu’on touche aux associations, c’est pour le bien commun, donc, forcément, c’est comme pour l’écologie, pour ce qu’on veut. Ça permet de justifier aussi des choses et ça capte des associations qui n’ont pas forcément les moyens, les ressources, qui voient donc ça comme une bénédiction, mais qui, du coup, s’enferment dans leurs besoins et, surtout, ils se retrouvent à disséminer les licences Microsoft à leurs potentiels usagers et usagères.
Je te propose d’avancer.
Autre combat, ô combien important bien sûr, la question de la durabilité d’un numérique plus responsable, plus convivial. On cherche encore, on réfléchit à ce mot, on est en train de travailler à un document de position sur le rapport et la contribution du logiciel libre à cette situation, au dérèglement climatique, à la crise écologique ; bien sûr, le logiciel libre a toute sa place face à cet enjeu.

Magali Garnero : On lit beaucoup, on discute beaucoup. On a fait des réunions en visioconférence avec des gens comme Agnès Crepet de Fairphone, comme Stéphane Crozat qui est à l’IUT de Compiègne, comme d’autres gens dont je ne me souviens pas les noms et je les remercie, pour, justement, avoir une position. Ces discussions-là ont lieu sur une liste, atelier@april.org, qui est une des rares listes où il faut être adhérent pour y accéder ; si cela vous intéresse, vous pouvez adhérer en ligne ou sur le stand de l’April qui dans le village, et vous pouvez accéder à ces discussions. C’est vraiment un sujet que j’estime être dans l’air du temps, pour lequel il faut vraiment qu’on ait un argument qui puisse servir à plein d’autres personnes.

Étienne Gonnu : Tout à fait. Je précise, en deux secondes, pourquoi c’est réservé aux membres : parfois des informations nous sont communiquées en confiance, pas forcément pour une diffusion publique, ça permet aussi de partager en interne ces documents avec les personnes qui veulent discuter de ces sujets.
On a cette espèce de position. On a déjà eu l’occasion, de manière plus concrète, d’essayer d’agir, notamment sur la loi AGEC, anti-gaspillage et économie circulaire, qui date de 2019. Déjà en soutenant une association qui s’appelle Halte à l’obsolescence programmée, qui a porté une position intéressante sur les considérations d’obsolescence logicielle. Nous, par exemple, nous essayons d’agir, on essaye de proposer des choses contre les systèmes de restrictions d’installation, c’est comme ça qu’on essaye de les définir, je pense typiquement Secure Boot de Microsoft, ces systèmes qui empêchent d’installer des systèmes d’exploitation de son choix. Toute la difficulté, c’est d’essayer de traduire des réalités techniques complexes et surtout multiples – il n’y a pas une manière de limiter ces systèmes qui entravent la liberté d’installation – d’une manière qui soit suffisamment générale en termes légistiques, de loi, pour que ça puisse bien s’appliquer et faire sens. On essaie donc de proposer ça, ça n’a pas pris, mais il y a eu des débats intéressants dessus : l’accessibilité des sources en cas de fin de support, l’ouverture des interfaces pour les API ; tout un panel, des mesures et de choses sur lesquelles on peut avancer.
Il y a eu l’indice de durabilité.

Magali Garnero : Oui, l’indice de durabilité. J’ai beaucoup aimé travailler dessus parce que ça permettait de donner des durées de vie à certains matériels, ça permettait de légiférer, ça permettait d’obliger à afficher certaines informations qui n’étaient pas prises en compte. D’ailleurs Halte à l’obsolescence programmée a fait une opération à Montreuil pour obliger l’affichage de ces informations-là.

Étienne Gonnu : Il faut rappeler ce que c’est. Il y a l’indice de réparabilité que, je pense, la plupart des gens voient et connaissent maintenant. Il devait être remplacé, par cette loi de 2019 que j’évoquais, par un indice de durabilité, qui était plus ambitieux, à partir de 2024, et ça devait préciser par certains arrêtés, des actes administratifs, sur certains types d’équipements, notamment les smartphones, quels étaient les critères à remplir pour cette durabilité. Il y avait d’ailleurs eu une consultation en amont, à laquelle on a contribué pour dire qu’il n’y a pas de durabilité des équipements informatiques s’il n’y a pas de logiciels libres qui sont plutôt vecteurs de durabilité. On a argumenté un peu plus que ça, mais je pense qu’ici il n’y a pas forcément besoin d’aller dans les grands détails.

Magali Garnero : Vous retrouvez ces informations sur notre site internet april.org. Tu as vu, je fais de la pub.

Étienne Gonnu : L’indice de durabilité, je crois qu’ils ont été un peu déçus sur les smartphones : la France a voulu aller plus vite que l’Union européenne, sauf qu’elle marchait sur les plates-bandes de la compétence juridique de l’Union européenne, donc la Commission européenne a dit stop. Du coup, ils ont dû abandonner, la France a fait le choix d’abandonner l’indice de durabilité sur les ordiphones, les tablettes, etc.

Magali Garnero : C’est ça de vouloir légiférer avant, trop tôt. On a fait partie de l’Union européenne, donc l’Union européenne va légiférer, va poser des lois, des règlements, mais la France veut toujours faire plus, faire mieux, et, parfois, elle se fait retoquer ; on s’est fait retoquer !

Étienne Gonnu : Pour moi, ce n’est pas dramatique en soi. Est-ce que c’est une bonne méthode de faire un indice de durabilité ?, l’April, en tant l’association n’a pas d’avis, est-ce que ça a un impact utile ?, on n’en sait rien en fait.

Magali Garnero : Non, mais, au moins, on a pu en parler.

Étienne Gonnu : Et, si ça se fait, il faut le faire avec du Libre : si vous voulez le faire, faites ça bien, c’est-à-dire en mettant du Libre. Ce n’était pas non plus hyper pro-libre, il y avait une liberté d’installation préconisée dans cet arrêté, avec une pondération tellement faible que ça avait très peu d’impact. En fait l’obsolescence logicielle était très peu prise en compte dans cet indice, donc pour moi, qu’il ait été abandonné ! Mais le sujet est sur la table et si ça doit revenir, on essaiera de faire en sorte qu’il prenne bien en compte, mieux en compte, les considérations logiciel libre.

Magali Garnero : Et la prochaine fois que ça reviendra, les gens auront déjà abordé le sujet, donc seront déjà un peu plus connaisseurs, moins débutants, donc, peut-être, plus à l’écoute. Après, c’est de mon avis de Bisounours ; mieux vaut en parler une fois et que ça rate que ne jamais en parler.

L’enjeu de la place des femmes et des minorités de genre 26’ 35

Étienne Gonnu : Autre enjeu cher et tout à fait d’actualité, il l’a toujours été en réalité, qui est la question de la place des femmes et les questions de genre.

Magali Garnero : Je suis à l’April depuis 2007, et c’est depuis 2007 que je voudrais qu’il y ait les plus de femmes dans le logiciel libre donc plus de femmes à l’April. J’ai vu plein d’opérations se monter, s’organiser. Je rappelle qu’en 2012 on faisait une journée Diversité avec Wikipédia et la liberté zéro ! C’est vraiment un sujet qui est cher à l’April. Qu’est-ce qu’on pourrait dire ?

Étienne Gonnu : Je mets ma casquette de troll : l’April n’est pas une association féministe, quel rapport avec le logiciel libre ?

Magali Garnero : C’est important qu’on soit plein de femmes parce que ça enrichit l’association, ce sont des avis différents, des expériences différentes et, comme je dis souvent, plus on est différent plus on est riche. Je ne sais pas si vous en êtes rendu compte, l’April fait de l’écriture inclusive.

[Intervention d’un organisateur]

Magali Garnero : On est censuré, vous êtes tous témoins, on est censuré !

Étienne Gonnu : La cancel culture.

Magali Garnero : Tu viens de nous faire une frayeur !

Étienne Gonnu : Je précise pour les personnes qui suivent à distance : on nous a indiqué qu’il nous restait deux minutes alors qu’on était censé avoir une heure, d’où cette petite frayeur. Excuse-moi Booky.

Magali Garnero : Bref ! Je ne sais pas si vous avez vu, mais l’April fait d’écriture inclusive. On n’utilise pas de point médian et on n’invente pas de nouveaux mots, ce qui est dommage, je trouve super rigolo d’inventer des nouveaux mots, mais on essaye d’être le plus inclusif possible.
On a réécrit notre règlement intérieur et on en train de réécrire nos statuts parce que nos statuts datent d’il y a longtemps et, dans nos statuts, il était marqué qu’il y avait un président, un secrétaire et un trésorier et je ne suis pas un président.

Étienne Gonnu : C’est parce que tu es une femme que tu es la présidente de l’April ?

Magali Garnero : Non, ce n’est pas parce que je suis une femme que je suis présidente de l’April, c’est parce que ça faisait longtemps que j’étais au CA que je suis trop active, selon certains, en plus c’était aussi mon tour de prendre ce rôle-là. Donc, ce n’est pas parce que je suis une femme, mais c’est cool, parce que, étant présidente femme, je peux montrer que même à l’April il y a des femmes qui peuvent avoir ce rôle-là, qui n’est pas contesté par mes camarades, au contraire, qui me permet de faire plein de choses que je n’aurais pas pu faire.
Je tiens aussi à faire remarquer que l’émission Libre à vous !, pareil, ça ne se voit pas, mais quand on demande à des personnes d’intervenir, on essaye toujours de s’arranger pour qu’il y ait des femmes parmi nos intervenants. Quel est pourcentage des intervenantes ?

Étienne Gonnu : Il doit être autour de 40 %, ce qui n’est pas parfait, mais je crois que par rapport à la moyenne, on va dire, des émissions de radio et podcasts, c’est quand même au-dessus.
Libre à vous ! est une émission de radio hebdomadaire qu’anime l’April sur la radio Cause Commune, on en reparlera un petit peu après.

Magali Garnero : À la régie, ce ne sont que des filles. C’est assez rare qu’un poste technique soit aussi maîtrisé par des filles ; je suis bien placée vu que je fais partie des personnes qui sont derrière les petites manettes. Il y a Julie et Élise, donc que des filles.
Il y a vraiment cet effort-là d’inclusivité et c’est un effort qui doit être constant et régulier. Qu’est-ce qu’on peut dire d’autre sur l’inclusivité ?

Étienne Gonnu : Redire que ça toute sa place dans la vie de l’April. On n’en fait pas le fer de lance, mais, on ne va pas se priver de la moitié de la population pour faire avancer notre cause, ça a donc du sens.

Magali Garnero : Et j’ai tendance à dire que plus on sera nombreuses, plus on sera nombreuses. En gros, plus on montre que des femmes ont toute leur place dans la communauté plus d’autres femmes pourront venir dans cette communauté et s’y intégrer ; c’est évident et ce n’est pas si difficile que ça à faire, donc, il faut le faire.

Étienne Gonnu : Isabella Vanni, ma collègue dont j’ai parlé, propose une conférence pour vraiment rentrer plus dans le détail de ce qu’on essaie de faire et pourquoi c’est un cheminement. On n’a pas la prétention, finalement, à être parfaits, on n’est pas parfaits, et c’est une nécessité de l’accepter. On chemine, on fait des erreurs, on accepte les retours. N’hésitez pas si vous voyez des choses qui vous paraissent ne pas correspondre à l’idéal qu’on essaie de présenter, on sera ravis de les entendre et de se former sur la question. C’est une formation collective et permanente.

Magali Garnero : Si vous ne faites aucune remontée, ça ne nous aide pas à nous améliorer, donc, c’est dans les deux sens.

Défendre

Étienne Gonnu : Qu’est-ce que j’ai mis après. À chaque fois, je dis défendre et promouvoir, je crois qu’on ne l’a pas dit : on promeut et on défend le logiciel libre. Parfois, on essaye d’améliorer le contexte politique pour que, finalement, il y ait plus de place pour le logiciel libre et, parfois, on se défend face à des attaques en règle contre les libertés informatiques, il y en a, il y en a eu, on peut penser, par exemple, au brevet logiciel qui est vraiment une grande menace sur le Libre, moins présente qu’elle ne l’a été un temps, mais l’idée même est très nocive. Je ne vais pas rentrer dans le détail maintenant, je regrette de l’avoir évoqué, je lance des brides, mais c’est une manière vraiment très importante de restreindre les libertés informatiques. Et parfois, comme sur cette loi du contrôle parental que j’ai mise sur la slide, on ne s’y attendait pas et, en fait, c’était involontaire, quelque part, comme menace. Tu veux présenter un petit peu ce qui s’est passé ?

Magali Garnero : Oui, parce que c’est un des projets loi qui m’a le plus touchée, ça a duré deux ans, quelque chose comme ça, un peu moins, ça a été très long quand même.
Contrôle parental sur les appareils, OK, c’est normal on va on va protéger les enfants qui utilisent l’ordinateur. Oui, sauf que si on avait laissé faire, on n’aurait plus pu acheter des ordinateurs, des téléphones, des tablettes, ce que vous voulez, sans système d’exploitation. Peut-être que pour le grand public ce n’est pas gênant ; pour la communauté, c’était impossible. Vous imaginez ? Non, on ne va pas imaginer, on va déprimer. Ils ne savaient pas, ils ne comprenaient pas, ils n’avaient pas conscience des conséquences de cette loi. Il a donc fallu agir pour les empêcher de passer ça. Comment as-tu fait ?

Étienne Gonnu : On va préciser pourquoi. En fait, la loi imposait la présence, sur les systèmes informatiques, d’un système de contrôle parental, sauf que s’il y a pas de système d’exploitation sur lequel mettre ce logiciel ! Donc ça impose, de fait, la présence d’un système d’exploitation. Ce n’était pas leur but et notre idée c’était comment faire pour s’assurer que ce soit pas la situation.
Au début j’ai contacté des parlementaires, ce que je fais dans ces cas-là, pour essayer de signaler ce qui nous paraissait comme une menace. En général, les réponses étaient : ce n’est pas le but de la loi. OK, très bien, ce n’est pas l’intention, mais telle qu’elle est rédigée, et c’est ça qui compte, même chaque virgule compte, chaque mot compte, c’est un risque potentiel. En fait, le droit fait aussi qu’une entreprise, si elle voit un risque juridique, elle va le limiter au maximum. Elle se moque complètement de permettre de vendre des systèmes d’informatique sans système d’exploitation, c’est aussi la réalité actuelle, ce n’est pas encore évident d’acheter des ordinateurs dits nus, c’est-à-dire sans système d’exploitation préinstallé, bref !

Magali Garnero : Le reconditionné.

Étienne Gonnu : Oui. Ce risque était réel. Notre but était de contenir ce risque. Au début, j’ai eu peu de retours. Dans ces cas-là, j’appelle les députés, j’appelle les groupes politiques, c’était à l’Assemblée à ce moment-là. C’est la seule fois où ça m’est arrivé de cette manière-là, j’ai trouvé ça assez marrant, c’est-à-dire que j’ai appelé, j’ai laissé des messages, etc. C’est une proposition de loi qui était « mineure », entre guillemets, c’est-à-dire que ce n’était pas quelque chose de haut profil en termes de médiatisation, mais j’ai fait suffisamment de bruit, finalement, pour qu’une des personnes qui travaille avec le rapporteur de la loi, qui s’occupe de la rédaction de la loi, d’un point de vue administratif, m’appelle en me disant « on s’inquiète qu’on nous dise ça me dit, moi je leur dis qu’il n’y a pas de problème, j’entends que ça vient de vous, qu’il y a ce brouhaha, j’aimerais qu’on travaille ensemble pour essayer de trouver la solution ».

Magali Garnero : C’était de ta faute !

Étienne Gonnu : Donc faire du bruit et être ce poil à gratter, c’est important. Donc par échanges, notamment avec le rapporteur, Bruno Studer, qui a entendu nos craintes, il a été rajouté à la loi l’amendement, d’ailleurs c’est lui-même qui l’a porté, qui dit que les équipements vendus sans système d’exploitation ne sont pas concernés par la loi ; en fait, ils sont sortis du périmètre de la loi. Après, est-ce qu’il faut des systèmes de contrôle parental, on n’a pas d’avis. On a donc remporté cette victoire.

Magali Garnero : Première victoire.

Étienne Gonnu : Parfois, on est obligé de passer du temps sur des choses qui n’étaient pas anticipées, anticipées par personne en réalité, il faut défendre parfois un petit peu aussi cela.
On a une petite déconvenue. Il fallait un décret d’application. La loi dit qu’il faut une liberté de désinstallation, d’ailleurs on avait porté l’idée qu’il fallait avoir la liberté, pour les utilisateurs et les utilisatrices, de désinstaller le logiciel de contrôle parental, et magiquement, dans le décret, ils ont changé un mot.

Magali Garnero : On autorise à le désactiver, pas le désinstaller.

Étienne Gonnu : Normalement ils ne sont pas censés le faire.

Magali Garnero : Parce qu’ils n’y comprennent rien.

Étienne Gonnu : Si, je pense qu’ils ont tout à fait conscience, c’est plus simple à mettre en œuvre, du moins à imposer, si on dit juste qu’il faut le désactiver ; imposer aux constructeurs de garantir la désinstallation, ce ne sont pas les mêmes enjeux de leur côté, mais bon, ils ont été moins-disants que la loi, ce qui, théoriquement, n’est pas possible.

Magali Garnero : En tout cas, nous pouvons continuer à acheter notre matériel sans système d’exploitation et c’est cela qu’il faut retenir du contrôle parental. On a réussi à agir sur des élus pour défendre nos droits.

Étienne Gonnu : Tout à fait.

Quoi de Libre ?

Étienne Gonnu : Une petite slide « Quoi de Libre ? » C’est comme cela qu’on présente l’actualité, on va dire, du logiciel libre, pour vous parler de quelques dossiers récents sur lesquels on n’a pas forcément été en tête d’action ; on a plutôt été en soutien, relais ou simplement en communiquant dessus, en tout cas des actualités qui concernent directement le logiciel libre.
La première actualité c’est « Entr’Ouvert n’a pas fait de quartier à Orange ». C’est une vieille affaire qui a eu un heureux dénouement assez récemment. Est-ce que cette affaire entre Entr’Ouvert et Orange vous parle ? Je vois quelques acquiescements, d’autres non.

Magali Garnero : Ça a duré 12 ans entre le moment Entr’Ouvert, entreprise du Libre, va porter plainte pour violation des termes de la licence GNU GPL v2 et du droit d’auteur contre Orange, pour une bibliothèque Lasso qui a été récupérée et utilisée sans partage, sans modification, en tout cas sans l’attribuer à Entr’Ouvert et là procès, procès, appel, appel, procès, cassation.

Étienne Gonnu : Longue procédure. Une première cour cassation, c’est le maximum, a donné raison à la réclamation d’Entr’Ouvert pour dire qu’il y avait eu violation la licence et que c’était une contrefaçon du droit d’auteur. C’est reparti en cour d’appel qui a rendu son arrêt en février 2024, qui, effectivement, a condamné Orange pour violation de la licence, reconnaissant la contrefaçon, qui a condamné Orange à verser 860 000 euros à Entr’Ouvert, ce qui était moins que les demandes d’Entr’Ouvert, malheureusement. En tout cas, d’un point de vue juridique, la décision jurisprudentielle est extrêmement importante.

Magali Garnero : C’est ça le plus important. On est content qu’ils aient gagné, content que ce soit fini, parce que ça va faire jurisprudence, d’autres avocats et des juges vont pouvoir s’y référer dans le futur et c’est aussi une victoire ; une victoire sur le long terme qui a pris 12 ans pas dû être facile à vivre par Entr’Ouvert, mais c’est une victoire. Bravo à elles et eux !

Étienne Gonnu : On a eu confirmation de ce que j’ai appelé la ??? [38 min 17], parce qu’il y avait le risque qu’Orange se dise « on va continuer, on remet une pièce dans la machine, peut-être qu’ils vont refaire un pourvoi en cassation », on aurait trouvé l’idée saugrenue, ils auraient pu. Mais le délai est passé et la cour de cassation n’a pas reçu de pourvoi en cassation sur cet arrêt, donc, normalement c’est fini. Après, peut-être que les avocats d’Orange sont extrêmement retors et trouveront une manière, mais ça paraîtrait quand même peu probable.

Magali Garnero : Après il faut rappeler, parce que le monde évolue, en tout cas il a évolué sur les 12 ans, maintenant Orange a une équipe qui ne fait que du logiciel libre, qui avantage l’open source ; des gens ont été embauchés pour ça, on les connaît, on les apprécie, on les salue. On va éviter de penser que…

Étienne Gonnu : Après, c’est comme toute grosse institution, c’est une grosse machine, la main droite ne sait pas ce que fait la main gauche : il y a de super libristes à l’Éducation nationale alors que l’Éducation nationale, par ailleurs, fait des choses un peu discutables avec la liberté informatique des élèves, notamment leurs données personnelles. Il y a donc des super libristes chez Orange et puis il y a des décisions qui sont plus critiquables, on va dire.

Magali Garnero : Et incohérentes.

Étienne Gonnu : Autre dossier important qu’on a suivi.

Magali Garnero : La loi pour réguler et sécuriser l’espace numérique, SREN, dont vous avez sûrement entendu parler

Étienne Gonnu : Surveiller et punir. Ce projet de loi vous parle ? Il a été pas mal discuté surtout sur 2023, qui a été promulgué le 21 mai. Je ne vais pas refaire la procédure, puisque, à nouveau la Commission européenne était en train de dire « la France, vous êtes gentils de faire cavalier à part, mais, là, vous marchez sur la compétence européenne », mais le gouvernement français sait mieux que tout le monde. Bref ! Il y a donc eu encore une loi, parce que, visiblement, dans les discussions, Internet serait une zone de non-droit : on peut pas faire sur Internet ce qu’on ne ferait pas dans la rue, etc., que l’anonymat c’est un problème. On a eu tous les poncifs habituels ; malheureusement, on n’avance pas toujours ! Heureusement je pense que ce niveau de discours politique est moins marqué qu’avant, en fait je n’en sais rien ! Il y a donc eu ce projet de loi qui a été discuté.

Magali Garnero : En interne je l’appelle l’affaire Mozilla, parce que j’ai été démarchée par l’équipe de Mozilla qui m’a mise en contact avec des gens de Belgique en disant « aidez-nous, parce que, au niveau français vous êtes en train de faire des trucs, ça ne va pas, ça va nous contraindre à faire de la censure alors qu’il y a déjà un filtre pour cela ». On a relayé et on a partagé toutes les informations qu’on avait, qui il faut contacter, comment il faut contacter, avec l’équipe de Mozilla Belgique et ça a vraiment été un travail de coopération. Du coup, on a pu relayer tout ce qu’ils faisaient au niveau français ; je me souviens avoir écrit un texte sur Linuxfr. C’est un bon souvenir, même si ce n’était pas une de nous de nos actions.

Étienne Gonnu : Il faut soutenir les copains et copines qui agissent et si des gens font très bien, l’April n’a pas de raison, on ne sait pas mieux que les autres, donc on sait aussi se mettre en soutien. Pourquoi est-ce que Mozilla était concerné ?

Magali Garnero : On demandait de faire de la censure de certains sites internet, donc de les filtrer.

Étienne Gonnu : Même de le bloquer ; filtres anti-arnaques pour protéger les personnes qui utilisent le web contre les pratiques [41 min 38]. Pareil, faut-il un filtre anti-arnaque ?, on n’a pas d’avis.

Magali Garnero : Je ne suis pas technique, mais il me semble qu’il y a déjà un filtre avant que le navigateur entre en jeu, non ? Quelqu’un me fait oui de la tête. Merci.

Étienne Gonnu : Oui, mais qui définit la liste des arnaques ? Comment définit-on ?

Magali Garnero : Il me semble que c’est une liste qui est partagée entre plusieurs.

Étienne Gonnu : Ce sont des enjeux compliqués derrière et aussi profondément politiques, en tout cas, tel que c’était fait, il y avait une obligation pour les navigateurs web, dont Mozilla, de bloquer purement et simplement l’accès à des sites web.

Magali Garnero : Et de prendre cette responsabilité-là.

Étienne Gonnu : Ça a été discuté, c’est devenu un filtrage, ça se rapproche effectivement davantage de ce qui existait déjà, qui est quand même une atteinte beaucoup moins grave aux libertés informatiques.
Il y a aussi un autre aspect de ce projet de loi que j’ai trouvé intéressant, juste pour l’anecdote, ce projet de loi porte, c’est d’ailleurs une des mesures phares, d’imposer les systèmes de vérification d’âge. Un amendement a été défendu que, bien sûr, on a soutenu qu’on trouvait bon intéressant. Pareil, on n’a pas d’avis sur les systèmes de vérification d’âge en tant qu’April, mais, si vous le faites ! Cet amendement préconisait que les sources de ces systèmes soient accessibles, que ce soit des formats ouverts, etc. Voilà ! Si on fait les choses, on essaie de bien les faire ! La réponse de la rapporteure sur cette partie du projet de loi a été « oui, c’est souhaitable, mais nous ne souhaitons pas le faire. »

Magali Garnero : On est d’accord avec vous, mais on ne fera pas là. !

Étienne Gonnu : Un peu plus tard, le débat est revenu. C’est parce que la sacro-sainte liberté d’entreprendre était mise en cause et, bien sûr, les entreprises elles-mêmes feraient le bon choix.

Magali Garnero : L’argent ! Après, il ne faut pas se leurrer, la vérification d’âge, vous pouvez la mettre en place, mais ce n’est pas ça qui va bloquer des gens. Quel que soit leur âge, ils trouveront toujours un moyen de contourner et de faire ce qu’ils veulent.

Étienne Gonnu : Mais ça faisait des jolis titres dans les journaux !

Magali Garnero : Greenwashing

43’ 32

Étienne Gonnu : Cyber Resilience Act