Différences entre les versions de « Entretien avec Jean-Noël Barrot : la loi à l'épreuve de nos vies connectées »

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<b>François Saltiel : </b>S’il faut photographier
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<b>François Saltiel : </b>S’il faut photographier son passeport, que la personne souhaite le faire, ça sera, par exemple, un dispositif ?
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<b>Jean-Noël Barrot : </b>À condition que ce dispositif respecte les critères minima. L’Arcom, dans son référentiel, veillera à ce qu'il y ait bien un tiers. Il ne s'agit pas que des sites pornographiques se mettent à collecter les pièces d'identité des Français. En revanche, que via un tiers qui soit suffisamment sécurisé, un tiers de confiance, il y ait une vérification d'âge qui passe par une présentation de la pièce d'identité, ça peut faire partie des solutions, mais ça n'est pas une solution de double anonymat. Pour avoir un double anonymat il faut deux tiers : celui qui fournit la preuve d'identité et celui qui va la réceptionner pour, ensuite, la transmettre au site concerné
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<b>François Saltiel : </b>Ce dispositif de double anonymat existe-t-il ailleurs ?
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<b>Jean-Noël Barrot : </b>Ce dispositif est expérimenté actuellement par des entreprises françaises qui ont conçu des applications de ce type, qui ont établi des partenariats avec des sites pornographiques pour tester ces solutions-là. C'est une première tentative. Beaucoup de pays, dans le monde, sont à la recherche de la bonne solution. D'ailleurs il faut dire que c'est moins un défi technique qu'un défi économique. En réalité, ce qui est difficile à surmonter lorsqu'on a bien un double anonymat, c'est la manière dont on va facturer le site qui utilise la solution de double anonymat, puisque, par définition, on ne sait pas d'où viennent les utilisateurs et celui qui, au début de la chaîne, a fourni la preuve anonyme de majorité, ne sait pas où elle est partie. Il faut donc trouver la manière de rendre tout cela soutenable économiquement, c'est là que se situe la difficulté et non pas sur le plan technique.
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<b>François Saltiel : </b>Un dernier point sur l'Arcom. Si j'ai bien compris, lorsqu’un site pornographique qui ne respecte pas ces nouvelles règles sera pointé du doigt il sera sanctionné, il aura une amende, je crois qu’il pourra même être fermé le cas échéant, je crois que c'est l'Arcom, maintenant, qui en a le pouvoir alors que précédemment ça pouvait être un juge. Certains ont pointé, justement, cette dérive un peu de confier à une institution un pouvoir qui, jusque-là, était un pouvoir réservé à une autorité judiciaire.
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<b>Jean-Noël Barrot : </b>Ces inquiétudes sont légitimes. Chaque fois que le juge est dessaisi au profit d'une autorité administrative, il faut vraiment se demander si on n’est pas en train de porter une atteinte disproportionnée aux libertés et aux libertés numériques dans le cas de la vérification d'âge sur Internet, à l'entrée des sites pornographiques.<br/>
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En réalité, ce que l'on confie à l'Arcom, c'est le soin de vérifier si oui ou non un site a mis en place une vérification d'âge. Il n'y a pas d'interprétation à faire, il y a une simple vérification à faire. Dans un cas comme celui-ci, dessaisir le juge me paraît être pertinent. Il n'est pas nécessaire d'aller solliciter la capacité d'expertise du juge, son indépendance, son impartialité, sa capacité à mobiliser la jurisprudence pour vérifier si oui ou non un site pornographique a mis en place un simple outil de vérification d'âge. Tout cela est très simple et je veux vous le dire : c'est absolument scandaleux que les sites pornographiques n'appliquent toujours pas la loi et s'abstiennent toujours de mettre en place des dispositifs aussi simples et qui auraient pour effet de préserver des millions d'enfants de cette exposition précoce aux contenus pornographiques.
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<b>François Saltiel : </b>C'est très clair. On sent votre détermination. Je peux même citer une de vos déclarations : « S'ils persistent, nous les ferons plier, nous les mettrons à genou », avez-vous dit sur le plateau de France Télévisions, je crois que c'était France 2.<br/>
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Un autre point concerne la lutte contre le cyberharcèlement. Là aussi il faut trouver les bonnes modalités pour punir ceux qui, évidemment, insultent, attaquent, propagent la haine sur les réseaux. Ça peut parfois aller, on le sait, jusqu'à des conditions et des situations dramatiques. Pour cela, je vais vous faire entendre une question qui vient du juriste Bastien Le Querrec, de La Quadrature du Net, que vous devez évidemment connaître, une association de protection citoyenne et de nos libertés. On l'écoute.
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<b>Bastien Le Querrec, voix off : </b>Bonjour Monsieur le ministre. Le projet loi SREN prévoit une peine de bannissement des réseaux sociaux pour les personnes condamnées pour cyberharcèlement qui verront leur compte désactivé par les plateformes et qui n'auront pas le droit de s'en recréer un. Surtout, sont prévues des sanctions pour les plateformes qui auraient échoué à empêcher un internaute banni de se recréer un compte. Sauf qu'il n'est pas aisé, techniquement, d'empêcher la création d'un nouveau compte sur une plateforme. Les réseaux sociaux pourraient bloquer l'adresse IP de l'internaute, mais le contournement de ce blocage est enfantin. La seule solution technique fiable serait de vérifier l'identité civile de chaque internaute voulant se créer un compte pour la comparer à la liste des personnes bannies. Pourtant, vous aviez exprimé votre opposition aux amendements du rapporteur général, Paul Midy, qui voulait imposer à chaque internaute de s'identifier avant de pouvoir se créer un compte sur un réseau social. Dès lors, comment, Monsieur le ministre, comptez-vous demander aux réseaux sociaux de s'assurer qu'une personne bannie ne se recrée pas un compte sans obligation généralisée de révéler son identité civile aux plateformes ?
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<b>François Saltiel : </b>Voilà. La question vous est posée.
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<b>Jean-Noël Barrot : </b>C'est une excellente question. Je le redis : si nous avons décidé d'introduire dans le projet de loi une mesure de bannissement des réseaux sociaux, qui est une mesure assez inédite de privation par avance de liberté d'expression, c'est en écoutant les streameuses, ces créatrices de contenu en ligne victimes constamment de raids de cyberharcèlement, qui nous ont témoigné d'avoir été choquées de voir réapparaître, régulièrement, des auteurs, en tout cas des cyber-harceleurs qui les avaient déjà cyber-harcelées, qui s'étaient fait renvoyer des plateformes et qui revenaient s'inscrire ensuite. C'est cela qui nous a conduits à réfléchir à introduire, dans le texte, cette mesure de bannissement des réseaux sociaux pendant une durée de six mois, je précise bannissement du réseau social sur lequel a été commise l'infraction ou le délit, pendant six mois, qui peut être porté jusqu'à un an cas de récidive.<br/>
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Le texte, contrairement à ce qui a été dit à l'instant, prévoit que la plateforme suspend le compte de l'auteur, ce qui est déjà une très bonne chose. Parmi celles et ceux qui s'adonnent au cyberharcèlement vous avez des personnes qui le font sous couvert d'un pseudo, mais vous en avez d'autres qui le font à visage découvert, avec des communautés très vastes qui conduisent à faire retentir ou à accélérer ou à amplifier les phénomènes de cyberharcèlement. Cette peine de bannissement confisquera leur notoriété en suspendant leur compte. Elles peuvent se recréer un compte, mais, au moins, l'effet de communauté ne n'apparaîtra
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<b>François Saltiel : </b>Je crois que c’était le sens de la question en disant que c'est assez facile de se recréer un autre compte, en passant même par un autre outil, etc.
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<b>Jean-Noël Barrot : </b>Oui, mais si vous n'avez plus votre communauté, celle qui vous suivait, celle qui relayait vos appels au cyberharcèlement de telle ou telle personne, vous atténuez.
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<b>François Saltiel : </b>Vous atténuez un peu la vague de cette façon.
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<b>Jean-Noël Barrot : </b>Ensuite, le texte prévoit que les plateformes doivent mettre en œuvre des moyens pour éviter que la personne se crée d'autres comptes sur la même plateforme et ça soulève quelques inquiétudes.<br/>
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Je veux répondre d'abord que les plateformes le font déjà parce que, dans l'immense majorité des cas, elles ont des conditions générales d'utilisation qui prévoient que si vous vous comportez mal ou si vous violez ces conditions générales d'utilisation elles peuvent vous expulser et, dans certains cas, prendre des mesures pour éviter que vous vous réinscririez.
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<b>François Saltiel : </b>Ce qui arrive assez peu quand même. Quand on est justement dans l'usage, qu’on voit, sur ces plateformes, le nombre de déferlements de haine, de propos haineux, etc., on voit quand même que c'est un peu léger cette action des plateformes.
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<b>Jean-Noël Barrot : </b>Ça dépend ! Je précise qu’il y a sur Internet beaucoup plus de citoyens de bonne foi et animés par des intentions qui sont bonnes et positives.
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<b>François Saltiel : </b>Mais on les entend moins ! C’est le problème !
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<b>Jean-Noël Barrot : </b>Et une minorité d'internautes qui sème la haine et la violence.<br/>
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Ce que je veux dire par là c'est que le projet de loi prévoit une obligation de moyens, mais qui n'est pas sanctionnée par une amende puisque, précisément nous voulions éviter à la fois une obligation de surveillance trop forte et nous voulions également éviter d'enfreindre le droit européen.<br/>
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Je voudrais dire que dans l'examen du projet de loi on a ajouté une disposition à l'Assemblée nationale qui est très importante : l'auteur qui contournera le bannissement et se réinscrira sur la plateforme sera passible d'une peine de 30 000 euros d'amende et de deux ans d'emprisonnement. Certes, il n'y a pas une contrainte trop forte imposée à la plateforme pour éviter la réinscription, mais, je le répète, elle le fait déjà et, d'autre part, l'auteur qui aura contourné la peine de bannissement prononcée par le juge s'exposera à une peine particulièrement lourde.
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<b>François Saltiel : </b>Dans la question était évoqué aussi l’un des amendements de Paul Midy qui voulait une généralisation d’une identité numérique pour tous les Français, qui pourrait effectivement régler de manière assez certaine ce problème-là. Vous n'y étiez pas favorable. C'est toujours compliqué avec la question de l'anonymat en ligne puisque, effectivement, il n'y a pas d'anonymat en ligne : lorsqu'il y a une procédure judiciaire, lorsqu'il y a des manquements graves, on peut toujours retrouver la personne qui se cache derrière un pseudo ou autre, des affaires médiatiques l'ont prouvé. Néanmoins, on voyait quand même cette tendance qui est, finalement, une tendance de transparence : donner son identité, toujours essayer de s'affirmer tel qu'on est avec son nom, etc. Ça on est d'accord. Enfin vous, vous y étiez plutôt défavorable
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<b>Jean-Noël Barrot : </b>Ce à quoi j'étais favorable, et que le gouvernement a soutenu, c’est l'idée de se donner des objectifs ambitieux pour le développement de l'identité numérique en France. Je considère que le développement de l'identité numérique est un moyen de faciliter, pour nos concitoyens, l'accès aux services publics et l'accès aux droits. Je crois que nous sommes en retard sur ce sujet-là et que les objectifs fixés par l'un des amendements proposés par Paul Midy nous donnent un objectif ambitieux mais indispensable à atteindre si nous voulons, comme c'est le cas dans d'autres pays, élargir, faciliter ou simplifier l'accès de nos concitoyens aux services publics et aux droits.<br/>
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Là où nous sommes, en revanche, opposés c'est sur la proposition d'imposer à celles et ceux qui souhaitent s'inscrire sur un réseau social l'obligation de se certifier auprès d'un tiers désigné par le ministère de l'Intérieur. Nous nous y sommes opposés, car c'est une disposition qui est contraire aux engagements européens de la France et, en particulier, aux équilibres trouvés l'année dernière, au niveau européen, dans la discussion sur le règlement sur les services numériques, le DSA, qui était évoqué dans votre introduction, mais aussi parce que c'est une disposition qui risquait de fragiliser la confiance que l'on peut avoir dans le numérique. On n'imagine pas demander à un journaliste, à un opposant politique ou à un lanceur d'alerte de n'accéder aux réseaux sociaux qu'après s'être certifié, authentifié, auprès d’un tiers désigné par le ministère de l'Intérieur. Cela ne doit pas nous empêcher, effectivement, de lutter contre ce que le député pointait du doigt, c'est-à-dire ce sentiment d'impunité qui fait que, bien que l'anonymat n'existe pas sur Internet, beaucoup continuent de penser que l'anonymat existe et de rappeler, constamment, que lorsque des délits sont commis, que ce soit du cyberharcèlement contre des personnalités comme Mila, comme Hoshi ou comme Eddy de Pretto, lorsque ce sont des délits comme ceux qui ont été commis pendant les violences urbaines du début du mois de juillet, lorsque ce sont des des délits propagation, par exemple, ou d'apologie du terrorisme comme ceux qu'on a connus ces dernières semaines, eh bien on peut toujours retrouver les auteurs même derrière un pseudo, même derrière un VPN, on peut les retrouver, on peut les traduire en justice et ils peuvent être condamnés.
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<b>François Saltiel : </b>Avant il faut effectivement qu'une procédure judiciaire soit lancée, on est bien d'accord. Si des personnes qui nous écoutent se font cyber-harceler, il faut donc bien intenter une action en justice, il faut être un peu patient, évidemment, parce que le temps de la justice est toujours un peu plus lent que le temps de la technologie, encore plus que ce temps de souffrance qui est celui lorsqu'on est victime de cyberharcèlement.<br/>
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Vous avez évoqué l'artiste Eddy de Pretto qui, lui, avait justement subi une campagne de haine homophobe et autre. Il a donc intenté une action en justice et il a obtenu gain de cause. Dans cette affaire-là, la justice a retrouvé.
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<b>Jean-Noël Barrot : </b>Des peines de prison ont été prononcées. La nouveauté que permettra ce projet de loi, ce sont deux choses : en plus de la condamnation, si le juge l'estime pertinent, une peine de prison ou de prison avec sursis, le juge pourra prononcer une peine de bannissement du réseau social pendant une période de six mois ; si le juge l'estime nécessaire, avant même la condamnation, au début du contrôle judiciaire, c'est-à-dire au moment où l'enquête débute, le juge de la liberté de la détention ou le juge d'instruction pourra prononcer cette peine avant même d'attendre la condamnation.
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<b>François Saltiel : </b>D'accord. Vous avez cité en premier Eddy de Pretto. On va le jouer tout de suite dans <em>Le Meilleur des mondes</em> avec ce titre <em>Freaks</em>.
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<b>Pause musicale : </b><em>Freaks</em> par Eddy de Pretto.
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<b>Voix off : </b>France Culture - <em>Le Meilleur des mondes</em> - François Saltiel.
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<b>François Saltiel : </b>Eddy de Pretto

Version du 5 novembre 2023 à 16:54


Titre : Entretien avec Jean-Noël Barrot : la loi à l'épreuve de nos vies connectées

Intervenant·e·s : Juliette Devaux - Jean-Noël Barrot - Bastien Le Querrec - Jean Massiet - Anne Cordier - John Perry Barlow - François Saltiel

Lieu : Émission Le Meilleur des mondes - France Culture

Date : 27 octobre 2023

Durée : 59 min 07

Podcast

Présentation de l'émission

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : À Prévoir

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

François Saltiel : Bonsoir et bienvenue à toutes et à tous dans Le Meilleur des mondes, l'émission de France Culture qui s'intéresse aux bouleversements suscités par le numérique et les nouvelles technologies. Ce soir nous avons la chance de recevoir le ministre délégué chargé du Numérique dans notre studio, Jean-Noël Barrot, un ministre actif, très présent sur le plan législatif, nous pouvons évoquer la loi influence puis celle sur la majorité numérique et, dans l'actualité immédiate, la grande loi SREN qui vise à sécuriser et réguler l'espace numérique, lutte contre le cyberharcèlement, contre l'accès à la pornographie pour les mineurs ou encore contre la propagation de la haine en ligne ; une loi aux larges contours qui vient d'être adoptée le 17 octobre à l'Assemblée nationale, mais qui pose tout de même de nombreuses questions quant à son application technique et même éthique. Ce sera l'occasion d'y voir plus clair. La dialectique est classique : comment sécuriser sans restreindre nos libertés fondatrices de nos usages du numérique, comment réguler sans étouffer l'innovation nécessaire pour se faire entendre sur un marché mondialisé et hyper-concurrentiel, enfin, comment la France se place et s'inscrit-elle dans le grand mouvement de régulation européenne tel le DSA, le Digital Services Act, sachant qu'une Union européenne lui reproche parfois de faire cavalier seul, un cavalier qui entend faire respecter sa loi pour mettre fin au Far West numérique là où les cowboys de la Silicon Valley ont pour habitude de dégainer les premiers. Voilà. Le décor est planté place au Meilleur des mondes.
Jean-Noël Barrot, bonsoir.

Jean-Noël Barrot : Bonsoir

François Saltiel : Vous êtes donc, depuis juillet 2022, ministre délégué chargé du Numérique, mais également vice-président du Modem et vous avez longtemps été député des Yvelines. Nous pourrons, ensemble, revenir sur votre parcours, notamment votre passage aux États-Unis, au MIT, aussi sur votre rapport personnel au numérique et, évidemment, sur les contours de la loi SREN en évoquant aussi les enjeux de souveraineté technologique. Vous aurez l'occasion de répondre à des questions d'entrepreneurs, de chercheuses ou de responsables d'associations de défense des droits.
Au programme, également, une chronique de Juliette Devaux qui nous rappellera la déclaration fondatrice du militant et poète John Perry Barlow et sa Déclaration d'indépendance du cyberespace, un peu en écho à nos sujets du soir.

Le Meilleur des mondes s'écoute en direct ou en podcast sur l'application Radio France et se regarde aussi sur la chaîne Twitch de France Culture.

Diverses voix off : Pour moi, c'est mettre des règles de droit dans un espace où le droit existe.
Depuis plusieurs mois, le nombre de plaintes pour des arnaques en ligne explose. Le gouvernement veut mettre en place un système de filtre.
Aujourd'hui, en France, environ un tiers des mineurs fréquente des sites pornos, c'est quasiment la même proportion que chez les adultes.
Le sentiment d'anonymat sur les réseaux sociaux développe un sentiment d'impunité.
Qu'est-ce qu'on peut faire ?
Signaler et se mettre à plusieurs pour bloquer, signaler tout ça.
Exactement ! Le signalement.
Sans être victimes, ils risquent tous d'être un jour témoins de cyberharcèlement.
Chaque personne sur Internet aurait un code unique. Cette identité numérique permettrait de remonter jusqu'à l'auteur de l'infraction en ligne, uniquement sur demande de la justice.
Sécuriser et réguler l'espace numérique, c'est très vaste comme ambition !
L'insécurité que nos concitoyens rencontrent chaque jour sur Internet sape leur confiance dans le numérique. Tous les Français sont concernés, notamment les plus vulnérables, je pense à nos enfants, et les plus fragiles.

François Saltiel : Jean-Noël Barrot, pour apprendre déjà à mieux vous connaître, quel homme connecté êtes-vous ?

Jean-Noël Barrot : Je crois que, comme tout le monde, j'ai invité le numérique dans mon quotidien. Je crois que la question que nous devons nous poser, à chaque étape de notre vie, c'est comment faire en sorte que le numérique améliore notre quotidien, c'est vrai à titre individuel, c'est vrai aussi dans nos vies professionnelles, dans les responsabilités qu'on exerce ou dans des responsabilités politiques. Dans le ministère qui m'a été confié, c'est la question qu'on se pose au quotidien : comment cet outil qu'est le numérique, comment cette technique, cette technologie-là, peut rendre le monde meilleur ? Ce n’est pas si simple, il faut trouver les bonnes solutions et il faut faire en sorte que chacun puisse en bénéficier.

François Saltiel : Je vois justement, à côté de vous, un smartphone, c'est quoi comme smartphone ?

Jean-Noël Barrot : C’est un Samsung.

François Saltiel : C'est un Samsung. Diriez-vous que vous êtes plutôt quelqu'un de connecté ? Êtes-vous présent sur les réseaux sociaux ? Vous considérez-vous comme, je ne sais pas, un peu geek ou, au contraire, essayez-vous d'avoir une distance par rapport à cet outil ?

Jean-Noël Barrot : Par la force des choses, je suis amené à travailler avec des outils numériques. Je suis chercheur de profession, mon outil de travail c'est un ordinateur, des logiciels de statistique et d'économétrie. Depuis que je me suis engagé en politique, les réseaux sociaux étant devenus, au fil des années, des espaces d'expression eh bien, évidemment, j'ai commencé à les utiliser pour m'exprimer et pour travailler.

François Saltiel : Mais vous ne vous en sentez pas dépendant pour autant. Vous ne faites pas partie des gens qui se disent « j'y passe un peu trop de temps, il faut que je m'accorde un petit peu certaines pauses qui pourraient être salutaires » ?

Jean-Noël Barrot : Je crois qu'il est toujours bon de faire des pauses, de faire des jeûnes de temps en temps pour se recentrer sur l'essentiel, c'est vrai quels que soient les outils qu'on emploie, quelle que soit son activité professionnelle, et c'est vrai des outils numériques.

François Saltiel : Votre nomination au ministère en juillet 2022, je l'ai dit, a pu surprendre certains parce que vous aviez peut-être un profil un peu moins expert du numérique que certains de vos prédécesseurs, Cédric O, Mounir Mahjoubi plus longtemps avant ou même Axelle Lemaire si on remonte. Qu’est-ce que vous diriez du niveau de connaissance de nos élus sur les enjeux du numérique ? On a pu constater pendant un certain temps, enfin moi qui m'intéresse à cette question depuis quelques années maintenant, que parfois nos élus n'étaient pas toujours très conscients, très avertis, très informés, par rapport aux enjeux technologiques qui sont d’ailleurs, parfois, des enjeux complexes à comprendre on est d'accord, mais on pouvait sentir une forme de déconnexion par rapport à ces outils. Avez-vous l'impression que c'est en train de changer ?

Jean-Noël Barrot : C'est progressivement en train de changer, mais il reste des progrès à faire pour mieux maîtriser ce qui, dans le numérique, est vecteur d'épanouissement et d'émancipation de ce qui est vecteur plutôt d'aliénation ou de dépendance.
Le numérique a été, pendant longtemps, perçu comme un progrès qui allait, certes, provoquer quelques inconvénients qu'il fallait essayer de minimiser ou de résoudre, mais un consensus s'est globalement formé sur cette idée-là, ce qui, peut-être, a découragé certains responsables politiques de se saisir pleinement de ce sujet dans sa complexité.
Je crois qu’à l'avenir, avec le développement de la société de l'économie numérique, mais aussi avec l'apparition d'un certain nombre des inconvénients associés à la généralisation de cette technologie, les politiques vont se saisir de cette question-là et des clivages vont progressivement se former avec, d'un côté, ceux qui voudront toujours plus de technologie, de progrès technologique, de numérique autour de nous et dans nos vies, et ceux qui, au contraire, très méfiants des inconvénients en matière de coût pour l'équipement, la cybersécurité, etc., en matière d'empreinte environnementale ou en matière d'impact sur le débat public ou sur la sécurité du quotidien verront dans le numérique une technologie utile, mais dont il faut dépendre au minimum et non pas à maxima.

François Saltiel : On parle effectivement beaucoup de démocratie, les enjeux de manipulations d'opinion, etc.

Jean-Noël Barrot : Je crois, au contraire, qu'il faut adopter une approche de ces questions-là, en matière de politique publique, qui s'écarte de l'une et l'autre de ces deux postures.

François Saltiel : Sortir d'une forme de manichéisme.

Jean-Noël Barrot : Oui et discerner à tout moment ce qui, dans les technologies numériques, est, une nouvelle fois, vecteur d'épanouissement de la personne humaine de ce qui peut être vecteur d'aliénation, de dépendance, de fragilité.

François Saltiel : Précédemment, justement, concernant votre poste, c'était un secrétariat d'État là, vous êtes ministre chargé du Numérique. Est-ce aussi un signal politique qui est envoyé par rapport à ces prérogatives qui s'élargissent ? Est-ce une manière de dire, finalement, que le numérique est un enjeu crucial et qui transverse, d'ailleurs, de nombreuses problématiques ?

Jean-Noël Barrot : Un enjeu de plus en plus important, avec la nécessité de conquérir une forme d'autonomie en matière numérique, c'est l'objet de la politique que je conduis pour soutenir l'innovation, les entreprises de forte croissance dans notre pays susceptibles de développer, en France et en Europe, ces technologies que nous mettons entre nos mains ; c’est un enjeu de sécurité, à la fois de santé publique, mais aussi d'ordre public et c'est tout l'effort de régulation qui a été initié, notamment par la France et le président de la République, au niveau européen et que nous poursuivons avec ce projet de loi vous évoquiez en introduction ; c'est aussi un enjeu de démocratisation puisqu'il y a, aujourd'hui, un tiers de nos concitoyens qui sont éloignés du numérique soit parce qu'ils ne sont pas internautes soit parce qu'ils ne sont pas compétents, ils ne se sentent pas compétents, et c'est absolument inacceptable. Il nous faut, évidemment, combler ces fractures pour éviter qu'elles ne viennent aggraver ou creuser les inégalités entre les Français.

François Saltiel : Cette fracture numérique est un thème qui vous est cher, vous avez déjà beaucoup travaillé dessus. Pour terminer sur ce côté périmètre, pourquoi pas directement un ministère du Numérique qui ne soit pas, comme ici, rattaché à Bercy, mais directement à Matignon. Ça a d'ailleurs été le cas d'une proposition de certains candidats.

Jean-Noël Barrot : Ça pourrait l'être. Il est vrai qu'on a déjà pas mal de travail, mais, à l'avenir, il pourrait être envisagé de rendre ce ministère encore plus interministériel en le plaçant directement sous la tutelle de Matignon et de la Première ministre. Ceci étant dit, je dois dire qu'avec Bruno Le Maire comme ministre de tutelle je travaille dans les meilleures conditions possible.

François Saltiel : N'est-ce pas, justement, un peu trop restrictif d'imaginer le numérique dans le giron du ministère de l'Économie ? C'est déjà une forme d'orientation, ça met peut-être un peu de côté ses autres aspects que vous avez d'ailleurs évoqués : les aspects sociaux, les aspects philosophiques. On voit que le numérique irrigue toute notre société.

Jean-Noël Barrot : Ce n'est pas ce que je ressens au quotidien. J’ai la pleine confiance de Bruno Le Maire pour conduire ces politiques qui, il est vrai, ont parfois une dimension sociale, parfois une dimension régalienne comme celles qui ont une dimension plus proche, je dirais, des objectifs de politique publique de Bercy que sont le soutien de l'innovation, des entreprises, etc.

François Saltiel : On va justement commencer à entrer en détail sur cette loi SREN. Elle est large, on a donc choisi quelques points qui nous semblent peut-être les points les plus pertinents : celui de l'accès aux sites pornographiques sur la question des mineurs, donc réguler cet accès, interdire cet accès aux sites pornographiques aux mineurs. Il faut donc trouver des outils de vérification d'âge, qui respectent nos libertés. On a vu que d'autres pays ont tenté cette expérience avant la France, la Grande-Bretagne et l’Australie, les deux ont rebroussé chemin. Qu'est ce qui ferait que la France réussirait là où les autres ont échoué ?

Jean-Noël Barrot : D'abord, ce n'est pas tout à fait vrai que le Royaume-Uni et l’Australie ont rebroussé chemin.
Le Royaume-Uni a adopté le 19 septembre dernier, c'est-à-dire un tout petit mois avant l'adoption par l'Assemblée nationale du projet de loi que je porte, une loi qui prévoit exactement les mêmes dispositions que celles que j'ai inscrites dans mon texte. Quelles sont ces dispositions ? Elles partent du constat qu'il y a aujourd'hui, dans notre pays, deux millions d'enfants qui sont exposés chaque mois aux contenus pornographiques, à des âges extrêmement précoces puisqu'à 12 ans c'est la moitié des petits garçons, dans notre pays, qui sont exposés à ces contenus, chaque mois, avec des conséquences dramatiques.

François Saltiel : Quand vous dites « petits garçons » c'est strictement « petits garçons » ou « petits garçons et petites filles » ?

Jean-Noël Barrot : Pour les petites filles, la proportion est un peu moins grande, néanmoins elle est spectaculaire puisque on est de l'ordre du tiers, mais pour les petits garçons, à 12 ans c'est la moitié, chaque mois, avec des conséquences dramatiques pour leur santé, pour leur développement affectif. Si nous voulons éviter de sacrifier une nouvelle génération qui va subir les conséquences de cette exposition précoce à des contenus évidemment inappropriés, parfois aussi extrêmement violents.

François Saltiel : Pardon ! « Sacrifier une génération », ce sont tout de même des termes qui sont forts !

Jean-Noël Barrot : C'est vrai, mais la littérature scientifique s'est accumulée pour démontrer que l'exposition précoce de nos enfants à la pornographie a des conséquences de long terme sur leur relation à l'autre, sur leurs pratiques sexuelles, sur leur santé mentale. Il y a donc, de toute évidence, le risque qu'une génération se trouve sacrifiée si nous ne faisons rien.
C'est la raison pour laquelle, comme le Royaume-Uni, nous avons décidé de confier à l'Arcom, qui est le gendarme de l'audiovisuel et des médias, le pouvoir d'ordonner le blocage des sites pornographiques qui ne vérifieront pas l'âge de leurs utilisateurs. Et nous avons proposé que l'Arcom rédige un référentiel, c'est-à-dire une liste d'exigences techniques minimales pour que cette vérification de l'âge soit à la fois fiable, qu'elle permette effectivement de discriminer les adultes des enfants, contrairement à ce qui existe aujourd'hui où une simple question est posée « Avez-vous plus ou moins 18 ans ? », évidemment que ça n'est pas fiable ! Et puis, d'autre part, qu'elle garantisse le respect des données personnelles et de la vie privée.

François Saltiel : Oui, puisqu'il me semblait que c'était cela qui avait bloqué quand même.
Quand vous dites que ce n'est pas tout à fait vrai sur la Grande-Bretagne et l’Australie, ça veut dire qu'elles continuent à mettre en place, qu’elles vont continuer à mettre en place ces outils pour leur combat à faire fermer les sites pornographiques ?

Jean-Noël Barrot : Absolument. Le Royaume-Uni a adopté un texte qui est quasiment identique à celui que nous sommes en train d'adopter en France et d'autres pays européens, j'ai pu le constater lundi dernier en Espagne où je rencontrais mes homologues, sont très intéressés par la piste ouverte par la France et souhaitent s’y engager à leur tour.

François Saltiel : L'enjeu, on le comprend, c'est que s’il faut vérifier l'âge des utilisateurs des sites pornographiques, cela veut dire qu’un adulte, pour prouver qu'il est adulte, doit par exemple donner des papiers d'identité et c'est là où ça pose des problèmes concernant la préservation de nos libertés et de circulation au sein de l'espace numérique qui est, je l'ai dit en introduction, dans les fondamentaux de notre culture du numérique.

Jean-Noël Barrot : Absolument. Imposer un contrôle d'identité à l'entrée des sites pornographiques serait une obligation démesurée par rapport à la privation de liberté numérique que cette mesure suppose. C'est la raison pour laquelle, dans ses exigences techniques minimales que l'Arcom va publier, elle précisera un certain nombre de règles de base, d'abord, pour que cette vérification soit fiable et qu'elle soit respectueuse des données personnelles et de la vie privée.

François Saltiel : Pardon, comment sera-t-elle respectueuse ?

Jean-Noël Barrot : Elle indiquera aux sites pornographiques, qui peuvent proposer diverses solutions qui répondent à ces critères minimaux, au moins une solution répondant à ce que l'on appelle le double anonymat. Qu'est-ce que c'est le double anonymat ? C'est un système qui garantit que l'organisme qui vous fournit une preuve anonyme de votre majorité – ce peut être votre banque, ce peut être votre opérateur télécoms qui va transférer sur une application téléchargée sur votre téléphone une preuve anonyme de majorité – ne sait pas ce pour quoi elle sera utilisée. Et le site réservé aux adultes qui va solliciter de votre part, au moment de votre connexion, la preuve anonyme de majorité, ne saura pas qui vous êtes.
Autrement dit le fournisseur de la preuve anonyme de majorité est aveugle sur la destination de cette preuve et le site pornographique est aveugle sur l'identité de l'utilisateur. Voilà pourquoi on appelle cela un double anonymat.
L’Arcom demandera aux sites à ce qu'au moins une des solutions proposées par les sites respecte ce principe-là qui garantit la protection absolue de la vie privée, mais libre aussi aux sites qui le souhaitent de proposer d'autres solutions un peu moins protectrices et libre aux utilisateurs de choisir la solution qui leur va.

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François Saltiel : S’il faut photographier son passeport, que la personne souhaite le faire, ça sera, par exemple, un dispositif ?

Jean-Noël Barrot : À condition que ce dispositif respecte les critères minima. L’Arcom, dans son référentiel, veillera à ce qu'il y ait bien un tiers. Il ne s'agit pas que des sites pornographiques se mettent à collecter les pièces d'identité des Français. En revanche, que via un tiers qui soit suffisamment sécurisé, un tiers de confiance, il y ait une vérification d'âge qui passe par une présentation de la pièce d'identité, ça peut faire partie des solutions, mais ça n'est pas une solution de double anonymat. Pour avoir un double anonymat il faut deux tiers : celui qui fournit la preuve d'identité et celui qui va la réceptionner pour, ensuite, la transmettre au site concerné

François Saltiel : Ce dispositif de double anonymat existe-t-il ailleurs ?

Jean-Noël Barrot : Ce dispositif est expérimenté actuellement par des entreprises françaises qui ont conçu des applications de ce type, qui ont établi des partenariats avec des sites pornographiques pour tester ces solutions-là. C'est une première tentative. Beaucoup de pays, dans le monde, sont à la recherche de la bonne solution. D'ailleurs il faut dire que c'est moins un défi technique qu'un défi économique. En réalité, ce qui est difficile à surmonter lorsqu'on a bien un double anonymat, c'est la manière dont on va facturer le site qui utilise la solution de double anonymat, puisque, par définition, on ne sait pas d'où viennent les utilisateurs et celui qui, au début de la chaîne, a fourni la preuve anonyme de majorité, ne sait pas où elle est partie. Il faut donc trouver la manière de rendre tout cela soutenable économiquement, c'est là que se situe la difficulté et non pas sur le plan technique.

François Saltiel : Un dernier point sur l'Arcom. Si j'ai bien compris, lorsqu’un site pornographique qui ne respecte pas ces nouvelles règles sera pointé du doigt il sera sanctionné, il aura une amende, je crois qu’il pourra même être fermé le cas échéant, je crois que c'est l'Arcom, maintenant, qui en a le pouvoir alors que précédemment ça pouvait être un juge. Certains ont pointé, justement, cette dérive un peu de confier à une institution un pouvoir qui, jusque-là, était un pouvoir réservé à une autorité judiciaire.

Jean-Noël Barrot : Ces inquiétudes sont légitimes. Chaque fois que le juge est dessaisi au profit d'une autorité administrative, il faut vraiment se demander si on n’est pas en train de porter une atteinte disproportionnée aux libertés et aux libertés numériques dans le cas de la vérification d'âge sur Internet, à l'entrée des sites pornographiques.
En réalité, ce que l'on confie à l'Arcom, c'est le soin de vérifier si oui ou non un site a mis en place une vérification d'âge. Il n'y a pas d'interprétation à faire, il y a une simple vérification à faire. Dans un cas comme celui-ci, dessaisir le juge me paraît être pertinent. Il n'est pas nécessaire d'aller solliciter la capacité d'expertise du juge, son indépendance, son impartialité, sa capacité à mobiliser la jurisprudence pour vérifier si oui ou non un site pornographique a mis en place un simple outil de vérification d'âge. Tout cela est très simple et je veux vous le dire : c'est absolument scandaleux que les sites pornographiques n'appliquent toujours pas la loi et s'abstiennent toujours de mettre en place des dispositifs aussi simples et qui auraient pour effet de préserver des millions d'enfants de cette exposition précoce aux contenus pornographiques.

François Saltiel : C'est très clair. On sent votre détermination. Je peux même citer une de vos déclarations : « S'ils persistent, nous les ferons plier, nous les mettrons à genou », avez-vous dit sur le plateau de France Télévisions, je crois que c'était France 2.
Un autre point concerne la lutte contre le cyberharcèlement. Là aussi il faut trouver les bonnes modalités pour punir ceux qui, évidemment, insultent, attaquent, propagent la haine sur les réseaux. Ça peut parfois aller, on le sait, jusqu'à des conditions et des situations dramatiques. Pour cela, je vais vous faire entendre une question qui vient du juriste Bastien Le Querrec, de La Quadrature du Net, que vous devez évidemment connaître, une association de protection citoyenne et de nos libertés. On l'écoute.

Bastien Le Querrec, voix off : Bonjour Monsieur le ministre. Le projet loi SREN prévoit une peine de bannissement des réseaux sociaux pour les personnes condamnées pour cyberharcèlement qui verront leur compte désactivé par les plateformes et qui n'auront pas le droit de s'en recréer un. Surtout, sont prévues des sanctions pour les plateformes qui auraient échoué à empêcher un internaute banni de se recréer un compte. Sauf qu'il n'est pas aisé, techniquement, d'empêcher la création d'un nouveau compte sur une plateforme. Les réseaux sociaux pourraient bloquer l'adresse IP de l'internaute, mais le contournement de ce blocage est enfantin. La seule solution technique fiable serait de vérifier l'identité civile de chaque internaute voulant se créer un compte pour la comparer à la liste des personnes bannies. Pourtant, vous aviez exprimé votre opposition aux amendements du rapporteur général, Paul Midy, qui voulait imposer à chaque internaute de s'identifier avant de pouvoir se créer un compte sur un réseau social. Dès lors, comment, Monsieur le ministre, comptez-vous demander aux réseaux sociaux de s'assurer qu'une personne bannie ne se recrée pas un compte sans obligation généralisée de révéler son identité civile aux plateformes ?

François Saltiel : Voilà. La question vous est posée.

Jean-Noël Barrot : C'est une excellente question. Je le redis : si nous avons décidé d'introduire dans le projet de loi une mesure de bannissement des réseaux sociaux, qui est une mesure assez inédite de privation par avance de liberté d'expression, c'est en écoutant les streameuses, ces créatrices de contenu en ligne victimes constamment de raids de cyberharcèlement, qui nous ont témoigné d'avoir été choquées de voir réapparaître, régulièrement, des auteurs, en tout cas des cyber-harceleurs qui les avaient déjà cyber-harcelées, qui s'étaient fait renvoyer des plateformes et qui revenaient s'inscrire ensuite. C'est cela qui nous a conduits à réfléchir à introduire, dans le texte, cette mesure de bannissement des réseaux sociaux pendant une durée de six mois, je précise bannissement du réseau social sur lequel a été commise l'infraction ou le délit, pendant six mois, qui peut être porté jusqu'à un an cas de récidive.
Le texte, contrairement à ce qui a été dit à l'instant, prévoit que la plateforme suspend le compte de l'auteur, ce qui est déjà une très bonne chose. Parmi celles et ceux qui s'adonnent au cyberharcèlement vous avez des personnes qui le font sous couvert d'un pseudo, mais vous en avez d'autres qui le font à visage découvert, avec des communautés très vastes qui conduisent à faire retentir ou à accélérer ou à amplifier les phénomènes de cyberharcèlement. Cette peine de bannissement confisquera leur notoriété en suspendant leur compte. Elles peuvent se recréer un compte, mais, au moins, l'effet de communauté ne n'apparaîtra

François Saltiel : Je crois que c’était le sens de la question en disant que c'est assez facile de se recréer un autre compte, en passant même par un autre outil, etc.

Jean-Noël Barrot : Oui, mais si vous n'avez plus votre communauté, celle qui vous suivait, celle qui relayait vos appels au cyberharcèlement de telle ou telle personne, vous atténuez.

François Saltiel : Vous atténuez un peu la vague de cette façon.

Jean-Noël Barrot : Ensuite, le texte prévoit que les plateformes doivent mettre en œuvre des moyens pour éviter que la personne se crée d'autres comptes sur la même plateforme et ça soulève quelques inquiétudes.
Je veux répondre d'abord que les plateformes le font déjà parce que, dans l'immense majorité des cas, elles ont des conditions générales d'utilisation qui prévoient que si vous vous comportez mal ou si vous violez ces conditions générales d'utilisation elles peuvent vous expulser et, dans certains cas, prendre des mesures pour éviter que vous vous réinscririez.

François Saltiel : Ce qui arrive assez peu quand même. Quand on est justement dans l'usage, qu’on voit, sur ces plateformes, le nombre de déferlements de haine, de propos haineux, etc., on voit quand même que c'est un peu léger cette action des plateformes.

Jean-Noël Barrot : Ça dépend ! Je précise qu’il y a sur Internet beaucoup plus de citoyens de bonne foi et animés par des intentions qui sont bonnes et positives.

François Saltiel : Mais on les entend moins ! C’est le problème !

Jean-Noël Barrot : Et une minorité d'internautes qui sème la haine et la violence.
Ce que je veux dire par là c'est que le projet de loi prévoit une obligation de moyens, mais qui n'est pas sanctionnée par une amende puisque, précisément nous voulions éviter à la fois une obligation de surveillance trop forte et nous voulions également éviter d'enfreindre le droit européen.
Je voudrais dire que dans l'examen du projet de loi on a ajouté une disposition à l'Assemblée nationale qui est très importante : l'auteur qui contournera le bannissement et se réinscrira sur la plateforme sera passible d'une peine de 30 000 euros d'amende et de deux ans d'emprisonnement. Certes, il n'y a pas une contrainte trop forte imposée à la plateforme pour éviter la réinscription, mais, je le répète, elle le fait déjà et, d'autre part, l'auteur qui aura contourné la peine de bannissement prononcée par le juge s'exposera à une peine particulièrement lourde.

François Saltiel : Dans la question était évoqué aussi l’un des amendements de Paul Midy qui voulait une généralisation d’une identité numérique pour tous les Français, qui pourrait effectivement régler de manière assez certaine ce problème-là. Vous n'y étiez pas favorable. C'est toujours compliqué avec la question de l'anonymat en ligne puisque, effectivement, il n'y a pas d'anonymat en ligne : lorsqu'il y a une procédure judiciaire, lorsqu'il y a des manquements graves, on peut toujours retrouver la personne qui se cache derrière un pseudo ou autre, des affaires médiatiques l'ont prouvé. Néanmoins, on voyait quand même cette tendance qui est, finalement, une tendance de transparence : donner son identité, toujours essayer de s'affirmer tel qu'on est avec son nom, etc. Ça on est d'accord. Enfin vous, vous y étiez plutôt défavorable

Jean-Noël Barrot : Ce à quoi j'étais favorable, et que le gouvernement a soutenu, c’est l'idée de se donner des objectifs ambitieux pour le développement de l'identité numérique en France. Je considère que le développement de l'identité numérique est un moyen de faciliter, pour nos concitoyens, l'accès aux services publics et l'accès aux droits. Je crois que nous sommes en retard sur ce sujet-là et que les objectifs fixés par l'un des amendements proposés par Paul Midy nous donnent un objectif ambitieux mais indispensable à atteindre si nous voulons, comme c'est le cas dans d'autres pays, élargir, faciliter ou simplifier l'accès de nos concitoyens aux services publics et aux droits.
Là où nous sommes, en revanche, opposés c'est sur la proposition d'imposer à celles et ceux qui souhaitent s'inscrire sur un réseau social l'obligation de se certifier auprès d'un tiers désigné par le ministère de l'Intérieur. Nous nous y sommes opposés, car c'est une disposition qui est contraire aux engagements européens de la France et, en particulier, aux équilibres trouvés l'année dernière, au niveau européen, dans la discussion sur le règlement sur les services numériques, le DSA, qui était évoqué dans votre introduction, mais aussi parce que c'est une disposition qui risquait de fragiliser la confiance que l'on peut avoir dans le numérique. On n'imagine pas demander à un journaliste, à un opposant politique ou à un lanceur d'alerte de n'accéder aux réseaux sociaux qu'après s'être certifié, authentifié, auprès d’un tiers désigné par le ministère de l'Intérieur. Cela ne doit pas nous empêcher, effectivement, de lutter contre ce que le député pointait du doigt, c'est-à-dire ce sentiment d'impunité qui fait que, bien que l'anonymat n'existe pas sur Internet, beaucoup continuent de penser que l'anonymat existe et de rappeler, constamment, que lorsque des délits sont commis, que ce soit du cyberharcèlement contre des personnalités comme Mila, comme Hoshi ou comme Eddy de Pretto, lorsque ce sont des délits comme ceux qui ont été commis pendant les violences urbaines du début du mois de juillet, lorsque ce sont des des délits propagation, par exemple, ou d'apologie du terrorisme comme ceux qu'on a connus ces dernières semaines, eh bien on peut toujours retrouver les auteurs même derrière un pseudo, même derrière un VPN, on peut les retrouver, on peut les traduire en justice et ils peuvent être condamnés.

François Saltiel : Avant il faut effectivement qu'une procédure judiciaire soit lancée, on est bien d'accord. Si des personnes qui nous écoutent se font cyber-harceler, il faut donc bien intenter une action en justice, il faut être un peu patient, évidemment, parce que le temps de la justice est toujours un peu plus lent que le temps de la technologie, encore plus que ce temps de souffrance qui est celui lorsqu'on est victime de cyberharcèlement.
Vous avez évoqué l'artiste Eddy de Pretto qui, lui, avait justement subi une campagne de haine homophobe et autre. Il a donc intenté une action en justice et il a obtenu gain de cause. Dans cette affaire-là, la justice a retrouvé.

Jean-Noël Barrot : Des peines de prison ont été prononcées. La nouveauté que permettra ce projet de loi, ce sont deux choses : en plus de la condamnation, si le juge l'estime pertinent, une peine de prison ou de prison avec sursis, le juge pourra prononcer une peine de bannissement du réseau social pendant une période de six mois ; si le juge l'estime nécessaire, avant même la condamnation, au début du contrôle judiciaire, c'est-à-dire au moment où l'enquête débute, le juge de la liberté de la détention ou le juge d'instruction pourra prononcer cette peine avant même d'attendre la condamnation.

François Saltiel : D'accord. Vous avez cité en premier Eddy de Pretto. On va le jouer tout de suite dans Le Meilleur des mondes avec ce titre Freaks.

Pause musicale : Freaks par Eddy de Pretto.

Voix off : France Culture - Le Meilleur des mondes - François Saltiel.

32’ 55

François Saltiel : Eddy de Pretto