Différences entre les versions de « Émission Libre à vous ! du 27 juin 2023 »

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Version du 28 juin 2023 à 14:51


Titre : Émission Libre à vous ! du 27 juin 2023

Intervenant·e·s : Jean-Christophe Becquet - Nathalie Soetaert - Yannick Warnier - Sylvain Kuntzmann - Luk - Étienne Gonnu - à la régie

Lieu : Radio Cause Commune

Date : 27 juin 2023

Durée : 1 h 30 min

Podcast PROVISOIRE

Page des références de l'émission

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : Déjà prévue

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.







Plateformes d’apprentissage en ligne libres : outils, pratiques et enjeux, avec Nathalie Soetaert, et Yannick Warnier, sujet animé par Sylvain Kuntzmann

Étienne Gonnu : Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui porte sur les plateformes d’apprentissage en ligne libres, un sujet préparé et qui va être animé par Sylvain Kuntzmann professeur de musique dans l’enseignement spécialisé, formateur MuseScore et numérique éducatif. Ça n’a rien à voir avec le sujet, mais je vais profiter de cette émission pour remercier Sylvain de vive voix et en direct, car il a été l’un des tout premiers contributeurs de l’aventure Libre à vous !, il s’occupait de la très importante tâche de traitement des enregistrements des émissions pour en permettre la diffusion sous forme de podcast. D’ailleurs j’ai cherché, j’ai oublié de te demander avant l’émission tu t’en es occupé pendant deux ou trois saisons ? Deux ou trois ans ?

Sylvain Kuntzmann : Peut-être deux saisons. Effectivement.

Étienne Gonnu : Ce qui nous a permis de nous lancer nous aussi à un moment assez charnière et très important pour l’émission. Merci Sylvain pour cette contribution.

Sylvain Kuntzmann : Merci pour ce clin d’œil.

Étienne Gonnu : Avant de laisser la parole à Sylvain et à ses deux invités que Sylvain va pouvoir présenter, je vous rappelle que vous pouvez participer à notre conversation au 09~72~51~55~46 ou sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat ».
Sylvain, je te passe la parole.

Sylvain Kuntzmann : Merci Étienne. Bonjour à tous et à toutes.
Dans mes activités d’enseignant ou de formateur, j’entends parler autour de moi, par mes collègues et aussi beaucoup sur la toile de certains sujets qui sont un petit peu sur le devant de la scène en ce moment, surtout depuis la crise du Covid. J’entends les thèmes de formation tout de la vie, de transition numérique de l’école, de transformation digitale des apprentissages, de LMS, de présentiel, distanciel, social learning, etc. Je me suis dit qu’il y avait peut-être besoin de faire un petit point là-dessus, sur ces thématiques-là. C’est pour cela qu’aujourd’hui je propose ce sujet-là à travers deux invités que je vais vous présenter dans quelques instants.
Le contexte étant qu’on a même eu à Paris, en février dernier, un salon, le Salon Learning Technologies France, qui a réuni plus de 9000 professionnels du e-learning, dont l’un de nos invités ici, je crois, Yannick Warnier, qui a mis en avant le e-learning, la formation, les ressources humaines. On a un marché qui à priori, selon les études que l’on voit, est en pleine progression, une progression même exponentielle. Si je reprends quelques chiffres de 2022, je vois selon l’étude de Skill Counter ??? [14 min 15] que 70 % du marché mondial de l’apprentissage en ligne se situe aux États-Unis et en Europe, que les femmes sont 17 % à indiquer vouloir s’inscrire volontairement à une formation e-learning contre 13 % des hommes interrogés, c’est une étude LCES de 2021 et que près de 80 % des entreprises utilisent des plateformes d’apprentissage en ligne, c’est une étude de Statista de 2020.
Aujourd’hui, faisons un petit peu le point autant pour le néophyte sur ce qu’est le LMS, l’apprentissage en ligne, les plateformes d’apprentissage en ligne, que sur la partie peut-être un peu plus technique parfois à travers des exemples précis qu’on va vous détailler tout à l’heure.
Pour ce faire, je reçois Nathalie Soetaert. Bonjour Nathalie.

Nathalie Soetaert : Bonjour.

Sylvain Kuntzmann : Vous le direz mieux que moi, vous êtes formatrice de formateurs, spécialisée dans la pédagogie numérique, professeure certifiée en poste actuellement auprès du réseau Canopé de Beauvais et bénévole Oisux et Primtux.

Nathalie Soetaert : C’est cela, tout est juste.

Sylvain Kuntzmann : Le réseau Canopé, pour ceux qui ne connaissent pas ?

Nathalie Soetaert : C’est un des acteurs de l’Éducation nationale. En fait, il y a un atelier Canopé dans chaque département de France. Nous sommes une entité nationale et nous rayonnons autour de ce qu’est le numérique éducatif dans les établissements, mais pas seulement, ça porte tout ce qui peut être en lien avec l’éducation, ça peut être les valeurs de la République, ça peut être la coéducation au sens large.

Sylvain Kuntzmann : D’accord. Canopé agit donc comme opérateur du ministère de l’Éducation nationale.

Nathalie Soetaert : Tout à fait.

Sylvain Kuntzmann : D’accord. Comment passe-t-on de professeur certifié à cette affectation sur le réseau Canopé ?

Nathalie Soetaert : Une appétence pour le numérique et l’innovation. Avant cela, j’étais en poste en réseau d’éducation prioritaire à Beauvais toujours après quelques années à l’étranger, en Afrique ou autre. Arrivée là, j’avais fait un peu le tour, ça faisait 16 ans que j’enseignais la même matière, j’envie de voir d’autres choses. Ils ont monté un fab lab, ils avaient besoin de quelqu’un pour animer le tiers-lieux pédagogique et j’avais envie d’expérimenter la chose dans une dimension autre. J’étais déjà formatrice dans ce qu’on appelle le PLE, c’est-à-dire que je formais déjà mes confrères en technologie.

Sylvain Kuntzmann : Le PLE c’est ?

Nathalie Soetaert : Ce sont les gens qui forment les gens qui sont en établissement.

Sylvain Kuntzmann : D’accord. OK. On a hâte d’entendre un petit peu votre expérience à ce sujet-là.
Pour vous rendre la pareille on a invité Yannick Warnier. Yannick bonjour.

Yannick Warnier : Bonjour.

Sylvain Kuntzmann : Vous êtes fondateur du projet Chamilo, président de l’association Chamilo et leader technique de la plateforme e-learning du même nom, ingénieur logiciel de formation. Vous êtes également utilisateur de logiciels libres depuis 1998, c’était donc au siècle dernier – c’est pour vous vieillir un petit peu. Vous faites régulièrement le défenseur public du logiciel libre au travers d’articles ou de conférences en Europe et en Amérique latine ; vous dirigez aussi une entreprise, Beeznest.

Yannick Warnier : Beeznest est une entreprise de services qui fournit des services autour de la solution Chamilo. Le principe du logiciel libre, c’est que tout le monde peut l’utiliser librement, etc., mais souvent on a soit des entreprises soit des académies qui ont besoin d’un soutien professionnel, c’est donc ce qu’on fait avec Beeznest.

Sylvain Kuntzmann : D’accord. On va parler en détail tout à l’heure de la solution Chamilo. Comment en vient-on à créer une solution pareille ?

Yannick Warnier : Chamilo n’a pas tout à fait créée de zéro. Chamilo est un fork d’une autre solution de logiciel libre qui était, à l’époque, Dokeos, qui était elle-même un fork d’une autre solution libre qui s’appelait Claroline ; Claroline, elle-même, est une solution qui est née au sein d’une université, l’Université catholique de Louvain, en Belgique, à l’initiative de deux professeurs de philosophie qui voulaient simplement une plateforme pour étende un petit peu la possibilité de dialoguer des étudiants avec les professeurs et entre eux, au-delà des cours en auditoire. C’est le début du système, après il y a eu des forks. En logiciel libre, les forks sont des séparations du projet entre deux groupes qui veulent défendre des valeurs légèrement différentes. Il y a donc eu une première séparation entre Claroline et Dokeos fin 2003, début 2004, et une seconde séparation entre Dokeos et Chamilo en 2010.
Donc nous ne sommes partis de zéro, mais, depuis, de toutes ces solutions nous sommes la seule qui touche un grand public actuellement.

Sylvain Kuntzmann : D’accord. Et Beeznest vient par la suite, en fait ?

Yannick Warnier : Non. Beeznest vient avant Chamilo. Beeznest, en fait, avait pour objectif initialement de fournir du support sur des solutions de logiciel libre en général, ce n’était pas spécialement e-learnig. À partir de 2010 on se spécialise puisque Beeznest était quand même un acteur très important du projet Chamilo ; à partir de 2010 on se spécialise dans l’e-learning et voilà.

Sylvain Kuntzmann : D’accord.
Je propose qu’on opère en deux parties. Une première partie où on va plutôt essayer d’expliquer ou de définir, d’esquisser un petit peu ce qu’est qu’une plateforme de cours en ligne, un système de gestion de l’apprentissage – d’ailleurs est-ce que c’est la même chose, ou pas, je poserai la question – d’où ça provient et quel impact cet outil a sur l’enseignement, ou l’inverse, quel impact les pratiques pédagogiques ont sur ces solutions techniques. Dans un deuxième temps, on pourra peut-être prendre des exemples plus précis. On va parler notamment de Moodle mais pas que, forcément de Chamilo, et expliquer un petit peu les tenants et les aboutissants de cette solution.
En introduction, je disais qu’on entend beaucoup parler de mots et de vocabulaires parfois nouveaux et que, parfois, certains ne connaissent pas forcément. Est-ce qu’on peut, juste avant de commencer, se faire un petit glossaire rapidement. Comment peut-on définir ce qu’est l’e-learning, Nathalie.

Nathalie Soetaert : L’e-learning c’est la possibilité d’étudier en ligne. Il a plusieurs formats. Quand on dit e-learning, ça veut dire que le cours est déporté sur un support numérique auquel on accède par les internets.
On peut avoir ce qu’on appelle du blended, on va parler français dans trois minutes, on va arrêter de faire semblant qu’on est très savants.
En fait on divise en trois catégories :
on a quelque chose d’accessible totalement en ligne avec aucun recours humain, c’est-à-dire que le contact humain est extrêmement limité ;
on a quelque chose qui va être une solution mixte, qu’on appelle le blended learning, dans lequel on va avoir une classe en distanciel qui va être suivie par les apprenants et le reste des exercices qui va être fait en temps personnel en dehors de la présence du formateur ;
on a aussi des supports en ligne comme ça qui sont installés que pour le temps de la présentation, de la formation. Ça peut durer trois heures, ça peut être une formation totalement déportée où effectivement vous allez vous connecter avec votre ordinateur, mais vous allez être en présence de quelqu’un pendant trois heures, qui va dérouler son protocole de formation totalement en ligne.

Sylvain Kuntzmann : OK. On entend parler aussi de M-learning, une formation à travers le mobile, le smartphone.

Nathalie Soetaert : C’est indispensable.

Sylvain Kuntzmann : C’est indispensable. OK.

Nathalie Soetaert : Il faut comprendre que c’est apparu parce que les gens sont de moins en moins équipés d’ordinateur à la maison. Bien sûr que l’ordinateur a de beaux jours devant lui, mais la jeune génération, les collégiens, les lycéens, etc., travaillent énormément à partir de leur smartphone. Quand on a besoin de les toucher, de les atteindre, il faut que ce soit responsive, ça veut dire que mon support de formation doit fonctionner aussi bien sur un ordinateur que sur une tablette ou un téléphone. C’est quelque chose qu’il est important de prendre en compte au moment de la conception, de la création du système.

Sylvain Kuntzmann : D’accord. On entend parler aussi de social learning.

Yannick Warnier : Le social learning c’est simplement la possibilité d’apprendre mieux dans un contexte social, donc de partager avec d’autres personnes ses apprentissages. Ensemble on apprend de façon plus active, de façon plus motivante aussi, parce qu’on voit les pairs qui apprennent également.

Nathalie Soetaert : En pédagogie ça porte un nom, c’est ce qu’on appelle l’émulation. On sait que pour avoir une émulation quand on apprend quelque chose, il faut avoir six/sept personnes dans une classe. Si on a un groupe d’apprenants inférieur à sept, l’émulation n'est pas la même que si on a quelque chose à partir de ce nombre-là et au-dessus. C’est quantifié en neuroscience, on sait dire maintenant à peu près comment on fait ça. On peut apprendre différemment, on peut bien sûr apprendre un par un, on peut apprendre en groupes de trois, mais l’émulation, c’est-à-dire l’intelligence collective, l’émulation du groupe et l’entraînement se fait à partir de cinq, mais six/sept c’est vraiment l’idéal.

Sylvain Kuntzmann : C’est l’aspect collaboratif des apprentissages.

Nathalie Soetaert : Tout à fait. L’humain est quand même un animal grégaire. On peut dire ce qu’on veut, nous sommes des animaux grégaires.

Sylvain Kuntzmann : D’accord. On va détailler encore. On entend parler de continuous learning, microlearning, adaptative learnig, je crois que c’est décliné à toutes les sauces. On a compris l’essentiel de ce dont on voulait parler.
Tout ceci ne date pas d’hier. Sans faire un historique complet de l’histoire de l’apprentissage en ligne ou à distance, on pourrait évoquer éventuellement tout cet enseignement à distance qui avait lieu avec La Poste même dès le 19e siècle. À partir du 20ᵉ siècle on a eu aussi toutes ces inventions, la machine à enseigner de Sidney Pressey en 1924 ou le cinéma à problèmes ??? [24 min 25] en 1929, même avant l’apparition de l’informatique. Et finalement le mouvement universitaire a lancé un petit peu l’enseignement à distance, notamment les grandes universités américaines au 20e siècle. Tout cela s’est développé petit à petit. Au niveau de la France, Nathalie, je crois que tu as aussi quelques repères.

Nathalie Soetaert : J’avais trouvé le début des MOOC, des enseignements massifs en 2012 qui faisaient suite, en fait, aux enseignements du CNED et aux enseignements à distance qui se passaient par diverses plateformes via La Poste, les envois.
Nous avons utilisé le CNED pour nos propres enfants quand nous étions à l’étranger : pour pouvoir continuer la scolarité des enfants, on a utilisé ces systèmes -là.

Yannick Warnier : Pour les plateformes LMS d’enseignement, Internet est un élément essentiel. On peut effectivement avoir des machines d’apprentissage, etc., mais une des questions très forte, c’est l’accessibilité, la disponibilité de ces plateformes ou de ces contenus d’apprentissage et on n’obtient cela qu’à partir du moment où on a un accès distant aux ressources de l’université, par exemple.
Dans les premières plateformes, il y a notamment Webcity qui était un peu à l’origine de Moodle puisque Martin Dougiamas, qui est un fondateur de Moodle, a lui-même été administrateur de Webcity dans son université, en Australie, avant de décider de lancer une plateforme libre pour éviter un petit peu, je dirais, le piège habituel du vendor lock-in comme on dit en anglais qui est le fait, quand on utilise une solution qui n’est pas libre, d’être piégé dans les filets du fournisseur de l’application elle-même. C’est-à-dire que plus on accumule de connaissances ou d’informations dans ces systèmes, plus on est bloqué dans ce système-là. C’est-à-dire que si on veut en sortir, il faut qu’on ait un chemin pour en sortir, il faut qu’on ait des standards qu’on puisse réutiliser pour exporter les informations vers un autre système. C’est vraiment cela que les plateformes libres viennent solutionner et qu’on peut, à partir de là, avoir un accès totalement ouvert à nos propres données. On ne reste plus jamais piégé auprès d’un fournisseur en particulier.

Étienne Gonnu : Je vais me permettre : la traduction la plus communément admise pour vendor lock-in c’est « enfermement propriétaire ».

Yannick Warnier : Super. Je ne suis pas très bon en franco-français.

Sylvain Kuntzmann : Finalement, l’évolution dans ce domaine-là c’est Internet qui permet, à un moment, de changer d’échelle. On a tout d’un coup une grande accessibilité à des contenus et on a un aspect interactif, que ce soit avec les contenus eux-mêmes et éventuellement avec ses pairs.

Yannick Warnier : Exactement. Et puis c’est une progression. Au début, c’était un petit peu comme des sites web, on proposait le contenu mais sans vraiment faire de suivi important. Après on rajoute, par exemple, des forums pour avoir réellement des interactions et puis on rajoute des outils de suivi qui permettent de savoir exactement quand quelqu’un a fait quelque chose, quand un étudiant, un apprenant a exercé une activité d’apprentissage, pour pouvoir lui donner un meilleur suivi et pour pouvoir améliorer son apprentissage.

Sylvain Kuntzmann : D’accord.
Pour rentrer dans le sujet, je vais vous citer un texte qui est extrait d’un dossier intitulé « Le numérique et l’éducation dans un monde qui change. Révolution ? ». C’est un texte qui a été publié dans la Revue internationale d’éducation de Sèvres, qui est écrit par Bernard Cornu et Jean-Pierre Véran, dans lequel ils réalisent des études de cas de l’état du numérique de l’éducation dans différents du monde. Bernard Cornu est professeur des universités honoraires et il a principalement travaillé sur l’intégration du numérique dans l’enseignement et sur la formation des enseignants. Jean-Pierre Véran est inspecteur d’académie.
Je précise que ce dossier est librement consultable, au moins en partie, sur le portail openedition.org. On mettra le lien dans la page de l’émission. Voici l’extrait que je cite : « Depuis plus de trente ans, à travers le monde, on s’intéresse à l’utilisation des outils numériques dans l’enseignement, à l’intégration des technologies de l’information et de la communication dans l’éducation. Tous les responsables de systèmes éducatifs ont compris qu’il s’agissait d’un enjeu essentiel. Et pourtant, on peut considérer que les choses évoluent plutôt lentement : le numérique n’est pas vraiment intégré à l’éducation, l’école n’a pas profondément changé et bien des enseignants restent distants face au numérique. Mais on peut aussi constater l’immense quantité d’expérimentations, d’innovations, de réussites dans l’utilisation du numérique pour enseigner et pour apprendre, la qualité de bien des ressources numériques produites, tant pour la classe que pour apprendre à distance. »
Ce texte a été rédigé en 2014, c’est-à-dire il y a presque 10 ans. Selon vous, est-ce qu’il est toujours d’actualité, partiellement ou pas du tout ? J’ai en tête « le numérique qui est intégré à l’éducation », « l’école qui n’a pas profondément changé » ou « les enseignants qui restent distants face au numérique ». Voilà ce qu’on écrivait en 2014. Qu’en pensez-vous ? Qu’est-ce que ça vous inspire ?

Nathalie Soetaert : Ça dépend de quels enseignants on parle et où on est posé.
Si on est au niveau universitaire, il n’y a pas de souci, le numérique a toute sa place parce qu’il y a les infrastructures, parce que les universités sont équipées, parce que les jeunes sont équipés. Les enseignants et les apprenants.
Quand on va au niveau lycée ou secondaire, il y a des salles informatiques dans tous les collèges et dans tous les lycées, vous avez des endroits, les jeunes sont équipés dans une certaine mesure et, en fonction des quartiers, des niveaux sociaux, vous avez un taux d’équipement qui peut varier.
Quand on arrive à l’école primaire, ça devient une autre histoire. Dans les écoles de campagne, d’où la distribution Primtux, l’accès au numérique est relié directement à la capacité financière de la mairie. C’est la mairie qui prend en charge ce type de matériel. Si vous êtes dans une grosse commune, le matériel existe, vous avez les salles, vous avez les moyens, vous faites des demandes et ça tourne. Quand vous êtes dans des petites communes de village, vous avez des fois UN ordinateur dans la classe qui permet de faire l’appel et c’est celui de l’enseignante ou c’est un vieux poste qui traînait quelque part et qu’on a mis dan l’école, c’est ce qu’on appelle les machine de fond de classe, ce qui ne permet pas non plus une appropriation facile du numérique.
Pour former les enseignants tous les jours je peux vous assurer qu’un vrai travail est fait. Quelle chose a été mis en place qui s’appelle Pix. Un Pix+ Edu est mis en place. Pix est un certificat informatique que vous pouvez passer, qui est mis en place par le gouvernement français à partir du Libre d’ailleurs. C’est un projet qui a été porté par Lab 110, le ministère et des tas de personnes, sur lequel vous pouvez venir valider votre niveau en informatique, votre maîtrise de l’outil. Les enseignants sont tenus de le passer, comme régulièrement on a des certificats informatiques à passer. Le dernier en date s’appelle Pix+ Edu, c’est assez nouveau. Vous pouvez vous entraîner librement et gratuitement sur la plateforme pix.fr et, quand vous avez atteint un certain niveau, vous êtes certifiable. Quand vous êtes enseignant, vous avez la possibilité de venir vous certifier dans un des centres agréé.
Il y a donc tout un travail qui est fait pour qu’il y ait une vraie maîtrise de l’outil numérique et ensuite il y a aussi un maque de temps. Les formations qui sont mises en place à l’Éducation nationale sont beaucoup sur le « lire, écrire, compter » dans le primaire et le temps dédié à la formation au numérique est réduit parce qu’il y a énormément de besoins, énormément de demandes. Donc les enseignants doivent souvent se former seuls et se débrouiller. Ça dépend de vos académies, ça dépend de vos inspecteurs, mais le gros de l’histoire c’est quand même ça.
C’est vrai dans une certaine mesure et tout dépend où on est assis dans le circuit.

Sylvain Kuntzmann : Je vous voyais hocher la tête pendant que je citais le texte. Je comprends mieux. Il est vrai qu’il est dit plus loin dans le dossier que l’établissement dans lequel on regardait était prépondérant pour l’observation qu’on faisait par la suite.
Yannick, sur cet état de fait d’il y a dix ans, vous pensez qu’on a évolué ? Un peu ? Le Covid ? Oui, non ?

Yannick Warnier : Je pense que c’est toujours d’actualité. Un des gros problèmes au niveau des Éducations nationales en général de par le monde, c’est que ce sont des machines énormes à faire bouger, donc faire changer les usages à aucun niveau national c’est toujours très compliqué. On trouve toujours des enseignants super motivés, qui tirent un peu les autres derrière eux et font avancer les choses en général, l’effort de digitalisation, de numérisation. Mais on a aussi toujours ce problème qu’au final c’est un effort qui doit être initié à un niveau plus élevé parce que la machine de l’enseignement national c’est toujours une machine très hiérarchisée, centralisée, il faut donc qu’il y ait un effort suffisant.
On arrive directement au problème du financement qui est que dès qu’on veut financer un changement à ce niveau-là, on parle directement de budgets énormes, du coup ça ralentit un petit peu le progrès.
Malgré tout, on sent que l’adoption des nouvelles technologies disponibles accélère quand même progressivement. Les technologies deviennent de plus en plus faciles à utiliser. Je ne sais pas si on ira dans ce sens-là aujourd’hui, mais cette année-ci en particulier on a eu une explosion de systèmes d’intelligence artificielle dans tous les sens, il y a vraiment de tout et il y a notamment beaucoup de systèmes qui permettent aux enseignants de gagner du temps, de pré-générer du contenu d’apprentissage, d’évaluer les choses. Nathalie n’a pas l’air tout à fait d’accord avec moi, en tout cas, on parle d’accélérer, on ne parle pas de remplacer leurs fonctions, mais de permettre réellement de développer des contenus de façon plus rapide et parfois de meilleure qualité, ça dépend un petit peu. Évidemment, dans les systèmes d’intelligence artificielle, on a toujours un pourcentage qu’on appelle l’hallucination, dans les grands modèles de langage, les LLM [Large language models] comme ChatGPT et Bard, etc. On a, en fait, un pourcentage des résultats qui sont donnés qui sont totalement fantaisistes et là l’enseignant doit jouer son rôle de validateur, vérifier qu’effectivement cette information est correcte. En attendant, on a, généralement un pourcentage de 10 à 20 % et le reste du temps on a du contenu de qualité, qui peut être créé déjà actuellement avec ces systèmes-là.

Étienne Gonnu : Je vais me permettre juste une référence. Yannick, vous avez mentionné le rôle de l’impulsion du gouvernement, de l’Éducation nationale. En septembre 2022, nous avions reçu Alexis Kauffmann, professeur de mathématiques, fondateur de Framasoft pour celles et ceux qui connaissent cette superbe association. Il est actuellement chef de projet logiciel et ressources éducatives libres à la Direction numérique de l’éducation. Audran Le Baron est le nouveau directeur qui semble donner une impulsion intéressante vers le logiciel libre. On verra comment concrètement cela se met en place.

Nathalie Soetaert : On est au-delà du semblant. On est sur quelque chose d’extrêmement concret. Des assises se sont tenues, j’étais là-bas avec eux, la réunion de fin se tiendra le 4 juillet. Ça s’appelle Gtnum, groupe de travail numérique libre. Il y a une vraie réflexion qui est portée par la DNE et aussi par la Dinum, la direction interministérielle du numérique en général, autour du logiciel libre et de l’éducation. Ils ont mis à disposition du corps enseignant des outils, des plateformes, on a un PeerTube qui est accessible : n’importe quel enseignant en France avec une adresse académique peut déposer ses capsules vidéos créées à destination des élèves sur un média sécurisé, accessible par les élèves, qui est tenu en état de fonctionnement permanent. On n’a pas à s’inquiéter de savoir sur quelle plateforme on va le poser, est-ce que c’est correct, pas correct, est-ce que les élèves sont en danger, pas en danger. Ce n’est quand même pas rien. Ils ont sécurisé les protocoles pour les classes en ligne parce que, justement, le Covid a quand même été une très belle expérience pour beaucoup d’entre nous. Il y a la DNE, il y a la Dinum, il y a aussi les Dane en région qui font un excellent travail pour rendre accessibles tous les outils, pour que justement les enseignants soient débarrassés de ces abonnements qu’ils achetaient à titre personnel. On a fait ça pendant longtemps pour avoir des outils qui fonctionnent et être sûrs et c’est comme cela que j’ai mis le doigt dans la machine : c’est comment je fais pour communiquer avec mes élèves. C’était bien avant le Covid puisqu’au moment du Covid j’étais déjà chez Canopé. Comment je fais pour que mes élèves puissent avoir accès aux ressources ? Ils n’ont pas d’ordinateur chez eux, ils sont connectés avec la wifi du centre social, ils sont connectés avec la wifi du McDo, comment je leur envoie les cours, comment je communique avec eux, comment ils me rendent le travail et comment j’en fais les citoyens de demain ? Mettre en place quelque chose pour des jeunes, ça veut dire qu’il faut qu’ils aient accès à l’outil, qu’ils puissent l’utiliser et vous renvoyer le travail. C’est ça aussi l’enjeu. La DNE a sécurisé ça avec la Dinum et toute l’équipe. Ce n’est quand même pas rien !

Sylvain Kuntzmann : À mettre aussi à leur crédit toute la suite Apps Education.

Nathalie Soetaert : Apps Education c’est exactement de cela dont je parlais.

Sylvain Kuntzmann : Avec d’autres outils comme BigBlueButton pour les classes en ligne, beaucoup de choses comme ça.

Étienne Gonnu : Saluons-les. Il y a vraiment des agents et agentes formidables qui ont poussé ça parce que ce n’était pas gagné à l’époque. Ils ont vraiment fait un travail extraordinaire avec apps.education.fr. On mettra le lien, les références sur la page de l’émission.

Yannick Warnier : Mon point de vue technologique ici c’est que c’est réactif. C’est très bien que ces efforts se fassent, mais quand on parle de mettre en place un PeerTube ou quoi, ça fait 20 ans que YouTube existe. C’est ce que je disais. : mettre en place des projets ça prend très longtemps et ce n’est pas dû uniquement à ça non plus. On a quand même une différence entre la proposition de l’éducation en général, du réseau éducatif, et ce qu’on trouve sur Internet. Observons les jeunes simplement : quand ils rentrent chez eux, est-ce qu’ils se connectent à la plateforme de l’école pour étendre leurs apprentissages ou est-ce qu’ils préfèrent regarder des vidéos sur YouTube ?
Je pense que c’est là qu’il y a un petit travail à faire au niveau de la création de contenus, un gros travail, mais en attendant il y a une évolution. Je pense que c’est très positif, effectivement.
Nous, avec Chamilo, puisque c’est un petit peu mon papier ici, on a toujours essayé de mettre en place dans la plateforme Chamilo tous les outils dont l’enseignant a besoin pour se passer justement de YouTube, de Google Apps, etc., pour essayer d’offrir ces systèmes-là d’une façon libre. Ils ne doivent pas s’inscrire sur une plateforme YouTube, même au-delà de s’inscrire, devoir payer ça de façon personnelle pour l’enseignant, parce que c’était souvent le cas aussi. Il y a aussi le fait de partager ses données dans un système qui est géré par une entreprise américaine qui n’a pas du tout les mêmes règles au niveau respect des données personnelles que ce qu’on a en Europe. Maintenant avec le GDPR ils sont obligés, apparemment, il y a quand même une série de procès européens.

Étienne Gonnu : GDPR, RGPD plus souvent en français qui est le Réglement général pour la protection des données.

Yannick Warnier : Voilà. Merci.

Sylvain Kuntzmann : Dans l’étude que je citais au début, qui date de 2014, de Bernard Cornu et Jean-Pierre Véran, il y a cet aspect d’intégration ou d’outils qui sont disponibles. Là on vient de noter que la DNE, entre autres, a effectivement mis des outils à disposition. Il y a peut-être ensuite d’autres freins. Dans le texte on notait, par exemple, les enseignants qui restent distants face au numérique. Il y a ensuite cet effort de formation, cet effort personnel, l’effort aussi du système, aller former ses professeurs et l’accès à tout cela. Il y a différents freins. Même si l’outil est disponible est-ce que, j’allais dire, ça ruisselle jusqu’au bout ?

Nathalie Soetaert : Je suis peut-être particulièrement optimiste, peut-être parce que c’est mon travail et que je suis un peu là par rapport à ça. Je me lève tous les jours pour ça. Il y a quand même énormément de choses qui sont faites et mises en place, qui donnent des avancées. On constate une prise en charge du numérique par les enseignants, une appétence, une volonté. J’en ai toujours eu là où je travaille, mais il y en a de plus en plus qui poussent la porte avec des demandes précises, des envies. Actuellement le besoin de formation c’est sur les podcasts. Le podcast est un format intéressant pour faire travailler des élèves. Il y a quelque temps travaillait sur la transmission des savoirs avec des films en stop-motion, il y a encore quelque temps on travaillait sur l’écriture de learning management system et le Covid a fait prendre conscience à tout le monde de son propre niveau et de ses propres limites et les gens se sont formés eux-mêmes. Je ne sais pas pour le reste du monde, je ne peux parler que de ce que je maîtrise, c’est-à-dire ici, il y a quand même, chez les enseignants français, la capacité à se mettre à travailler, s’instruire, apprendre par eux-mêmes avec une force et une volonté, le samedi, le dimanche, pendant les congés. Il y a quand même une force vive, du travail qui est fourni en dehors du temps officiel de travail qui leur permet d’acquérir un certain niveau. Le gouvernement et des instances qu’on a citées tout à l’heure leur offrent une palette de possibilités. L’endroit où je travaille en est une. Les Dane, Direction académique au numérique éducatif, ont donné des formations par journées entières et par cohortes entières pendant le confinement et après. Il y a un service Dane dans chaque académie et il y a une Drane par région qui est l’instance en dessous de la DNE. C’est comme ça : DNE, Drane, Dane, pardon pour les acronymes, excusez-moi, je vais faire un peu plus attention. Eux sont opérationnels pour former les enseignants. En primaire ce sont les inspecteurs d’académie, qu’on appelle les IEN, qui vont définir à quels outils de formation ils peuvent avoir accès et combien d’heures.

Étienne Gonnu: Je vous propose de faire une petite pause musicale pour reposer nos méninges avant de nous replonger dans ce sujet passionnant. Nous allons écouter Diaspora dialectique par Tintamare. On se retrouve juste après, toujours à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Diaspora dialectique par Tintamare.

Étienne Gonnu: Nous venons d’écouter Diaspora dialectique par Tintamare, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions.

[Jingle]

Deuxième partie

Étienne Gonnu: