« Libre et/ou gratuit » : différence entre les versions
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En fait, on va retrouver tous ces arguments un peu mélangés dans le discours de la culture libre. Par exemple : la gratuité ce n’est pas possible parce qu’on ne peut pas produire un logiciel gratuitement, ça a toujours un coût. On trouve aussi, par exemple des universitaires comme Jean Tirole, qui a un peu cette idée : les développeurs ont l’air de donner leur contribution gratuitement à la communauté, mais, en fait, ce n’est pas désintéressé, ils le feraient, par exemple, pour accroître leur réputation. On peut retrouver ce type | En fait, on va retrouver tous ces arguments un peu mélangés dans le discours de la culture libre. Par exemple : la gratuité ce n’est pas possible parce qu’on ne peut pas produire un logiciel gratuitement, ça a toujours un coût. On trouve aussi, par exemple des universitaires comme Jean Tirole, qui a un peu cette idée : les développeurs ont l’air de donner leur contribution gratuitement à la communauté, mais, en fait, ce n’est pas désintéressé, ils le feraient, par exemple, pour accroître leur réputation. On peut retrouver ce type d’arguments qui vont mélanger à la fois du libre accès, est-ce que c’est intéressé ou pas, et si c’est intéressé, ce n’est pas gratuit. | ||
Une autre question | Une autre question : quelle définition pourrait-on retenir pour s’appuyer sur quelque chose de plus solide ?<br/> | ||
On pourrait être tenté de dire que la gratuité c’est quand il y a libre accès, on aurait un accès libre à une ressource ou à un service. En fait, cette définition pose pas mal de problèmes, parce que ça peut donner juste l’illusion de la gratuité. Typiquement vous vous asseyez à une terrasse de café. On reprend l’exemple du Martien qui arrive qui se pose à une terrasse du café, tout va bien, il vient de débarquer sur la Terre et, en fait, le serveur arrive « non, non ! C’est payant ! ». Donc quelque chose peut être en libre d’accès mais n’est pas pour autant gratuit.<br/> | On pourrait être tenté de dire que la gratuité c’est quand il y a libre accès, on aurait un accès libre à une ressource ou à un service. En fait, cette définition pose pas mal de problèmes, parce que ça peut donner juste l’illusion de la gratuité. Typiquement vous vous asseyez à une terrasse de café. On reprend l’exemple du Martien qui arrive qui se pose à une terrasse du café, tout va bien, il vient de débarquer sur la Terre et, en fait, le serveur arrive « non, non ! C’est payant ! ». Donc quelque chose peut être en libre d’accès mais n’est pas pour autant gratuit.<br/> | ||
Pareil pour l’abonnement : ça peut donner l’impression d’être gratuit, sauf qu’il va falloir payer une fois. On va retrouver toutes ces simplifications dans le discours d’une manière générale : « j’ai un abonnement, c’est gratuit », on entend souvent ce genre de truc.<br/> | Pareil pour l’abonnement : ça peut donner l’impression d’être gratuit, sauf qu’il va falloir payer une fois. On va retrouver toutes ces simplifications dans le discours d’une manière générale : « j’ai un abonnement, c’est gratuit », on entend souvent ce genre de truc.<br/> | ||
Il y a la question des services publics, qui sont une situation un peu proche de l’abonnement, c'est-à-dire que je vais bénéficier d’un service en libre accès, mais je vais le payer indirectement ; en gros, il va y avoir mutualisation du financement avec les autres usagers.<br/> | Il y a la question des services publics, qui sont une situation un peu proche de l’abonnement, c'est-à-dire que je vais bénéficier d’un service en libre accès, mais je vais le payer indirectement ; en gros, il va y avoir mutualisation du financement avec les autres usagers.<br/> | ||
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Version du 11 mars 2023 à 16:16
Titre : Libre et/ou gratuit ? - Benjamin Grassineau
Intervenant : Benjamin Grassineau
Lieu : Lyon - Journées du Logiciel Libre 2022
Date : 15 novembre 2023
Durée : 57 min 26
Licence de la transcription : Verbatim
Illustration : à prévoir
NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.
Transcrit MO
Présentation
Le libre ne serait-il pas finalement un peu gratuit ? Faut-il rejeter cet aspect ou le valoriser ?
Dans le monde du libre, la cause semble entendue : libre ne veut pas dire gratuit. Mais qu'entend-on par là ? Que produire du libre a un coût ? Que ce n'est pas désintéressé ? Que cela peut être rentable ? Ou encore, que libre n'équivaut pas au libre-accès ?
En réalité, tous ces arguments n'excluent pas la gratuité, et de fait, la culture libre présente une composante gratuite forte et repose largement sur l'économie du don.
Alors le libre ne serait-il donc pas finalement un peu gratuit ? Et faut-il rejeter cette dimension ou au contraire la valoriser ?
Transcription
Bonjour à tous.
Je propose aujourd’hui une présentation sur la question de liens qu’il peut y avoir entre gratuité et culture libre.
Je suis sociologue, je travaille notamment sur ces deux thèmes-là depuis plus d’une dizaine d’années. J’étais venu il y a trois ans faire une table ronde sur Wikipédia, avec Olivier ici présent, j’avais fait mon travail de thèse dessus. On avait abordé la question des relations entre gratuité et culture libre. Je m’étais aperçu qu’il y avait quand même pas mal de choses qui sont un peu déconnantes sur le sujet dans la culture libre, pas mal de libristes ont une vision parfois un peu hostile à la gratuité.
Déjà, pour vous montrer, j’ai pris des extraits que j’ai trouvés sur Internet. Je sais que vous n’arrivez pas bien à lire, surtout que c’est écrit petit.
Il y a évidemment les déclarations de Richard Stallman sur la différence entre free speech et free beer, on va y revenir. Il rappelle, par exemple, que « le mouvement du logiciel libre agit pour promouvoir la liberté et non la gratuité ». C’est déjà une première opposition. OK, on est pour la liberté mais la gratuité, pas trop.
J’ai pris un autre extrait : « Le mouvement open source, en Europe, a souffert d’être considéré comme la version gratuite des logiciels. Le sentiment était que l’open source ne permettait que de réduire les coûts. » À nouveau on a une vision un peu négative du truc.
Là, par exemple, troisième exemple, « le logiciel open source n’est pas complètement gratuit. Quelqu’un qui veut construire un logiciel doit ensuite le maintenir, l’exécuter, le gérer. » Pourquoi ai-je mis cet exemple ? Parce qu’il y a une justification du fait que ça ne va pas être complètement gratuit.
Après j’ai pris des commentaires, un sur une page d’un article sur ZDNet : « Les avantages de l’open source sont évidents. On peut invoquer la gratuité. Rien n’est gratuit en entreprise privée et publique et il faut bien mettre l’accent en premier lieu sur les ressources humaines en développement, en maintenance, en formation, etc. ». Là encore ça ne peut pas être gratuit parce qu’il y a des coûts.
Public : J’ai deux/trois phrases en plus pour compléter, si tu veux, après.
Benjamin Grassineau : Carrément. J’espère qu’on aura le temps de discuter, je vais essayer de me dépêcher.
Évidemment il y a le fameux adage martien, on ne sait pas trop d’où il arrive « si c’est gratuit c’est vous le produit ».
Public : Il n’y a de fromage gratuit que dans les pièges à rat, ça ressemble à la dernière, par rapport à la gratuité des GAFAM.
Quelque chose peut être gratuit à partir du moment où il a été payé ; c’est dit un petit peu entre les lignes, mais c’est l’idée.
Paul ??? a dit, il n’a pas pensé comme moi, en tout cas comme je l’entends : « je veux parler à tous ceux pour qui tout ce qui n’est pas gratuit est trop cher ».
Benjamin Grassineau : C’est subtil.
Public : J’en ai peut-être une autre, mais je l’ai oubliée.
Benjamin Grassineau : En tout cas on voit bien que la question se pose notamment avec les GAFAM.
Public : Si c’est gratuit c’est sans doute de la merde, c’est la phrase qu’il disait beaucoup aussi.
Benjamin Grassineau : Oui, ça a aussi un impact négatif sur le Libre par ricochet.
Public : On peut conclure. Tout a été dit.
Benjamin Grassineau : Cela dit, vous avez le droit de partir quand vous voulez ! Vous pouvez sortir sans payer !
Je vais revenir sur la déclaration de Richard Stallman This is a matter of freedom, not price, so think of « free speech », not « free beer ». En gros quand on parle du Libre, on parle de parole libre et pas de bière libre, pas de bière gratuite on va dire.
Public : Ça rend bien en anglais parce que c’est free, c’est le même mot dans les deux cas.
Benjamin Grassineau : Tout à fait.
Je disais que ça donne en général lieu à trois interprétations possibles.
On pourra dire qu’un bien libre – j’ai mis bien au sens large, ça peut être aussi de la musique, ça peut être tout ce qu’on a l’habitude de mettre sous licence de libre diffusion – ce n’est pas nécessairement gratuit. C’est un peu la proposition que j’ai appelé la proposition faible, c'est-à-dire que libre et gratuit sont deux caractéristiques indépendantes. On peut avoir un logiciel libre et gratuit, un logiciel qui n’est pas libre mais qui est gratuit, etc.
Il y a aussi une position peut-être plus normative, qui va être plus hostile à la gratuité, on va dire que le Libre doit vraiment éviter la gratuité. On va dire que ça le corrompt d’une certaine manière, il y a une vision en opposition.
Enfin, on va pouvoir entendre aussi des choses assez courantes, ce n’est pas limité à la sphère de la culture libre, on les entend un peu partout : ce n’est jamais gratuit parce que la gratuité c’est une illusion. Il ne faut pas être naïf, l’être humain est trop intéressé, mauvais, pour filer ses baskets gratos !
Partant de là, je poserais quand même quelques questions.
On va dire que libre et gratuit c’est complètement indépendant. Si on partait de cette hypothèse, on pourrait en tirer deux conclusions : ça serait presque aléatoire, finalement, que ce soit payant ou gratuit, c’est le hasard qui joue et, dans ce cas-là, on devrait avoir des logiciels libres qui sont moitié/moitié, autant de logiciels libres payants que gratuits. Je pense qu’il y a quand même plutôt une dominance des logiciels libres gratuits. Sinon le logiciel libre devrait suivre une tendance globale, qu’on va retrouver un peu dans la société en général, c'est-à-dire qu’un produit a plutôt tendance à être payant que gratuit.
Pareil, si le payant c’est un objectif moral, si c’est vraiment quelque chose à éviter, pourquoi va-t-on retrouver tant de logiciels, tant de projets en général qui ont un fonctionnement quand même pas mal basé sur la gratuité. On verra à la fin quelques exemples.
Et enfin, on peut se poser la question : si rien n’est gratuit, est-ce que le concept a tout simplement un sens dans ce cas-là ? On peut peut-être le jeter à la poubelle ! Est-ce que c’est juste une proposition qui est creuse ?
Partant de là j’ai avancé trois propositions.
Un bien qui est sous licence libre, en fait, il est par définition gratuit, je vais essayer de vous le montrer, on pourra en discuter.
L’idée que rien n’est gratuit, ce n’est ni vrai ni faux, on ne peut pas s’appuyer là-dessus pour tenter de discréditer des choses qui sont proposées gratuitement.
Je pense que la gratuité est quelque chose qui devrait être valorisée dans la culture libre au lieu d’être souvent rejetée.
Pour essayer de montrer tout ça, on va s’intéresser rapidement à ce à quoi renvoie le terme gratuit.
Le terme gratuit est polysémique et peut prendre, en gros, quatre significations :
soit ça correspond au libre accès ;
soit ça va correspondre à l’absence de coût : quelque chose est gratuit quand, en gros, ça ne coûte rien ;
c’est aussi l’absence d’intérêt, dans ce cas-là on parlera plus de gratuité en disant qu’une action gratuite est désintéressée, par exemple la violence gratuite. Je travaille dessus en ce moment, mais ça va, je suis non violent ;
et une définition qui là est plus juridique, c’est l’absence d’obligation de contrepartie.
Quand on va parler de gratuité, ça peut aussi renvoyer à divers processus, par exemple la production du bien :
est-ce que la production est gratuite ? en gros est-ce que c’est, par exemple, basé sur bénévolat ;
est-ce que c’est l’acquisition ?, on peut faire de la bière gratuitement ;
est-ce qu’il va s’agir du service, de certains usages, etc. ?
En fait, on va retrouver tous ces arguments un peu mélangés dans le discours de la culture libre. Par exemple : la gratuité ce n’est pas possible parce qu’on ne peut pas produire un logiciel gratuitement, ça a toujours un coût. On trouve aussi, par exemple des universitaires comme Jean Tirole, qui a un peu cette idée : les développeurs ont l’air de donner leur contribution gratuitement à la communauté, mais, en fait, ce n’est pas désintéressé, ils le feraient, par exemple, pour accroître leur réputation. On peut retrouver ce type d’arguments qui vont mélanger à la fois du libre accès, est-ce que c’est intéressé ou pas, et si c’est intéressé, ce n’est pas gratuit.
Une autre question : quelle définition pourrait-on retenir pour s’appuyer sur quelque chose de plus solide ?
On pourrait être tenté de dire que la gratuité c’est quand il y a libre accès, on aurait un accès libre à une ressource ou à un service. En fait, cette définition pose pas mal de problèmes, parce que ça peut donner juste l’illusion de la gratuité. Typiquement vous vous asseyez à une terrasse de café. On reprend l’exemple du Martien qui arrive qui se pose à une terrasse du café, tout va bien, il vient de débarquer sur la Terre et, en fait, le serveur arrive « non, non ! C’est payant ! ». Donc quelque chose peut être en libre d’accès mais n’est pas pour autant gratuit.
Pareil pour l’abonnement : ça peut donner l’impression d’être gratuit, sauf qu’il va falloir payer une fois. On va retrouver toutes ces simplifications dans le discours d’une manière générale : « j’ai un abonnement, c’est gratuit », on entend souvent ce genre de truc.
Il y a la question des services publics, qui sont une situation un peu proche de l’abonnement, c'est-à-dire que je vais bénéficier d’un service en libre accès, mais je vais le payer indirectement ; en gros, il va y avoir mutualisation du financement avec les autres usagers.
On peut avoir, c’est plus ce dont on parlait au début, un service qui est fourni avec de la publicité ou avec de la collecte de données en arrière plan.
Il y a aussi l’idée que pour que ce soit gratuit il faudrait qu’il y ait une absence de coût.
On retrouve souvent l’argument, pour la rémunération d’un projet, d’un appel à don. Par exemple, sur le projet Framasoft, si vous allez dans la partie donation, vous lirez que Libre ne veut pas dire gratuit. Il est sous-entendu qu’en fait ça a un coût, ce n’est pas gratuit. Le développement du logiciel a un coût.
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On pourrait dire que le critère a des limites un peu philosophiques, que toute action, d’une manière générale, va générer un coût. Là vous m’écoutez, ça a un coût, il faut respirer, etc., n’arrêtez pas ! De toute façon vous n’y échapperez pas ! Donc tout a un coût. On va dire que la question est de savoir qui le prend en charge et comment ce coût va être perçu.
Par exemple j’ai fait une ballade à pied, c’est soit une heureuse fatigue quand c’est le soir, soit malheureusement une corvée pénible quand il faut aller chercher de l’eau au puits. La notion peut balancer d’un côté ou d’un autre. Ce n'est pas quelque chose sur lequel on va pouvoir s’appuyer de manière vraiment solide.
Ensuite, troisième possibilité. On pourrait s’appuyer sur l’idée que c’est désintéressé donc c’est gratuit. Pour que ça soit gratuit, il faudrait que ça soit désintéressé. Ça suppose, on va dire, l’idée qu’il y aurait une sorte de sacrifice et on va pouvoir capable de générer la perte que ça a causé, la perte que ça vous cause. Pour revenir au développement d’un logiciel, ça pourrait être : j’ai passé beaucoup de temps, etc., je l’ai fait de manière désintéressée, altruiste, je donne tout à la communauté.
Le problème de ce type de raisonnement c'est qu’en fait ça pose des problèmes un peu comme la question de coûts, ça pose des problèmes un peu théoriques. On voit une action qui est faite de l’extérieur, on va dire « en fait il a fait ça parce qu’il en tire un profit indirect ». Les psychanalystes, par exemple, sont très forts là-dessus. C’est une chose sur laquelle on peut difficilement s’appuyer.
J’ai mis aussi que c’est compliqué parce que si on veut vraiment essayer de montrer qu’une action est désintéressée, il faudrait déjà être sûr qu’on sait pourquoi on a fait quelque chose et, parfois, ce n’est pas toujours évident. On rentre dans une action et, au fur et à mesure, peut-être qu’on va y trouver un intérêt. Quand j’ai commencé à contribuer à Wikipédia, au début c’est un peu ce qui m’est arrivé, j’ai commencé par hasard, etc., et, au fur et à mesure j’ai commencé à y trouver de la motivation, à trouver un sens à ce que je faisais. Au départ je ne me suis pas dit « je vais faire ça comme ça je ferai une conférence là-dessus, etc. », je n’ai pas réussi à anticiper à ce moment-là.
C’est pour ça que ça pose des problèmes qui peuvent être très complexes. D’ailleurs il y a même un champ de la philosophie, la philosophie d’action, qui réfléchit un peu à ces sujets et ça donne super mal à la tête. Pour dire qu’on ne pourra dire pas dire de l’extérieur « ça c’est vraiment quelque chose de gratuit, ou pas. »
Par contre, la quatrième signification, on va dire la définition juridique qui, pour le coup, est nettement plus opérationnelle. On définit la gratuité comme l’absence d’obligation de contrepartie. C’est une définition est un peu compliquée mais la gratuité c’est est-ce qu’on est libre de faire l’usage d’un bien ou d’une ressource sans être contraint de redonner quelque chose en échange, par exemple un contrat qui oblige factuellement à céder un objet en échange. C’est une définition. Juridiquement on a des éléments qui permettent de distinguer entre, par exemple, plusieurs actions, par exemple ??? vous est proposé si c’est gratuitement ou pas.
Partant de cette idée, on entend généralement que « le Libre ne serait pas gratuit ». D’ailleurs, quand on veut expliquer à quelqu’un ce qu’est le logiciel libre, la culture libre, on va généralement commencer par là, en disant que le Libre ce n’est pas gratuit. Malheureusement, je trouve que ce n’est pas si évident que ça. Si on prend déjà la partie immatérielle, si on prend une œuvre de l’esprit sous licence de libre diffusion, il n’y a pas d’ambiguïté sur le plan légal. Ce qui va la caractériser, c’est que vous disposez d’un certain nombre de droits sur cette œuvre et vous pouvezréaliser ces droits gratuitement, les faire valoir gratuitement.
Ça ne signifie pas pour autant que cette œuvre de l’esprit va être forcément disponible, c’est une autre chose sur laquelle on va pouvoir revenir, en tout il y a déjà une différence de fond. J’ai pris un DVD, ma fille adore Princesse Mononoké. On a tout simplement marqué dessus : « Ce DVD ne peut être exporté, revendu et distribué, etc. L’acquisition de ce DVD ne confère à l’acquéreur aucun droit de diffusion ou de représentation publique, même à titre gratuit, etc. » En fait c’est déjà une différence de fond. Ça n’a l’air de rien, mais s’il y avait une distribution libre sur ce DVD ou un open ??? [21 min 50], vous auriez le droit de le distribuer gratuitement ou de faire certaines choses gratuitement avec ça. Juste pour dire attention.
Je comprends bien l’idée de pouvoir expliquer ce qu’est que le logiciel libre, dire qu’une bière gratuite, une bière libre et un discours ce n’est pas la même chose.
D’ailleurs, dans les versions 1 et 2 de la licence AGPL, on a une phase pas trop ambiguë là-dessus : « BECAUSE THE PROGRAM IS LICENSED FREE OF CHARGE, THERE IS NO WARRANTY FOR THE PROGRAM », c’est-à-dire qu’on peut casser son ordinateur gratuitement.
Je t’écoute.
Public : Je voulais préciser qu’à un moment donné il faut distinguer deux choses : il y a la licence de l’œuvre dont on parle, la manière dont elle peut être considérée comme gratuite. Par exemple, si j’achète un livre que quelqu’un a imprimé, qu’il a édité, qui est basé sur une œuvre libre, le bouquin doit être gratuit ; c’est vrai pour un fichier qui est basé sur une œuvre libre. Si moi je suis l’acquéreur de ce fichier et que je décide de faire un service payant pour héberger ce fichier, vu que l’œuvre est libre, il faudra bien que je paye mes chercheurs donc que je fasse payer l’accès au service. Je pense qu’il faut distinguer les deux et l’important dans le Libre, c’est mon point de vue personnel, c’est la liberté. Donc si je veux que mon logiciel libre soit gratuit ou pas, c’est à moi de le choisir et l’important est là.
Benjamin Grassineau : J’en parle juste après.
En tout cas la question c’est qu’à partir du moment où vous mettez vos œuvres sous une licence de libre diffusion on va dire, pour être le plus large possible, vous autorisez l’usager potentiel de votre œuvre à faire certaines choses gratuitement. Je pense qu’il faut quand même bien le préciser.
Pour répondre à la question de la différence entre bien matériel et bien immatériel.
Public : Il y a un bien matériel aussi dans la distribution d’un bien immatériel. J’ai travaillé dans la presse pendant quelques années en tant que journaliste. Quand on produisait de l’information, cette information a un coût et on nous expliquait qu’elle pouvait être gratuite, cette notion de gratuité des choses m’intéresse beaucoup pour ça. On considère que l’information doit être quelque chose de gratuit, parce que c’est censé être un bien commun, ce genre de chose. Mais la distribution de ce bien, c’est-à-dire le fait d’avoir des serveurs, d’avoir un site, d’avoir des développeurs qui travaillent dessus a un coût. La distribution du bien physique, même si c’est une œuvre libre peut avoir un coût, on peut considérer que ce n’est pas gratuit.
En fait, j’ai trouvé un peu bizarre tout à l’heure quand vous avez dit que la gratuité avait tendance à dénaturer les choses ou à les compromettre dans l’esprit des gens du Libre. J’ai plutôt l’impression que c’est l’inverse :quand on essaye de faire payer des choses qui sont sous licence libre, on peut donner l’impression que c’est dénaturé, je ne vois pas l’inverse. Je ne connais pas des gens qui se considèrent comme libristes qui disent que ce qui est gratuit c’est mal.
Benjamin Grassineau : Moi j’ai quand même souvent entendu ce discours. Je suis d’accord que c’est partagé, j’ai caricaturé un peu.
Public : J’ai l’impression que ça dépend si on produit du Libre en tant que bénévole ou si on essaye d’en vivre.
Public : Chez Framasoft ils sont bénévoles en partie.
Public : Oui. Par contre, quelqu’un qui voudrait vivre de son activité et, en même temps qui a envie de verser au pot commun pour des raisons de choix politique, éthique, etc., ce qui se passe c’est que ça devient compliqué.
Public : J’ai travaillé dans la presse engagée pendant 20 ans, on peut avoir des choix politiques, mais quand il faut y consacrer toute sa journée ! Moi je veux bien être bénévole toute la journée, mais à la fin du mois, il faut pouvoir ??? [26 min 40]. Il y a aussi ça comme arbitrage.
Souvent, dans la gratuité du logiciel libre, on dit que c’est quelqu’un d’autre qui paye. De grandes entreprises vont payer pour que des développeurs de chez eux aillent produire du logiciel libre. C’est aussi une question d’intérêt.
Benjamin Grassineau : J’essaye d’apporter des outils d’analyse pour essayer de voir le problème un peu différemment et sortir du dilemme.
Quelle est, par exemple, la différence entre un logiciel libre et un graticiel, je ne sais pas si ça se dit encore ? Il y a de la gratuité dans les deux cas, simplement elle ne va pas porter sur les mêmes choses. Dans un graticiel en général, arrêtez-moi si je me trompe, ça va plutôt porter sur les binaires, le logiciel qui est déjà compilé.
Public : Et sans les autres libertés, par exemple sans le droit de redistribuer.
Benjamin Grassineau : Ça dépend. On peut potentiellement avoir un graticiel qu’on peut redistribuer, ça pourrait.
Public : C’est rare ! Si on prend les gros gratuiciels utilisés. Thomson ou des trucs comme ça, on n’a pas le droit de les redistribuer.
Benjamin Grassineau : Si le développeur a envie que ça se diffuse, je pense qu’il est capable potentiellement. Par exemple, tout ce qui est logiciels qui servent pour du réseau ou des choses comme ça, pour construire du réseau on pourrait éventuellement envisager que vous êtes libre de le redistribuer, allez-y.
Public : En général, le service marketing ne veut pas, ne serait-ce que des raisons de statistiques ou de trucs comme ça.
Benjamin Grassineau : Certainement. C’est que j’ai mis en général, en général ça se limite. Je pense qu’à ce niveau-là c’est intéressant de reprendre l’analyse qui est faite en droit où on distingue l’usus, le fructus et l’abusus dans la propriété privée. L’usus c’est de faire l’usage d’un bien, le fructus c’est d’en tirer des fruits, l’abusus ça va être, par exemple, la possibilité de le revendre, de le détruire.
29’ 12
Dans un logiciel libre, on va dire que l’usus va porter sur le logiciel d’un part et le code source. On peut faire usage du code source et le redistribuer. On peut aussi tirer gratuitement des bénéfices du bien, à moins qu’il ait une licence de non-commercialisation, dans ce cas-là on n’est plus dans du logiciel libre proprement dit. On peut aussi le redistribuer, etc.
Il y a quand même des conditions. On va dire que l’abusus sur le code source, je ne sais pas ce que ça vaut au niveau juridique, ça me paraissait une manière de réfléchir au sujet, c’est quand même limité, pour le coup on ne peut pas redistribuer le bien comme on veut. Il y a des contraintes, par exemple il faut redistribuer la licence avec.
Un des points importants quand même c’est que dans toutes ces libertés, je me répète un peu, ça repose sur la gratuité, c’est-à-dire, par exemple, si vous voulez redistribuer le bien, vous n’êtes pas obligé de demander une autorisation à l’auteur initial et devoir payer. Une des conditions, quand même, il va falloir que vous ayez une copie et ensuite, par exemple si vous voulez utiliser le logiciel, il faut être capable de compiler, dans certains cas, le code source.
L’important c’est aussi que le code source soit disponible. Il y a des contraintes, par exemple dans l’AGPL. Évidemment on ne se base que sur des logiciels, il y a des contraintes qui vont obliger par exemple à rendre le code source disponible quand vous distribuez le binaire.
Je dirais qu’un bien sous licence de libre diffusion c’est pas définition gratuit, mais ce n’est pas que gratuit, c’est plus que ça, ça vous donne d’autres libertés, on vous autorise à faire certaines choses gratuitement. J’ai rajouté, pour bien insister, qu’il faut quand même que, derrière, il y ait une gratuité réelle, un peu comme si on vous enfermait dans une pièce et qu’on vous dise « maintenant tu peux sortir » ; on voit bien, dans ce cas-là, que la liberté est loin d’être réelle.
Je suis super nul pour les Powerpoint, ce n’est pas mon fort.
Ça me pose un peu des problèmes par rapport à la discussion que tu avais, que j’ai souvent entendue, qui rejoint l’idée qu’on va parler de parler bière libre et non de bière gratuite. En fait, si on y réfléchit, fondamentalement ce qu’on retrouve, que ça soit dans un logiciel qu’on va redistribuer, on a un ensemble de droits qu’on va conférer sur un bien. Ce bien peut être tout simplement un téléphone. Ce droit est limité à ce bien, on va dire. Maintenant, si on passe à une catégorie plus large, ça va être par exemple, on va t’interdire certains droits ou on va t’en donner, mais, admettons, sur tous les téléphones. Maintenant on peut aussi élargir. On va dire que ce droit-là tu vas l’avoir sur tous les CD, tous les supports matériels sur lesquels il y a tel code source qui est enregistré. La question n’est pas tant de savoir si c’est matériel ou immatériel, la question c’est que ces droits vont t’être conférés en fonction, on pourrait dire, d’une sorte de marqueur.
Public : C’est parce qu’on n’achète pas le DVD. En fait,on achète un droit de licence quand on achète Princesse Mononoké sur un DVD.
Benjamin Grassineau : Oui, bien sûr, mais j’aurais tendance à dire que ce droit de licence c’est un peu du baratin.
Public : C’est la loi.
Benjamin Grassineau : Oui, mais je pense qu’on peut réfléchir sur ces questions-là.
Public : Ce que vous êtes en train de dire c’est que, du coup, vous pensez qu’on peut déclarer à la place de l’auteur de l’œuvre comment il veut la commercialiser ou la distribuer.
Benjamin Grassineau : Non, pas du tout. L’auteur décide, en gros que, tout support sur lequel il y aura Princesse Mononoké – désolé, je ne veux pas faire la pub mais c'est un bon film – sur tout support de ce type-là il va y avoir un certain nombre de droits.
Si on considère simplement l’œuvre de l’esprit de façon désincarnée, ça n’a pas de sens.
Public : La question est : est-ce qu’on est pour ou contre le droit d’auteur ?
Benjamin Grassineau : Oui, mais ce n’est pas être pour ou contre…
Public : Si Princesse Mononoké aurait dû être gratuit, je ne suis pas sûr qu’il aurait existé.
Benjamin Grassineau : L’idée c’est de dire qu’on se retrouve éventuellement face à un conflit de droits qui vont porter sur un objet.
J’ai pris l’exemple de la photo. Si on prend la photo, c’est un bien matériel. OK, je dirais, sans rentrer dans des questions métaphysiques. Dans le cas le plus simple, elle prise par un photographe, il l’a prise, il en fait ce qu’il veut. Ça va pouvoir se compliquer. Il peut y avoir un conflit entre celui qui a pris la photo et celui qui la possède chez lui par exemple. À qui appartient cette photo ?
Public : Et si la photo a été prise par un singe ; c’est déjà arrivé.
Benjamin Grassineau : Question intéressante, c’est clair. En plus ça se complique si le fabricant de l’appareil photo nous a averti par lettre recommandée que toutes les photos prises avec cet appareil sont à lui, donc il ne vous autorise pas.
Pour revenir à ce que tu disais, peut-être que la justification de ce droit qu’on va te conférer, ou pas, sur un objet, est effectivement justifiée par le droit d’auteur, peut-être à juste titre, il a travaillé, il a mis des brevets sur l’appareil photo, je n’en sais rien, il y a tout un travail derrière. Après là-dessus, on peut imaginer qu’il y a un top-modèle sur la photo qui vient frapper à votre porte, qui réclame son droit à l’image, il y a l’auteur de la photo qui vient réclamer son droit d’auteur, etc. Tout ça pour dire que sur la même partie d’un bien, des droits peuvent entrer en conflit et certains usages du bien vont être autorisés ou non.
Ce qui m’embête dans cette opposition que je trouve un peu factice entre, d’un côté, les biens immatériels qui justifieraient le fait que ça soit gratuit et les biens matériels sur lesquels, par contre, on reste sur du payant. En fait, je ne pense pas que ce soit la distinction qui soit la plus pertinente. Désolé, la démonstration est un peu confuse.
Public : Pour moi il n’y a pas. Les biens immatériels et les biens matériels peuvent être gratuits ou payants. C’est juste que dans l’immatériel on a une facilité de reproduction qu’on n’a pas, sauf avec les NFT, ça plaira à Stéphane [Bortzmeyer] ; globalement il y a une facilité de reproduction. Quand je produis un magazine en PDF, qu’on en distribue un ou qu’on en distribue un million, il y a un coût qui est différent, mais le coût est marginal par rapport au coût de production du magazine par exemple. Il y a des choses qu’on peut prendre en compte. Je dis que, de toute façon, la gratuité ou la non gratuité peut être décidée par la personne qui a produit l’œuvre. Elle peut décider de son modèle économique et, à mon avis, quand on parle de Libre on doit être attaché à la liberté de choix de la personne qui a travaillé.
Par exemple Jean-Baptiste Kempf a fait VLC et a décidé que ce serait gratuit parce que c’est un anarchiste fini ??? [40 min 45], par exemple, mais il aurait bien pu dire si vous voulez installer VLC dans telle condition, quand vous êtes par exemple Free, vous payez VLC ; il ne l’a pas fait, c’est un choix, mais il aurait bien pu décider de le faire, ou les personnes qui ont généré VLC au départ.
Benjamin Grassineau : On a souvent entendu l’argument, cette idée qu’il n’y a pas beaucoup de coût.
Public : Ce n’est pas une idée, c’est un fait.
Benjamin Grassineau : Par contre, ce qui est étonnant dans ce cas-là, c’est pourquoi aujourd’hui on a de plus de plus de biens immatériels qui, pour le coup, deviennent payants, qui ne sont plus en libre accès.
Public : C’est le capitalisme.
Benjamin Grassineau : Je ne sais pas. Dans ce cas-là ce n’est pas une histoire de coût matériel ou pas.
Public : Le prix ce n’est pas le coût, on est d’accord.
Benjamin Grassineau : C’est juste pour dire que la question n’est pas de savoir si c’est matériel ou immatériel, c’est qu’est-ce qu’on autorise en tant que créateur d’une œuvre ou créateur d’un bien. J’ai fabriqué un billard, est-ce que je vais autoriser tout le monde à l’utiliser gratuitement ?
42’ 22
Public, Pierre-Yves Gosset : Je suis complètement largué. En fait, je suis partagé entre soit vous laisser aller jusqu’au bout pour qu’on puisse avoir vraiment un débat tous ensemble, mais est-ce qu’il n’y a pas une énorme confusion ? Quand on dit « le Libre est gratuit », enfin pour moi qui suis libriste, vous avez effectivement accès à ce logiciel gratuit, mais c’est juste parce que je suis feignant. Je dis que ce logiciel est gratuit, vous n’avez pas à le payer, mais je n’ai juste pas envie de prononcer cette phrase en entier. En tout cas, dans mon esprit, jamais ça ne voulait dire « ce logiciel n’a pas de coût ou que les développeurs ou les développeuses qui l’ont fait n’avaient pas d’intérêt à le faire ». Est-ce qu’il n’y a pas une énorme confusion ? Quand on dit gratuité, vous l’avez plutôt bien présenté au début, est-ce qu’on parle juste de coût ou de paiement, etc. ? Je me demande si on ne va pas hyper loin, en plus on bascule sur la propriété intellectuelle, ce qui est encore complètement autre chose.
« Est-ce que le libre est gratuit ? », la réponse est « cette question n’a pas de sens » : en fait, quand on dit « le Libre est gratuit » c’est juste qu’on fait un raccourci. Personnellement je sais que je fais ce raccourci. En tout cas, quand j’explique que tel logiciel est gratuit, ce que je veux dire à la personne mais que je ne prends pas le temps de faire, encore une fois peut-être par fainéantise, c’est « vous n’avez pas à payer ce logiciel, vous pouvez le télécharger gratuitement », ça ne veut pas dire que ce logiciel n’a pas eu de coûts de production. Est-ce que ce n’est pas juste notre fainéantise qui fait qu’aujourd’hui…
Clairement je suis paumé, je ne sais pas si je suis le seul. Ça ne veut pas dire que ce n’est pas intéressant, vraiment je ne comprends pas, du coup je vous laisse finir. J’ai besoin de savoir où vous nous emmenez !
Benjamin Grassineau : Mince, je ne sais pas trop non plus ! Je voulais juste réfléchir sur le sujet. J’ai une expérience notamment sur les espaces de gratuité, je travaille dedans depuis une dizaine d’années.
Par rapport à ce que tu dis, j’ai quand même tendance à penser qu’il peut y avoir un discours un peu hostile à la gratuité, notamment dans l’open source peut-être.
Public, Pierre-Yves Gosset : De qui ? Du public ? Des développeurs ?
Benjamin Grassineau : Je ne sais pas, des développeurs par exemple. J’ai souvent entendu des discours assez critiques sur le sujet. On n’a pas la même expérience, je suis peut-être plus sensible à ça.
Public : Je rebondis sur ce que dit le camarade, sur le fait que c’est à l’auteur de choisir la licence et les conditions d’utilisation du logiciel par exemple.
Je pense que c’est un peu plus compliqué que ça. Ça me parait compliqué de laisser reposer sur la responsabilité individuelle un modèle sociétal au final, parce que tout est payant. On dit que c’est gratuit mais oui, il y a eu un coût avant donc quelqu’un a payé ce coût-là, a payé des gens, a payé des serveurs, tout ça. Du coup ça me parait compliqué de laisser cette responsabilité sur la personne qui développe le logiciel, sachant qu’en plus ce sont souvent plusieurs personnes ; ce sont des discussions collectives et des prises de décision qui ne concernent pas qu’une seule personne. En plus de ça, j’ai un peu l’impression que c’est un peu pour dire, finalement, bien matériel/bien immatériel même combat, pourquoi l’un est gratuit et pas l’autre.
Je pense que ça permet et c’est peut-être intéressant d’essayer de réfléchir de manière plus large aux conditions de production et aux conditions d’achat. Pourquoi, au final, il y a des logiciels payants, tout simplement.
Benjamin Grassineau : Exactement. On peut aussi réfléchir sur la question sociétale comme tu dis, il y a quand même un engagement politique très fort, on va dire dans la banche du logiciel libre qui est assez politisée, notamment dans les discours de Stallman. Dire que l’usager a des droits, ces droits doivent être respectés, peut-être que c’est lié à la notion de copyright qui est une sorte de contrat entre les deux parties.
Public : Il ne faut pas mélanger les deux. Le droit d’auteur est quelque chose qui existe et qui s’étend pendant un certain temps, par exemple ; c’est un choix de la société qui protège l’auteur pour un certain nombre d’années. Des conditions peuvent être mises en œuvre par la personne, l’auteur ou l’équipe qui a généré le logiciel, qui peut prendre une décision, mais la société peut décider que malgré cette décision, à un moment donné, ces droits s’appliquent. On paye quand même pour acheter la bible ??? [47 min 12]
Benjamin Grassineau : La question qu’on peut se poser c’est aussi pourquoi, dans ce cas-là, si on a un discours qui revendique un peu des libertés sur l’usage de logiciels, d’œuvres de l’esprit, pourquoi n’appliquerait-on ces revendications à la sphère matérielle, finalement. Tout ce qu’on dit tout l’heure, tout ce qu’on sait sur le logiciel libre, la liberté d’usage, la liberté de modification, la liberté de redistribution, si on met de côté la distinction matériel/immatériel en disant que ce n’est pas forcément ça qui est le plus pertinent, dans ce cas-là pourquoi est-ce qu’on limiterait simplement au domaine du discours, on va dire, cette liberté-là ?
Public : La raison pour laquelle ça s’applique surtout aux logiciels et aux œuvres intellectuelles, et pas forcément aux œuvres matérielles, c’est pour les facilités de reproduction et de modification. Une œuvre immatérielle va être disponible à n’importe qui ayant un ordinateur, alors que, par exemple, reconstruire une voiture, il faut toute une usine que les gens n’ont pas chez eux, alors que les gens ont de quoi recompiler un logiciel sur leur ordinateur. C’est pour ça que le combat est d’abord passé par là, mais derrière, je pense que la plupart des libristes aimeraient aussi que le matériel soit aussi des plans de construction qui soient complètement libres.
Benjamin Grassineau : Sur cette question du coût, je pense qu’il y a quand même deux réponses possibles. On peut dire, effectivement, que le coût est moins élevé pour la reproduction d’un logiciel, mais on a beaucoup d’exemples dans la sphère matérielle pour le coup, où le coût d’acquisition d’une ressource est globalement très faible et pourtant on va quand avoir une prédominance d’un marché sur des ressources du même type. Est-ce que cette histoire de coût est vraiment pertinente ? Je ne sais pas.
Public : En fait, je suis complètement naïve dans le domaine technique, mais pour revenir un peu sur la portée sociétale, je me demande si, comme on est en train de parler de compétences techniques qui ne sont pas épuisées ???[ 50 min 10] par les salaires, je veux dire les compétences professionnelles liées à la technique, en gros les valoriser au niveau du salaire. J’ai l’impression que ça fait écho à certains autres domaines professionnels où il y a aussi des copies entre bénévoles et salariés, du coup il va y avoir un regard négatif sur le fait d’avoir certains services gratuits, parce que, pendant ce temps-là, ça précarise un peu certains domaines, ils sont très touchés par ça par exemple dans le domaine du care. Du coup je me demande aussi s’il n’y a pas, peut-être, une précarité plus grande qui arrive même dans les compétences trop techniques. Certains techniciens, entre guillemets « pour vraiment caricaturer », commenceraient à avoir ce regard un peu négatif sur le Libre gratuit parce que c'est une manière de brader leurs compétences ou, en gros, cela légitime le fait qu’on abaisse leurs ressources économiques par rapport aux compétences qu’ils développent. Je ne sais pas.
Benjamin Grassineau : Tout à fait. Ça peut être aussi une explication. C’est une explication qui me paraît sans doute plus pertinente. En fait pourquoi est-ce que la gratuité va pouvoir par moment être jugée négativement c'est parce qu’elle fait concurrence à des pratiques marchandes. C’est ce qu’on peut observer d’ailleurs dans d’autres domaines.
Public : C’est peut-être nouveau aussi parmi la communauté libriste, je n’en sais rien, il faudrait peut-être demander à des personnes plus jeunes qui ont rejoint ces communautés avec le contexte socio-économique dans lequel on est actuellement, qui fait peut-être pression au niveau des reconnaissances salariales derrière.
Benjamin Grassineau : Par rapport à ce que j’ai posé un peu sur le fait que la gratuité pourrait, au contraire, être valorisée, moi je pense que c’est quelque chose à valoriser dans la culture libre. On a des exemples d’organisations qui ont choisi ce modèle-là, qui fonctionnent très bien. Il y a Wikipédia, il y a Framasoft. Tu n’es pas d’accord ?
Public, Pierre-Yves Gosset : Hashtag c’est compliqué.
On vit avec du don contre don. On sait qu’on fait des choses mais, encore une fois, ce n’est pas gratuit, on donne des choses gratuitement, mais du coup, je suis assez d’accord, il y a une question de comment est-ce qu’on rémunère les gens. Du coup on vous fait des choses et vous faites des dons.
Encore fois, je pense qu’il y a une confusion de départ sur les questions sémantiques.
Benjamin Grassineau : J’ai essayé de montrer qu’il y en a une justement.
Public, Pierre-Yves Gosset : Tout à fait. Je pense vraiment qu’on utilise le mot gratuit sans préciser de quoi on parle, est-ce qu’on parle d’un prix de vente, est-ce qu’on parle d’un coût de production, etc. ? C’est justement très différent par rapport à ce qui vient d’être dit. Je suis d’accord qu’il faut bien trouver les moyens de rémunérer les gens qui le font, mais ils le font aussi par intéressement. En fait, tout ça se chevauche et ce n’est pas si pire. Je pense que nous sommes nombreux ici à le dire plutôt bien !
Public : Pour distinguer quand on parle du financement du logiciel, il y a deux étapes. Il y a une étape mise à disposition et il y a la maintenance. Ce sont deux activités complètement différentes. La mise à disposition on l’a faite parce que ça nous plaît, en plus ça nous débarrasse et c’est facile, on n’a pas [54 min] et tout ça. La maintenance c’est autre chose et c’est vrai qu’il y a un gros reproche aujourd’hui, plein de gens posent des questions, demandent comment ça marche, disent que ça ne marche pas, je voudrais que ça fasse ça, et ça bouffe le temps des gens qui ne peuvent pas faire autre chose, et là leur hobby, souvent c’était un hobby, devient un job.
C’est dommage, ça n’ait pas été abordé, mais le travail de maintenance est souvent vraiment très lourd dans les communautés libres, là où le travail de mettre à disposition un projet se fait sur un week-end et parfois ??? [54 min 30], limite on s’en fiche, c’est juste mettre ça dans un coin et c’est accessible.
Le postulat de départ était que la gratuité dans le Libre est mal vue, mais je pense que ce n’est pas mal vu dans le sens où on met le projet à disposition et on s’en fiche que ça soit gratuit ou payant. Ce qui serait peut-être mal vu c’est le fait que le support soit gratuit, aujourd’hui ça bousille les gens.
Public : Il faut surtout répondre vite !
Public : Il faut répondre vite, il faut répondre à tout le monde, si on ne répond pas on se fait insulter. Ce sont un peu des commentaires YouTube mais sur GitHub.
Benjamin Grassineau : Ça se calque progressivement sur une logique de services.
Public : C’est ça.
Benjamin Grassineau : Est-ce qu’une logique de services est compatible avec un modèle qui fonctionne sur la gratuité ? Pour le coup, de l’expérience que j’ai dans les espaces de gratuité, je sais que c'est pareil, c’est quelque chose qui peut couler un projet, en tout cas dans sa dimension gratuite.
Je t’écoute
Public : Il y a tout un tas d’entreprises aujourd’hui qui se lancent sur du logiciel libre mais en vendant du service. Par exemple, à Framasoft, je sais que vous avez bossé à développer des fonctionnalités, du support, c’est très minime, c’est petit.
Public, Pierre-Yves Gosset : C’est 2 %. Nous, encore une fois, c’est don contre don..
Public : Il y a un modèle économique d’entreprise qui peut se faire sur la partie support. Il y a même tout un tas d’entreprises, y compris les GAFAM, qui sont les plus gros investisseurs dans l’open source.
Public : Tu prends le modèle de VLC, il y a des entreprises qui font du service autour de VLC et ses clients ce sont Facebook et Netflix par exemple. Pas que, il y a aussi des gens qui sont bien !
Benjamin Grassineau : C’est la fin. J’ai essayé d’apporter des éléments de réflexion, je n’ai pas non plus de réponses. Juste pour terminer sur l’idée, qu’à mon avis, la gratuité est quelque chose à défendre dans le logiciel libre. Peut-être faire attention au discours, parce qu’il peut y avoir effectivement des confusions liées notamment à la polysémie du terme qui, à mon avis, peuvent avoir un impact pas forcément positif. Il faut se méfier parce que, derrière, il y en a pour qui c’est un problème et qui attendent en embuscade.
Merci
[Applaudissements]