Table ronde : logiciels libres et collectivité locales

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Titre : Table ronde : logiciels libres et collectivités locales

Intervenant·es : Claudine Chassagne - Nicolas Vivant - Sébastien Saunier - Philippe Scoffoni

Lieu : Lyon - Rencontres Professionnelles du Logiciel Libre

Date : 15 mai 2024

Durée : 46 min 33

Vidéo

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : À prévoir

NB : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·es mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Philippe Scoffoni : On va attaquer cette table ronde avec un peu plus de temps que pour les petites conférences. On a trois invités, aujourd’hui, qui vont venir nous exposer un peu leurs retours d’expérience autour du logiciel libre dans leurs collectivités. Dans un premier temps, je vais les laisser se présenter chacun.

Sébastien Saunier : Sébastien Saunier DSI de la ville de Mions

Claudine Chassagne : Claudine Chassagne, je suis élue, en charge du numérique entre autres, dans une petite commune de l’Isère.

Nicolas Vivant : Nicolas Vivant, je suis directeur de la stratégie numérique de la ville d’Échirolles en Isère.

Philippe Scoffoni : Très bien. Merci.
Une première question pour ouvrir un peu le bal : aujourd’hui, de part votre expérience, peut-on dire que c’est plus simple de faire du logiciel libre en collectivité qu’il y a dix ans ? Qui veut commencer là-dessus ?

Nicolas Vivant : Je peux répondre rapidement pour dire que oui, c’est plus simple. C’est plus simple parce qu’il y a une plus grande maturité des produits, qu’un certain nombre de produits sont devenus des standards dans les DSI, indépendamment du fait qu’ils soient libres ou qu’ils ne soient pas libres, et puis on est à un tel degré de maturité qu’on a, aujourd’hui, le choix dans les produits. Il y a dix ans, quand on avait un produit qui marchait bien dans un domaine particulier, on était content. Aujourd’hui, on en est à s’engueuler pour savoir si avec Nextcloud il faut mieux mettre OnlyOffice ou Collabora. On est donc dans cette situation. Aujourd’hui, on a le choix des outils, avec des chapelles même, c’est assez marrant, des choix. Par exemple sur les messageries, on voit bien qu’il y a les pro-Zimbra, les pro-Bluemind, les pro-SOGo, les pro-je ne sais quoi. On a plein de solutions open source de messagerie, il y a dix ans les choses étaient beaucoup plus compliquées.

Philippe Scoffoni : Et sur le plan de déploiement, organisation ?

Claudine Chassagne : Je dirais qu’au niveau technique, oui, c’est indéniable, on a fait quand même beaucoup de progrès, en particulier sur les adhérences des applications métier, par exemple, puisque, maintenant, ce sont des applications web. Au niveau technique, sur le la maturité des applications, c’est indéniable, on a fait quand même pas mal de progrès.
Au niveau politique, c’est oui et non, parce qu’il y a 10 ans, il y a presque 20 ans, on avait la circulaire Ayrault, on avait la loi pour une République numérique, on avait un engouement par rapport à ça. Aujourd’hui on a des directives, on a des encouragements, mais on a rien de vraiment bien précis, et même au niveau politique local. On a des élus, on a une équipe d’élus qui est très orientée sur la transition, sur la transition numérique, sur le pacte de la transition, par contre, quand il faut utiliser des logiciels libres, ils arrivent avec leurs habitudes et, au niveau des usages et des habitudes, on a des agents et on a des élus qui sont fortement impactés par les usages de ce qu’ils ont eu dans le milieu professionnel et là c’est difficile, on a l’impression d’avoir une régression. Donc, c’est oui et non, c’est mitigé pour moi.

Sébastien Saunier : Finalement je vais te rejoindre, l’évolution en 10 ans, effectivement techniquement, pas de soucis.
Sur les mentalités, ça n’a pas forcément toujours évolué, ça dépend du contexte, peut-être politique, qu’on peut avoir. Il faut toujours, entre guillemets, « se battre » pour défendre le Libre, en tout cas de par notre expérience, et peut-être même de plus en plus. Après, il y a des vagues, mais il y a quand même encore du job à faire pour continuer comme ça, déjà.

Nicolas Vivant : On peut dire qu’il y a quand même deux situations qu’on rencontre souvent : la situation où on a des élus qui sont très porteurs et des services qui ont du mal à suivre et à mettre en œuvre, ou, inversement, des DSI qui poussent avec, au mieux, une bienveillance des élus, mais pas forcément de soutien. Après, j’ai la chance de travailler dans une collectivité où toutes les planètes sont alignées, c’est peut-être pour cela que, du coup, cette problématique est un peu moins prégnante pour moi, mais oui, c’est encore très fréquent, bien sûr.

Claudine Chassagne : Comme disait Sébastien, rien n’est jamais acquis. On peut avoir une situation favorable à l’instant t, et puis ça peut changer avec changement de mandature et on revient en arrière. Ce qui est très difficile c’est de tenir dans la durée.

Nicolas Vivant : En même temps, c’est bien que les hommes politiques aient un peu la main sur ce qu’ils décident de faire. Je ne fais pas partie de ces gens qui pensent qu’il faudrait les obliger, au nom d’une espèce de truc « c’est mieux, c’est moral » je ne sais pas quoi. Qu’un macroniste fasse du macronisme, je trouve que c’est plutôt cohérent, s’il souhaite travailler avec Microsoft et des startups bizarres, c’est un choix quoi, c’est bien qu’il ait ce choix-là. Après, à nous de faire le meilleur travail possible pour que, justement, il n’y ait pas de tentations de revenir en arrière. Si vous mettez en place quelque chose qui marche parfaitement, tout le monde est super content et tout le monde a le sentiment d’avoir une DSI qui est au service des agents, qui est innovante dans ce qu’elle propose, il n’y a pas vraiment de raison de faire marche arrière, à moins de vouloir absolument ou d’avoir des intérêts économiques ou des trucs chelous. Sinon, c’est aussi notre responsabilité de faire en sorte que dans nos stratégies de déploiement, de communication et tout ça, les choses se passent bien.

Philippe Scoffoni : Il y a donc une articulation à mettre entre le politique, l’organisation. Comment gérez-vous ça ?

Claudine Chassagne : Pour ma part, j’ai d’abord eu une expérience en tant que DSI de grande collectivité, dans les années 2000 où on avait mis une stratégie et puis, effectivement, ça a capoté au changement de mandature, c’est donc pour ça, c’est du vécu. Là, je suis élue depuis 2014, on a donc cette politique-là depuis deux mandats, ça nous laisse un petit peu de temps.
Pour moi, ce qui est essentiel, c’est vraiment de travailler en trinôme en fait : entre un élu qui porte les orientations politiques, entre le DSI qui va faire la déclinaison opérationnelle et, surtout, le troisième la DGS, la Direction générale des services qui va entraîner les services, parce que, sans appropriation par les services, on reste sur l’aspect technique ou sur l’aspect politique et, parfois ce n’est pas abouti.

Nicolas Vivant : Et, en tant que DSI, il faut s’adapter : selon qu’on a une DG qui supporte ou pas, la stratégie qu’on va mettre en œuvre ne sera pas la même. Parfois, il ne faut pas dire qu’on fait du logiciel libre, parce que le logiciel libre agit plutôt comme un repoussoir, c’est notamment le cas dans les collectivités qui ont eu une mauvaise expérience sur un produit open source, donc, parfois, il vaut mieux juste ne pas le dire, donc on est vraiment sur les usages et sur le fonctionnel. Après, quand les planètes sont alignées, on peut effectivement y aller un peu plus sur les valeurs.

Philippe Scoffoni : C’est plus facile.

Sébastien Saunier : Sur la partie DG, comme tu disais au début, souvent les DG arrivent avec leur passif, leurs habitudes, les logiciels qu’ils maîtrisent. Ils sont tout en haut, donc, c’est vrai que si ça les dérange de venir s’adapter à l’outil de la collectivité, on va dire qu’ils ont presque les mains libres pour dire « OK, c’est bon, mais on va utiliser l’outil que j’ai l’habitude d’utiliser ». Après, quand on passe un peu plus à la pratique en disant « ça va coûter tant », on arrive à avoir un petit délai. En toute transparence, nous sommes dans ce délai. Nous sommes effectivement en train de nous battre un petit peu, ce n’est pas le bon terme, de regarder les alternatives. On temporise un peu : revenons sur un mode projet, réfléchissons avantages/inconvénients, etc., fonctionnalités, de quoi on a-t-on besoin, poser les choses et ensuite repartir sur une décision.

Philippe Scoffoni : Par rapport à cette instabilité, arrivez-vous à mettre en place des « stratégies », entre guillemets, à votre niveau, pour jouer le long terme ?

Claudine Chassagne : Je voulais juste répondre à Nicolas parce que je n’étais pas d’accord avec lui, sur le fait qu’il ne faut pas dire qu’on fait du logiciel libre. Au contraire, il faut qu’on dise qu’on fait du logiciel libre au niveau politique, au niveau technique, simplement il ne faut pas qu’on utilise les arguments qu’on a utilisés dans le passé, parce que c’est gratuit, etc.
Aujourd’hui, pour dire qu’on utilise le logiciel libre, les enjeux au niveau politique, c’est l’ouverture et l’interopérabilité du système d’information, c’est la mutualisation et l’indépendance technologique et c’est la maîtrise des données. Pour moi, il y a trois enjeux qui sont fondamentaux et qu’il faut justement porter très haut. On parle beaucoup de souveraineté, il faut qu’on réintègre ça même dans nos collectivités.

Nicolas Vivant : Tu as raison. Échirolles ne cache pas qu’on y fait des logiciels libres, sinon je serais pas là en train de parler et, dans les échanges qu’on peut avoir avec les autres collectivités, avec nos élus et tout ça, c’est évidemment un projet qu’on met en avant, on communique suffisamment là-dessus. Je parle plutôt vis-à-vis des utilisateurs, il y a des utilisateurs qui sont des traumatisés de l'open source, le faut le mesurer. J’a un directeur d’école, à Échirolles, qui arrive d’une autre commune où un passage à Linux ne s’était pas très bien passé. Quand il est arrivé, qu’il m’a vu, la première chose qu’il m’a dite c’est « tu ne vas pas nous passer sous Linux ». Je lui ai dit « non, jamais ». Cette personne-là, avant de la passer sous Linux, il y a un peu de travail à faire.
Il y a des façons d’amener les logiciels libres dans les services, en prêchant par l’exemple. Là, nous attaquons le déploiement de Linux, nous l’attaquons avec un plan de volontariat, c’est-à-dire un appel à ceux qui souhaitent avoir Linux et c’est à eux qu’on va l’installer en premier. Pourquoi ? Parce que c’est une façon d’amener Linux doucement dans l’infrastructure, dans le milieu, donc de lever un certain nombre de freins, parce qu’on va avoir des gens qui travaillent, qui utilisent les vidéoprojecteurs, les outils d’édition collaborative, bref !, et puis, parce que ça se passe bien chez le voisin, ça permet de lever un certain nombre de freins. On y va très doucement, on y va, comme ça, avec des gens qui souhaitent passer au Libre avant de s’attaquer à des gens que ça inquiète.
C’est la mise en avant du Libre comme un projet politique. On a plein d’exemples de communes où il y a un fort élan des élus qui poussent vraiment et des services qui n’avancent pas. Ça ne suffit pas de dire « c’est génial, la souveraineté numérique, les données personnelles, et puis c’est cohérent avec notre projet politique ». Il y a plein d’agents qui disent « d’accord, mais ce que je veux c’est bosser » et là vous allez me proposer un truc de clochard ; dans les idées reçues, c’est quand même un peu le genre de truc qu’on entend.

Claudine Chassagne : C’est là où dans la déclinaison opérationnelle, il est très important de conduire des projets de migration qui soient des projets à part entière, c’est-à-dire que ce n’est pas simplement de la technique. Là-dessus, la technique est très simple, il y a 20 % de technique pour l’intégrer, par contre, c’est 80 % d’accompagnement du changement. J’en profite pour saluer Marie-Jo [Kopp Castinel] d’OpenGo : nous savions très bien que la migration vers la bureautique n’allait pas être acceptée puisque le technicien précédent avait mis au point Open Office sur tous les postes, il y avait eu un rejet complet. On a donc lancé ce projet, élus DG et DSI, on a expliqué les enjeux. On a pris un prestataire efficace et compétent et on a créé des petits groupes qui ont réfléchi à comment migrer leurs données, qu’est-ce que ça voulait dire, etc. Il y a eu des formations. C’est un projet qui a duré 18 mois. Il ne faut pas traiter les projets d’installation de logiciels libres de manière très simple, parce que ce sont des projets vraiment complexes tellement ça change les habitudes. C’était un peu ce que je disais tout à l’heure : en termes d’usages et d’habitudes c’est, pour moi, le plus gros obstacle. On a à faire face à ce qui existe aujourd’hui qui est Microsoft, qui est Google, tous les GAFAM. D’ailleurs, j’ai des directeurs d’école qui, par exemple, ne jurent que par les tablettes Apple.
Je pense que ce sont vraiment des projets qu’il faut mener, pour lesquels il faut prendre du temps et puis, chaque fois, remettre le travail sur l’ouvrage, parce qu’il faut former et accompagner.

Sébastien Saunier : au sujet des projets. Nous avons migré vers Open Office un peu comme toi, il y a 19/20 ans. À l’époque, on n’avait pas vraiment intégré la notion de projet, on l’a fait en mode Big Bang, ne rigole pas Marie-Jo, mais ça s’est plutôt pas trop mal passé, et, ensuite, on a formé les agents. Ce qu’il y a, c’est qu’au fil du temps on a des agents qui se renouvellent. Finalement, ça évolue un peu : on a quand même pas mal d’agents qui arrivent sans forcément connaître notamment LibreOffice et ça se passe quand même de mieux en mieux. On continue à former les nouveaux en mode migration et on s’aperçoit aussi que les gens ont de plus en plus cette facilité à passer d’un outil à l’autre, parce qu’on a l’usage des mobiles, etc., et on a, finalement, moins cette dépendance à l’interface, « j’ai l’habitude que le bouton soit là », ça arrive à évoluer. On a, pratiquement, plus de plasticité des utilisateurs, ça dépend qui, c’est toujours pareil.

Nicolas Vivant : Moi, je ne comprends pas toujours les utilisateurs. Personne ne les a formés à Gmail, personne ne les a formés à Canva, mais si vous installez le moindre outil, même qui ressemble à ça, ils hurlent et demandent des formations de partout. C’est quand même assez bizarre la résistance au changement !

Claudine Chassagne : Après tu as les champions d’Excel et les champions des présentations sur Powerpoint qui n’arrivent pas à trouver d’équivalent. Il faudrait quand même qu’on revienne un peu sur ces usages-là, trop sophistiqués, qui sont allés très loin parce qu’on n’a pas forcément les contreparties et c’est là aussi où ça peut poser problème.

15’ 00

Nicolas Vivant : En tout cas, dans une stratégie de migration, ce sont les personnes qu’il faut migrer en dernier. Ne commençons pas par les trucs les plus compliqués, ne commençons pas les trucs les plus lointains. Je dis souvent que si vous faites un passage à Linux, par pitié ne commencez pas par les écoles de votre collectivité, commencez autour de vous à l’hôtel de ville, un endroit qui n’est pas loin, si possible par des décideurs. La première personne que nous avons passée sous Linux, c’est notre directeur général des services, ça fait deux ans qu’il y est, maintenant, allez lui expliquer que ça ne marche pas et que c’est nul ! Ça fait deux ans qu’il l’utilise, donc vous voyez en termes de stratégie de migration.
Donc, commencez par les gens autour de vous, allez-y doucement pour laisser le temps à votre service de monter en compétences aussi. Tu parlais de ces experts sous Excel, mais c’est vrai aussi au service informatique : demandez aux gens de travailler autrement, avec d’autres produits, c’est remettre en cause tout un niveau de compétences. J’ai eu des réactions, au départ, par des gens qui avaient peur de se retrouver au niveau des utilisateurs : aujourd’hui, ils étaient ceux qui expliquaient et demain ils avaient peur d’être en danger face à un utilisateur qui rencontre un problème. La première résistance au changement et la plus complexe à gérer c’est à l’intérieur du service informatique, ce n’est pas dans les services, mais on est d’accord sur la partie accompagnement.
Juste un mot pour dire que ce type de moment est très important. Toutes les rencontres qu’on a sont des occasions d’échanger sur des produits, parce qu’il n’y a pas de marketing, il n’y a pas de communication, et aussi sur des stratégies justement de migration, le livre de Claudine est précieux [Migrer son système d’information vers les logiciels libres : Un défi politique et technique pour les collectivités ]. Pouvoir échanger sur ces sujets-là, c’est très important.

Claudine Chassagne : La stratégie est différente aussi suivant la taille de la collectivité. Toi, tu es dans une très grande collectivité, donc tu as un service informatique qui est quand même étoffé ; moi, je suis dans une commune de 5600 habitants, le service informatique c’est une personne et demie parce qu’il y a un apprenti. Après, il faut effectivement tomber, là il vient de changer, sur le bon DSI qui va adhérer et qui va être moteur. Apparemment, on l’a trouvé, donc on va avancer.

Nicolas Vivant : Oui, et puis on est beaucoup plus en contact. Il y a cinq ans, on n’était pas du tout en contact.

Claudine Chassagne : Tout à fait, en réseau et en communauté et c’est important. Le propre du logiciel libre, c’est quand même de créer ces communautés d’échange et de partage.

Nicolas Vivant : Il n’y a pas très longtemps, j’ai fait un travail sur un logiciel de prise de rendez-vous, une sorte de Doctolib. Il en existe un, qui est libre, le code est en ligne, mais la documentation ce n’est pas trop ça. Du coup, nous avons fait le boulot en interne parce que, effectivement, nous avons les compétences d’installation de ce logiciel et tout. On a tout documenté, on a aussi documenté la partie administration et tout, et on a partagé ça avec tout le monde, c’est-à-dire que ce travail de documentation, qui n’avait pas été fait par l’éditeur du logiciel, nous l’avons fait, nous l’avons partagé avec tous nos collègues, dont celui de Saint-Martin-d’Uriage. Ça veut dire que, déjà, il est un peu plus autonome si lui-même souhaite mettre en place cette solution et, surtout, ça veut dire qu’on est en contact et qu’on peut donner des coups de main s’il y a des blocages ou des trucs qu’on n’aurait pas documentés. C’est vraiment majeur parce que c’est ce qui nous permet de compenser, un petit peu, l’absence de communication et d’information qu’on peut avoir sur les logiciels propriétaires.

Philippe Scoffoni : OK. Donc trouver des key users, finalement, qui vont être un peu les porteurs des nouvelles solutions libres qu’on déploie. On se répartit un peu de marge de conduite de changement, etc., pour avoir des gens qui sont moteurs qui vont, après, porter la bonne parole et diffuser les facilités, en tout cas qui vont diffuser l’outil.
On parlait de réseau. Aujourd’hui, comment êtes-vous organisés ? Vous avez des regroupements régionaux, locaux ? Comment échangez-vous ?

Nicolas Vivant : Le premier réseau, c’est le réseau des libristes. On est là, je vois plein de gens ici que j’ai vu aussi aux JdLL que je vois à Open Source Expreince, que je vois au congrès de l’Adullact pour ce qui est des collectivités. Donc, c’est déjà un réseau.
Au niveau de Grenoble, on a un syndicat intercommunal, qui s’appelle le SITPI, qui réunit une dizaine de communes. Il y a effectivement un objectif de promotion et d’utilisation de logiciels libres au SITPI. C’est un réseau très solide de communes qui échangent, cherchent des axes de mutualisation et tout ça.
Toujours à l’échelle de Grenoble, on a créé un collectif qui s’appelle Alpes Numerique Libre. Au départ, c’est un collectif pour les communes vraiment intéressées par les logiciels libres, mais, finalement, tout le monde a senti le bon plan et tout le monde est là. Je pensais qu’on serait cinq/six et, finalement, les 15 DSI des villes autour de l’agglo, plus Saint-Martin-d’Uriage et puis, de plus en plus, des communautés de communes nous rejoignent : ??? [20 min 02], massif du Vercors, Val de Drôme. On commence à avoir des collectivités qui sont un peu éloignées, qui ne nous rejoignent que là-dessus, sur du retour d’expérience et du partage de connaissances. C’est un outil. Quand on est une petite commune, on se sent seule, en réalité, et c’est précieux de pouvoir échanger.

Claudine Chassagne : C’est ce qui a un peu changé, justement. Échirolles a pris un peu les choses en main au niveau politique comme au niveau technique, a donc créé un peu toutes ces strates et c’est vraiment intéressant. Nous avons cherché de la mutualisation pendant très longtemps sur l’Isère, sans trouver, et puis finalement on adhère au SITPI, donc on va migrer vers le SITPI, ce syndicat intercommunal.
Après, il ne faut pas oublier toutes les associations : l’ADULLACT qui nous réunit, avec laquelle on travaille beaucoup, avec laquelle on échange beaucoup, qui existe quand même depuis plus de 20 ans. C’est important. Il y a l’April, il y a pas mal d’associations auxquelles on peut se référer. Mais c’est vrai qu’on était quand même bien seuls jusqu’à assez récemment, ça va changer.

Philippe Scoffoni : Très bien. Sébastien, tu voulais rajouter quelque chose ?

Sébastien Saunier : Une réflexion en vous écoutant. C’est vrai qu’on a effectivement l’ADULLACT qui nous permet d’échanger, mais qui reste quand même orientée sur des logiciels plutôt métier. C’est vrai que ce qui pourrait manquer, c’est ce que vous avez développé sur l’Isère. On est plus sur de l’échange d’expériences orientées réellement logiciel libre, pas juste une association de DSI comme il en existe un certain nombre.

Philippe Scoffoni : Pour changer un petit peu de sujet. Aujourd’hui, on parle beaucoup de souveraineté numérique, éco-responsabilité, sobriété, etc. Est-ce que ça a un impact, aujourd’hui, sur votre stratégie de construction de DSI ? Est-ce que c’est un argument de plus en faveur des logiciels libres ou pas ?

Claudine Chassagne : Je vais reprendre l’aspect politique. En 2014, nous avions lancé une politique qui était le recours aux logiciels libres en priorité, c’était vraiment au plus haut niveau. Changement de mandature en 2020 avec de nouveaux élus beaucoup plus axés sur la transition. À ce moment-là, on a fait une stratégie du numérique responsable et inclusif qui s’appuie justement sur le logiciel libre. C’est une façon de dire qu’on ne fait pas du logiciel libre, on le camoufle sous la sobriété, sous la souveraineté, etc., et,, finalement, ça a bien pris, donc on s’interroge vraiment sur ces aspects-là. Et là, le logiciel libre est un vrai atout par exemple pour allonger la durée de vie des terminaux, pour tout ce qui est flotte mobile aussi, pour l’écoconception, etc. Donc, dans plein d’endroits, on a réintégré du logiciel libre à ce niveau-là ; on l’a mis dans cette politique-là.

Nicolas Vivant : Des études ont montré que l’utilisation de Linux, par exemple, était moins consommatrice en énergie et que c’est effectivement un vrai axe pour la sobriété, mais il y a plein d’autres trucs : toutes les grandes collectivités se retrouvent avec la moitié de leur parc qui ne passe pas à Windows 11 ! Ça veut dire des milliers de terminaux fonctionnels jetés à la poubelle. C’est vrai que le jour où la métropole de Grenoble a parlé de cela en réunion de DG, notre DG a pris la parole pour dire « nous ne sommes pas concernés, on vous laisse discuter entre vous », parce que le passage à Linux était entamé à Échirolles.
Globalement, le logiciel libre permet de reprendre la main sur son système d’information et c’est une des conditions. La maîtrise de son infra est une des conditions de la mise en place efficace, on va dire, de la sobriété numérique. Si vous êtes dépendant de prestataires, vous êtes aussi dépendant de leur capacité à être sobres ou pas.
Chez nous, plein de choses sont faites en interne, d’ailleurs plus de l’ordre organisationnel que matériel ou logiciel. On sait que 70 %, voire plus, de l’impact environnemental du numérique c’est la fabrication des terminaux. Donc, notre travail est surtout sur la façon d’éviter l’achat de nouveaux terminaux. Ça veut dire, en termes organisationnels, qu’on change énormément de choses, on revient à des trucs type BYOD [bring your own device], c’est-à-dire que si quelqu’un arrive dans la collectivité avec son smartphone et dit « je ne veux pas de smartphone, je veux juste une carte SIM », dans plein de collectivités on va lui dire « non, on ne met nos cartes SIM que dans des téléphones qu’on maîtrise parce qu’on a un système de gestion de notre parc ». OK, mais ça va à l’encontre de l’objectif de sobriété. Ça veut donc dire organiser son système d’information pour être capable d’intégrer en toute sécurité, sur son réseau, des équipements qui ne sont pas les siens, ça en fait partie. C’est un vrai changement de paradigme et il y en a plein comme ça, c’est vraiment un changement organisationnel à opérer pour être efficace. Mais bien sûr que les logiciels libres nous aident, c’est sûr.

Sébastien Saunier : Sur l’aspect sobriété, etc., c’est vrai que côté matériel on travaille quasi exclusivement avec du reconditionné sur tout ce qui est poste de travail, un peu moins sur les mobiles, on a testé mais ce n’est pas toujours pertinent, et sur la partie infra, serveurs, aussi. Les choix qu’on peut faire peuvent aussi nous permettre de prolonger la vie de l’infra, des serveurs, de les changer au fil de l’eau, et pas forcément d’être sur un mode « tiens j’ai acheté une licence VMware, je change VMware, il faut que je change toute l’infra en même temps ». Les logiciels libres nous permettent de venir moduler ces aspects-là.

Philippe Scoffoni : Une dernière question, une question de valorisation de ce travail et de ces logiciels qu’on met en place qui, parfois, n’ont pas de coût. Comment valorise-t-on vis-à-vis d’un DG et est-ce que ça peut valoriser, finalement ?

Nicolas Vivant : C’est une question très intéressante. Il y a les économies qu’on fait, ce n’est pas difficile à valoriser. Quand je dis moi, comprenez l’équipe d’Échirolles, parce que c’est Philippe, qui est là dans la salle, qui fait en réalité le boulot. Ça fait trois ans qu’on présente un budget en investissement et en fonctionnement en baisse, avec un périmètre qui explose en termes de fonctionnalités ; ça, c’est visible. Très bien, nos élus sont contents, on cherche à faire des économies, on fait des économies.
Mais comment valoriser l’argent qu’on ne dépense pas ? Si j’ai 100 000 euros de budget, je reste à 100 000 euros, mais j’ai doublé mon périmètre, j’ai fait des économies, mais elles ne se voient pas au niveau budgétaire, donc comment valoriser ça ? On a fait un travail qu’on vient d’achever. Par exemple, en solution de visioconférence, j’ai BigBlueButton ; combien ça m’aurait coûté si j’avais le même nombre de licences en Teams. Et je fais ça pour l’ensemble des logiciels libres qui ont été déployés depuis le début du mandat. Le montant auquel on est arrivé à Échirolles m’a impressionné, je ne m’y attendais pas du tout, notre élu, je n’en parle même pas, d’autant plus qu’il est élu aux finances, ça l’intéressait donc à double titre, il était hyper motivé ! On arrive à 350 000 euros d’économie par an. Encore une fois, ce ne sont pas des économies, on n’a pas fait moins 350 000 euros sur le budget, mais, en gros, c’est la valeur de ce qui a été mis en œuvre. Ce sont, en gros, 350 000 euros par an, donc, à l’échelle d’un mandat ça représente plus de deux millions d’euros d’argent qu’on n’a pas dépensé. C’est un chiffre qui parle, c’est pour 1000 utilisateurs, je le dis pour les gens qui ne connaissent pas la taille, pour 1000 postes clients.
C’est donc une façon de valoriser. Il y a plusieurs façons de faire ça.
Par exemple, je suis allé sur les sites de Microsoft pour voir quelle était la licence la moins chère pour Teams, elle est autour de trois euros. Et, pour confirmer le chiffre, parce qu’il y a quand même des négociations commerciales, tout le monde n’achète pas au prix affiché. Je suis allé voir sur des marchés publics, puisque les marchés sont publics et les allocations de marché sont publiques avec des montants. Je suis allé vérifier que les chiffres que j’obtenais étaient effectivement cohérents.
Une autre façon de faire c’est de contacter les collègues et demander, s’ils utilisent Teams, combien ils ont d’utilisateurs, combien ça leur a coûté de benchmarké.
Je pense qu’une bonne pratique.
Chaque fois qu’on met en œuvre une solution libre, faire faire des devis, c’est encore la meilleure façon, et puis on prend le moins cher et on dit « c’est ce que j’ai économisé ». Sauf que si ce sont toujours les mêmes acteurs à qui vous demandez les devis, au bout d’un moment ils se disent « OK, en fait il n’achètera jamais nos produits, tout ce qu’il veut c’est valoriser pour son élu » et ça risque de se compliquer un peu. Soit, vous trouvez en ligne les données, comme je vous l’ai dit, ou vous allez les chercher dans les marchés publics.
En tout cas, c’est vraiment une bonne pratique de faire ça, parce que même en termes de communication vis-à-vis des élus, 350 000 euros par an, ce sont sept postes d’informaticiens, c’est ce qu’il faut avoir à l’esprit ; on peut parler en postes, à l’échelle du mandat, on peut parler en pourcentage d’école maternelle. Faire ce travail-là ce n’est pas mal, parce qu’on est souvent interrogé sur les économies que le Libre fait faire, avec des arguments qui nous disent « oui, mais ce qu’on économise en licence, on le paye en prestations, on le paye en formation ». Faisons ce travail. Quand je vous parle de 350 000 euros, ce sont des coûts récurrents, vraiment des coûts de fonctionnement, donc des coûts annuels, on est pas dans les coûts d’investissement et c’est en prenant en compte les quelques contrats de maintenance qu’on a pour contribuer aux projets libres qu’on utilise. Le chiffre n’est même pas à 350, il est à 365 000 !

30’ 25

Claudine Chassagne : Je reprends exactement